À propos de l’auteurCharles-Eloi Vial
Né à Saint-Malo en 1768, le vicomte François-René de Chateaubriand a passé toute sa jeunesse au château de Combourg, avant de gagner Paris pour sa présentation à la cour en 1787.
Il s’apprêtait à entrer dans l’ordre des Chevaliers de Malte au moment de la prise de la Bastille. Témoin des premières exactions révolutionnaires et du déclin de l’autorité du roi, il choisit, comme de nombreux aristocrates, de quitter la France en 1791 et décide de partir à la découverte des États-Unis pendant plusieurs mois. Revenu en France en mars 1792, il s’y marie puis part à nouveau en juillet pour Coblence, rejoindre l’armée levée par les frères de Louis XVI pour combattre la Révolution française. Blessé au bout de quelques semaines, il s’installe en Angleterre où il vit dans la misère. Son premier ouvrage, l’Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française paraît en 1797. Revenu en France en 1800, il se fait journaliste en prenant la direction du Mercure et travaille en même temps à ses premiers grands romans, Atala et René, qui enflammèrent la jeunesse et inspirèrent les artistes. En avril 1802, il publie le Génie du christianisme, dont la sortie, au moment de la signature du Concordat et du rétablissement de la liberté religieuse, lui offre l’opportunité inespérée d’entamer une carrière nouvelle d’homme politique et de diplomate.
D’abord désigné pour accompagner le cardinal Fesch à Rome en 1803, il se fait remarquer par ses maladresses. Nommé chargé d’affaires auprès de la République du Valais, Chateaubriand ne se rend pas à son poste et démissionne en signe de protestation contre l’exécution du duc d’Enghien, lointain cousin de Louis XVI, ordonnée par Bonaparte en mars 1804. Passé définitivement dans l’opposition à Napoléon, il se présenta plus tard comme un ennemi implacable de l’empereur, qui fit fusiller un de ses cousins accusé de chouannerie et de contrebande en 1809. Chateaubriand fut en réalité étonnamment discret à cette époque : après un long voyage en Orient, il se retira dans sa maison de la Vallée-aux-Loups et y écrivit Les Martyrs, qui parurent en 1809. En 1811, son Itinéraire de Paris à Jérusalem confirma sa célébrité et lui permit d’être élu à l’Académie.
Après la chute de Napoléon en 1814, sa brochure De Buonaparte et des Bourbons, qui ruinait la figure de l’empereur invincible et rappelait aux Français la gloire de leurs souverains légitimes le propulsa d’un coup sur le devant de la scène politique, dont il fut un des acteurs majeurs sous la Restauration, malgré une carrière en dents de scie. Dès le retour de Louis XVIII, Chateaubriand mit sa plume au service de ses convictions politiques, en tentant de concilier sa fidélité sans faille à la monarchie avec son admiration pour les valeurs de la République, qu’elle soit française ou américaine. Cette capacité à chanter aussi bien les louanges d’une monarchie chrétienne et d’un régime libéral le poussèrent successivement dans les bras des deux camps. Protégé par Talleyrand, il fut récompensé de ses services en 1814 par un poste d’ambassadeur en Suède, qu’il n’eut pas le temps d’occuper avant le retour de Napoléon de l’île d’Elbe. Réfugié avec toute la cour de Louis XVIII à Gand pendant les Cent-Jours, il fut même le chef de son gouvernement provisoire. Au retour du roi à Paris, il fut nommé pair de France et ministre d’État. Une première rupture avec le roi, qui s’était allié au parti libéral, le poussa vers le camp des ultra-royalistes après la rédaction de la brochure La Monarchie selon la Charte. Soutenu financièrement par le comte d’Artois, futur Charles X, il créa le quotidien Le Conservateur. Rappelé en politique en 1821 suite au tournant réactionnaire pris par Louis XVIII et le duc de Richelieu, il fut successivement ambassadeur à Berlin puis à Londres, avant de représenter la France au Congrès de Vérone, où naquit son « grand œuvre diplomatique » : la guerre d’Espagne, entreprise par la France avec l'accord des grandes puissances européennes afin de délivrer le roi Ferdinand VII de ses propres sujets qui réclamaient un régime constitutionnel. À son retour en France, il obtint le portefeuille du ministère des Affaires étrangères. Malgré son rôle clé dans cette victoire diplomatique et militaire qui marquait le retour de la France sur la scène internationale, Chateaubriand tomba à nouveau en disgrâce en 1824 suite à des dissensions avec le premier ministre Villèle. Congédié « comme un laquais » par Louis XVIII, il se jeta dans les bras de l’opposition libérale et s’opposa au gouvernement royal en prenant part, dans le Journal des débats, aux discussions en faveur de la liberté de la presse, ou encore en se montrant favorable à l’indépendance de la Grèce. Appelé une dernière fois par le roi Charles X, il fut ambassadeur à Rome en 1828, avant de rentrer dans l’opposition après la révolution de Juillet. Fidèle à ses convictions royalistes, il refusa le gouvernement « usurpateur » de Louis-Philippe d’Orléans et rompit avec le parti libéral. Il démissionna de sa pairie et rendit à deux reprises visite à Charles X en exil, tout en soutenant son petit-fils, le duc de Bordeaux, qu’il reconnaissait comme roi de France. Après avoir défendu la duchesse de Berry, belle-fille de Charles X, qui avait tenté de déclencher un soulèvement en Vendée, il fut brièvement inquiété par la justice.
Retiré de la politique, il abandonna aussi peu à peu la littérature, en renonçant à une carrière tardive d’historien, lui qui aurait voulu montrer l’influence du christianisme sur l’histoire universelle. Sa dernière œuvre, une Vie de Rancé (1844), biographie romancée d’un ecclésiastique du XVIIe siècle, ne connut qu’un succès limité. En proie à de ponctuels soucis d’argent, Chateaubriand entreprit d’abord de publier ses œuvres complètes chez l’éditeur Ladvocat en 1827, avant de se consacrer entièrement à la rédaction de ses souvenirs, qu’il tenait, de manière irrégulière, depuis 1811, mais qu’il retravailla entièrement dans les dernières années de sa vie. Au départ décidé à ne les faire publier que cinquante années après sa mort, Chateaubriand signa en 1836 un contrat avec une société d’éditeurs pour une publication immédiatement après sa mort. L’échec de la publication d’un premier texte autobiographique, Le Congrès de Vérone, chez Delloye en 1838, ne le ralentit pas dans son travail d’écriture. En relisant sa vie et en se remettant en scène, dans un style d’une pureté inimitable, Chateaubriand donna ainsi naissance aux Mémoires d’outre-tombe, achevées en 1846, deux années après son décès, et qui constituent un témoignage inimitable – bien que peu fiable – sur l’histoire de France de la fin de l’Ancien Régime à la monarchie de Juillet, mais surtout une fresque complète, convoquant des centaines de personnages majeurs de l’époque, tous admirablement décrits et mis en scène.
Immense historien, écrivain majeur ayant inspiré toute la génération romantique, Chateaubriand incarne à lui seul l’esprit d’une époque, celle des Révolutions, prise entre sa fidélité, sa foi et ses idéaux, confrontée au goût de la liberté et à l’attrait de la modernité. Point d’équilibre entre le présent et le passé de la France, Chateaubriand choisit résolument de se réfugier dans le passé, incarné par sa nostalgie de la chevalerie et des premiers temps de la chrétienté, là où un de ses plus grands admirateurs, Victor Hugo, choisira la voix de la modernité, faisant de la république un point de ralliement et de la religion un idéal passéiste.