Jugements et critiques

Charles Baudelaire

Baudelaire

« Ce livre est un livre de charité, c’est-à-dire un livre fait pour exciter, pour provoquer l’esprit de charité ; c’est un livre interrogeant, posant des cas de complexité sociale, d’une nature terrible et navrante, disant à la conscience du lecteur : “Eh bien ? Qu’en pensez-vous ? Que concluez-vous ?” […]
Le chapitre où est retracé, minutieusement, lentement, analytiquement, avec ses hésitations, ses restrictions, ses paradoxes, ses fausses consolations, ses tricheries désespérées, cette dispute de l’homme contre lui-même (Tempête sous un crâne), contient des pages qui peuvent enorgueillir à jamais non seulement la littérature française, mais même la littérature de l’Humanité pensante. Il est glorieux pour l’Homme Rationnel que ces pages aient été écrites ! Il faudrait chercher beaucoup, et longtemps, et très longtemps, pour trouver dans un autre livre des pages égales à celles-ci, où est exposée, d’une manière si tragique, toute l’épouvantable Casuistique inscrite dès le Commencement, dans le cœur de l’Homme universel. […]
Les Misérables sont donc un livre de charité, un étourdissant rappel à l’ordre d’une société trop amoureuse d’elle-même et trop peu soucieuse de l’immortelle loi de fraternité ; un plaidoyer pour les misérables (ceux qui souffrent de la misère et que la misère déshonore), proféré par la bouche la plus éloquente de ce temps. Malgré tout ce qu’il peut y avoir de tricherie volontaire ou d’inconsciente partialité dans la manière dont, aux yeux de la stricte philosophie, les termes du problème sont posés, nous pensons, exactement comme l’auteur, que des livres de cette nature ne sont jamais inutiles. »
(Le Boulevard, 20 avril 1862 ; Baudelaire, Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1976, p. 220-224.)
 

Flaubert

« – Moi qui ai passé ma vie à l’adorer, je suis présentement indigné ! Il faut bien que j’éclate, cependant.
Je ne trouve dans ce livre ni vérité, ni grandeur. Quant au style, il me semble intentionnellement incorrect et bas. C’est une façon de flatter le populaire. Hugo a des attentions et des prévenances pour tout le monde. […] Ce livre est fait pour la crapule catholico-socialiste, pour toute la vermine philosophico-évangélique. »
(Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes, juillet [?] 1862 ; Flaubert, Correspondance, éd. Jean Bruneau, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. III, 1991, p. 235-236.)
 

Lamartine

« Mais ce qui fait de ce livre un livre souvent dangereux pour le peuple, dont il aspire évidemment à être le code, c’est la partie dogmatique, c’est l’erreur de l’économiste à côté de la charité du philosophe ; en un mot, c’est l’excès d’idéal, ou soi-disant tel, versé partout à plein bord, et versé à qui ? à la misère imméritée et quelquefois très méritée des classes inférieures, négligées, oubliées, suspectes, souvent coupables, à la misère de la partie souffrante de la société ; idéal faux, qui, en se présentant à ces misères déplorables, imméritées ou méritées, de l’humanité manuellement laborieuse, présente à ses yeux la société comme une marâtre sans entrailles, qu’il faut haïr et logiquement détruire de fond en comble pour faire place à la société de Dieu. Voilà le monstre (nous disons ce mot monstre dans son sens antique, c’est-à-dire prodige), voilà le livre que nous avons essayé d’analyser ici, en le condamnant quelquefois et en l’admirant presque toujours. C’est le romantisme introduit dans la politique. »
(Considérations sur un chef-d’œuvre ou Le danger du génie, Cours familier de littérature, t. XV, entretien 87, ch. 10, Chez l’auteur, mars 1863, p. 164-165.)
 

Rimbaud

« Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : Les Misérables sont un vrai poème. »
(Lettre d’Arthur Rimbaud à Paul Demeny, 15 mai 1871 ; Arthur Rimbaud, Œuvres complètes, éd. André Guyaux, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 347.)