La coquette surannée et le vieux galant

Chapitre III

Le vieux galant

J'aperçois dans la maison voisine deux tableaux assez plaisants. L'un est une coquette surannée qui se couche après avoir laissé ses cheveux, ses sourcils et ses dents sur sa toilette. L'autre, un galant sexagénaire qui revient de faire l'amour. Il a déjà ôté son œil et sa moustache postiches avec sa perruque qui cachait une tête chauve : il attend que son valet lui ôte son bras et sa jambe de bois, pour se meure au lit avec le reste.
— Si je m'en fie à mes yeux, dit Zambullo, je vois dans cette maison une grande et jeune fille faite à peindre ! Qu'elle a l'air mignon ! — Hé bien, reprit le boiteux, cette jeune beauté qui vous frappe, est sœur aînée de ce galant qui va se coucher : on peut dire qu'elle fait la paire avec la vieille coquette qui loge avec elle. Sa taille, que vous admirez, est une machine qui a épuisé les mécaniques. Sa gorge et ses hanches sont artificielles, et il n'y a pas longtemps qu'étant allée au sermon, elle laissa tomber ses fesses dans l'auditoire. Néanmoins, comme elle se donne un air de mineure, il y a deux jeunes cavaliers qui se disputent ses bonnes grâces ; ils en sont même venus aux mains pour elle. Les enragés ! Il me semble que je vois deux chiens qui se battent pour un os.

 

Lesage, Le Diable boiteux, 1707.
> Texte intégral : Paris, Lebègue, 1821