L’officier Gassion. L'assemblée du clergé

Tome IX, Chapitre XIII

 

Saint-Frémont mena un gros détachement de l'armée de Flandre en Allemagne. Les ennemis y en firent un plus gros, et sur le bruit que le prince Eugène l'y devait mener lui-même, on en fit un autre pour le devancer. On sut, en même temps, que le roi d'Espagne donnait en toute souveraineté à l'électeur de Bavière tout ce qui lui restait aux Pays-Bas. De places, il n'y avait que Luxembourg, Namur, Charleroy et Nieuport ; il y avait longtemps que cela lui était promis. Il arriva en même temps à une petite maison des Moreau, riches marchands de drap au village de Villiers, près Paris, d'où il vint à Marly descendre à l'appartement de feu Monseigneur ; Torcy l'y fut trouver et y conféra longtemps avec lui. Il le mena ensuite dans le cabinet du roi, où il demeura jusqu'à cinq heures, et en sortit avec l'air très-satisfait. On fut de là courre le cerf. L'électeur joua au lansquenet dans le salon avec Mme la Dauphine après la chasse, et à dix heures fut souper chez d'Antin. Il retourna coucher à Villiers, et partit trois ou quatre jours après pour Namur.
 
Il envoya le comte d'Albert faire ses remercîments en Espagne, et y prendre soin de ses affaires. En même temps le comte de La Marck alla servir de maréchal de camp, et de ministre sans caractère public, auprès de l'électeur de Bavière. Fort peu après, Gassion défit douze bataillons et dix escadrons des ennemis auprès de Douai, sur lesquels il tomba à deux heures après minuit. Il avait fort bien dérobé sa marche, et ils ne l'attendaient pas. Il leur tua quatorze ou quinze cents hommes et ramena douze ou treize chevaux. Ce Gassion était petit-neveu du maréchal de Gassion, et il avait quitté les gardes du corps, à la tête desquels il était arrivé, pour servir en liberté et en plein de lieutenant général, et arriver au bâton de maréchal de France. C'était un excellent officier général et un très-galant homme.
 
L'assemblée extraordinaire du clergé, qui finissait, vint haranguer le roi à Marly. Le cardinal de Noailles, qui en était seul président, était à la tête. Nesmond, archevêque d'Alby, porta la parole, dont je ne perdis pas un mot. Son discours, outre l'écueil inévitable de l'encens répété et prodigué, roula sur la condoléance de la mort de Monseigneur, et sur la matière qui avait occupé l'assemblée. Sur le premier point, il dit avec assez d'éloquence ce dont il était susceptible, sans rien outrer. Sur l'autre il surprit, il étonna, il enleva ; on ne peut rendre avec quelle finesse il toucha la violence effective avec laquelle était extorqué leur don prétendu gratuit, ni avec combien d'adresse il sut mêler les louanges du roi avec la rigueur déployée à plein des impôts. Venant après au clergé plus expressément, il osa parcourir, tous les tristes effets d'une si grande continuité d'exactions sur la partie sacrée du troupeau de Jésus-Christ qui sert de pasteur à l'autre, et ne feignit point de dire qu'il se croirait coupable de la prévarication la plus criminelle, si, au lieu d'imiter la force des évêques qui parlaient à de mauvais princes et à des empereurs païens, lui, qui se trouvait aux pieds du meilleur et du plus pieux de tous les rois, il lui dissimulait que le pain de la parole manquait au peuple, et même le pain de vie, le pain des anges, faute de moyens de former des pasteurs, dont le nombre était tellement diminué, que tous les diocèses en manquaient sans savoir où en faire. Ce trait hardi fut paraphrasé avec force, et avec une adresse admirable de louanges pour le faire passer. Le roi remercia d'une manière obligeante pour celui qui avait si bien parlé. Il ne dédaigna pas de mêler dans sa réponse des espèces d'excuses et d'honnêtetés pour le clergé. Il finit, en montrant le Dauphin, qui était près de lui, aux prélats, par dire qu'il espérait que ce prince, par sa justice et ses talents, ferait tout mieux que lui, mêlant quelque chose de touchant sur son âge et sa mort peu éloignée. Il ajouta que ce prince réparerait envers le clergé des choses que le malheur des temps l'avait obligé d'exiger de son affection et de sa bonne volonté, il en tira pour cette fois huit millions d'extraordinaire. Toute l'assistance fut attendrie de la réponse, et ne put se taire sur les louanges de la liberté si nouvelle de la harangue et l'adresse de l'encens dont il sut l'envelopper. Le roi n'en parut point choqué, et la loua en gros et en peu de mots, mais obligeants, à l'archevêque, et le Dauphin parut touché et peiné de ce que le roi dit de lui. Le roi fit donner un grand dîner à tous les prélats et députés du second ordre, et de petits chariots ensuite pour aller voir les jardins et les eaux.