Du bienfait de la communautéPlaton, La République, livre V, IVe s. av. J.-C.
« Or, comme point de départ de notre accord, ne devons nous pas nous demander à nous-mêmes quel est, dans l’organisation d’une cité, le plus grand bien, celui que le législateur doit viser en établissant ses lois, et quel est aussi le plus grand mal ? Ensuite ne faut-il pas examiner si la communauté que nous avons décrite tout à l’heure nous met sur la trace de ce grand bien et nous éloigne de ce grand mal ?
On ne peut mieux dire.
Mais est-il plus grand mal pour une cité que ce qui la divise et la rend multiple au lieu d’une ? Est-il plus grand bien que ce qui l’unit et la rend une ?
Non.
Eh bien ! la communauté de plaisir et de peine n’est-elle pas un bien dans la cité, lorsque, autant que possible, tous les citoyens se réjouissent ou s’affligent également des mêmes événements heureux ou malheureux ?
Si, très certainement.
Et n’est-ce-pas l’égoïsme de ces sentiments qui la divise, lorsque les uns éprouvent une vive douleur, et les autres une vive joie, à l’occasion des mêmes événements publics ou particuliers ?
Sans doute.
Or, cela ne vient-il pas de ce que les citoyens ne sont point unanimes à prononcer ces paroles : ceci me concerne, ceci ne me concerne pas, ceci m’est étranger ?
Sans aucun doute.
Par conséquent, la cité dans laquelle la plupart des citoyens disent à propos des mêmes choses : ceci me concerne, ceci ne me concerne pas, cette cité est excellemment organisée ?
Certainement.
Et ne se comporte-t-elle pas, à très peu de chose près, comme un seul homme ? Je m’explique : quand un de mes doigts reçoit quelque coup, la communauté du corps et de l’âme, qui forme une seule organisation, à savoir celle de son principe directeur, éprouve une sensation ; tout entière et simultanément elle souffre avec l’une de ses parties : aussi disons-nous que l’homme a mal au doigt. Il en est de même de toute autre partie de l’homme, qu’il s’agisse du malaise causé par la douleur, ou du mieux-être qu’entraîne le plaisir.
Il en est de même, en effet. Et pour en revenir à ce que tu demandais, une cité bien gouvernée se trouve dans une condition très voisine de celle de l’homme.
Qu’il arrive donc à un citoyen un bien ou un mal quelconque, ce sera surtout une pareille cité qui fera siens les sentiments qu’il éprouvera, et qui, tout entière, partagera sa joie ou sa peine.
Il y a nécessité qu’il en soit ainsi dans une cité aux bonnes lois.
Maintenant, il serait temps de revenir à notre cité, et d’examiner si les conditions de notre discours s’appliquent tout particulièrement à elle, ou s’appliquent plus à quelque autre cité. »
> Texte intégral : Paris, C. Morel, 1600