À propos de l’œuvreVictoire Feuillebois
L’œuvre d’Hoffmann commence à être traduite et adaptée en français l’année suivant la mort de l’auteur, en 1823, mais c’est la grande traduction de François-Adolphe Loève-Veimars qui, à partir de 1828, lance une mode du récit hoffmannien qui se poursuit jusqu’à l’opéra de Jacques Offenbach, Les Contes d’Hoffmann en 1881. Le traducteur choisit de rassembler les textes d’Hoffmann sous le titre de Contes fantastiques, ce qui constitue un contresens par rapport à l’original allemand « Fantasiestücke », ou « morceaux issus de la fantaisie / de l’imagination ».
Mais ce contresens permet de mettre en relief la singularité de la poétique hoffmannienne, qui repose sur une nouvelle écriture du surnaturel. Il ne s’agit plus de récits horrifiques se déroulant dans l’atmosphère gothique d’un château hanté ou d’un pays lointain et sauvage et mettant en scène des créatures clairement issues d’un autre monde. Chez Hoffmann, le malaise produit par le texte n’est pas lié aux objets eux-mêmes (fantômes, vampires et autres êtres démoniaques) mais au point de vue incertain qui est adopté dans le texte : le récit met en scène la force de l’imagination, qui vient perturber la compréhension du monde du personnage et du lecteur – nous révèle-t-elle des réalités ordinairement cachées ou nous égare-t-elle dans notre perception des choses ? Le surnaturel se transporte ainsi dans l’Allemagne contemporaine et pénètre les événements les plus triviaux : chaque objet du quotidien peut désormais faire peur, dès lors que l’imagination nous laisse entrevoir qu’il pourrait être plus qu’il ne paraît, sans pour autant que nous en soyons parfaitement sûrs.
Les imitateurs français d’Hoffmann ont bien perçu ce nouvel élément : par exemple, la nouvelle « La Cafetière » (1831) de Théophile Gautier emprunte à la poétique hoffmannienne en faisant d’une simple cafetière posée sur une table le vecteur par lequel tout un monde de fantômes semble se déployer dans la chambre du narrateur – à moins qu’il ne s’agisse d’un songe ? Ce sentiment d’hésitation devant des phénomènes qui paraissent tantôt ordinaires, tantôt surnaturels, a été défini par le critique Tzvetan Todorov comme la caractéristique essentielle du genre fantastique, dont Hoffmann apparaît ainsi comme le précurseur.