Jugements et critiques

L'homme qui rit

Émile Zola

« Toutefois, je ne puis m’empêcher de jeter le premier un cri d’admiration. Jamais Victor Hugo n’a été plus puissant. Ce volume, qui ouvre l’œuvre, n’est rien et comprend tout. Pas d’action, à peine l’indication du drame, rien que des tableaux, mais des tableaux d’une ampleur magistrale. Le roman débute comme une épopée familière et terrible.
Je vais essayer de dire le plus possible, sans rien déflorer. Je veux laisser aux lecteurs certaines surprises. D’ailleurs, j’analyserais minutieusement chaque page, que le vrai drame nous resterait inconnu. Nous n’avons encore que l’exposition, – une œuvre à part, un prologue qui ouvre dans la nuit et dans la tempête des infinis béants. »
(Compte rendu du premier tome de L’homme qui rit dans Le Gaulois, 20 avril 1869)
 

Algernon Charles Swinburne

« Pour apprécier dignement ce livre, écartons la lampe du réalisme et lisons-le sous les rayons ensoleillés de l’imagination du poète se réfléchissant sur la nôtre. Par là seulement nous le verrons tel qu’il est. Sa beauté, sa portée sont idéales. L’œuvre a en elle-même une certaine qualité dont, pour ainsi dire, l’empreignent les éléments. Elle est grande parce qu’elle traite grandement de grandes scènes émouvantes. C’est une pièce où n’agissent pas seulement des êtres humains, mais où vent et mer, tonnerre et clair de lune ont des rôles à remplir. Et ce n’est pas tout : l’œuvre même participe de la nature de ces choses, agitée qu’elle est du souffle vital des éléments. Cela vous transperce et secoue jusqu’aux plus profondes fibres du cœur. Cela saisit et étreint l’esprit, telle Pallas tordant la chevelure d’Achille… »
(Traduction d’un article paru dans Le Courrier de l’Europe)
 

Camille Pelletan

« Ce qu’on ne peut se lasser d’admirer, c’est ce prodigieux parti tiré de la langue. Jamais les mots n’avaient rencontré un tel maître. On sent qu’ils obéissent absolument. Victor Hugo a fait la langue qu’il parle, il a des tournures, des mots, presque une signature à lui seul. Mais tout cela est profondément dans le génie du français, et quels instruments prodigieux ! Il fallait pour l’exécuteur de semblables conceptions une langue d’une force, d’une couleur, d’une étrangeté infinies. »
(Le Libéral du Centre, 13 juillet 1869)