À propos de l'œuvreSarga Moussa
Connu dans toute l’Europe pour ses Méditations poétiques (1820) et ses Harmonies poétiques et religieuses (1830), le jeune académicien est accueilli à Marseille, où il s’embarque en juillet 1832 avec sa famille (dont sa fille Julia, qui mourra de tuberculose à Beyrouth) et des amis, comme l’un des grands hommes de lettres de son temps. Son récit de voyage, paru en 1835 sous le titre initial d’Impressions, souvenirs, pensées et paysages pendant un voyage en Orient, 1832-1833, ou Notes d’un voyageur, fait d’ailleurs une place à la poésie, à la fois sous forme de quelques poèmes en vers interrompant la prose pour marquer des moments de grande intensité émotionnelle, et sous la forme d’une prose poétique qui transforme certaines pages en de nouvelles « méditations » orientales.
Ayant renoncé à une carrière diplomatique par fidélité aux Bourbons, Lamartine est aussi, depuis 1831, un homme politique en campagne : son voyage en Orient, pendant lequel il apprendra son élection à la Chambre des députés, est pour lui un tremplin vers cette nouvelle vie, qui le fera brièvement accéder au poste de ministre des Affaires étrangères, en 1848. Il prononce d’ailleurs, dès 1834, plusieurs discours sur la « question d’Orient », où il milite pour une présence forte de la France en Méditerranée ; le « Résumé politique » qu’il joint à son Voyage en Orient est d’ailleurs favorable à l’occupation militaire de l’Algérie par la France et propose, avec cynisme, la tenue d’une conférence internationale réunissant les puissances européennes pour se partager les provinces de l’empire ottoman en cas d’effondrement de celui-ci. Mais le journal de voyage proprement dit propose une autre vision des rapports entre Orient et Occident.
Ainsi, lorsqu’il rencontre lady Stanhope, la nièce du ministre anglais William Pitt établie dans le Liban, et à laquelle on prêtait des talents de prophétesse, Lamartine se fait reconnaître par elle non seulement comme un homme destiné à jouer un grand rôle à son retour en France, mais aussi comme un voyageur qui aurait « le pied de l’Arabe ». Ce désir de métissage identitaire, qui fait écho à celui, contemporain, des saint-simoniens en Égypte, traverse le Voyage en Orient. Il y a donc une forte dimension imaginaire dans ce récit qui prétend n’être que le « regard écrit ». D’ailleurs, le « Récit de Fatalla Sayehgir chez les Arabes errants du Grand Désert », texte inséré dans le Voyage en Orient et que Lamartine fit traduire de l’arabe par son interprète, trahit le rêve d’accomplir par procuration une sorte d’épopée moderne au sein des tribus bédouines.
Malgré les critiques qui furent formulées au moment de sa publication, que ce soit pour reprocher au voyageur son narcissisme ou son hétérodoxie, le Voyage en Orient fut rapidement traduit dans plusieurs langues européennes et connut pas moins de 17 éditions du vivant de l’auteur. Il fut par ailleurs lu avec sympathie en Bulgarie et en Serbie (Lamartine revint en France par la Turquie d’Europe), où l’auteur exalta le nationalisme naissant.