À propos de l'auteur

Venise : Vue du Grand Canal

Une jeunesse vénitienne

Entre églises et théâtres, cérémonies et commedia dell’ arte, Venise est le décor troublant du premier acte de la vie de Casanova. 
Aîné d’une famille de six enfants, il est fils de comédiens – un handicap sérieux. Son père meurt alors qu’il n’a que huit ans. Belle et énergique, sa mère, Zanetta, un temps l’actrice fétiche de Goldoni, mène une carrière à travers l’Europe et demeurera aux yeux de Casanova celle qui l’a abandonné un an après sa naissance pour aller jouer la comédie à Londres. 
Elevé par sa « bonne grand-mère », Marzia Farussi et guéri d’hémorragies par une sorcière de Murano, il part faire ses études à Padoue. Il en revient à 15 ans pour recevoir les ordres mineurs, après avoir hésité entre une carrière de médecin ou d’avocat. C’est donc comme abbé à la parole éloquente et au charme prometteur qu’il commence de s’illustrer dans sa ville natale.

Constantinople, ville de Romanie et capitale de l'Empire des Turcs

Prêtre ou militaire ?

À 20 ans, Casanova quitte Venise, à pied, pour la Calabre où l’attend son évêque. La Calabre le déprime, il part.
C’est ensuite la découverte de Naples, puis de Rome, qu’il doit fuir pour éviter un scandale. Quittant les habits du prêtre pour endosser ceux du militaire, il choisit alors, sans raison apparente, d’aller à Constantinople. Le Vénitien découvre la ville, avec ses minarets, ses palais et jardins raffinés, lieux de rencontres entre la société musulmane et les Occidentaux. Femmes séduisantes mais voilées, démonstration endiablée de furlane (danse très prisée en Venétie), expérience homosexuelle, rien ne manque à l’aventure. Confiant en son avenir, Casanova part de nouveau.
De retour à Venise après un séjour à Corfou, il se fait violoniste pour vivre. La rencontre providentielle avec le sénateur Bragadin, dont il sauve la vie et qui le promeut son « fils adoptif », lui permet d’échapper à cette vie qu’il prise peu : il a maintenant un revenu assuré. Son audace et sa joie de vivre en sont renforcées.
À Parme, il s’éprend d’Henriette, une Française fuyant sa famille. Elle n’a rien. Tout autant déshabilleur que fervent habilleur des femmes, Casanova lui commande une garde-robe, aux tissus aériens ou chatoyants. Les casanovistes se sont attachés à deviner la véritable identité de cette « adorée », dont l’esprit et la beauté exaltent le Vénitien. La liaison cesse brusquement. « Tu oublieras aussi Henriette » : c’est sur ces mots, gravés à la pointe d’un diamant sur une vitre d’auberge, que disparaît celle qui lui a appris la liberté.

L'Évasion par les toits

Venise sensuelle et dangereuse

Ville d’églises et de théâtres, Venise est aussi, et surtout, la ville du carnaval. Des étrangers venus de partout s’empressent de profiter de cette utopie merveilleuse. Les 200 cafés ne désemplissent pas, la place Saint-Marc bruisse d’intrigues. Casanova se livre avec fureur à cette ambiance de fête permanente.
Une intrigue avec la religieuse M.M., maîtresse de l’ambassadeur de France à Venise, Bernis, l’amène au cœur d’un jeu entre perversités érotiques et politiques et lui permet de faire ainsi l’apprentissage du pouvoir moins éclatant mais plus « réel » de la politique.
Casanova accumule imprudences et provocations. Il intéresse la police. Outre sa bizarre amitié avec M. de Bragadin, naît à son encontre la suspicion de pratiques cabalistiques et de magie. Arrêté le 26 juillet 1755, il est jeté dans la prison des Plombs.
Il n’a qu’une pensée : s’évader. Il y parvient le 31 octobre 1756 au prix d’un effort d’imagination et d’un exploit physique surhumains. L’expérience des Plombs trace une ligne de partage dans la vie de Casanova. Elle le force à croire au malheur. Elle lui fournit également, à lui l’homme qui ne se laisse pas enfermer, son plus beau morceau de bravoure, une sorte de passeport, ou de récit emblématique de son personnage, récit qu’il publiera en 1787 sous le titre, Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise, qu’on appelle les Plombs.

Instruments et symboles alchimiques

Paris, ville de tous les possibles

Au premier coup d’œil Casanova a aimé Paris comme capitale de la mode, de l’intelligence et de l’imposture. À son second séjour, il est résolu à y faire fortune, en faisant jouer, entre autres, ses relations de franc-maçon et son amitié avec l’abbé de Bernis. Mais c’est grâce à la marquise d’Urfé, folle d’alchimie et d’occultisme, qu’il va avoir un plus large accès au « théâtre du monde » et rencontrer des charlatans de haut vol tel le comte de Saint-Germain. La chimère de Mme d’Urfé est de converser avec les gnomes et les sylphes. Casanova, justement, entretient avec eux d’excellents rapports ! « Je l’ai [Mme d’Urfé] quittée portant avec moi son âme, son cœur, son esprit et tout ce qui lui restait de bon sens. » C’est pour lui une période souvent prospère, où se mêlent intrigues, escroqueries, projets économiques et financiers.
Ses amours parisiennes suivent le même enchevêtrement que ses autres intrigues. Manon Balletti, la fille de l’actrice Silvia, en constitue la figure dominante. Mais malgré tout l’amour qui transparaît dans leur correspondance, elle ne peut l’empêcher de dire oui aux tentations, par cette curiosité qui, à partir d’un visage, lui donne envie de tout connaître d’une femme.

Entretien avec Voltaire

Rencontres

Partout où il passe, Casanova cherche à séduire, en particulier les puissants (il a une vive attirance pour les têtes couronnées, qu’il s’agisse de Louis XV, George III d’Angleterre, du roi de Naples ou du roi de Pologne). Il ne met pas moins d’ardeur à s’instruire. Son appétit de savoir est insatiable. Il ne manque aucune occasion de perfectionner sa connaissance des Anciens et de brasser des idées nouvelles, en particulier celles des Lumières. Histoire de ma vie contient davantage de portraits de danseuses, de comédiens, d’aventuriers que d’écrivains et de savants, mais il y a des exceptions notables. Et si sa visite à Rousseau, en compagnie de Mme d’Urfé, ne lui inspire qu’un commentaire désabusé, d’autres rencontres intellectuelles comptent beaucoup pour lui. Ainsi de son entrevue avec le poète, médecin et célèbre botaniste Haller, et surtout de son entretien avec Voltaire. Histoire de ma vie est donc aussi une amusante galerie de portraits des célébrités contemporaines que Casanova a recherchées, frôlées, fréquentées.

Jeu de cartes au portrait de Paris

Le goût du jeu

Au XVIIIe siècle, malgré les interdits, le jeu se pratique en Europe dans toutes les couches de la société. C'est l’élément naturel de Casanova, et souvent son gagne-pain, surtout le jeu de hasard, même s'il ne dédaigne pas non plus les salles de billards.


L’éternel voyageur

Sur toutes les routes de l’Europe, sur les eaux de la Méditerranée ou de la Manche, notre Vénitien passe son existence en voyage. Il a parcouru plus de 67 000 km entre 1734 et 1797 ! Il découvre ainsi un monde qu’enfant peut-être, il a entr’aperçu dans les boîtes magiques des montreurs de vues d’optique. Il fait et défait sans cesse ses malles qui le suivent à travers l’Europe, contenant vêtements, bijoux et objets de la vie quotidienne, mais aussi pistolets, car l’aventure peut parfois mal tourner.

La Tour de Londres

Temps incertains

Dans ses vagabondages, Casanova, rebaptisé chevalier de Seingalt, s’efforce toujours d’être présenté au roi ou à la reine du pays et n’hésite pas à leur faire des propositions : réforme du calendrier, creusement d’un canal… Le succès est mitigé, même si Frédéric II de Prusse le trouve « très bel homme » et lui propose une place de gouverneur d’un corps de cadets poméraniens.
Ces brillants moments sont entrecoupés de phases sombres. Passé la quarantaine, il n’intéresse plus « le beau sexe à vue » et ne peut plus s’en remettre à la magie d’apparaître. Après avoir commencé d’éprouver l’ennui de la solitude, il expérimente à Londres, à l’âge de 38 ans, l’horreur d’être systématiquement refusé. C’est le sombre épisode avec la Charpillon, qui le rend suicidaire et l’oblige à cette constatation : « Ce fut dans ce fatal jour [...] que j'ai commencé à mourir et que j’ai fini de vivre ».
Les huit années à venir, durant lesquelles il accélère le rythme de ses déplacements et étend le champ de ses voyages, ne seraient donc à lire que sous le signe du vieillissement ? Ce serait trop simple. Casanova, malgré ses démêlés constants avec la justice, les aléas de sa vie de joueur, conserve toute confiance en son Génie et intacts sa passion du nouveau, son envie d’étonner, son sens physique du bonheur.

Giacomo Casanova âgé de 62 ans

La fièvre d’écrire

En 1785, âgé de 60 ans, Casanova accepte la proposition du comte de Waldstein de devenir bibliothécaire dans son château de Dux en Bohème. Le voyageur, le passionné des explorations citadines, se résout alors à mener une existence sédentaire en pleine campagne.
L’été, le château bruisse des échos d’une vie mondaine. Mais l’hiver, il se vide et, face au parc sous la neige, Casanova se sent horriblement vieux et abandonné. Pour s’arracher à la mélancolie, il se lance avec ardeur dans de multiples projets de publications tels que des opuscules politiques et pamphlets, un traité de mathématiques, et son énorme roman : Icosameron ou Histoire d’Édouard et d’Élisabeth.... Autant d’écrits qui valent comme préliminaires à son chef-d’œuvre, Histoire de ma vie, auquel, à partir de 1789, il consacre tout son temps et l’essentiel de son énergie. Dès sa préface, Casanova pose son projet d’écrivain : « Me rappelant les plaisirs que j’eus je me les renouvelle et je ris des peines que j’ai endurées, et que je ne sens plus. »