L'or en échange de perles de verreChristophe Colomb, La découverte des Amériques, 1492-1493

La découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb en 1492

Lundi 17 décembre

Il s'éleva cette nuit un vent violent est-nord-est, mais la mer ne s'agita pas beaucoup parce qu'elle est là, gardée et protégée par l'île de la Tortue qui, vis-à vis le port où était l'Amiral, ménage un abri. Il resta donc là toute cette journée. Il envoya les marins pêcher avec des filets. Les Indiens se réjouirent beaucoup d'être avec les Chrétiens et ils leur apportèrent certaines flèches de ceux de Caniba ou Cannibales, qui sont faites de tiges de roseau armées de petits bâtons aigus et durcis au feu ; ces flèches sont très longues. Ils leur montrèrent deux hommes à qui il manquait des morceaux de chair de leurs corps et ils leur firent entendre que c'étaient les Cannibales qui les leur avaient mordus et mangés. L'Amiral ne le crut pas.

Il renvoya quelques Chrétiens au village et, en échange de perles de verre, ils obtinrent quelques morceaux d'or travaillé en feuilles très minces. Ils virent qu'un Indien, que les autres appelaient cacique et que l'Amiral tint pour le gouverneur de cette province, portait un morceau grand comme la main d'une de ces feuilles d’or et semblait vouloir l'échanger. II rentra chez lui et les autres restèrent au milieu de la place. De la pièce d'or, le cacique fit faire des petits morceaux qu'il revint échanger un à un. Quand il n'en eut plus, il indiqua par signes qu'il avait envoyé en chercher et qu'un prochain jour on le lui apporterait.

« Toutes ces choses : la manière dont ils agissent, leurs coutumes, leur docilité et leur jugement prouvent, dit l'Amiral, qu'ils sont gens plus éveillés et plus entendus que tous ceux rencontrés jusque-là. Dans l'après-midi arriva de l'île de la Tortue un canoa qui portait bien quarante hommes. Comme il arrivait à la plage, tous ceux du village qui étaient rassemblés là s'assirent en signe de paix. Alors quelques-uns des hommes du canoa, puis presque tous descendirent à terre. Le cacique se leva, seul, et, avec des paroles qui semblaient de menace, il les fit retourner à leur canoa, il leur jeta de l'eau, puis il ramassa des pierres de la plage et les lança dans la mer. Lorsque les autres, en grande obéissance, eurent tous rejoint leur canoa et réembarqué, le cacique prit une pierre et la posa, pour qu'il la lançât, dans la main de mon alguazil que j'avais envoyé à terre avec mon notaire, et d'autres, pour voir s'ils pouvaient rapporter quelque chose de profit. L'alguazil refusa de jeter des pierres. »

En cette circonstance, ce cacique montra bien qu'il se ménageait l'Amiral. Le canoa s'en alla donc et, lorsqu'il fut parti, ils dirent à l'Amiral qu'il y avait davantage d'or en l'île de la Tortue qu'en l'île Hispaniola, parce qu'elle est plus près de Banèque. L'Amiral dit qu'il ne croyait pas qu'il y eût des mines d'or ni dans l'île Hispaniola ni dans celle de la Tortue, mais que l'or y était probablement apporté de Banèque, et en petites quantités parce que ces Indiens n'ont rien à donner en échange. Cette terre est d'ailleurs si bonne qu'ils n'ont pas besoin de beaucoup travailler pour se nourrir et pas davantage pour se vêtir puisqu'ils vont tout nus.

L'Amiral croyait être très près de la source de l'or et que Notre Seigneur allait lui montrer où il naît. Il était informé que, du point où il était jusqu'à Banèque, il y avait quatre journées, soit environ trente ou quarante lieues qui pouvaient être couvertes en un jour de beau temps.

 

Christophe Colomb (1451-1506), Journal de bord et relations des voyages, 1492-1493.