L'esclavage
Deux siècles après les premiers transports d'esclaves africains vers l'Amérique espagnole et portugaise, les Antilles deviennent au XVIIIe siècle une des destinations majeures de la traite négrière. En effet, la culture de la canne à sucre, implantée dans les Caraïbes, est grande consommatrice de main-d'œuvre. Depuis 1685, les Antilles sont soumises à "l'édit du Roy touchant la police des Isles d'Amérique française", autrement dit le Code noir. Conçu pour donner un cadre juridique à l'exercice de l'esclavage, le Code noir fait de l'esclave un être "meuble" susceptible d'être acquis par un maître au même titre qu'un bien. Cette réglementation, conçue aussi pour limiter les droits des maîtres, donne, en fait, lieu à tous les abus.
Dans l'Europe des Lumières se lèvent alors des hommes pour dénoncer et combattre l'esclavage. Montesquieu sera l'un d'eux : sa dénonciation de l'esclavage dans les Lettres persanes dès 1721 sera relayée dans l'Esprit des lois en 1748, en particulier dans le livre XV. La révolte des esclaves dans la Jamaïque anglaise ainsi que dans les Guyanes françaises et surtout hollandaises donne un souffle à ce courant de pensée. Elle inspire à Voltaire, dans Candide, l'épisode du nègre de Surinam. À la veille de la Révolution, des sociétés anti-esclavagistes voient le jour, d'abord à Londres, puis à Paris, sous la forme de la société des Amis des Noirs, fréquentée par les esprits éclairés et les révolutionnaires, parmi lesquels on compte, entre autres, Condorcet et Mirabeau. Abrogé par la Convention, en 1794, rétabli sous Napoléon, en 1802, l'esclavage dans les colonies françaises est définitivement aboli, sous la IIe République, grâce à Victor Schoelcher, en 1848.
Découverte
Au XVIIIe siècle, si une vive contestation de l’esclavage s’impose, celui-ci est bien antérieur cependant et multiforme. Dans la Grèce Antique, cohabitent une servitude de type communautaire dans laquelle certains droits sont conservés, un esclavage individuel entièrement soumis au maître, des esclaves publics qui relèvent de la cité. Sous l’Empire romain, l’esclavage est une institution, essentiellement alimentée par les guerres : les prisonniers sont vendus sur les marchés et les esclaves participent à la vie économique et sociale. L’expansion de l’islam au VIIe siècle intensifie la traite des esclaves africains vers l’Arabie et l’Asie, en Inde notamment, mais aussi en Europe. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, l’esclavage touche également les Européens : des esclaves blancs sont capturés par des musulmans en Europe centrale, en Italie ou en Espagne et conduits en Afrique du Nord pour être vendus : Voltaire l’évoque dans Candide en imaginant Cunégonde et la Vieille esclaves d’un prince déchu de Transylvanie, ou Pangloss et le fils du baron enrôlés de force dans les galères. Tous les quatre seront rachetés par Candide, soulignant ainsi leur valeur marchande : l’eau-forte de Charles Boullay (1788) représentant un [Marchand d’esclaves] illustre le triste sort de Cunégonde. À partir du XVIe siècle, la traite atlantique entre l’Afrique et les Amériques se développe pour permettre l’exploitation des grandes plantations. Dans les colonies françaises, le traitement des esclaves est défini par le Code noir. Censé préserver un minimum de droits pour les esclaves, il apparaît surtout comme la porte ouverte à tous les excès des maîtres.
La réflexion du XVIIIe siècle sur l’esclavage est parallèle à la représentation du "bon sauvage", portée par les explorations et les découvertes : elle s’inscrit dans une démarche plus étendue qui touche à l’image de l’autre (renvoi à la piste) et interroge la représentation qui est faite de ces êtres humains – hommes, femmes ou enfants.
• Cette représentation d’un marché aux esclaves met en scène différents personnages : quels sont les signes distinctifs qui permettent d’identifier leur statut ?
Comment s’organise la scène ?
Quel est le rôle de chacun ?
Quelle conclusion peut-on tirer quant à la marge de manœuvre des esclaves ?
• Les esclaves tentés par la désobéissance sont soumis aux pires punitions ainsi que le montrent certaines illustrations de l’album comme dans les deux images "L'Exécution de la punition du fouet" et "Nègres à fond de cale".
Dans les deux images, qui exécute la sanction ?
Comment sont représentés les esclaves punis ?
Ont-ils la liberté de leurs mouvements ?
Dans la punition du fouet, la scène est publique, pourquoi ?
Sur la première image, deux volets sont représentés : comment interpréter la posture de l’homme blanc ?
Les esclaves maraudeurs ont fui la domination et investissent les plantations pour survivre ; la sanction est redoutable, la mort : pourquoi est-elle si dure ?
La représentation de la punition illustre un ouvrage de Jean-Baptiste Debret, Voyage pittoresque et historique au Brésil.
L’image intitulée "Nègres à fond de cale" est extraite de Voyage pittoresque dans le Brésil de Johann Moritz Rugendas (1835) : quel adjectif se retrouve dans les deux titres ?
Quel est son sens, au XVIIIe siècle et aujourd’hui ?
Comment le comprendre dans le contexte de l’esclavage et de la souffrance humaine qu’il implique ?
• Comment est représenté le personnage dans cette image : ses vêtements, sa posture, l’expression de son visage, son geste ?
Semble-t-il maltraité ?
Ressemble-t-il à un esclave ?
Quelles sont les couleurs de sa tenue ?
Où porte son regard ?
Quel est l’effet recherché par cette représentation ?
Est-elle cohérente avec la description du Nègre de Surinam dans Candide, alors que les deux hommes se consacrent à la même tâche ?
Images à consulter
• Ces illustrations sont contemporaines de la Convention qui abolit l’esclavage.
Dans la première, quels sont les personnages présents ?
Quelle évidence rend visible le bâton tenu par la femme portant une cape rouge ?
Quel est le deuxième point commun entre les deux hommes mesurés ?
En agrandissant l’image, quels documents tient l’homme noir, pourquoi ?
Que désigne la main droite de l’homme blanc ?
Qui sont les démons chassés par la justice ?
Quel sens donner aux rayons lumineux surmontant les deux hommes ?
Qui est l’auteur des deux vers qui donnent le titre à cette eau-forte ?
• "Moi libre aussi" met en scène différemment cette exigence d’égalité et la revendication de la liberté : quels indices renvoient à la République qui abolit l’esclavage lors de la Convention en 1794 ?
Comment comprendre l’adverbe "aussi" dans ce contexte ?
• L'esclave peut devenir un rôle à jouer, au théâtre par exemple : c’est ce qu’indique cette maquette de costume d’une [Esclave grecque] (Paul Lormier, 1813-1895) pour le ballet-pantomime Aelia et Mysis ou l'Atellane.
Quelles sont les caractéristiques du costume ?
Le statut d’esclave est-il représenté, comment ?
Une autre image de l’album va-t-elle dans le même sens ?
De l’horreur de la vie quotidienne des esclaves dénoncée par certains voyageurs à l’esclave devenu composition théâtrale en passant par la revendication politique de l’égalité, les représentations révèlent un regard et une perspective qui évoluent selon l’observateur, son statut, son époque et son projet. Les choix sont variés quant aux indices destinés à donner à voir l’identité et le statut d’esclave : une couleur, une posture, une souffrance. Ces illustrations appuieront la dénonciation de l’esclavage, dont la réalité reste longtemps mal connue en Europe.
Exploration
L’abolition de l’esclavage est l’un des combats du XVIIIe siècle, porté non seulement par les philosophes des Lumières mais aussi par des hommes très présents dans la vie publique. Cette contestation trouvera son aboutissement au siècle suivant grâce à l’action de Victor Schoelcher, qui s’engage dans le combat abolitionniste après un voyage dans les Caraïbes pendant lequel il découvre l’horreur des pratiques esclavagistes : il fait promulguer le décret du 27 avril 1848 qui abolit définitivement l'esclavage en France lorsqu’il est nommé sous-secrétaire d'État à la Marine et aux Colonies sous la IIe République.
Le Code noir est une ligne d’opposition majeure : sous le prétexte de protéger les esclaves, il justifie la domination des maîtres. Certains articles sont particulièrement révélateurs de l’idéologie qui l’anime. Les articles 2 et 3 par exemple évoquent la question du baptême et de l’instruction religieuse : quelles sont leurs implications ?
Quel asservissement supposent-ils, au-delà des chaînes matérielles ?
Les articles 12 et 44 abordent la question des enfants des esclaves : quel est leur statut ?
Quels compléments apporte le texte de Frederick Douglass?
Les colonies sont exclues de l’application de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : comment interpréter cette exclusion ?
Le Code noir – notamment les articles 12, 16, 23, 44 – est en contradiction fondamentale avec plusieurs articles de la Déclaration : lesquels ?
Quelles notions essentielles de la République s’y trouvent bafouées ?
Sur lesquelles le décret du 27 avril 1848, déclarant l’abolition de l’esclavage, insistera-t-il ?
> Le Code noir (1685)
> Frederick Douglass, Mémoire d'un esclave (1845)
> Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)
> Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848
Montesquieu argumente contre l'esclavage dans le livre XV de L'Esprit des lois : au chapitre 5, par le biais de l'ironie, il livre une critique sans appel de l'esclavage : comment les premières affirmations préparent-elles la condamnation radicale des deux derniers paragraphes ?
Dans le chapitre 7, il déclare l'esclavage contre la nature, pourquoi ?
Cette idée se retrouvera en première ligne à la fin du siècle, dans quel écrit ?
Comment interpréter le "droit de l'esclavage" qui apparaît dans le titre du chapitre ?
La dernière phrase du chapitre 9 entre en résonance avec les événements de 1789 : pourquoi ?
> Montesquieu, Lettres persanes, Lettre CXVIII (1721)
> Montesquieu, Lettres persanes, Lettre CXXI (1721)
> Montesquieu, "De l'esclavage des nègres" (1748)
> Montesquieu, "Autre origine du droit de l'esclavage" (1748)
> Montesquieu, "Des nations chez lesquelles la liberté civile est généralement établie" (1748)
Rousseau et Voltaire se retrouvent dans la contestation de l’esclavage : est-ce pour les mêmes raisons ?
Quelle contradiction relève Rousseau dans Du Contrat social ?
Par quels moyens rhétoriques Voltaire condamne-t-il l’esclavage dans Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756) ?
Les pronoms personnels, les images associées aux esclaves sont des pistes à suivre. Comment comprendre l’expression : "environ trente mille personnes, et cent mille esclaves nègres ou mulâtres" ?
> Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756)
> Rousseau, Du Contrat social (1762)
L’abbé Raynal et Condorcet se montrent également très offensifs pour anéantir une pratique qui les révolte.
Quelles sont les idées méthodiquement contestées par l’abbé Raynal dans Histoire des deux Indes (1770) ?
Qui les défend ?
Quel rôle jouent les pronoms personnels dans cette argumentation ?
Orateur rompu aux discours, comment Condorcet structure-t-il sa réflexion dans le texteRaisons dont on se sert pour excuser l'esclavage des nègres ?
Quel est son objectif ?
Cela annonce-t-il des débats futurs ?
Dans quel cadre ?
D’autres causes ont-elles mobilisé Condorcet ?
Vous pouvez vous aider de la piste consacrée au malheur des femmes.
Quel éclairage nouveau est alors conféré à sa démarche ?
> Abbé Raynal, Histoire des deux Indes (1770)
> Condorcet, "Raisons dont on se sert pour excuser l'esclavage des nègres" (1781)
L'influence de Victor Schoelcher fut déterminante dans l’abolition de l’esclavage. Un voyage lui a permis de constater la réalité inhumaine des colonies et, convaincu de l’ignominie d’une telle pratique, il multiplie articles et ouvrages, parmi lesquels Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage paru en 1842.
Cherche-t-il à argumenter comme le fait Condorcet ou son objectif est-il plus radical ?
L’esclavage est-il selon lui une question qui mérite discussion ?
> Victor Schoelcher, "Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage" (1842)
L’abolitionnisme ne disparaît pas avec la fin juridique de l’esclavage. La réflexion se poursuit et demeure au XXIe siècle par le biais d’ouvrages et de sites parmi lesquels "La Route des Abolitions de l’Esclavage et des Droits de l’Homme" qui montre que le traumatisme est toujours présent.
Réflexion
Au XXIe siècle, l’esclavage n’a pas disparu, comment définir cet esclavage moderne ? Quelles en sont les victimes : les femmes, les enfants, les travailleurs pauvres ?
Pour qui travaillent-ils, au bien-être de quelle population ?
Vous pouvez vous aider des informations relayées par les médias : des ouvriers chinois mettant en péril leur santé pour la construction de téléphones, le travail des enfants, les enfants soldats, l’esclavage domestique…
Quelles sont les similitudes avec l’esclavage décrit au XVIIIe siècle ?
Voltaire dénonçait le sucre obtenu au prix de vies humaines, quels éléments sont le fruit de la souffrance d’hommes, de femmes et d’enfants dans les pays dits émergents ?
Pour mener l’enquête, vous pouvez vous aider des recherches d’organismes luttant contre l’esclavage :
> les Anneaux de la mémoire, les Nations Unies
> le Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage
> la Route de l’esclave de l’Unesco
> le Centre International de Recherches sur les Esclavages
La mémoire de l’esclavage demeure dans l’histoire, la culture, parfois même dans l’architecture des villes. C’est le cas à Nantes, étape importante du commerce triangulaire aux XVIIIe et XIXe siècles, qui a inauguré en mars 2012 un Mémorial à la mémoire des esclaves qui complète l’explication historique du musée du Château des ducs de Bretagne. Deux parcours sont proposés : un espace commémoratif sur les quais de la Loire rythmé par 2000 plaques renvoyant aux navires négriers, aux dates des expéditions, aux comptoirs négriers, aux ports d’escale et de vente en Afrique ; l’espace méditatif, à fleur d’eau, tout proche des hôtels particuliers des armateurs qui ont fait fortune avec la traite négrière, s’ouvre sur la Déclaration universelle des droits de l’homme et présente des textes fondamentaux, des témoignages et une chronologie.
Plus largement, la réflexion est très présente sur le sujet à travers des conférences, des colloques, des actions de l’Unesco : en 1998, le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage (1848-1998) a donné lieu à de nombreuses manifestations. Ce travail de mémoire révèle une inscription profonde dans l’humanité et la construction collective, alors même que les inégalités enracinées dans l’esclavage subsistent dans certains pays. Comment comprendre cette volonté de maintenir cette mémoire si vivante ?
Invention
Les recherches de la partie Réflexion permettent d’identifier les différents esclavages qui demeurent : choisissez une forme d’esclavage, par exemple celui des enfants, pour imaginer un événement destiné à le dénoncer et à le combattre – une journée dans votre établissement scolaire, un débat, une soirée cinéma…
Pour préparer et annoncer l’événement, il faudra concevoir une affiche et/ou une plaquette, penser à un visuel, un titre, des symboles. L’argumentation sera d’autant plus convaincante qu’elle s’appuiera sur des références précises – des chiffres, des faits, des témoignages, des projets, des propositions, des idées pour sensibiliser chacun…