À propos de l'auteurYves Laissus

L’Observation au microscope

Homme exceptionnel par la diversité des talents, par la réussite à peu près constante qui a couronné ses efforts, par la longueur même d'une vie d'ailleurs admirablement pleine, Buffon, personnalité difficile parce que multiple, a été et est encore souvent mal compris. On lui refuse la qualité de savant parce qu'il fut aussi un remarquable administrateur, et un homme d'affaires avisé ; on en a fait une sorte de La Fontaine en prose, au style pompeux, aux manchettes de dentelles, tout occupé de ciseler des formules du genre de celle qui, du cheval, a fait « la plus noble conquête de l'homme ». Il n'est donc pas inutile de parler encore une fois de ce personnage, le plus grand peut-être de l'histoire du Jardin du roi et du Muséum.
 

Buffon et Montbard

Né en 1707, la même année que son rival du Nord, Carl von Linné, Georges Leclerc est issu d'une famille bourgeoise de Montbard, en Bourgogne, enrichie peu après sa naissance par l'héritage d'un aïeul maternel : en 1717, son père achète la terre de Buffon. Jusqu'à 25 ans, le futur grand homme étudie le droit, chez les jésuites de Dijon, puis, à Angers, la médecine sans d'ailleurs aller jusqu'au doctorat. En compagnie du jeune duc de Kingston, il parcourt en 1731, six mois durant, le midi de la France, et c'est à Rome en 1732, qu'il apprend la mort de sa mère. Ce décès, d'ailleurs cruellement ressenti, le fait riche et indépendant, sa jeunesse est terminée. Il vient alors à Paris et loge chez Boulduc, apothicaire du roi : un homme utile.

Pendant les sept années qui suivent, Buffon, entré dès 1733 à l'Académie des sciences, grâce à Boulduc et au ministre Maurepas, se fait connaître par divers travaux scientifiques qu'il a l'art de transformer en excellentes opérations finan­cières. La gloire et la fortune viennent rapidement à sa rencontre, et lui resteront fidèles jusqu'au bout. Malgré ses succès parisiens, il est resté très attaché à sa province et vit à Montbard une notable partie de l'année. Il utilise les arbres de ses forêts pour se livrer, à la demande du ministre de la Marine, à plusieurs séries d'expériences sur la résistance des bois. En 1734, il fonde à Montbard une pépinière, puis la vend en 1736 à la province de Bourgogne... tout en se faisant payer par celle-ci pour continuer d'en assurer la direction, tirant parti de ses expériences, en collaboration avec l'agronome Duhamel du Monceau. Un voyage Outre-Manche, en 1738, lui permet de se faire élire membre de la Royal Society de Londres et de se convaincre de l'importance du microscope comme instrument de recherche.

Jardin du Roi
La gloriette de Buffon

Buffon et le Jardin du roi

Au mois de juillet 1739, s'ouvre à Buffon la chance de sa vie. Il n'est pas homme à laisser passer celle-ci sans la saisir : Du Fay, intendant du Jardin du roi, est très gravement malade. Qui va lui succéder ? Buffon le voudrait bien, mail il n'est pas seul : Duhamel du Monceau, collaborateur de naguère, est à présent son rival : Maupertuis est également sur les rangs. Des trois candidats, tous membres de l'Académie royale des sciences, Buffon a le moins de titres scientifiques, mais ni Duhamel ni Maupertuis n'ont son habileté et sa chance. Du Fay meurt le 16 juillet. Dix jours plus tard, Buffon est nommé par Louis XV intendant du Jardin et des Cabinets d'histoire naturelle du roi. Cinquante années durant, il « règnera » sur le Jardin royal.

Dès lors, et plus nettement encore que par le passé, sa vie se partage entre deux milieux différents. Au Jardin du roi, Buffon passe les mois d'hiver. Son action, poursuivie pendant un demi-siècle, y est particulièrement féconde : par une suite de tractations souvent complexes, il double la surface du Jardin, non d'ailleurs sans réaliser dans ces opérations de très gros bénéfices personnels. Trois fois, il réorganise le Cabinet d'histoire naturelle, confié à Daubenton, son compatriote de Montbard et prodigieusement enrichi. S'il intervient peu dans les trois enseignements du Jardin : botanique, chimie, anatomie, du moins, il ne laisse à personne le soin de choisir le personnel scientifique et ses choix font le plus grand honneur à sa perspicacité : Antoine-Laurent de Jussieu et Desfontaines en botanique ; Rouelle et Fourcroy en chimie ; Ferrein, Petit et Portai en anatomie ; Daubenton, Faujas de Saint-Fond et Lacépède au Cabinet d'histoire naturelle. C'est lui qui découvre Lamarck, l'une des gloires du Muséum au siècle suivant.
 
Vers la fin de sa vie, l'intendant du Jardin du roi est devenu un grand personnage, auquel les princes de l'Europe viennent rendre visite, ou adressent de riches présents. Les maîtres, de leur côté, entretiennent des correspondances régulières avec leurs collègues français ou étrangers, tel Bernard de Jussieu avec Linné. Ainsi, le prestige de l'homme s'ajoute au prestige de l'œuvre, dont la zone d'influence devient, à la fin du siècle, européenne, sans parler des terres lointaines où les naturalistes-voyageurs vont porter le nom et le renom de Monsieur de Buffon et du Jardin du roi de France.