Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche
Éditeur : Le Figaro (Paris)
Date d'édition : 1895-02-02
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 02 février 1895 02 février 1895
Description : 1895/02/02 (A21,N5). 1895/02/02 (A21,N5).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t52130279h
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/02/2023
Samedi 2 Février 1895
CeSupplément ne doit pus être vendu à part
21 9 Année — Numéro 5
F. DE RODAYS - A. PÉRIVIER
Di recteurs-gèran ts
Prix de F Abonnement
AU SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
I.F. FIGARO
— H • JL n Li e 45
H. DE VILLEMESSANT
Fondateur
Vyw
Prix du Numéro
BU SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
COMPRENANT LE FIGARO DU JOUR
NUMÉRO ORDINAIRE COMPRIS
C rance, un An 12 francs
Jnion Postale, un An 14 francs
Seine et Seine-et-Oise........... 20 centimes
Départements 25 centimes
SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT
H. SUDERMANN
ANDRÉ Maurel .....
Abel
Georges RODENBACH.
Canrobert
Jules Huret
MOTOYOSI-SAIZAU....
D. BONNAUD. ........
G. LABADIE-LAGRAVE.
La Confession d'un Ami.
Nouvelle.
Les Femmes composi
teurs.
Mlle Holmes.
L’Ile heureuse.
Notes de voyage.
Quelques Peintres.
M. Raffaelli.
Sous Metz.
Déposition d’un témoin.
Petite Chronique des
Lettres.
Le Théâtre japonais.
Le Petit Buffon parisien.
Le Gardien de la paix.
M. Paul Bourget jugé
par les Américains.
Pages étrangères.
Courrier du Figaro. Réponses et Questions
nouvelles.
Bulletin de la Semaine Financière.
LA.
Confession d'un Ami
Grâce à la généreuse initiative de Mme Sarah
Bernhardt, nous allons bientôt connaître un
souvel auteur dramatique étranger : c’est un
Allemand cette fois, M. Hermann Sudermann,
dont la Renaissance va donner d’ici quelques
jours Magda (Heimat}, le beau drame qu'ont
acclamé depuis deux ans touteslesgrandes villes
d’Allemagne et d’Autriche, sans parler de l’An
gleterre et de l’Italie, où la Duse le joue en
ce moment même avec un éclatant succès.
Mais si c'est par ses drames, comme l'Hon
neur, la Fin de Sodome, Magda, où il étudie
hardiment les plus importantes questions de
morale, que M. Sudermann s’est surtout af
firmé et s’est, en quelques années, conquis
parmi les jeunes écrivains allemands une place
prépondérante, et bien à lui, il n’est pas moins
estimé comme romancier.
Dans la très courte nouvelle que nous pu
blions ici, on reconnaîtra, croyons-nous, avec
ane précision dans le détail et une netteté du
trait qui rappellent quelquefois l’auteur de
Boule de suif , la sensibilité discrète d’un ob
servateur qui a le sens très aigu des ironies
de la destinée.
Elle est tirée d’un recueil intitulé : Au Cré
puscule r où l’auteur s’adresse A T Amie in-
v.omée, et a été traduite de l’allemand par
MM. M. Rémon et G. Devaussanvin.
«4*
Dieu soit loué, chère madame, je puis
tranquillement reprendre ma place au
près de vous sur la causeuse. Le mou
vement des fêtes est calmé, et vous pou
vez de nouveau m’accorder quelques
instants.
Oh ! ces fêtes de Noël! Je crois qu’un
mauvais génie les a inventées tout ex
près pour le tourment des célibataires,
pour nous montrer le vide et la désola
tion de notre existence sans foyer. Car,
ce qui, pour les autres, est une source
de félicités, est, pour nous, une torture.
Sans doute, sans doute, nous ne som
mes pas tous condamnés à la solitude :
pour nous aussi fleurit la joie qu’on
éprouve à faire des heureux — et c’est
là ce qui met l’âme en fête — mais la
pure jouissance du bonheur partagé est
empoisonnée pour nous, tant par une
sorte de retour ironique sur nous-mêmes
que par ce désir, ce regret amer que
j’appellerai volontiers, par opposition
au mal du pays, le mal du mariage.
Pourquoi ne suis-je pas venu épan
cher mon cœur auprès de vous? dites-
vous, ô âme compatissante, qui prodi
guez les consolations avec autant de
générosité que le reste de votre sexe les
méchancetés doucereuses : c’est qu’il y
a là un mais. Ne savez-vous pas ce que
dit Speidel dans sa charmante causerie
les Moineaux solitaires, que, devinant
l’état de mon âme, vous m’avez envoyée
le troisième jour des fêtes? « Le véri
table célibataire, dit-il, ne veut pas être
consolé; il veut, quand il est malheu
reux, jouir au moins de son infortune.»
À côté du Moineau solitaire qu’a dé
peint Speidel, il y a encore un autre
type de célibataire : l'ami du ménage.
Je n’entends point par là cet homme qui
fait profession de jeter le trouble dans
les familles, dont le regard perfide
cache la trahison, tandis qu’il s’installe
commodément au foyer hospitalier ; je
veux dire le « bon oncle », l'ancien ca
marade de collège de papa, qui fait sau
ter Bébé sur ses genoux tout en lisant à
maman le feuilleton dont il omet pudi
quement les passages légers.
Je connais des hommes qui consacrent
leur vie entière au service d’une famille
dont ils possèdent l’amitié, des hommes
qui marchent, sans désirs, aux côtés
d’une jolie femme adorée en secret.
Vous en doutez? Ah ! oui, c’est le mot
« sans désirs » qui vous choque. Peut-
être n’avez-vous pas tort. Au fond de
tous les cœurs, même des plus apaisés,
existe un désir fougueux, mais — enten
dons-nous bien — ce désir est enchaîné.
Permettez-moi de vous rapporter, comme
exemple à l’appui, une conversation
qu’eurent ensemble, avant-hier, soir de
la Saint-Sylvestre,deux vieux, très vieux
personnages. Comment ai-je eu connais
sance de cet entretien? C’est un-secret
que vous me permettrez de garder, et,
je vous en prie, ne divulguez pas ce que
je vais vous conter. Je commence, n’est-
ce pas?
Comme décor, figurez-vous une haute
salle aux meubles antiques, tristement
éclairée par une suspension en métal
d’un éclat impertinent et surmontée
d’un abat-jour vert — comme celles dont
se servaient nos pères avant l’ère du
pétrole. Le cône lumineux que produit
la flamme tombe sur une table ronde
couverte d’une nappe blanche, où sont
disposés les ingrédients d’un punch de
premier de l’an — tandis que, juste au
milieu, s’é talent quelques gouttes d’huile
tombées de la lampe.
A moitié perdus dans l’ombre de l’abat-
jour vert, nos deux vieillards étaient
assis, ruines lamentables d’une époque
depuis longtemps disparue. Tous deux,
affaissés et tremblants, fixaient devant
eux le regard de leurs yeux ternes, éteint
par les années. L’un d’eux, le maître de
la maison, était un vieux militaire— et
vous l’auriez reconnu du premier coup
d’œil, à sa cravate raide étroitement
serrée, à ses moustaches en pointes à
demi rasées, à l’air martial que lui don
naient ses sourcils froncés; il tenait à
deux mains, comme une béquille, le
gouvernail du fauteuil roulant où il
était tassé ; tout en lui était immobile,
tout, excepté les mâchoires qui re
muaient sans cesse, comme pour une
mastication perpétuelle.
L’autre, assis sur un sopha, près de
lui, était un homme de haute stature,
maigre, avec des épaules étroites que
surmontait.un crâne anguleux, au large
front de penseur; il tirait de minces
nuages de fumée d’une pipe sur le point
de s’éteindre. Les mille rides de sa face
polie et desséchée, qu’encadrait une
couronne de cheveux blancs comme la
neige, dissimulaient ce sourire calme et
tendre que peut seule donner au visage
d’un vieillard la paix du renoncement.
Tous deux gardaient le silence. Dans
ce calme profond, on n’entendait que le
léger crépitement de l’huile qui brûle et
le murmure léger de la nicotine dans la
pipe. Alors, dans le fond obscur de la
salle, l’horloge, d’une voix enrouée, an
nonça la onzième heure.
« C’est l’heure où elle avait coutume
de préparer le punch », dit l'homme au
front de penseur. Sa voix était molle et
tremblait un peu.
« Oui, c’est l’heure », répéta l’autre.
Son ton était rude, comme si l’écho des
sonores commandements de jadis eût
passé dans sa voix.
« Je n’aurais pas cru que la vie fût si
triste sans elle », continua le premier.
Le maître de la maison fit un signe de
tête et ses mâchoires continuèrent leur
mouvement.
« Elle nous a préparé quarante-quatre
fois le punch de la Saint-Sylvestre,
reprit l’autre.
— Oui,il y a juste quarante-quatre ans
que j'habite Berlin et que tu fréquentes
cette maison en ami, dit le vieux sol
dat.
— L’année passée,à cette époque, con
tinua le premier, nous étions encore
bien heureux ensemble. Elle était assise
là-bas, dans le fauteuil, et tricotait des
chaussons pour le fils aîné de Paul.
Elle se hâtait, car il fallait, disait-elle,
qu’elle eût fini avant minuit — et elle y
parvint en effet. Puis, nous bûmes, et
nous parlâmes très tranquillement de la
mort — et, deux mois après, elle nous
quittait. — Tu sais que j’ai écrit un gros
livre sur l'Immortalité de l'Idée. Tu n’as
jamais pu le souffrir. Eh bien ! je ne
puis plus le supporter non plus, depuis
que ta femme est morte. L’Idée du
monde entier ne vaut plus, pour moi,
un fifrelin.
— Oui, c’était une excellente femme,
dit le mari. Elle a toujours bien pris
soin de moi, et quand le service m’ap-
pelait à cinq heures du matin, elle était
toujours levée avant moi pour veiller à
ce que le café fût bon. Pourtant elle
avait aussi ses défauts, et quand, par
exemple, elle se mettait à philosopher
avec toi — ah !
— Tu ne l’as jamais comprise », mur-
mura l’autre; et un pli de ses lèvres in
diqua un mouvement de colère aussitôt
réprimé.
Mais le regard qu’il arrêta longuement
sur son ami était doux et triste, comme
si sa conscience lui reprochait quelque
faute secrète. Après un manient de si
lence, il commença:
❖
❖ *
« Vois-tu, Franz, il faut que je te ra
conte quelque chose qui me tourmente
depuis longtemps et que je ne puis em
porter avec moi dans la tombe.
— Allons, pas tant de façons, dit le
maître de la maison en saisissant la
longue pipe qui était appuyée au fau
teuil roulant;
— Il s’est passé, un jour, entre ta
femme et moi... quelque chose... »
Le vieux soldat laissa retomber sa
pipe et regarda fixement son ami, les
yeux grands ouverts :
« Ne plaisante pas, docteur, dit il
enfin.
— Je suis malheureusement très sé
rieux, Franz, répliqua celui-ci. Il y a
plus de quarante ans que je porte ce se
cret; il esttemps enfin que je m’explique
avec toi là-dessus.
— Voudrais-tu dire, par hasard, que
la morte m’a trompé? cria l’autre avec
colère.
— N’as-tu pas honte,Franz?» dit l’ami
avec son sourire doux et attristé.
Le vieux soldat grommela quelques
mots indistincts et alluma sa pipe.
« Non, elle était pure comme un ange
du ciel, continua l’autre. Le coupable
c’est toi,et c’est moi. Ecoute. Il y a main
tenant quarante-trois ans : tu venais
d’être envoyé à Berlin comme capitaine,
et moi j’étais professeur à l’Université.
Tu étais alors un viveur enragé, tu le
sais.
— Hem! ditle maître de la maison, en
levant sa vieille main tremblante, pour
tortiller la pointe de sa moustache.
— Il y avait alors une belle actrice
aux grands yeux noirs, aux petites den ts
blanches... t’en souviens-tu?
— Si je m’en souviens ! Elle s’appe
lait Bianca. »Et un pâle sourire éclaira
son visage flétri de viveur. « Ses petites
dents blanches savaient bien mordre, je
t’assure.
— Tu trompas ta femme, et elle le
soupçonna. Mais elle ne dit rien etgarda
sa douleur pour elle seule. Toi, tu ne
vis rien, mais moi, je m’en aperçus.
C’était la première femme que je con
naissais, depuis la mort de ma mère.
Elle était entrée dans ma vie comme
un astre brillant, et c’est comme vers
un astre brillant que je levai les yeux
vers elle. J’eus le courage de lui deman
der la cause de son chagrin. Elle sourit
et répondit qu’elle était encore un peu
souffrante ; car, tu t’en souviens, ton fils
Paul était né depuis peu.
» Le soir de la Saint-Sylvestre ar
riva. J’étais venu, comme d’habitude,
vers huit heures. Assise, elle brodait;
moi, je faisais la lecture, en t’attendant.
Une heure passa... puis une autre... tu
n’arrivais pas. Je la vis, prise d’inquié
tude, tressaillir, et je tressaillis avec
elle. Je savais bien où tu étais, et je crai
gnais que tu n’oubliasses, dans les bras
de cette femme, la douzième heure qui
approchait de plus en plus. Elle avait
cessé de broder, moi de lire; un silence
terrible pesait sur nous. Tout à coup, je
vis une larme brillante perler sous ses
cils et tomber sur son ouvrage. Je me
levai précipitamment et voulus sortir,
pour aller te chercher. Je me sentais ca
pable de t’arracher de force à cette
femme. Mais au même instant, elle se
dressa et quitta sa place, cette place que
j’occupe aujourd'hui.
« Où voulez-vous aller?» s’écria-t-elle.
Ses traits exprimaient une angoisse in
dicible. — « Chercher Franz! » répon
dis-je. Alors, elle poussa un cri : « Pour
l’amour de Dieu, restez au moins près
de moi, vous-, ne m’abandonnez pas.»
Et se précipitant vers moi, elle posa ses
mains sur mes épaules et cacha sur ma
poitrine son visage inondé de larmes.
Tout mon corps fut secoué d’un frisson,
car jamais encore je n’avais tenu une
femme si près de moi. Cependant, je
réussis à me vaincre, et m’efforçai de la
consoler. Elle avait si soif de consola
tion !
» Quelques instants après, tu entras.
Tu ne vis point mon trouble ; tes joues
étaient enfeu, et dans tes yeux se lisait
cette fatigue que laisse, après elle,
l’ivresse de l’amour. Depuis cette soirée
de la Saint-Sylvestre, vois-tu, il s'était
opéré en moi un changement qui m’é
pouvantait. Depuis que j’avais senti sur
mon cou ses bras délicats, depuis que
j’avais respiré le parfum de ses cheveux,
l’astre était descendu des deux, et à sa
place se dressait, devant mes regards
ardents, belle, respirant l’amour, la
Femme. Je me traitai de misérable, de
traître, et pour me réconcilier à demi
avec ma conscience, j’entrepris de te
séparer de celle que tu aimais. J'avais,
heureusement, quelque fortune; elle
accepta, pour rompre, la somme que je
lui offris, et...
—- Mille tonnerres! interrompit le
vieil ami,surpris. Ainsi, ce fut à ton ins
tigation que Bianca m’écrivit cette tou
chante lettre d’adieu où elle me décla
rait qu'il lui fallait, le cœur brisé, re
noncer à mon amour?
— Oui, c’est à mon instigation, mais
écoute la suite. J’avais cru pouvoir, avec
cet argent, acheter le repos; mais il
n’en fut rien. Les folles pensées tour
billonnaient de plus en plus dans mon
cerveau. Je me plongeai dans mes tra
vaux ; c’est à cette époque que me vint
la conception première de mon immor
talité de l'Idée. Mais tout cela ne suffi
sait pas à me rendre la paix. Ainsi se
passa une année tout entière; le soir de
la Saint-Sylvestre revint. Une fois de
plus j’étais assis avec elle à cette même
place. Ce soir-là tu étais bien à la mai
son, mais tu dormais, étendu sur le ca
napé, dans la chambre voisine. Tu étais
rentré fatigué, à la suite d’un joyeux dî
ner au cercle. J’étais assis à côté d’elle,
les yeux fixés sur son pâle visage, quand
le souvenir vint m’assaillir avec une vio
lence irrésistible. Encore une fois, une
seule fois, je voulais sentir sa tête sur
mon cou, encore une fois je voulais l’em
brasser, puis disparaître. Nos regards
se rencontrèrent et je crus voir briller
dans ses yeux un éclair de secrète intel
ligence. Alors, je n’y tins plus, je me
jetai à ses pieds et cachai mon visage en
feu sur ses genoux.
» Il y avait bien deux secondes que
j’étais immobile, dans cette position,
quand je sentis sur ma tête le froid de
sa main, et je l’entendis me dire d’une
voix douce :
« Du courage! mon ami. »
« Oui, du courage! Il ne faut pas
tromper l’homme qui dort, plein de
confiance, dans la pièce voisine.» Et je
me relevai, jetant autour de moi des re
gards éperdus. Mais elle, prenant un
livre sur la fable, me le tendit. Je la
compris ; j’ouvris le livre à la première
page venue et fis la lecture. Qu’ai-je lu?
je n’en sais rien ; les lettres dansaient
devant mes yeux. Cependant, peu à peu
la tempête s’apaisa dans mon âme, et
quand minuit sonna, quand tu entras,
les paupières encore lourdes de som
meil, pour nous adresser les souhaits
d’usage, il me sembla que cette minute
coupable était loin derrière moi, bien
loin, disparue dans le passé.
» A partir de ce jour, je recouvrai peu à
peu le calme ; je savais que mon amour
n’était pas payé de retour, et que je n’a
vais rien à espérer d’elle, qu’un peu de
pitié. Les années passèrent, tes enfants
grandirent, se marièrent, et tous trois
nous vieillissions. Tu renonças aux fo
lies, tu envoyas les femmes au diable et
tu vécus uniquement pour elle, comme
moi. Je ne cessai pas de l’aimer, cela
m’eût été impossible, mais mon amour
se transforma : les désirs terrestres s’ef
facèrent pour faire place à une sorte de
communion d’esprit. Tu as souvent ri
quand tu nous entendais philosopher!
Si tu avais soupçonné que nos deux
âmes, alors, se confondaient en une, tu
aurais été bien jaloux.
2 » Et maintenant, elle est morte ; peut-
être irons-nous tous deux la rejoindre
avant la prochaine Saint-Sylvestre. Il
est donc grand temps que je me dé
charge de ce secret et que je te dise :
« Franz, j’ai commis un jour une faute
envers toi ; pardonne-moi. »
Il tendit la main à son ami, d’un air
suppliant, mais celui-ci lui dit d’un ton
bourru : «Ah! sornettes que tout cela!
Qu’ai-je à te pardonner? Ce secret que
tu crois me confesser aujourd’hui, je le
connaissais depuis longtemps. Elle m’a
raconté tout cela elle-même, il y a qua
rante ans. Et maintenant, je vais t’ex
pliquer pourquoi j’ai tant couru après
les femmes, jusque dans ma vieillesse :
elle m’avait avoué, à la même époque,
que tu étais le seul amour de sa vie. »
❖
* *
• L'ami du ménage le regarda fixement,
sans rien dire — et l’horloge, de sa voix
enrouée, sonna minuit.
H. Sudermann.
LES
FEMMES COMPOSITEURS
La musique est-elle un art que les femmes
peuvent cultiver sans présomption ? Quand on
constate la vigueur d’une Holmès, la fougue
d’une Thys, la science d’une de Grandval, la
grâce d’une Chaminade, il faut bien répondre
affirmativement.
Ne devons-nous pas, ici comme en tout ce
qui vient des femmes, nous attendre à des
surprises ? Il semble, en effet, que la musique,
toute d’abstraction, est encore rebelle au cer
veau féminin par l’aridité des études qu’elle
impose. Et pourtant nous n’avons pas moins,
de nos jours, de quatre ou cinq femmes qui se
livrent à la composition musicale et qui sont
fort honorablement connues.
Il faut donc bien avouer que, si incompatibles
que paraissent l’art musical (je ne veux pas
dire la musique) et la nature féminine, il y a
cependant des cas où ils s’entendent. Qu’on
ne dise pas : ils s’entendent lorsque la femme
a une âme d’homme, et c’est le cas de Mlle Hol
mes. Car il suffirait alors de répliquer par
Mlle Chaminade, qui est essentiellement femme.
Les femmes triomphent dans le sentiment.
La musique est son langage, mais son langage
lorsque les mots, et alors seulement, viennent
à manquer. De sorte que celles qui paraissent
devoir être le plus aptes à la musique y sont
en réalité le moins propres, puisque c’est à
peine si elles peuvent balbutier leurs émo
tions.
Mais, de tout temps, les femmes ont vaincu
la Logique. En musique comme ailleurs. Au
vrai, elles sont aptes à tout. On va le voir.
Mlle Augusta Holmès
Le talent de Mlle Augusta Holmès n’est
point, assurément, celui que l’on pourrait at
tendre de son sexe : une éclatante vigueur en
est le trait principal. Qui s’imaginerait, en
effet, ainsi pompeux et énergiques, les rêves
d’une femme? Celle-ci est donc exception
nelle ; une âme d’homme s’exaspère sous ces
apparences si blondes, une âme d’homme qui
commande aussi à cette allure décidée, ce lor
gnon cavalier, ce col droit, ces calottes gail
lardes sur les frisures pâles.
Et c’est à peine si, d’une femme, dans cette
musique héroïque, au souffle violent, on re
trouve la note féminine : l’exagération, qui
pousse ici, parfois, l’éloquence à la grandilo
quence. Soyez sûrs que Mlle Holmès ne souffre
pas de cette outrance que son sexe lui im
pose ; peut-être même en est-elle satisfaite...
C’est principalement dans le choix de ses
sujets que cette fatalité sexuelle domine, dans
son imagination, pour mieux dire : Gloire,
Patrie, Liberté, sont les rêves qu’elle caresse
de préférence, avec assurance et tranquillité.
Les plus hautes pensées, les plus élevés senti
ments lui sont familiers, de ceux qui élèvent
si haut que le sort d'Icare est toujours à
craindre.
Mlle Holmès n’a cassé aucune de ses ailes,
et cela, déjà, est prodigieux. Depuis quinze
ans elle plane vigoureusement sans jamais
choir. Sans doute nous perdons quelquefois sa
pensée de vue, mais elle-même nous ne la per
dons jamais, car elle rayonne avec éclat.
Une fois, une seule,’elle est descendue sur
la terre, comme Orphée dans les enfers. Elle
y rencontra, bien guidée, les Sept Ivresses,
qui, bientôt, la rebutèrent.
C’est sans doute à cette époque qu’il faut
rapporter le mot qu’on a fait sur elle :
« Mlle Holmès aime Wagner, mais elle le
trompe avec Massenet. »
Cela est joli, mais inexact. L’œuvre entier
de Mlle Holmès est de majesté, en dehors des
Sept Ivresses : Lutèce, Pologne, Ludus pro
Patria, Irlande, ce dernier son chef-d’œuvre,
sans doute parce que, Irlandaise, elle’puisa
dans son sang la plus noble de ses inspirations.
Ces œuvres sont, en tout cas, d’un ciel de
lumière franche et saine que Massenet n'a
jamais connue.
C’est de là que nous vient la Montagne
Noire, qui est son œuvre à tous les égards.
Il fallait la voir, aux répétitions, se déme
ner, faire les gestes de chacun, chanter les
parties des chœurs, se précipiter au milieu de
la scène pour accentuer un geste, un pas, un
cri, remplacer même le chef d’orchestre. M.
Gailhard lui-même en était dépassé dans son
zèle et son ardeur.
Dans nos campagnes, on dit : c’est une maî
tresse-femme. C’en est une, avec ce doux cor
rectif qu’elle ne perd jamais rien de sa grâce
et de sa coquetterie. Ici, elle est bien restée
la divine Thètys d’Hepri Régnault, qu’elle
posa.
Allons écouter la Montagne Noire. Nous en
tendrons vibrer une âme exceptionnelle et ex
ceptionnellement puissante. Un souffle violent
a passé sur ce cœur, peut-être celui des tem
pêtes du cap Pleaskin. Mais cette tempête,
sous les tièdes haleines de France, sa patrie,
d’adoption, s’est réchauffée, et elle murmure
aujourd’hui de pénétrantes mélodies, souvent
âpres et hurlantes, mais chaleureuses et
nobles.
André Maurel.
L’ILE HEUREUSE
Je n’aime point ce mot trop admiré
d’Amiel, qu’un paysage est un état
d’âme. Jamais certes, un homme vrai
ment affectionné à la Nature ne l’eût
écrit. Nous ne voulons pas savoir que
les objets de nos passions sont tirés de
notre matière même, et tout entiers
faits de nous. Il nous faut l’illusion
qu’ils existent en soi et à part de nous,
pour que nous goûtions bien le plaisir
de les posséder en sortant de nous-
mêmes et en nous confondant avec eux.
Décevante possession ! Car l’âme que
nous mettons sous les choses, ce n’est
que l’âme universelle : elle est indéter
minée, elle est diffuse et insaisissable.
Certains pays ont le privilège cependant
de se présenter à nous comme des uni
tés vivantes, comme des façons de per
sonnes. Ceux-là seuls peuvent nous de
venir chers. Ce sont des amis que l’on
quitte à regret, que l’on revoit avec
émotion, que l’on reconnaît et que l’on
ne trouve pas changés.
❖
❖ *
Telle nous apparaît au matin, vêtue
de brumes violettes — et depuis long
temps pressentie, grâce au parfum qui
s’émane d’elle— la Corse accroupie à la
surface des mers, le dos renflé, sa tête
aiguë tendue vers un petit roc satellite
qu’elle fascine, comme un lézard fascine
une mouche; telle, et surtout à l’heure
où les premières lampes de Messine, de
Reggio et de Catane s’allument parmi
les façades roses, mais ne rayonnent
point, parce que le soleil, récemment
noyé, empourpre encore tout le ciel,
telle nous apparaît la Sicile triangu
laire; et telle l’Afrique lumineuse, nue,
nette, dès que nous apercevons la côte
d’Egypte, stérile et humble, hérissée de
palmiers rares.
Il est clair que les îles ont plus facile
ment une personnalité. Je n’en connais
guère qui aient la physionomie plus
tranchée' que Jersey. C’est sans doute
parce que cette personne est une petite
personne. Elle n’effarouche point. Elle
vous met en confiance par ses allu
res franches et décidées. Elle prête à la
familiarité, à la camaraderie, au flirt.
Qui s’aviserait de la décrire? Ce n’est
pas un signalement qu’il faudrait faire,
mais un portrait, un portrait de carac
tère, ce qu’autrefois on appelait « un
caractère » tout court.
Elle ne ressemble pas aux autres
lieux célèbres, qui sont victimes de
leur célébrité: elle, point. Elle n’est
point le beau site professionnel, qui n’a
de raison d’être que d’être vu, la chose
de curiosité qu’on exhibe, et puis qu’on
range, qui n’a d’existence que pour la
galerie ; elle existe d’abord par soi-
même et pour soi. Elle se laisse voir,
mais elle se passerait d’être vue. Elle
accueille les innombrables voyageurs
qui viennent la visiter, la scruter, la dé
tailler le guide en main, elle n’en est
pas moins fort renfermée. Elle a une
ceinture de rocs abrupts. Elle pourrait
être inaccessible. Elle est seulement ré
servée. Sa petite cité blanche, couchée
en rond au pied d’une colline toute che
velue, rit au soleil, entre les deux pro
montoires presque formidables qui
l’abritent.
Elle n’est pas une auberge cosmopo
lite. Les contacts, les frottementsn’usent
pas son originalité. Elle tient à ses ha
bitudes héréditaires. N’a-t-elle pas, jus
qu’à ce jour, gardé son organisation
féodale? Bizarre, mais aimable vieillerie,
qui s’accommode au romantisme su
ranné de ses châteaux-forts en ruines,
envahis par les plantes parasites de ses
bribes monumentales du moyen âge, se
mées çà et là, distribuées, comme arti
ficiellement et à dessein, par un décora
teur de keepsake.
Cette fidélité aux traditions, les mœurs
patriarcales, la vie paisible, innocente
et confortable qu’elle suppose, ce quant-
à-soi un peu jaloux, inspirentà première
vue le soupçon que l’île de Jersey pour
rait bien être une de celles que les an
ciens appelaient des îles fortunées,
une manière de paradis terrestre. Cer
taines retraites, et celle-ci plus que toute
autre, ont une physionomie édénique,
comme certains visages de femmes ont
une expression angélique : vagues épi
thètes, d’autant plus intelligibles, di
rait-on, qu’elles sont indéfinissables,
comme elles doivent l’être.
Où réside le charme singulier de ces
campagnes, que l’on croirait d’abord
toutes pareilles à celles de la Norman
die? Ce sont les mêmes herbages où
paissent de courtes vaches, les mêmes
chemins couverts, des vallons gracieux,
des collines doucement ballonnées. Et
pourtant, c’est plus de mystère, c’est
l’apparence d’une nature moins actuelle
ou qui n’a pas changé depuis les pre
miers âges du monde. Les haies qui sé
parent les prairies sont monstrueuses,
elles font penser aux forêts vierges,
elles sont faites d’un enchevêtrement
d’épines, de chardons blancs et velus ;
des lianes de lierre s’en détachent, cou
rent sous les herbes, regrimpent aux
troncs des arbres, les étreignent et les
étouffent.
❖
❖ ❖
Fille gâtée du Gulf-Stream, l’île est en
tourée d’une factice atmosphère d’été
qui n’y exagère point les ardeurs de la
belle saison, mais qui atténue les ri
gueurs de l’hiver, et elle apprivoise cette
flore du midi sans laquelle il ne semble
point que nous puissions concevoir un
éden. Non que la végétation y soit tro
picale. Les palmiers et les araucarias
poussent en pleine terre, comme dans
leur patrie, mais réduits à plus de mé
diocrité, à plus d’harmonie avec les ar
bres de nos climats tempérés. Jamais
l’on ne voit surgir d’un jet les troncs
raboteux des phénix d’entre ces taillis
où séjourne l’humidité septentrionale.
Parmi les plantes exotiques, sont pré
férées celles qui se massent en buissons
épais et qui se parent de fleurs somp
tueuses, ainsi les camélias aux feuilles
laquées, aux pétales mats. Si nombreux
sont les lauriers-roses, aux feuilles de
vert-de-gris, qu’ils forment des bois sa
crés, et comme le sol est chargé de fer,
les hortensias y naissent bleus.
Ce paradis est un paradis d’enfants.
Tout y est précieux, petit, même le gran
diose ; tout y est puéril et en miniature.
Le sable des plages semble plus fin et
plus velouté. Dans les vasques natu
relles où la mer tournoie emprisonnée,
le granit noir des rocs semble poli pour
des pieds plus délicats. Si les chemins,
dans la campagne, sont tenus comme
les allées d’un jardin, si les lignes du
paysage sont rythmiques et arrangées,
c’est que les imaginations enfantines ne
détestent point l’apprêt et les symétries.
Si les arbres d’Afrique n’atteignent point
leur développement, c’est que l’échelle
est différente : il ne faut pas les compa
rer à des statures de grandes personnes,
mais à des statures d’enfants, et, dès
lors, ils redeviennent des géants, ils re
couvrent leur prestige et leur majesté.
Les bateaux de pêcheurs qu’on dé
couvre de la falaise, réfugiés dans les
criques, semblent des jouets. Les habi
tations éparses dans la campagne sont
toutes basses. G’est la ville surtout, la
ville capitale, qui appartient aux en
fants. Ils y régnent. Ils y vont seuls et
ils laissent leurs parents à la maison . Ils
se promènent ou ils vont à leurs affaires,
très sages, très graves, par troupes, plus
souvent par couples, petit garçon et pe
tite fille se tenant par la main.
- Un chemin de fer minuscule est tracé
pour eux le long de la plage. Les loco
motives qui s’essoufflent et les fragiles
wagons ne semblent pouvoir traîner que
leurs poids légers. Les cottages, d’une
architecture de « boîte de construction»,
sont les types d’un art naïf et qu’ils au
raient pu inventer. Dans les intérieurs,
tout est disposé pour la commodité de
leurs gestes. Les fenêtres à guillotine
ne s’entre-bâillent que de façon à lais
ser passer de mignonnes têtes qui se
penchent en se contournant. Les sièges
sont assez bas pour qu’ils puissent, en
s’asseyant, poser leurs pieds sur les ta
pis gris et bleus. Les étagères sont à la
hauteur de leurs mains, et ils peuvent,
sans se hausser sur leurs pointes, se re
garder dans les glaces à compartiments
qui surmontent les cheminées. Les dra-
peries sont d’étoffes simples et claires,
de cretonnes à fond blanc ou crème,
avec de grandes fleurs jaunes ou roses,
et le bois des meubles est laqué de vert
d’eau ou de gris de perle.
Eux seuls peuvent prendre • ir et
courir dans les petits carré*
qui sont derrière ces logis poupees.
Dans les rues, la circulai’ 0 des
est presque nulle, et il semble que c
soit à cause d’eux, qui ne sauraient point
se garer des roues et des chevaux. Et le
soir même, lorsque les réverbères s’al
lument, lorsque les lampes des bars
luisent derrière les carreaux dépolis,
lorsque les matelots et les soldats en
tuniques écarlates, coiffés de petites
toques d’écoliers, titubent d’un trottoir
à l’autre, lorsque les mœurs deviennent
plus libres — oh ! si timidement libres!
— ils pourraient encore y errer sans
crainte.et sans que leur candeur fût ef
fleurée...
Mais, et voici le dernier trait de ce ca
ractère de l’île heureuse : le paradis ter
restre, le paradis enfantin est environné
d’une mer qui ne s’apaise jamais, mer
inclémente, souvent secouée de tem
pêtes, sillonnée de courants perfides
qui entraînent les navires et les brisent
sur les récifs à fleur d’eau. Des brouil
lards sinistres l’enveloppent et l’isolent.
L’éden miniature est noyé dans le mys
tère et obsédé par l’infini.
Aboi Hermant.
QUELQUES PEINTRES
M. RAFFAELLI
M. Raffaelli est un exemple topique à l’appui
de la théorie sur l’influence des milieux que
Taine préconisa. Pour avoir longtemps habité
Asnières, pour avoir vécu dans cette zone in
termédiaire qui sépare les grandes villes de la
pleine campagne, il se mit à peindre la ban
lieue et y trouva une voie féconde, neuve, in
définie. Surtout que la banlieue parisienne est
spécialement significative, émouvante, avec
ses terrains nus, pelés, ravagés, comme si une
bataille s'y était livrée. Et n’est-ce pas la fron
tière, en effet, où la Nature et la Ville se joi
gnent, se heurtent, luttent, se déciment l’une
l’autre, au point qu'on ne sait, en fin de compte,
laquelle des deux l’emporte? Est-elle urbaine,
cette région contaminée où les maisons se
débandent, où les rues meurent inachevées ?
Est-elle rurale, cette terre dont l’herbe est
rase, les arbres malingres, les champs jon
chés de détritus et habillés de la fumée noire
des usines ?
Mais, pour un peintre, quel caractère dans
cette banlieue ! Or, M. Raffaelli, de par son
talent raisonneur, logique, devait surtout ai
mer les aspects dont il serait possible de for
muler avec précision le caractère. Il a l’esprit
trop formel pour aboutir à des synthèses ou
des symboles. Ce serait un peintre plutôt réa
liste, encore qu’il ait exposé, naguère, avec les
impressionnistes, dans le groupe desquels on
le confondit. Mais, en réalité, il n’est d aucune
école. Sa personnalité est unique ; ce domaine
d’art de la banlieue lui est propre; et son es
thétique aussi, qui le lui a fait exploiter avec
acuité et avec quelque chose de la main déci
dée des chirurgiens. C’est que cette terre
suburbaine a pour lui un visage, un corps, pour
ainsi dire. Terre malade, que des anémies, des
cancers, des arthrites rongent. Le peintre suit
les lignes du terrain comme des muscles. Son
pinceau a des rigueurs qui dissèquent. Il dé
taille l’anatomie du sol. Il va jusqu’à l’ossa
ture. Et, même dans la couleur, voici des bleus
de misère et de froid, des rouges de dartre...
Et les plis des terrains s’accordent avec les
plis des vêtements. Car ces contrées suspectes
sont occupées par quelques figures : un rôdeur,
un chiffonnier, un terrassier (parfois, aussi, un
vieux cheval). Or, ceux-ci ne sont-ils pas, a
leur tour, comme une banlieue d humanité ?
Epaves de la grande ville, vaincus par elle, et
incapables, d’autre part de rentrer dans 1
CeSupplément ne doit pus être vendu à part
21 9 Année — Numéro 5
F. DE RODAYS - A. PÉRIVIER
Di recteurs-gèran ts
Prix de F Abonnement
AU SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
I.F. FIGARO
— H • JL n Li e 45
H. DE VILLEMESSANT
Fondateur
Vyw
Prix du Numéro
BU SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
COMPRENANT LE FIGARO DU JOUR
NUMÉRO ORDINAIRE COMPRIS
C rance, un An 12 francs
Jnion Postale, un An 14 francs
Seine et Seine-et-Oise........... 20 centimes
Départements 25 centimes
SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT
H. SUDERMANN
ANDRÉ Maurel .....
Abel
Georges RODENBACH.
Canrobert
Jules Huret
MOTOYOSI-SAIZAU....
D. BONNAUD. ........
G. LABADIE-LAGRAVE.
La Confession d'un Ami.
Nouvelle.
Les Femmes composi
teurs.
Mlle Holmes.
L’Ile heureuse.
Notes de voyage.
Quelques Peintres.
M. Raffaelli.
Sous Metz.
Déposition d’un témoin.
Petite Chronique des
Lettres.
Le Théâtre japonais.
Le Petit Buffon parisien.
Le Gardien de la paix.
M. Paul Bourget jugé
par les Américains.
Pages étrangères.
Courrier du Figaro. Réponses et Questions
nouvelles.
Bulletin de la Semaine Financière.
LA.
Confession d'un Ami
Grâce à la généreuse initiative de Mme Sarah
Bernhardt, nous allons bientôt connaître un
souvel auteur dramatique étranger : c’est un
Allemand cette fois, M. Hermann Sudermann,
dont la Renaissance va donner d’ici quelques
jours Magda (Heimat}, le beau drame qu'ont
acclamé depuis deux ans touteslesgrandes villes
d’Allemagne et d’Autriche, sans parler de l’An
gleterre et de l’Italie, où la Duse le joue en
ce moment même avec un éclatant succès.
Mais si c'est par ses drames, comme l'Hon
neur, la Fin de Sodome, Magda, où il étudie
hardiment les plus importantes questions de
morale, que M. Sudermann s’est surtout af
firmé et s’est, en quelques années, conquis
parmi les jeunes écrivains allemands une place
prépondérante, et bien à lui, il n’est pas moins
estimé comme romancier.
Dans la très courte nouvelle que nous pu
blions ici, on reconnaîtra, croyons-nous, avec
ane précision dans le détail et une netteté du
trait qui rappellent quelquefois l’auteur de
Boule de suif , la sensibilité discrète d’un ob
servateur qui a le sens très aigu des ironies
de la destinée.
Elle est tirée d’un recueil intitulé : Au Cré
puscule r où l’auteur s’adresse A T Amie in-
v.omée, et a été traduite de l’allemand par
MM. M. Rémon et G. Devaussanvin.
«4*
Dieu soit loué, chère madame, je puis
tranquillement reprendre ma place au
près de vous sur la causeuse. Le mou
vement des fêtes est calmé, et vous pou
vez de nouveau m’accorder quelques
instants.
Oh ! ces fêtes de Noël! Je crois qu’un
mauvais génie les a inventées tout ex
près pour le tourment des célibataires,
pour nous montrer le vide et la désola
tion de notre existence sans foyer. Car,
ce qui, pour les autres, est une source
de félicités, est, pour nous, une torture.
Sans doute, sans doute, nous ne som
mes pas tous condamnés à la solitude :
pour nous aussi fleurit la joie qu’on
éprouve à faire des heureux — et c’est
là ce qui met l’âme en fête — mais la
pure jouissance du bonheur partagé est
empoisonnée pour nous, tant par une
sorte de retour ironique sur nous-mêmes
que par ce désir, ce regret amer que
j’appellerai volontiers, par opposition
au mal du pays, le mal du mariage.
Pourquoi ne suis-je pas venu épan
cher mon cœur auprès de vous? dites-
vous, ô âme compatissante, qui prodi
guez les consolations avec autant de
générosité que le reste de votre sexe les
méchancetés doucereuses : c’est qu’il y
a là un mais. Ne savez-vous pas ce que
dit Speidel dans sa charmante causerie
les Moineaux solitaires, que, devinant
l’état de mon âme, vous m’avez envoyée
le troisième jour des fêtes? « Le véri
table célibataire, dit-il, ne veut pas être
consolé; il veut, quand il est malheu
reux, jouir au moins de son infortune.»
À côté du Moineau solitaire qu’a dé
peint Speidel, il y a encore un autre
type de célibataire : l'ami du ménage.
Je n’entends point par là cet homme qui
fait profession de jeter le trouble dans
les familles, dont le regard perfide
cache la trahison, tandis qu’il s’installe
commodément au foyer hospitalier ; je
veux dire le « bon oncle », l'ancien ca
marade de collège de papa, qui fait sau
ter Bébé sur ses genoux tout en lisant à
maman le feuilleton dont il omet pudi
quement les passages légers.
Je connais des hommes qui consacrent
leur vie entière au service d’une famille
dont ils possèdent l’amitié, des hommes
qui marchent, sans désirs, aux côtés
d’une jolie femme adorée en secret.
Vous en doutez? Ah ! oui, c’est le mot
« sans désirs » qui vous choque. Peut-
être n’avez-vous pas tort. Au fond de
tous les cœurs, même des plus apaisés,
existe un désir fougueux, mais — enten
dons-nous bien — ce désir est enchaîné.
Permettez-moi de vous rapporter, comme
exemple à l’appui, une conversation
qu’eurent ensemble, avant-hier, soir de
la Saint-Sylvestre,deux vieux, très vieux
personnages. Comment ai-je eu connais
sance de cet entretien? C’est un-secret
que vous me permettrez de garder, et,
je vous en prie, ne divulguez pas ce que
je vais vous conter. Je commence, n’est-
ce pas?
Comme décor, figurez-vous une haute
salle aux meubles antiques, tristement
éclairée par une suspension en métal
d’un éclat impertinent et surmontée
d’un abat-jour vert — comme celles dont
se servaient nos pères avant l’ère du
pétrole. Le cône lumineux que produit
la flamme tombe sur une table ronde
couverte d’une nappe blanche, où sont
disposés les ingrédients d’un punch de
premier de l’an — tandis que, juste au
milieu, s’é talent quelques gouttes d’huile
tombées de la lampe.
A moitié perdus dans l’ombre de l’abat-
jour vert, nos deux vieillards étaient
assis, ruines lamentables d’une époque
depuis longtemps disparue. Tous deux,
affaissés et tremblants, fixaient devant
eux le regard de leurs yeux ternes, éteint
par les années. L’un d’eux, le maître de
la maison, était un vieux militaire— et
vous l’auriez reconnu du premier coup
d’œil, à sa cravate raide étroitement
serrée, à ses moustaches en pointes à
demi rasées, à l’air martial que lui don
naient ses sourcils froncés; il tenait à
deux mains, comme une béquille, le
gouvernail du fauteuil roulant où il
était tassé ; tout en lui était immobile,
tout, excepté les mâchoires qui re
muaient sans cesse, comme pour une
mastication perpétuelle.
L’autre, assis sur un sopha, près de
lui, était un homme de haute stature,
maigre, avec des épaules étroites que
surmontait.un crâne anguleux, au large
front de penseur; il tirait de minces
nuages de fumée d’une pipe sur le point
de s’éteindre. Les mille rides de sa face
polie et desséchée, qu’encadrait une
couronne de cheveux blancs comme la
neige, dissimulaient ce sourire calme et
tendre que peut seule donner au visage
d’un vieillard la paix du renoncement.
Tous deux gardaient le silence. Dans
ce calme profond, on n’entendait que le
léger crépitement de l’huile qui brûle et
le murmure léger de la nicotine dans la
pipe. Alors, dans le fond obscur de la
salle, l’horloge, d’une voix enrouée, an
nonça la onzième heure.
« C’est l’heure où elle avait coutume
de préparer le punch », dit l'homme au
front de penseur. Sa voix était molle et
tremblait un peu.
« Oui, c’est l’heure », répéta l’autre.
Son ton était rude, comme si l’écho des
sonores commandements de jadis eût
passé dans sa voix.
« Je n’aurais pas cru que la vie fût si
triste sans elle », continua le premier.
Le maître de la maison fit un signe de
tête et ses mâchoires continuèrent leur
mouvement.
« Elle nous a préparé quarante-quatre
fois le punch de la Saint-Sylvestre,
reprit l’autre.
— Oui,il y a juste quarante-quatre ans
que j'habite Berlin et que tu fréquentes
cette maison en ami, dit le vieux sol
dat.
— L’année passée,à cette époque, con
tinua le premier, nous étions encore
bien heureux ensemble. Elle était assise
là-bas, dans le fauteuil, et tricotait des
chaussons pour le fils aîné de Paul.
Elle se hâtait, car il fallait, disait-elle,
qu’elle eût fini avant minuit — et elle y
parvint en effet. Puis, nous bûmes, et
nous parlâmes très tranquillement de la
mort — et, deux mois après, elle nous
quittait. — Tu sais que j’ai écrit un gros
livre sur l'Immortalité de l'Idée. Tu n’as
jamais pu le souffrir. Eh bien ! je ne
puis plus le supporter non plus, depuis
que ta femme est morte. L’Idée du
monde entier ne vaut plus, pour moi,
un fifrelin.
— Oui, c’était une excellente femme,
dit le mari. Elle a toujours bien pris
soin de moi, et quand le service m’ap-
pelait à cinq heures du matin, elle était
toujours levée avant moi pour veiller à
ce que le café fût bon. Pourtant elle
avait aussi ses défauts, et quand, par
exemple, elle se mettait à philosopher
avec toi — ah !
— Tu ne l’as jamais comprise », mur-
mura l’autre; et un pli de ses lèvres in
diqua un mouvement de colère aussitôt
réprimé.
Mais le regard qu’il arrêta longuement
sur son ami était doux et triste, comme
si sa conscience lui reprochait quelque
faute secrète. Après un manient de si
lence, il commença:
❖
❖ *
« Vois-tu, Franz, il faut que je te ra
conte quelque chose qui me tourmente
depuis longtemps et que je ne puis em
porter avec moi dans la tombe.
— Allons, pas tant de façons, dit le
maître de la maison en saisissant la
longue pipe qui était appuyée au fau
teuil roulant;
— Il s’est passé, un jour, entre ta
femme et moi... quelque chose... »
Le vieux soldat laissa retomber sa
pipe et regarda fixement son ami, les
yeux grands ouverts :
« Ne plaisante pas, docteur, dit il
enfin.
— Je suis malheureusement très sé
rieux, Franz, répliqua celui-ci. Il y a
plus de quarante ans que je porte ce se
cret; il esttemps enfin que je m’explique
avec toi là-dessus.
— Voudrais-tu dire, par hasard, que
la morte m’a trompé? cria l’autre avec
colère.
— N’as-tu pas honte,Franz?» dit l’ami
avec son sourire doux et attristé.
Le vieux soldat grommela quelques
mots indistincts et alluma sa pipe.
« Non, elle était pure comme un ange
du ciel, continua l’autre. Le coupable
c’est toi,et c’est moi. Ecoute. Il y a main
tenant quarante-trois ans : tu venais
d’être envoyé à Berlin comme capitaine,
et moi j’étais professeur à l’Université.
Tu étais alors un viveur enragé, tu le
sais.
— Hem! ditle maître de la maison, en
levant sa vieille main tremblante, pour
tortiller la pointe de sa moustache.
— Il y avait alors une belle actrice
aux grands yeux noirs, aux petites den ts
blanches... t’en souviens-tu?
— Si je m’en souviens ! Elle s’appe
lait Bianca. »Et un pâle sourire éclaira
son visage flétri de viveur. « Ses petites
dents blanches savaient bien mordre, je
t’assure.
— Tu trompas ta femme, et elle le
soupçonna. Mais elle ne dit rien etgarda
sa douleur pour elle seule. Toi, tu ne
vis rien, mais moi, je m’en aperçus.
C’était la première femme que je con
naissais, depuis la mort de ma mère.
Elle était entrée dans ma vie comme
un astre brillant, et c’est comme vers
un astre brillant que je levai les yeux
vers elle. J’eus le courage de lui deman
der la cause de son chagrin. Elle sourit
et répondit qu’elle était encore un peu
souffrante ; car, tu t’en souviens, ton fils
Paul était né depuis peu.
» Le soir de la Saint-Sylvestre ar
riva. J’étais venu, comme d’habitude,
vers huit heures. Assise, elle brodait;
moi, je faisais la lecture, en t’attendant.
Une heure passa... puis une autre... tu
n’arrivais pas. Je la vis, prise d’inquié
tude, tressaillir, et je tressaillis avec
elle. Je savais bien où tu étais, et je crai
gnais que tu n’oubliasses, dans les bras
de cette femme, la douzième heure qui
approchait de plus en plus. Elle avait
cessé de broder, moi de lire; un silence
terrible pesait sur nous. Tout à coup, je
vis une larme brillante perler sous ses
cils et tomber sur son ouvrage. Je me
levai précipitamment et voulus sortir,
pour aller te chercher. Je me sentais ca
pable de t’arracher de force à cette
femme. Mais au même instant, elle se
dressa et quitta sa place, cette place que
j’occupe aujourd'hui.
« Où voulez-vous aller?» s’écria-t-elle.
Ses traits exprimaient une angoisse in
dicible. — « Chercher Franz! » répon
dis-je. Alors, elle poussa un cri : « Pour
l’amour de Dieu, restez au moins près
de moi, vous-, ne m’abandonnez pas.»
Et se précipitant vers moi, elle posa ses
mains sur mes épaules et cacha sur ma
poitrine son visage inondé de larmes.
Tout mon corps fut secoué d’un frisson,
car jamais encore je n’avais tenu une
femme si près de moi. Cependant, je
réussis à me vaincre, et m’efforçai de la
consoler. Elle avait si soif de consola
tion !
» Quelques instants après, tu entras.
Tu ne vis point mon trouble ; tes joues
étaient enfeu, et dans tes yeux se lisait
cette fatigue que laisse, après elle,
l’ivresse de l’amour. Depuis cette soirée
de la Saint-Sylvestre, vois-tu, il s'était
opéré en moi un changement qui m’é
pouvantait. Depuis que j’avais senti sur
mon cou ses bras délicats, depuis que
j’avais respiré le parfum de ses cheveux,
l’astre était descendu des deux, et à sa
place se dressait, devant mes regards
ardents, belle, respirant l’amour, la
Femme. Je me traitai de misérable, de
traître, et pour me réconcilier à demi
avec ma conscience, j’entrepris de te
séparer de celle que tu aimais. J'avais,
heureusement, quelque fortune; elle
accepta, pour rompre, la somme que je
lui offris, et...
—- Mille tonnerres! interrompit le
vieil ami,surpris. Ainsi, ce fut à ton ins
tigation que Bianca m’écrivit cette tou
chante lettre d’adieu où elle me décla
rait qu'il lui fallait, le cœur brisé, re
noncer à mon amour?
— Oui, c’est à mon instigation, mais
écoute la suite. J’avais cru pouvoir, avec
cet argent, acheter le repos; mais il
n’en fut rien. Les folles pensées tour
billonnaient de plus en plus dans mon
cerveau. Je me plongeai dans mes tra
vaux ; c’est à cette époque que me vint
la conception première de mon immor
talité de l'Idée. Mais tout cela ne suffi
sait pas à me rendre la paix. Ainsi se
passa une année tout entière; le soir de
la Saint-Sylvestre revint. Une fois de
plus j’étais assis avec elle à cette même
place. Ce soir-là tu étais bien à la mai
son, mais tu dormais, étendu sur le ca
napé, dans la chambre voisine. Tu étais
rentré fatigué, à la suite d’un joyeux dî
ner au cercle. J’étais assis à côté d’elle,
les yeux fixés sur son pâle visage, quand
le souvenir vint m’assaillir avec une vio
lence irrésistible. Encore une fois, une
seule fois, je voulais sentir sa tête sur
mon cou, encore une fois je voulais l’em
brasser, puis disparaître. Nos regards
se rencontrèrent et je crus voir briller
dans ses yeux un éclair de secrète intel
ligence. Alors, je n’y tins plus, je me
jetai à ses pieds et cachai mon visage en
feu sur ses genoux.
» Il y avait bien deux secondes que
j’étais immobile, dans cette position,
quand je sentis sur ma tête le froid de
sa main, et je l’entendis me dire d’une
voix douce :
« Du courage! mon ami. »
« Oui, du courage! Il ne faut pas
tromper l’homme qui dort, plein de
confiance, dans la pièce voisine.» Et je
me relevai, jetant autour de moi des re
gards éperdus. Mais elle, prenant un
livre sur la fable, me le tendit. Je la
compris ; j’ouvris le livre à la première
page venue et fis la lecture. Qu’ai-je lu?
je n’en sais rien ; les lettres dansaient
devant mes yeux. Cependant, peu à peu
la tempête s’apaisa dans mon âme, et
quand minuit sonna, quand tu entras,
les paupières encore lourdes de som
meil, pour nous adresser les souhaits
d’usage, il me sembla que cette minute
coupable était loin derrière moi, bien
loin, disparue dans le passé.
» A partir de ce jour, je recouvrai peu à
peu le calme ; je savais que mon amour
n’était pas payé de retour, et que je n’a
vais rien à espérer d’elle, qu’un peu de
pitié. Les années passèrent, tes enfants
grandirent, se marièrent, et tous trois
nous vieillissions. Tu renonças aux fo
lies, tu envoyas les femmes au diable et
tu vécus uniquement pour elle, comme
moi. Je ne cessai pas de l’aimer, cela
m’eût été impossible, mais mon amour
se transforma : les désirs terrestres s’ef
facèrent pour faire place à une sorte de
communion d’esprit. Tu as souvent ri
quand tu nous entendais philosopher!
Si tu avais soupçonné que nos deux
âmes, alors, se confondaient en une, tu
aurais été bien jaloux.
2 » Et maintenant, elle est morte ; peut-
être irons-nous tous deux la rejoindre
avant la prochaine Saint-Sylvestre. Il
est donc grand temps que je me dé
charge de ce secret et que je te dise :
« Franz, j’ai commis un jour une faute
envers toi ; pardonne-moi. »
Il tendit la main à son ami, d’un air
suppliant, mais celui-ci lui dit d’un ton
bourru : «Ah! sornettes que tout cela!
Qu’ai-je à te pardonner? Ce secret que
tu crois me confesser aujourd’hui, je le
connaissais depuis longtemps. Elle m’a
raconté tout cela elle-même, il y a qua
rante ans. Et maintenant, je vais t’ex
pliquer pourquoi j’ai tant couru après
les femmes, jusque dans ma vieillesse :
elle m’avait avoué, à la même époque,
que tu étais le seul amour de sa vie. »
❖
* *
• L'ami du ménage le regarda fixement,
sans rien dire — et l’horloge, de sa voix
enrouée, sonna minuit.
H. Sudermann.
LES
FEMMES COMPOSITEURS
La musique est-elle un art que les femmes
peuvent cultiver sans présomption ? Quand on
constate la vigueur d’une Holmès, la fougue
d’une Thys, la science d’une de Grandval, la
grâce d’une Chaminade, il faut bien répondre
affirmativement.
Ne devons-nous pas, ici comme en tout ce
qui vient des femmes, nous attendre à des
surprises ? Il semble, en effet, que la musique,
toute d’abstraction, est encore rebelle au cer
veau féminin par l’aridité des études qu’elle
impose. Et pourtant nous n’avons pas moins,
de nos jours, de quatre ou cinq femmes qui se
livrent à la composition musicale et qui sont
fort honorablement connues.
Il faut donc bien avouer que, si incompatibles
que paraissent l’art musical (je ne veux pas
dire la musique) et la nature féminine, il y a
cependant des cas où ils s’entendent. Qu’on
ne dise pas : ils s’entendent lorsque la femme
a une âme d’homme, et c’est le cas de Mlle Hol
mes. Car il suffirait alors de répliquer par
Mlle Chaminade, qui est essentiellement femme.
Les femmes triomphent dans le sentiment.
La musique est son langage, mais son langage
lorsque les mots, et alors seulement, viennent
à manquer. De sorte que celles qui paraissent
devoir être le plus aptes à la musique y sont
en réalité le moins propres, puisque c’est à
peine si elles peuvent balbutier leurs émo
tions.
Mais, de tout temps, les femmes ont vaincu
la Logique. En musique comme ailleurs. Au
vrai, elles sont aptes à tout. On va le voir.
Mlle Augusta Holmès
Le talent de Mlle Augusta Holmès n’est
point, assurément, celui que l’on pourrait at
tendre de son sexe : une éclatante vigueur en
est le trait principal. Qui s’imaginerait, en
effet, ainsi pompeux et énergiques, les rêves
d’une femme? Celle-ci est donc exception
nelle ; une âme d’homme s’exaspère sous ces
apparences si blondes, une âme d’homme qui
commande aussi à cette allure décidée, ce lor
gnon cavalier, ce col droit, ces calottes gail
lardes sur les frisures pâles.
Et c’est à peine si, d’une femme, dans cette
musique héroïque, au souffle violent, on re
trouve la note féminine : l’exagération, qui
pousse ici, parfois, l’éloquence à la grandilo
quence. Soyez sûrs que Mlle Holmès ne souffre
pas de cette outrance que son sexe lui im
pose ; peut-être même en est-elle satisfaite...
C’est principalement dans le choix de ses
sujets que cette fatalité sexuelle domine, dans
son imagination, pour mieux dire : Gloire,
Patrie, Liberté, sont les rêves qu’elle caresse
de préférence, avec assurance et tranquillité.
Les plus hautes pensées, les plus élevés senti
ments lui sont familiers, de ceux qui élèvent
si haut que le sort d'Icare est toujours à
craindre.
Mlle Holmès n’a cassé aucune de ses ailes,
et cela, déjà, est prodigieux. Depuis quinze
ans elle plane vigoureusement sans jamais
choir. Sans doute nous perdons quelquefois sa
pensée de vue, mais elle-même nous ne la per
dons jamais, car elle rayonne avec éclat.
Une fois, une seule,’elle est descendue sur
la terre, comme Orphée dans les enfers. Elle
y rencontra, bien guidée, les Sept Ivresses,
qui, bientôt, la rebutèrent.
C’est sans doute à cette époque qu’il faut
rapporter le mot qu’on a fait sur elle :
« Mlle Holmès aime Wagner, mais elle le
trompe avec Massenet. »
Cela est joli, mais inexact. L’œuvre entier
de Mlle Holmès est de majesté, en dehors des
Sept Ivresses : Lutèce, Pologne, Ludus pro
Patria, Irlande, ce dernier son chef-d’œuvre,
sans doute parce que, Irlandaise, elle’puisa
dans son sang la plus noble de ses inspirations.
Ces œuvres sont, en tout cas, d’un ciel de
lumière franche et saine que Massenet n'a
jamais connue.
C’est de là que nous vient la Montagne
Noire, qui est son œuvre à tous les égards.
Il fallait la voir, aux répétitions, se déme
ner, faire les gestes de chacun, chanter les
parties des chœurs, se précipiter au milieu de
la scène pour accentuer un geste, un pas, un
cri, remplacer même le chef d’orchestre. M.
Gailhard lui-même en était dépassé dans son
zèle et son ardeur.
Dans nos campagnes, on dit : c’est une maî
tresse-femme. C’en est une, avec ce doux cor
rectif qu’elle ne perd jamais rien de sa grâce
et de sa coquetterie. Ici, elle est bien restée
la divine Thètys d’Hepri Régnault, qu’elle
posa.
Allons écouter la Montagne Noire. Nous en
tendrons vibrer une âme exceptionnelle et ex
ceptionnellement puissante. Un souffle violent
a passé sur ce cœur, peut-être celui des tem
pêtes du cap Pleaskin. Mais cette tempête,
sous les tièdes haleines de France, sa patrie,
d’adoption, s’est réchauffée, et elle murmure
aujourd’hui de pénétrantes mélodies, souvent
âpres et hurlantes, mais chaleureuses et
nobles.
André Maurel.
L’ILE HEUREUSE
Je n’aime point ce mot trop admiré
d’Amiel, qu’un paysage est un état
d’âme. Jamais certes, un homme vrai
ment affectionné à la Nature ne l’eût
écrit. Nous ne voulons pas savoir que
les objets de nos passions sont tirés de
notre matière même, et tout entiers
faits de nous. Il nous faut l’illusion
qu’ils existent en soi et à part de nous,
pour que nous goûtions bien le plaisir
de les posséder en sortant de nous-
mêmes et en nous confondant avec eux.
Décevante possession ! Car l’âme que
nous mettons sous les choses, ce n’est
que l’âme universelle : elle est indéter
minée, elle est diffuse et insaisissable.
Certains pays ont le privilège cependant
de se présenter à nous comme des uni
tés vivantes, comme des façons de per
sonnes. Ceux-là seuls peuvent nous de
venir chers. Ce sont des amis que l’on
quitte à regret, que l’on revoit avec
émotion, que l’on reconnaît et que l’on
ne trouve pas changés.
❖
❖ *
Telle nous apparaît au matin, vêtue
de brumes violettes — et depuis long
temps pressentie, grâce au parfum qui
s’émane d’elle— la Corse accroupie à la
surface des mers, le dos renflé, sa tête
aiguë tendue vers un petit roc satellite
qu’elle fascine, comme un lézard fascine
une mouche; telle, et surtout à l’heure
où les premières lampes de Messine, de
Reggio et de Catane s’allument parmi
les façades roses, mais ne rayonnent
point, parce que le soleil, récemment
noyé, empourpre encore tout le ciel,
telle nous apparaît la Sicile triangu
laire; et telle l’Afrique lumineuse, nue,
nette, dès que nous apercevons la côte
d’Egypte, stérile et humble, hérissée de
palmiers rares.
Il est clair que les îles ont plus facile
ment une personnalité. Je n’en connais
guère qui aient la physionomie plus
tranchée' que Jersey. C’est sans doute
parce que cette personne est une petite
personne. Elle n’effarouche point. Elle
vous met en confiance par ses allu
res franches et décidées. Elle prête à la
familiarité, à la camaraderie, au flirt.
Qui s’aviserait de la décrire? Ce n’est
pas un signalement qu’il faudrait faire,
mais un portrait, un portrait de carac
tère, ce qu’autrefois on appelait « un
caractère » tout court.
Elle ne ressemble pas aux autres
lieux célèbres, qui sont victimes de
leur célébrité: elle, point. Elle n’est
point le beau site professionnel, qui n’a
de raison d’être que d’être vu, la chose
de curiosité qu’on exhibe, et puis qu’on
range, qui n’a d’existence que pour la
galerie ; elle existe d’abord par soi-
même et pour soi. Elle se laisse voir,
mais elle se passerait d’être vue. Elle
accueille les innombrables voyageurs
qui viennent la visiter, la scruter, la dé
tailler le guide en main, elle n’en est
pas moins fort renfermée. Elle a une
ceinture de rocs abrupts. Elle pourrait
être inaccessible. Elle est seulement ré
servée. Sa petite cité blanche, couchée
en rond au pied d’une colline toute che
velue, rit au soleil, entre les deux pro
montoires presque formidables qui
l’abritent.
Elle n’est pas une auberge cosmopo
lite. Les contacts, les frottementsn’usent
pas son originalité. Elle tient à ses ha
bitudes héréditaires. N’a-t-elle pas, jus
qu’à ce jour, gardé son organisation
féodale? Bizarre, mais aimable vieillerie,
qui s’accommode au romantisme su
ranné de ses châteaux-forts en ruines,
envahis par les plantes parasites de ses
bribes monumentales du moyen âge, se
mées çà et là, distribuées, comme arti
ficiellement et à dessein, par un décora
teur de keepsake.
Cette fidélité aux traditions, les mœurs
patriarcales, la vie paisible, innocente
et confortable qu’elle suppose, ce quant-
à-soi un peu jaloux, inspirentà première
vue le soupçon que l’île de Jersey pour
rait bien être une de celles que les an
ciens appelaient des îles fortunées,
une manière de paradis terrestre. Cer
taines retraites, et celle-ci plus que toute
autre, ont une physionomie édénique,
comme certains visages de femmes ont
une expression angélique : vagues épi
thètes, d’autant plus intelligibles, di
rait-on, qu’elles sont indéfinissables,
comme elles doivent l’être.
Où réside le charme singulier de ces
campagnes, que l’on croirait d’abord
toutes pareilles à celles de la Norman
die? Ce sont les mêmes herbages où
paissent de courtes vaches, les mêmes
chemins couverts, des vallons gracieux,
des collines doucement ballonnées. Et
pourtant, c’est plus de mystère, c’est
l’apparence d’une nature moins actuelle
ou qui n’a pas changé depuis les pre
miers âges du monde. Les haies qui sé
parent les prairies sont monstrueuses,
elles font penser aux forêts vierges,
elles sont faites d’un enchevêtrement
d’épines, de chardons blancs et velus ;
des lianes de lierre s’en détachent, cou
rent sous les herbes, regrimpent aux
troncs des arbres, les étreignent et les
étouffent.
❖
❖ ❖
Fille gâtée du Gulf-Stream, l’île est en
tourée d’une factice atmosphère d’été
qui n’y exagère point les ardeurs de la
belle saison, mais qui atténue les ri
gueurs de l’hiver, et elle apprivoise cette
flore du midi sans laquelle il ne semble
point que nous puissions concevoir un
éden. Non que la végétation y soit tro
picale. Les palmiers et les araucarias
poussent en pleine terre, comme dans
leur patrie, mais réduits à plus de mé
diocrité, à plus d’harmonie avec les ar
bres de nos climats tempérés. Jamais
l’on ne voit surgir d’un jet les troncs
raboteux des phénix d’entre ces taillis
où séjourne l’humidité septentrionale.
Parmi les plantes exotiques, sont pré
férées celles qui se massent en buissons
épais et qui se parent de fleurs somp
tueuses, ainsi les camélias aux feuilles
laquées, aux pétales mats. Si nombreux
sont les lauriers-roses, aux feuilles de
vert-de-gris, qu’ils forment des bois sa
crés, et comme le sol est chargé de fer,
les hortensias y naissent bleus.
Ce paradis est un paradis d’enfants.
Tout y est précieux, petit, même le gran
diose ; tout y est puéril et en miniature.
Le sable des plages semble plus fin et
plus velouté. Dans les vasques natu
relles où la mer tournoie emprisonnée,
le granit noir des rocs semble poli pour
des pieds plus délicats. Si les chemins,
dans la campagne, sont tenus comme
les allées d’un jardin, si les lignes du
paysage sont rythmiques et arrangées,
c’est que les imaginations enfantines ne
détestent point l’apprêt et les symétries.
Si les arbres d’Afrique n’atteignent point
leur développement, c’est que l’échelle
est différente : il ne faut pas les compa
rer à des statures de grandes personnes,
mais à des statures d’enfants, et, dès
lors, ils redeviennent des géants, ils re
couvrent leur prestige et leur majesté.
Les bateaux de pêcheurs qu’on dé
couvre de la falaise, réfugiés dans les
criques, semblent des jouets. Les habi
tations éparses dans la campagne sont
toutes basses. G’est la ville surtout, la
ville capitale, qui appartient aux en
fants. Ils y régnent. Ils y vont seuls et
ils laissent leurs parents à la maison . Ils
se promènent ou ils vont à leurs affaires,
très sages, très graves, par troupes, plus
souvent par couples, petit garçon et pe
tite fille se tenant par la main.
- Un chemin de fer minuscule est tracé
pour eux le long de la plage. Les loco
motives qui s’essoufflent et les fragiles
wagons ne semblent pouvoir traîner que
leurs poids légers. Les cottages, d’une
architecture de « boîte de construction»,
sont les types d’un art naïf et qu’ils au
raient pu inventer. Dans les intérieurs,
tout est disposé pour la commodité de
leurs gestes. Les fenêtres à guillotine
ne s’entre-bâillent que de façon à lais
ser passer de mignonnes têtes qui se
penchent en se contournant. Les sièges
sont assez bas pour qu’ils puissent, en
s’asseyant, poser leurs pieds sur les ta
pis gris et bleus. Les étagères sont à la
hauteur de leurs mains, et ils peuvent,
sans se hausser sur leurs pointes, se re
garder dans les glaces à compartiments
qui surmontent les cheminées. Les dra-
peries sont d’étoffes simples et claires,
de cretonnes à fond blanc ou crème,
avec de grandes fleurs jaunes ou roses,
et le bois des meubles est laqué de vert
d’eau ou de gris de perle.
Eux seuls peuvent prendre • ir et
courir dans les petits carré*
qui sont derrière ces logis poupees.
Dans les rues, la circulai’ 0 des
est presque nulle, et il semble que c
soit à cause d’eux, qui ne sauraient point
se garer des roues et des chevaux. Et le
soir même, lorsque les réverbères s’al
lument, lorsque les lampes des bars
luisent derrière les carreaux dépolis,
lorsque les matelots et les soldats en
tuniques écarlates, coiffés de petites
toques d’écoliers, titubent d’un trottoir
à l’autre, lorsque les mœurs deviennent
plus libres — oh ! si timidement libres!
— ils pourraient encore y errer sans
crainte.et sans que leur candeur fût ef
fleurée...
Mais, et voici le dernier trait de ce ca
ractère de l’île heureuse : le paradis ter
restre, le paradis enfantin est environné
d’une mer qui ne s’apaise jamais, mer
inclémente, souvent secouée de tem
pêtes, sillonnée de courants perfides
qui entraînent les navires et les brisent
sur les récifs à fleur d’eau. Des brouil
lards sinistres l’enveloppent et l’isolent.
L’éden miniature est noyé dans le mys
tère et obsédé par l’infini.
Aboi Hermant.
QUELQUES PEINTRES
M. RAFFAELLI
M. Raffaelli est un exemple topique à l’appui
de la théorie sur l’influence des milieux que
Taine préconisa. Pour avoir longtemps habité
Asnières, pour avoir vécu dans cette zone in
termédiaire qui sépare les grandes villes de la
pleine campagne, il se mit à peindre la ban
lieue et y trouva une voie féconde, neuve, in
définie. Surtout que la banlieue parisienne est
spécialement significative, émouvante, avec
ses terrains nus, pelés, ravagés, comme si une
bataille s'y était livrée. Et n’est-ce pas la fron
tière, en effet, où la Nature et la Ville se joi
gnent, se heurtent, luttent, se déciment l’une
l’autre, au point qu'on ne sait, en fin de compte,
laquelle des deux l’emporte? Est-elle urbaine,
cette région contaminée où les maisons se
débandent, où les rues meurent inachevées ?
Est-elle rurale, cette terre dont l’herbe est
rase, les arbres malingres, les champs jon
chés de détritus et habillés de la fumée noire
des usines ?
Mais, pour un peintre, quel caractère dans
cette banlieue ! Or, M. Raffaelli, de par son
talent raisonneur, logique, devait surtout ai
mer les aspects dont il serait possible de for
muler avec précision le caractère. Il a l’esprit
trop formel pour aboutir à des synthèses ou
des symboles. Ce serait un peintre plutôt réa
liste, encore qu’il ait exposé, naguère, avec les
impressionnistes, dans le groupe desquels on
le confondit. Mais, en réalité, il n’est d aucune
école. Sa personnalité est unique ; ce domaine
d’art de la banlieue lui est propre; et son es
thétique aussi, qui le lui a fait exploiter avec
acuité et avec quelque chose de la main déci
dée des chirurgiens. C’est que cette terre
suburbaine a pour lui un visage, un corps, pour
ainsi dire. Terre malade, que des anémies, des
cancers, des arthrites rongent. Le peintre suit
les lignes du terrain comme des muscles. Son
pinceau a des rigueurs qui dissèquent. Il dé
taille l’anatomie du sol. Il va jusqu’à l’ossa
ture. Et, même dans la couleur, voici des bleus
de misère et de froid, des rouges de dartre...
Et les plis des terrains s’accordent avec les
plis des vêtements. Car ces contrées suspectes
sont occupées par quelques figures : un rôdeur,
un chiffonnier, un terrassier (parfois, aussi, un
vieux cheval). Or, ceux-ci ne sont-ils pas, a
leur tour, comme une banlieue d humanité ?
Epaves de la grande ville, vaincus par elle, et
incapables, d’autre part de rentrer dans 1
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 89.05%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 89.05%.
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bd6t52130279h/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bd6t52130279h/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bd6t52130279h/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bd6t52130279h/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bd6t52130279h
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bd6t52130279h
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bd6t52130279h/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest