À propos de l’œuvre
Genèse du Contrat social
De juillet 1743 au mois d’août 1744, en pleine guerre de succession d’Autriche, Rousseau, qui sait l’italien, est secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise. Il est chargé de la rédaction des dépêches diplomatiques. Ce séjour, relaté dans le livre VII des Confessions, initie Rousseau à l’art politique. Ses dépêches font état d’un mémoire sur les membres du Collège vénitien à la demande du roi Louis XV et d’un mémoire « sur le gouvernement présent de cette République, sur ses forces et sur le caractère des Principaux de l’État » qui a été perdu. Rousseau mûrit le projet d’un long projet d’étude des institutions politiques dans lequel il examinerait les gouvernements établis par rapport à la règle de l’égalité naturelle des hommes. Du Contrat social en est l’aboutissement comme le signale l’avertissement : « Ce petit traité est extrait d’un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, et abandonné depuis longtemps. » La République de Venise y est citée à plusieurs reprises comme l’exemple d’un gouvernement corrompu, d’une république devenue une aristocratie héréditaire.
Le traité politique de Rousseau
L'homme, selon Rousseau est naturellement bon, c'est la société, telle qu'elle est, qui le corrompt. C'est donc la société qu'il faut reconstruire. En 1762, il publie Du Contrat social ou Principes du droit politique avec comme volonté de résoudre le problème suivant : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ? » Rousseau, après avoir définit le contrat social, analyse les notions de souveraineté et de législation, puis les formes de gouvernement et enfin traite des façons d’exprimer la volonté générale. Il s’agit non pas de s’appuyer sur des faits mais de démontrer les conditions d’une société juste et légitime dont la clé de voûte est la volonté générale.
On trouve déjà chez Hobbes et Locke l’idée d’un contrat social, qui mène à l’absolutisme chez le premier, au libéralisme et à la séparation des pouvoirs chez le second. Pour Rousseau, le contrat social est un acte volontaire, qui assure liberté et égalité en échange de l’abandon de ses droits à la communauté : « Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a. » Chacun doit obéir à la volonté générale (de la majorité), dictée par le souci de l’intérêt commun et exprimée par une loi de portée universelle applicable à tous. Le peuple souverain légifère, mais délègue l’exécutif à un gouvernement, et seul un gouvernement républicain assure la souveraineté à la volonté générale. Pour Rousseau, la liberté individuelle, réclamée par Montesquieu ou Voltaire, ne peut être que la conséquence de la souveraineté de la nation et de l’égalité politique. Il décrète le droit à l’insurrection si le contrat social est violé.
Un classique
Du Contrat social est publié en Hollande, interdit de circulation en France, condamné à Genève avec l’Émile à être « à être lacérés et brûlés par l’exécuteur de la haute justice, devant la porte de l’hôtel de ville, comme téméraires, scandaleux, impies, tendant à détruire la religion chrétienne et tous les gouvernements ». Mais ce traité politique aura une action décisive sur l’évolution de la pensée politique, philosophique et morale : les Jacobins en font leur livre de chevet — hégémonie de la notion d’État, dogme robespierriste d’une religion d’État — tandis que Kant, Fichte et Hegel en font un classique de la philosophie. On ne peut séparer Du Contrat social, dont le mécanisme politique repose sur l’usage de la raison, de l’Émile, traité d’éducation pour former l’homme sans le corrompre. Encensé comme un des inspirateur de la démocratie directe ou considéré comme un annonciateur des régimes totalitaires, Rousseau n’aura jamais cessé d’être lu et interprété.