L’île d’Utopie (2)Thomas More, Utopie, Livre second, 1516
« L’île d’Utopie, en sa partie moyenne, et c’est là qu’elle est la plus large, s’étend sur deux cents milles, puis se rétrécit progressivement et symétriquement pour finir en pointe aux deux bouts. Ceux-ci, qui ont l’air tracés au compas sur une longueur de cinq cents milles, donnent à toute l’île l’aspect d’un croissant de lune. Un bras de mer d’onze milles environ sépare les deux cornes. Bien qu’il communique avec le large, comme deux promontoires le protègent des vents, le golfe ressemble plutôt à un grand lac aux eaux calmes qu’à une mer agitée. Il constitue un bassin où, pour le plus grand avantage des habitants, les navires peuvent largement circuler. Mais l’entrée du port est périlleuse, à cause des bancs de sable d’un côté et des écueils de l’autre. À mi-distance environ, se dresse un rocher, trop visible pour être dangereux, sur lequel on a élevé une tour de garde. D’autres se cachent insidieusement sous l’eau. Les gens du pays sont seuls à connaître les passes, si bien qu’un étranger pourrait difficilement pénétrer dans le port à moins qu’un homme du pays ne lui serve de pilote. Eux-mêmes ne s’y risquent guère, sinon à l'aide de signaux qui, de la côte, leur indiquent le bon chemin. Il suffirait de brouiller ces signaux pour conduire à sa perdition une flotte ennemie, si importante fût-elle. Sur le rivage opposé, se trouvent des criques assez fréquentées. Mais partout un débarquement a été rendu si difficile, soit par la nature, soit par l’art, qu’une poignée de défenseurs suffirait à tenir en respect des envahisseurs très nombreux. »
> Texte intégral : Paris, Paulin, 1842