À propos de l’auteurRoger Musnik
Alexandre Dumas Davy de la Pailleterie, dit Alexandre Dumas père (par opposition à son fils, auteur de La Dame aux camélias), nait à Villers-Cotterêts le 24 juillet 1802. Petit fils d’une esclave noire de Saint-Domingue (ses détracteurs lui reprocheront souvent son aspect « nègre »), fils d’un général républicain écarté par Napoléon, il n’a que quatre ans lors du décès de son père. Enfant naturel (le thème de la bâtardise revient souvent dans son œuvre), il s’intéresse tôt à la littérature. A vingt ans, il monte à Paris, obtient un emploi dans la maison du Duc d’Orléans et commence à écrire des pièces de théâtre. C’est son drame historique Henri III et sa cour, jouée en 1829, qui le consacre auteur à succès. Il intègre alors le groupe romantique, fréquentant Victor Hugo, Charles Nodier ou Eugène Delacroix. Mais il est et restera toujours républicain. Il fait le coup de feu lors de la Révolution de 1830. Le triomphe d’Antony (1831), tragédie dont chacun à l’époque se murmure la réplique culte (« Elle me résistait, je l’ai assassinée ») lui permet de démissionner et l’incite à vivre de sa plume.
Il produit alors une quantité phénoménale de textes, dont beaucoup de pièces, avec ses succès (Kean, 1836) mais aussi ses échecs (Caligula, 1837). Il règne sur la scène parisienne : dramaturge le plus joué, il donne le ton de la critique dramatique par sa chronique dans le journal La Presse. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer dans d’autres types d’écrits : biographies romancées, feuilletons, chroniques (Chroniques de France, 1839), études (Gaule et France, 1833), et surtout les relations de ses voyages à travers l’Europe. Il amasse ainsi une fortune considérable, qu’il dépense aussitôt en réceptions extraordinaires qui font jaser tout Paris, en cadeaux pour les maîtresses qu’il collectionne, en bâtiments dispendieux qu’il fait construire : son propre théâtre pour y jouer ses succès et un château baroque qu’il sera obligé de vendre pour tenter de combler les dettes qui s’accumulent.
Les années 1840 le voient prendre une autre direction littéraire : le roman. Romans historiques (Les Trois Mousquetaires en 1844, La Reine Margot en 1845, Les Mémoires d’un médecin en 1846), romans contemporains (Le Comte de Monte-Cristo en 1846), etc. Alexandre Dumas est devenu alors un monument du monde littéraire.
Vient la Révolution de 1848, à laquelle il participe. En 1851, il fuit la France, pour des raisons politiques, mais surtout financières : il a une horde de créanciers à ses trousses. En Belgique, il rédige ses Mémoires, puis revient en France où il continue d’écrire, sans cesse. Il crée des journaux : un quotidien, Le Mousquetaire (1854-1855), avec des journalistes qu’il ne paie pratiquement pas, puis un hebdomadaire : Le Monte-Cristo (1857-1860), où il rédige tout lui-même. En 1860, il part en Italie aider Garibaldi à réaliser l’unité italienne. Il sera à ses côtés quand le révolutionnaire délivrera la Sicile. Dumas obtiendra un poste officiel à Naples, où il restera quatre ans. Revenu en France, presque ruiné, mais continuant à créer (le San Felice, Les Blancs et les Bleus), il se réfugie chez son fils, où il commence un Dictionnaire de cuisine. C’est là, à Puys près de Dieppe, que la mort le surprend le 5 décembre 1870.
On a oublié le rôle fondamental d’Alexandre Dumas dans l’implantation du mouvement romantique en France. Car si de nos jours on continue de jouer les pièces de Musset, Hugo, Vigny, c’est Dumas qui impose sur scène le drame romantique dès avant 1830 et c’est encore Dumas qui le popularise par ses succès. De même, c’est encore lui qui véritablement invente le métier de grand reporter à travers ses récits de voyages. Car toute sa vie il a parcouru l’Europe : Angleterre, Allemagne, Russie, Italie, Espagne, et jusqu’à l’Algérie. Outre des descriptions, il relate beaucoup d’anecdotes, rendant compte à travers elles des us et coutumes des pays visités.
Mais il reste avant tout connu pour ses romans. Il crée le genre dit « de cape et d’épée », et ses textes deviennent une matrice du roman historique. Son but, il le dira, est de retracer par la fiction l’Histoire de France. Il se documente, mais laisse passer des anachronismes, ce dont il est bien conscient : « Qu’importe de violer l’Histoire pourvu qu’on lui fasse de beaux enfants ». Son style est parfous « négligé », puisque d’abord publié en feuilleton. Mais il traite chaque scène comme un spectacle : dialogues soignés et percutants, description sommaire des lieux de peur d’alourdir le rythme et l’action, sens du détail. Car ce qui compte, c’est l’aventure, au galop. D’où des héros hors du commun à l’idéal chevaleresque : ils ne comptent ni leur peine ni leur argent, jouant leur vie en un instant et dans un éclat de rire. A l’image de Dumas lui-même, chez qui tout est débridé, extravagant. A l’inverse ses « méchants » représentent l’esprit bourgeois : avaricieux, économes, prévoyants, loin de la générosité et la gratuité.
On a beaucoup reproché à Dumas, et ce déjà de son vivant, ses « collaborateurs ». Car le rythme frénétique de ses publications l’oblige à s’entourer d’assistants, vilipendés par certains (« les nègres du mulâtre »), l’accusant de se contenter de signer des textes écrits par d’autres. Chaque cas est spécifique, mais les récentes recherches ont bien montré que c’est Dumas qui impulsait l’idée, donnait la structure, l’allure du texte, la réécriture. Même si beaucoup de textes sont composites dans leurs origines, un roman signé Dumas est bien de Dumas.
A sa mort, Dumas était considéré comme un grand écrivain. Quelque temps après, on l’avait réduit, dans le meilleur des cas, à un « amuseur » ou un écrivain pour la jeunesse. Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que soit reprise l’analyse de son œuvre, sous son aspect stylistique, narratif, psychologique, psychanalytique, symbolique, socio-historique, etc. Ce qui n’a pas empêché entretemps un succès constant parmi un public de tout âge, de tous lieux et de toutes conditions sociales. Il est ainsi source infinie d’inspiration pour le cinéma et la télévision du monde entier. Son univers, qui a marqué l’imaginaire culturel français, est devenu planétaire, ce qu’avait déjà vu Victor Hugo en 1872 : « Le nom d’Alexandre Dumas est plus que français, il est européen ; il est plus qu’européen, il est universel »