Ligeia
Edgar Allan Poe
Une nuit, — vers la fin de septembre, — elle attira mon attention sur ce sujet désolant avec une énergie plus vive que de coutume. Elle venait justement de se réveiller d’un sommeil agité, et j’avais épié, avec un sentiment moitié d’anxiété, moitié de vague terreur, le jeu de sa physionomie amaigrie. J’étais assis au chevet du lit d’ébène, sur un des divans indiens. Elle se dressa à moitié, et me parla à voix basse, dans un chuchotement anxieux, de sons qu’elle venait d’entendre, mais que je ne pouvais pas entendre, — de mouvements qu’elle venait d’apercevoir, mais que je ne pouvais apercevoir. Le vent courait activement derrière les tapisseries, et je m’appliquai à lui démontrer — ce que, je le confesse, je ne pouvais pas croire entièrement, — que ces soupirs à peine articulés et ces changements presque insensibles dans les figures du mur n’étaient que les effets naturels du courant d’air habituel. Mais une pâleur mortelle qui inonda sa face me prouva que mes efforts pour la rassurer seraient inutiles.
Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires ; traduction de Charles Baudelaire
> Texte intégral : Paris, Michel Lévy, 1856.