La marchandise humaineVoltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, 1756
L’écrivain complètera cette œuvre monumentale jusqu’à sa mort en 1778.
Chap. CLII. — Des îles françaises et des flibustiers
On comptait, en 1757, dans la Saint-Domingue française, environ trente mille personnes, et cent mille esclaves nègres ou mulâtres, qui travaillaient aux sucreries, aux plantations d’indigo, de cacao, et qui abrègent leur vie pour flatter nos appétits nouveaux, en remplissant nos nouveaux besoins, que nos pères ne connaissaient pas. Nous allons acheter ces nègres à la côte de Guinée, à la côte d’Or, à celle d’Ivoire. Il y a trente ans qu’on avait un beau nègre pour cinquante livres ; c’est à peu près cinq fois moins qu’un bœuf gras. Cette marchandise humaine coûte aujourd’hui, en 1772, environ quinze cents livres. Nous leur disons qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils sont rachetés du sang d'un Dieu mort pour eux, et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme ; on les nourrit plus mal ; s’ils veulent s’enfuir, on leur coupe une jambe, et on leur fait tourner à bras l’arbre des moulins à sucre, lorsqu’on leur a donné une jambe de bois. Après cela nous osons parler du droit des gens !