L’avenir totalitaireGeorge Orwell, 1984, 1949
« S’ils obtenaient la domination de toute l’Afrique, s’ils possédaient des champs d’aviation et des bases sous-marines au Cap, ils couperaient l’Océania en deux. Cela pouvait tout signifier : la défaite, l’écrasement, le nouveau partage du monde, la destruction du Parti ! Il respira profondément. Une étrange mixture de sentiments – mais ce n’était pas à proprement parler une mixture, c’étaient plutôt des couches successives de sentiments, dont on ne pouvait dire laquelle était plus profonde –, une étrange mixture de sentiments luttait en lui.
L’accès disparut. Il remit à sa place le cavalier blanc mais ne put, pour le moment, entreprendre une étude sérieuse du problème d’échecs. Ses pensées s’égaraient de nouveau. Presque inconsciemment, il traça du doigt dans la poussière de la table : 2 + 2 = 5
– Ils ne peuvent pénétrer en vous, avait-elle dit.
Mais ils pouvaient entrer en vous. "Ce qui vous arrive ici vous marquera à jamais", avait dit O’Brien. C’était le mot vrai. Il y avait des choses, vos propres actes, dont on ne pouvait guérir. Quelque chose était tué en vous, brûlé, cautérisé.
Il avait vu Julia, il lui avait parlé. Il n’y avait aucun danger à le faire. Il savait, presque instinctivement, que le Parti ne s’intéressait plus maintenant à ses actes. Il aurait pu s’arranger pour la rencontrer une seconde fois si elle ou lui l’avait désiré. C’était réellement par hasard qu’ils s’étaient rencontrés. »