À propos de l'œuvreSarah Tournerie

La Confession d'un enfant du siècle

« Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse ». Le roman débute par un constat amer : l’exaltation des aventures de la Révolution et de l’Empire a laissé place à une époque médiocre et vide : « Tous ces enfants […] étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou ou du soleil des Pyramides […]. Ils avaient un monde dans la tête, ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins, tout cela était vide ». L’ambition de Napoléon qui avait enflammé une génération entière, cède la place à la Restauration puis à la tranquille Monarchie de juillet. Les enfants de ce siècle se trouvent oisifs et sans idéaux : « En même temps que la vie du dehors était si pâle et si mesquine, la vie intérieure de la société prenait un aspect sombre et silencieux ».

C’est au chapitre 3 que le narrateur, Octave, en vient au récit de son histoire personnelle, directement liée à ce contexte désolant : « J’ai à raconter à quelle occasion je fus pris d’abord de la maladie du siècle », annonce-t-il. Le jeune homme ne parvient pas à surmonter la trahison de sa maîtresse. Son ami Desgenais, un dandy cynique, l'incite alors à rechercher de nouveaux plaisirs dans les bras d'autres femmes. Octave, tout en s’écœurant lui-même, sombre dans la débauche.

La mort de son père interrompt brutalement cette vie dévoyée. Octave retourne dans sa région natale pour y mener une existence réglée. Il y connaît une période de sérénité jusqu’à sa rencontre avec Brigitte Pierson, une jeune veuve menant une vie simple et heureuse. Au cours de promenades et de conversations, ils se rapprochent. La jeune femme d’abord réticente à l’amour d’Octave, devient sa maîtresse. Le jeune homme connaît alors une brève période de bonheur.

Cette félicité simple ne peut cependant suffire à Octave qui, désabusé des femmes, est désormais incapable d’accorder sa confiance. Cynique et jaloux, Octave se querelle sans cesse avec Brigitte. La jeune femme décide finalement de tout pardonner et le couple s’installe à Paris.

L’entrée en scène d'Henri Smith, ami d'enfance de Brigitte visiblement épris d'elle, va exacerber la jalousie d'Octave. Henri tente de sauver la réputation de la jeune femme en la persuadant de quitter cet homme invivable. Octave, égaré par la douleur, se retrouve un soir un couteau à la main auprès de Brigitte endormie. Mais la vue d'un crucifix sur sa poitrine l'arrête. Il découvre une lettre où la jeune femme avoue son amour à Henri mais aussi son obligation de rester avec son amant qui ne pourrait vivre sans elle. Clairvoyant à nouveau, Octave décide alors de quitter Brigitte avec « tendresse ». Il préfère que « de trois êtres qui avaient souffert par sa faute, il ne restât qu'un seul malheureux ».

 
Alfred de Musset
Georges Sand
Bal de l’Opéra de Paris
 

Ce roman est une quête sentimentale qui décrit le mal-être d’un homme expliqué par le contexte historique. Ce « spleen » engendré par l’inaction de la jeunesse s’insinue par le Romantisme « une littérature cadavéreuse et infecte » selon les mots d’Alfred de Mussetportée notamment par René de Chateaubriand (1802) ou Hernani de Victor Hugo (1830). Tout en dénigrant ce courant, Musset, qui regrette la gaieté ambiante disparue depuis l’avènement de Goethe, en est un des représentants. La Confession d’un enfant du siècle fait preuve d’un lyrisme exacerbé où l’auteur expose l’expression des sentiments intimes. Le personnage d’Octave, autodestructeur, perpétuellement en crise, dégoûté de lui-même, qui vit sans but et sans joie, est un parangon du romantisme et subit ce « mal du siècle ». Cette période de désespoir cynique ressentie comme une régression des libertés de la Révolution française explique la vie du personnage d’Octave, désorienté et sans horizon.
 
Octave mène donc une vie sans but, d’où sa versatilité caractéristique des héros de Musset : « Il y avait presque constamment en moi un homme qui riait et un autre qui pleurait ». Le protagoniste se dédouble et fait subir à Brigitte des crises de colère, ou à l’inverse, des moments d’amour fou : « Un quart d’heure après l’avoir insultée, j’étais à genoux ; dès que je n’accusais plus, je demandais pardon ; dès que je ne raillais plus, je pleurais. Alors un délire inouï, une fièvre de bonheur s’emparaient de moi ; je me montrais navré de joie, je perdais presque la raison par la violence de mes transports […] ». On peut aisément rapporter des éléments personnels à Alfred de Musset, qui connaissait de pareils changements d’humeur. 

 
René
La première d'Hernani
Johann Wolfgang von Goethe
 

Enfin, La Confession d’un enfant du siècle décrit aussi le désenchantement de plusieurs catégories de la société du XIXe siècle. La visite de Brigitte dans une ferme où une femme se meurt, est l’occasion de dénoncer la misère matérielle et intellectuelle des paysans : « Je regardais ce grabat, ces vitres inondées, les bouffées de fumée épaisse renvoyées par la tempête, l’abattement stupide du fermier, la terreur superstitieuse des enfants »L’évocation de la vie provinciale de Mme Daniel, une voisine de Brigitte, n’est pas moins cruelle : « Au fond de ce village ignoré, où sa mauvaise destinée la forçait à s’ensevelir, elle se sentait dévorée d’une soif inouïe de plaisir ». Mal mariée, ne connaissant que peu de distractions, elle incarne une Emma Bovary avant l’heure.

On peut même y trouver des aspects du roman social dans l’évocation des prostituées, du petit peuple de Paris et de ses faubourgs, tourmenté par la disette : « Un de nos amis, assis sur le siège, tomba au risque de se tuer, sur le pavé. Le peuple se précipita sur lui pour l’assommer : il fallut y courir et l’entourer. Un des sonneurs de trompe qui nous précédaient à cheval reçut un pavé sur l’épaule : la farine manquait. Je n’avais jamais entendu parler de rien de semblable à cela […]. Je commençai à comprendre le siècle, et à savoir en quel temps nous vivons. »