Lisette et Arlequin dévoilent leurs identités

Acte III, scène 6

Costume d’Arlequin

Lisette, Arlequin

LISETTE. - Sachons de quoi il s'agit ?
ARLEQUIN, à part. - Préparons un peu cette affaire-là... (Haut.) Madame, votre amour est-il d'une constitution bien robuste, soutiendra-t-il bien la fatigue, que je vais lui donner, un mauvais gîte lui fait-il peur ? Je vais le loger petitement.
LISETTE. - Ah, tirez-moi d'inquiétude ! en un mot qui êtes-vous ?
ARLEQUIN. - Je suis... n'avez-vous jamais vu de fausse monnaie ? savez-vous ce que c'est qu'un louis d'or faux ? Eh bien, je ressemble assez à cela.
LISETTE. - Achevez donc, quel est votre nom ?
ARLEQUIN. - Mon nom ! (A part.) Lui dirai-je que je m'appelle Arlequin ? non ; cela rime trop avec coquin.
LISETTE. - Eh bien ?
ARLEQUIN. - Ah dame, il y a un peu à tirer ici ! Haïssez-vous la qualité de soldat ?
LISETTE. - Qu'appelez-vous un soldat ?
ARLEQUIN. - Oui, par exemple un soldat d'antichambre.
LISETTE. - Un soldat d'antichambre ! Ce n'est donc point Dorante à qui je parle enfin ?
ARLEQUIN. - C'est lui qui est mon capitaine.
LISETTE. - Faquin !
ARLEQUIN, à part. - Je n'ai pu éviter la rime.
LISETTE. - Mais voyez ce magot ; tenez !
ARLEQUIN, à part. - La jolie culbute que je fais là !
LISETTE. - Il y a une heure que je lui demande grâce, et que je m'épuise en humilités pour cet animal-là !
ARLEQUIN. - Hélas, Madame, si vous préfériez l'amour à la gloire, je vous ferais bien autant de profit qu'un Monsieur.
LISETTE, riant. - Ah, ah, ah, je ne saurais pourtant m'empêcher d'en rire avec sa gloire ; et il n'y a plus que ce parti-là à prendre... Va, va, ma gloire te pardonne, elle est de bonne composition.
ARLEQUIN. - Tout de bon, charitable Dame, ah, que mon amour vous promet de reconnaissance !
LISETTE. - Touche là Arlequin ; je suis prise pour dupe : le soldat d'antichambre de Monsieur vaut bien la coiffeuse de Madame.

 

Marivaux, Le Jeu de l'Amour et du Hasard, 1781.
> Texte intégral : Édition Touquet. Paris, Belin, 1821