Scène comique
Livre 4, chapitre 136
M. le curé de Saint-Sulpice à Paris avait annoncé, depuis quelques jours, qu'il consacrerait son refus de prêter serment à la nation par une scène éclatante. Cette fanfaronnade et le caractère bien connu de ce prêtre ont exigé qu'on prît des mesures pour le maintien de l'ordre et la dignité du culte de cette église.
Des citoyens armés y ont été préposés à la tranquillité publique. Les fidèles remplissaient le temple. Le prêtre du veau d’or est monté en chaire ; il a prêché sur l'enfer, afin de préparer les esprits par la terreur à ses conclusions anticonstitutionnelles. On riait beaucoup de voir le calotin s'agiter comme un damné, et toute sa personne ne représentait pas mal le prince des démons dans la tribune aux harangues des anges des ténèbres, que Milton nous a peint.
Quand sa bouche eut vomi des blasphèmes contre l'Assemblée nationale, un cri universel d'indignation fit retentir les voûtes du temple. L’hypocrite crût voir la couronne du martyre descendre sur sa tête ; il pâlit. Il s'écria : « Seigneur ! éloignez de moi de ce calice ! »
Cependant les cris qui se faisaient entendre n'étaient point des menaces, mais seulement des cris « A l'ordre ! à l'ordre ! ». La conscience coupable du curé lui a fait entendre autre chose. Tout-à-coup l'orgue majestueux remplit l'église de ses sons harmonieux et fit retentir dans tous les cœurs l'air si fameux « Ah ! ça ira ! ça ira ! »
L'indignation se changea en allégresse patriotique, et on invita le motionnaire de contre-révolution à chanter « Ça ira ». Il descendit de la chaire, couvert de risées, de honte et de sueur. Sommé de faire son devoir en prêtant le serment civique, il refusa hautement et se retira.
Alors un officier municipal monta dans la chaire, et dit aux citoyens : « Messieurs, la loi n’oblige point cet homme à prêter serment à la nation. Par son refus, il a seulement encouru la destitution de l'emploi public qui lui était confié. Il ne sera bientôt plus notre pasteur, et vous serez appelés à en nommer un autre qui soit plus digne, de votre confiance. »
Ce peu de mots prononcés au nom de la loi rappelèrent le respect qu'elle commande pour le lieu saint, et le calme le plus profond régna.
Louis-Sébastien Mercier, Le Nouveau Paris, 1797
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Fuchs, C. Pougens et C. F. Cramer, 1797