À propos de l’auteurNoëlle Benhamou

Portrait de Guy de Maupassant

Disciple de Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, qui se pensait poète, très attaché au Pays de Caux, se fit connaître à Paris comme conteur et chroniqueur. Vivant de sa plume, il restitua dans ses romans situés en province (Normandie, Auvergne) – Une vie, Mont-Oriol, Pierre et Jean – et dans la capitale – Bel-Ami, Fort comme la mort, Notre Cœur – l’ambiance caractéristique de la seconde moitié du XIXe siècle. Auteur réaliste, proche du naturalisme de Zola puis de la psychologie de Paul Bourget, mais se tenant à l’écart de toute école littéraire, il laisse un chef-d’œuvre du fantastique : Le Horla, et une œuvre abondante – huit romans, plus de 300 nouvelles et de 300 chroniques, trois récits de voyages, des pièces de théâtre, des poèmes et une importante correspondance – composée en une douzaine d’années. Il décrivit, grâce à un œil photographique, les paysages et les milieux de son temps avec une lucidité proche du pessimisme.

Soleil couchant à Etretat
Cabinet de Flaubert à Croisset

Une jeunesse normande (1850-1869)

Alors que Balzac disparaît, Guy de Maupassant naît au château de Miromesnil, commune de Tourville-sur-Arque, près de Dieppe. Il est le fils de Gustave de Maupassant (1821-1900) et de Laure Le Poittevin (1821-1903), qui appartient à une famille de cordiers normands. Le frère de Laure, Alfred Le Poittevin (1816-1848), qui avait épousé Louise de Maupassant la sœur de Gustave, et que Maupassant n’a pas connu, était un proche ami de Gustave Flaubert (1821-1880). En 1854, la famille de Maupassant loue un autre château, celui de Grainville-Ymauville, où naît son frère Hervé (1856-1889) le 19 mai 1856. En 1859, les Maupassant s’installent un temps à Paris, où Guy est élève au lycée Impérial Napoléon (actuel lycée Henri IV). Après la séparation à l’amiable des époux Maupassant, Laure s’installe avec ses fils, à Étretat, villa des Verguies. Cette vie à la campagne représente la liberté, jusqu’à ce jour d’octobre qui voit l’entrée à l’Institution ecclésiastique d’Yvetot. Pour lutter contre l’ennui et l’enfermement, Maupassant y compose ses premiers poèmes. Après son renvoi du pensionnat pour avoir écrit des vers licencieux, Maupassant devient Interne au lycée de Rouen, et rencontre le poète Louis Bouilhet (1824-1869), qu’il admire. C'est sous son égide et celle de Flaubert qu’il apprend le métier d’écrire. En 1869, son baccalauréat en poche, il quitte sa chère Normandie pour Paris, où il s’inscrit à la faculté de Droit.
 

Du Ministère à « Boule de suif » (1870-1880)

Marqué par l’expérience de la guerre de 1870, où il connaît la débâcle des Français à Rouen, Maupassant quitte l’armée en 1871 pour devenir employé bénévole au Ministère de la Marine et des Colonies. La même année, il s’inscrit en deuxième année de Droit. Il est nommé surnuméraire au Bureau des Équipages de la flotte au Ministère. Ce n’est qu’en 1873 qu’il obtient un emploi rémunéré. Cet emploi de bureaucrate l’ennuie à mourir et il prend plaisir l’été à faire des parties de canotage sur la Seine à Argenteuil avec des amis.

 
Le Ministère de la Marine
Guy de Maupassant avec Colette Dumas et Geneviève Bizet en barque sur la Seine
Les régates d'automne à Argenteuil
La Main d’écorché

C'est aussi vers cette période qu’il commence son apprentissage littéraire auprès de Flaubert, qui le conseille sur son style et l’encourage à écrire. En 1874, Maupassant est titularisé comme commis de 4e classe. Les sorties sur la Seine, à Bezons ou à Argenteuil, et la fréquentation de filles faciles ne détournent pas le futur auteur de son envie d’écrire. Il demande à sa mère de lui envoyer des sujets de nouvelles, et fréquente des écrivains célèbres : Daudet, Goncourt, Tourgueniev, Zola, rencontrés chez Flaubert, rue Murillo. En 1875, son premier conte « La Main d’écorché », inspiré de sa rencontre avec le poète anglais Charles Swinburne, paraît sous le pseudonyme de Joseph Prunier dans L’Almanach lorrain de Pont-à-Mousson. Écrivant des vers et des pièces de théâtre, Maupassant s’amuse à rédiger des œuvres licencieuses et à les jouer en petit comité : c'est ainsi qu’il interprète une prostituée dans la pochade À la feuille de rose, maison turque, chez le peintre Maurice Leloir (1875) et dans l’atelier de Becker (1877) notamment. Il s’essaie à tous les genres : poésie, théâtre, articles journalistiques, contes. En 1876, malgré des problèmes cardiaques, pour lesquels Maupassant consulte des spécialistes, il fait paraître ses premières chroniques. Apprenant qu’il est atteint de la syphilis, l’auteur fanfaronne auprès d’un ami : « Alléluia, j’ai la vérole, par conséquent, je n’ai plus peur de l’attraper » (lettre du 2 mars 1877). Fréquentant les milieux parnassiens, il participe le 16 avril 1877 au fameux dîner chez Trapp, où les jeunes écrivains de la constellation naturaliste – Paul Alexis, Henry Céard, Léon Hennique, Joris-Karl Huysmans et Octave Mirbeau –, célèbrent leurs maîtres Gustave Flaubert, Edmond de Goncourt et Émile Zola. Maupassant prend un congé du ministère pour soigner ses troubles syphilitiques en Suisse. Il compose un drame historique en vers La Trahison de la comtesse de Rhune, pièce en trois actes et en vers, non représentée, et établit le plan de son futur roman Une vie, sur lequel il travaille dur pendant trois ans. En 1878, il entre comme employé au Ministère de l’Instruction Publique, grâce à l’intervention de Gustave Flaubert, puis au premier cabinet du Ministre. Entre deux séjours à Étretat, Maupassant voyage en Bretagne et à Jersey. En décembre, paraît le conte « Le Papa de Simon » dans La Réforme, mais c'est la publication de « Boule de suif » dans Les Soirées de Médan, le 17 avril 1880, qui fait de lui un maître.

 
Boule de suif
Les Soirées de Médan
Les Soirées de Médan
Au profit des victimes des sauterelles en Algérie
La maison Tellier de Maupassant

Un auteur à succès (1880-1890)

L’histoire littéraire retient le 1er février 1880 comme date de naissance symbolique de l’auteur, adoubé par Flaubert, grâce à une petite femme légère Élisabeth Rousset, héroïne plus connue comme « Boule de suif ». Flaubert écrit à son disciple : « je considère Boule de suif comme un chef-d’œuvre ! Oui ! jeune homme ! Ni plus, ni moins, cela est d’un maître. » Peu après la publication du recueil de poèmes Des vers (Charpentier), l’ermite de Croisset s’éteint le 8 mai, laissant Guy orphelin mais libre de déployer ses talents d’écrivain. Fin mai 1880, il entre comme journaliste au Gaulois, donne son congé du Ministère, puis voyage en Corse et est envoyé spécial en Algérie pour Le Gaulois, où il trouve l’inspiration de futurs contes et chroniques. Le 29 octobre 1881, débute sa collaboration au Gil Blas sous le pseudonyme de Maufrigneuse. Durant dix ans, Maupassant publiera plus de trois cents contes et nouvelles, rassemblés ou non dans quinze recueils (1881 : La Maison Tellier ; 1882 : Mademoiselle Fifi ; 1883 : Contes de la bécasse, Clair de lune ; 1884 : Miss Harriet, Les Sœurs Rondoli, Yvette ; 1885 : Contes du jour et de la nuit, Monsieur Parent ; 1886 : Toine, La Petite Roque ; 1887 : Le Horla ; 1888 : Le Rosier de Mme Husson ; 1889 : La Main gauche ; 1890 : L'Inutile Beauté) Mais le genre qui intéresse Maupassant, car il lui semble plus noble que le récit court, est le roman. En avril 1881, il publie Une vie, son premier roman (Havard), qui est un succès. Suivront cinq autres romans : Bel-Ami (1885, Havard), dont la vente est gênée par les funérailles nationales de Victor Hugo ; Mont-Oriol (1887, Havard) ; Pierre et Jean, précédé de « Le Roman » (1888, Ollendorff) ; Fort comme la mort (1889, Ollendorff) et Notre cœur (1890, Ollendorff).

 
Une vie
Pierre sur la jetée
Boulevard des Italiens
Syracuse - Vue du Théâtre de taillé dans le Rocher

Collaborateur du Figaro dès avril 1884, Maupassant publie des chroniques et des récits de voyage au Maghreb et en Méditerranée : Au soleil (1884, Havard), Sur l’eau, récit de voyage (1888, Marpon & Flammarion) et La Vie errante (1890, Ollendorff). Cette importante production n’empêche pas l’auteur de fréquenter les salons parisiens, notamment ceux de Marie Kann et de Geneviève Strauss, et de beaucoup voyager sur son yacht le Bel-Ami. En 1889, le décès de son frère à l’asile de Bron, où il était interné des suites d’une syphilis, ébranle fortement Maupassant qui se sait atteint du même mal. En 1890, il part en cure à Aix-les-Bains, au Grand Hôtel de l’Europe, puis à Plombières-les-Bains et séjourne dans le chalet des Cahen d’Anvers à Gérardmer (Vosges).
 

Le déclin et la mort (1891-1893)

Ayant contracté la syphilis aux alentours de 1875, sans doute même plus tôt, dès sa période de conscription, Maupassant a été sujet à de nombreux troubles physiques et psychiques. Mais en 1891, sa maladie s’aggrave et il ne peut finir son dernier roman L’Angélus. Tandis que la pièce Musotte est jouée au Gymnase puis publiée en volume (Ollendorff), l’état de santé de Maupassant, qui prend de nombreuses drogues, continue de se dégrader. L’été, il part en cure à Bagnères-de-Luchon, puis à Divonne-les-Bains, Chalet du Mont-Blanc, et à Champel (Suisse). Il tombe de vélo, prend des douches froides et fuit sans cesse pour trouver le repos et des médecins capables de soulager ses maux. En décembre, rongé par la maladie, Maupassant n’arrive plus à écrire. Il fait son testament. Ayant montré des signes d’incohérence lors du réveillon chez sa mère, il est interné le 7 janvier 1892 à la clinique du Dr Blanche à Passy, où il ne recouvre jamais la raison. La presse parisienne se déchaîne et voit dans Le Horla la manifestation de la folie de l’auteur. Maupassant est déjà mort pour le monde quand est créée à la Comédie-Française le 6 mars 1893, La Paix du ménage (Ollendorff). Tous ses confrères lui rendent hommage alors qu’il souffre de violentes convulsions. Le 6 juillet, Guy de Maupassant meurt des suites d’une syphilis tertiaire. Il est inhumé deux jours plus tard au cimetière du Montparnasse (Paris 14e). Si Émile Zola fit un très bel éloge funèbre ce jour-là, le poète José Maria de Heredia prononça une prosopopée magnifique lors de l’inauguration du buste de Maupassant à Rouen en 1900 : « Je suis entré dans la vie littéraire comme un météore ; j’en sortirai par un coup de foudre. »