À propos de l'œuvreRoger Musnik
Le 14 mars 1844 paraît dans le journal Le Siècle le premier épisode d’un nouveau roman d’Alexandre Dumas : Les Trois Mousquetaires. Cette publication dure jusqu’au 14 juillet, et ce roman sort la même année chez l’éditeur Baudry en huit volumes. Le scénario est assez linéaire. En 1625, le jeune D’Artagnan quitte sa Gascogne natale pour monter à Paris. Rencontrant trois mousquetaires du roi, il se bat en duel contre eux, avant que de se retourner ensemble contre les gardes du Cardinal de Richelieu. C’est le premier acte d’une amitié indéfectible, et le début d’aventures trépidantes, où sur un rythme galopant, entres duels, beuveries, poursuites et romances les quatre amis vont sauver l’honneur de la reine, participer au siège de La Rochelle, effectuer une mission en Angleterre et déjouer les actions les plus viles du meilleur agent du Cardinal, Milady de Winter, qu’ils finiront, non sans drame ni sans larmes, par vaincre. La fin du livre voit D’Artagnan devenir lieutenant des mousquetaires, et les trois autres revenir à la vie civile.
Ce titre est immédiatement devenu le symbole de la jeunesse et de l’enthousiasme, de la bravoure et de l’allégresse. C’est aussi un roman d’apprentissage : D’Artagnan, jeune homme d’à peine vingt ans, quitte son enfance et son pays pour se trouver une famille de substitution. C’est lui qui fédère ce groupe de camarades, engage systématiquement l’action, peut-être parce qu’il est le plus jeune, le plus insouciant, le plus optimiste. Cette histoire, dramatique sur le fond (plusieurs personnages disparaissent, beaucoup d’espoirs sont déçus), est raconté sur un mode léger : Porthos et Aramis sont des personnages plutôt comiques, Athos, individu tragique par excellence, se réfugie dans un détachement flegmatique, aidé il est vrai par le vin. Quant à D’Artagnan, il déborde de vie, d’ardeur, d’esprit et d’ingéniosité. Ce roman est un mélange de tonalités différentes : on passe tour à tour de moments cocasses ou déchirants à des passages romantiques ou haletant. Mais prime avant tout l’action, la vitalité, la vitesse. Et l’humour, qui n’est jamais loin. Ce roman historique, devenu modèle absolu du genre (ainsi que celui des récits d’aventures) est structuré par une succession d’épisodes, ayant chacun leur couleur et se terminant par un coup de théâtre ou un rebondissement. C’est une écriture de roman-feuilleton (ce qu’il est) mais cela ressemble aussi beaucoup au théâtre que Dumas a pratiqué assidûment, avec ses scènes et ses actes. La trame narrative est d’une virtuosité remarquable, qui jongle sans cesse entre pièges, quiproquos, incognitos, actions parallèles, personnages suivant chacun leur chemin sans que jamais Dumas ne perde son lecteur. Cette facilité de lecture est renforcée par un vocabulaire relativement simple, compréhensible par tous, quel que soit l’âge et le milieu.
Comme souvent chez Alexandre Dumas s’est posé le problème de la paternité de l’œuvre. Car son collaborateur Auguste Maquet a écrit des brouillons, des dialogues, mais c’est Dumas qui a trouvé la documentation, qui a établi le plan du récit, a donné le rythme, trouvé le ton, etc. Il s’est inspiré d’un ouvrage de 1700, Les Mémoires de D’Artagnan, rédigé par Courtilz de Sandras, qui regorge d’anecdotes et de personnalités plus ou moins réelles. Il a également compulsé d’autres mémoires du temps. Il ne cherche pas une stricte vérité historique (dates parfois inexactes, événements concentrés ou distordus), mais plutôt pénétrer la vie quotidienne d’une époque et ancrer dans le réel une fiction. Pour cela il mêle aussi des héros fictifs (les mousquetaires) à des gens biens réels (Richelieu, Anne d’Autriche, Buckingham).
Ce roman sur la jeunesse, enlevé, dynamique, en état de grâce, connaît deux suites qui, au lieu de l’amoindrir, amplifie sa portée, faisant de cette trilogie une allégorie de la vie. D’abord la sortie de l’adolescence (Les Trois Mousquetaires) où l’on ose tout, car on a l’audace, on est insolent et prodigue, à la recherche de l’amour, également. Puis arrive Vingt ans après (1845), qui se situe durant la Fronde : les mousquetaires ont vieilli, se retrouvent dans des camps opposés, le désir est absent, et seule une mission commune (qui est un échec) peut les rassembler un temps. Conté toujours sur ce rythme frénétique, c’est l’époque des compromis de l’âge mur. Quant au Le Vicomte de Bragelonne (1847-1850), énorme récit de 276 chapitres, il relate l’installation de la monarchie absolue de Louis XIV, les amis divisés qui ne se rejoindront pas, l’effacement des mousquetaires devenus inutiles, l’amour menant à la mort (Bragelonne, Athos). C’est le roman de la vieillesse, très pessimiste : les mousquetaires s’opposent avant de disparaître, car ils ne contrôlent plus rien ni les évènements, ni leur vie.
Le succès est considérable. Rien que l’année de la publication, on compte six contrefaçons belges. Et très vite, des traductions anglaises, allemandes, italien, espagnoles, russes, suédoises, etc. Au moins dix éditions différentes en France au XIXe siècle, sans compter les adaptations théâtrales (souvent de Dumas lui-même), près de quatre-vingt rééditions au XXe. Il y a eu de nombreux films tirés de ce livre, des bandes dessinées, des séries télévisuelles. Et beaucoup d’œuvres inspirées de cet univers. Les Trois Mousquetaires est un des romans le plus traduit, et est connu universellement. Ce qui n’est pas le cas des suites, peut-être trop sombres, parfois trop longues. Mais Les Trois Mousquetaires, c’est la joie de croquer la vie à pleines dents, et aussi un récit centré sur l’amitié, avec ce mot d’ordre : « Tous pour un, un pour tous »..