À propos de l'auteur

Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755)

Baptisé en la chapelle de Versailles, baigné par son père dans le culte de Louis XIII dit « Louis-le juste », Saint-Simon a une haute idée de son rang et du devoir. Entre Paris et La Ferté-Vidame, propriétés de sa famille, il est éduqué par des jésuites. La religion et la morale tiennent une place importante dans sa vie et Saint-Simon est également très attaché au père Rancé, abbé de La Trappe en retrait du monde. Devenu mousquetaire en mars 1692, Saint-Simon part sur le front des Pays-Bas au mois de mai, pour la troisième campagne de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Il fait sa première entrée à la Cour la même année et décide déjà, adolescent encore, de rédiger quelques « mémoires ». En 1694 et 1695, les armes cédant le pas à des négociations diplomatiques, Saint-Simon, doit quitter les Flandres pour le front d'Allemagne ; cherchant à tromper son inaction, il s’adonne à une lecture qui l’inspire : « Ce fut dans le loisir de ce long camp de Gau-Bôckelheim que je commençai ces Mémoires, par le plaisir que je pris à la lecture de ceux du maréchal de Bassompierre, qui m'incita à écrire aussi ce que je verrais de mon temps. »
Duc et Pair de France, il s’inquiète des évolutions trop brutales imposées à la société par la toute-puissance de Louis XIV. Attaché à sa famille, Saint-Simon l’est aussi à son nom et à son rang : « Ma passion la plus chère est celle de la dignité de mon rang. Ma fortune ne va que bien loin après et je la sacrifierais, présent et futur, avec transports de joie pour quelque rétablissement de ma dignité. » Saint-Simon fait siennes les prétentions de son père à descendre de Charlemagne par les comtes de Vermandois et s’attache à le prouver dans le recueil de Notes sur les duchés-paieries existant depuis l’An 1500. Parmi toutes les charges dont Saint-Simon hérite à la mort de son père, en 1693, se trouvent celles de gouverneur de Blaye, grand-bailli et gouverneur de Senlis, capitaine de la ville de Pont-Sainte-Maxence et du Mesnil-lès-Pont, capitaine et concierge du château royal de Pont-Sainte-Maxence et capitaine et concierge du château de Fécamp.

Mme la duchesse de Saint-Simon, fille du maréchal de Lorge

D’esprit très indépendant, Saint-Simon arrange lui-même son mariage avec Gabrielle de Lorge, fille d’un Maréchal qu’il a servi au cours d’une campagne. Le mariage a lieu le 8 avril 1695 : « […] que j'ai toujours regardé, avec grande raison, nous dit Saint-Simon, comme le plus heureux jour de ma vie » (I, p. 229). Saint-Simon ne cesse de célébrer un lien profond à son épouse, à laquelle il survivra plus de douze ans.
 
Lorsque celle-ci est nommée dame d'honneur de la duchesse de Berry, il réside à Versailles à partir de 1710 et est ainsi au premier rang du « spectacle » et de toutes les intrigues que suscite le Roi-Soleil. Mme de Maintenon apparaît, pour Saint-Simon, à l’origine de bien des maux du règne de Louis XIV : « personnage unique dans la monarchie depuis qu'elle est connue, qui a, trente-deux ans durant, revêtu ceux de confidente, de maîtresse, d'épouse, de ministre, et de toute-puissante » (IV, p. 1050). Lorsque Saint-Simon arrive à la Cour, celle qu'il nomme « la Scarron », « la sultane manquée », « la créole publique, veuve à l'aumône de ce poète cul-de-jatte », a déjà imprimé à Versailles son style de vie des dernières années : dévotion, pudibonderie et surveillance policière.
Adversaire des bâtards royaux, le duc de Saint-Simon est proche de Philippe d’Orléans depuis l’enfance. Les deux amis fondent leurs espoirs sur le duc de Bourgogne pour rêver à un nouveau gouvernement. Lorsque le duc de Bourgogne, dauphin de France, meurt le 18 février 1712, Saint-Simon voit disparaître ses beaux projets : « La France tomba enfin sous ce dernier châtiment ; Dieu lui montra un prince qu'elle ne méritait pas » (I, p. 1186). Seule Mme de Saint-Simon sait l'arracher au désespoir : « Je voulus tout quitter, et me retirer de la cour et du monde, et ce fut tout l'ouvrage de la sagesse, de la conduite, du pouvoir de Mme de Saint-Simon sur moi, que de m'en empêcher avec bien de la peine. » Après les faillites du Grand Siècle : perte de puissance militaire, misère sociale et crise de succession, la couronne royale revient finalement à un enfant de cinq ans, qu’il faut former à régner.

Le cardinal Dubois

Le testament de Louis XIV confirme les droits des « légitimés », mais confie au duc d’Orléans la Régence. Ce dernier obtient du Parlement de faire « en sorte qu'il ne resta nulle sorte de pouvoir au duc du Maine, qui fut totalement remis entre les mains du Régent » (V, p. 26). Le 15 septembre 1715, en récompense, le Parlement recouvre le droit de remontrances dont Louis XIV l'avait privé.
Saint-Simon est alors propulsé Conseiller de la Régence : d’observateur avisé, il devient acteur en politique. Essayant de participer aux réformes nécessaires et de guider le Régent pour redorer la grandeur de la France, le duc est aussi un habile entremetteur : il obtient pour Louis XV la main de l'Infante d’Espagne. Pourtant, il se heurte rapidement à de vives déconvenues devant le jeu du pouvoir, face au Cardinal Dubois, ancien précepteur de Philippe d’Orléans et dont l’influence demeure énorme sur le Régent décadent. Saint-Simon voue une haine féroce à l'abbé Dubois : « L'abbé Dubois était un petit homme maigre, effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine, à physionomie d'esprit, qui était en plein ce qu'un mauvais français appelle un sacre, mais qui ne se peut guère exprimer autrement. Tous les vices combattaient en lui à qui en demeurerait le maître […]. L'avarice, la débauche, l'ambition étaient ses dieux ; la perfidie, la flatterie, les servages, ses moyens ; l'impiété parfaite son repos, et l'opinion que la probité et l'honnêteté sont les chimères dont on se pare […]. Il excellait en basses intrigues ; il en vivait ; il ne pouvait s'en passer […]. Méchant d'ailleurs avec réflexion, et par nature et par raisonnement, traître et ingrat, maître expert aux compositions des plus grandes noirceurs, effronté à faire peur étant pris sur le fait, désirant tout, enviant tout, et voulant toutes les dépouilles. » (IV, pp. 704-705)
Enfin, le maréchal de Villeroy (1644-1730), nommé gouverneur de Louis XV pour parfaire son éducation après la mort du roi, est, selon Saint-Simon, « l'homme le plus inepte à cet emploi qu'il y eût peut-être en France ; ajoutons que, lors de ce choix, il avait soixante et onze ans, et que le prince dont il était destiné gouverneur en avait cinq et demi » (IV, p. 1070). « Il se crut le père, le protecteur du Roi, l'ange tutélaire de la France, et l'homme unique en devoir et en situation de faire en tout contre au Régent. Sa fatuité lui avait fabriqué un autre devoir, qui fut d'épouser contre ce prince toute la haine de la Maintenon, sa patronne. » (V, p. 808) Arrêté en 1722 à la suite de tortueuses manœuvres de Dubois, il est exilé à Lyon. Peu après que Louis XV soit déclaré en âge de régner, à 13 ans, le Cardinal Dubois décède et Saint-Simon, déjà retiré de la vie publique, exprime alors son soulagement. Le décès de Philippe d'Orléans en 1723 amène Saint-Simon à rompre définitivement avec ce cénacle qu’il exècre.

Hiéroglyphes de croix et larmes (juillet 1743 : mort de la femme de l'auteur)

Saint-Simon quitte la cour pour mieux se retrouver dans l’écriture, sa passion. Il rassemble et organise méticuleusement ses notes pendant plus de quinze ans. Partageant alors son temps entre Paris et la propriété familiale de La Ferté-Vidame, sa femme est son repère, ad vitam.  Saint-Simon commence l’écriture des Mémoires à 65 ans. Durant les dix années consacrées à la rédaction secrète de ses Mémoires (1739-1749), Saint-Simon n'a lâché la plume qu'une seule fois, de janvier à juillet 1743, au moment de la mort de sa femme. Il a fixé cet épisode douloureux dans son manuscrit par des dessins de croix et de larmes, qui s'alignent en hiéroglyphes chaotiques rompant le rythme régulier de l'écriture.
 
Saint-Simon meurt le 2 mars 1755, la même année que Montesquieu. N’ayant rien produit au grand jour, il est couvert de dettes et les scellés sont apposés sur ses propriétés et un inventaire scrupuleux en est établi, à la demande de son cousin et exécuteur testamentaire, Claude de Saint-Simon, évêque de Metz. Le 26 décembre 1760, un ordre du roi, signé du ministre Choiseul, décrète la mise au secret de tous les écrits de Saint-Simon concernant les affaires du royaume.