Titre : L'Illustration : journal universel
Éditeur : J.-J. Dubochet (Paris)
Éditeur : Paulin et LechevalierPaulin et Lechevalier (Paris)
Éditeur : L'IllustrationL'Illustration (Paris)
Date d'édition : 1872-08-24
Contributeur : Sorbets, Gaston (1874-1955). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34366081z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 24 août 1872 24 août 1872
Description : 1872/08/24 (A30,VOL60,N1539). 1872/08/24 (A30,VOL60,N1539).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bd6t51385260m
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC2-1549
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 09/02/2025
L’ILLUSTRATION, JOURNAL UNIVERSEL
119
L’ILE DE PAQUES
JOURNAL d’un sous-officier de l’état-major de La Flore
(Suite)
Les environs de la baie d’Hanga-Piko sont très-
animés le soir, au moment du départ des canots;
tous les officiers sont là, assis au milieu des grou
pes des indigènes. — Les druidesses et les mysté
rieux observateurs sont aussi là haut à leur poste.
Je prends place au milieu de mes amis : Hanga
Atamon, Pétéro, le vieux chef, Marie et Jueritaï
arrivent, en courant, s’asseoira côté'de nous.
Les indigènes chantent;... j’aurais voulu écrire
quelques-uns de leurs airs, mais c’est impossible :
il faudrait d’autres notations que celles que nous
possédons ; celles-ci sont insuffisantes.
La musique des Tahitiens est gaie et facile ;
celle de l’île de Pâques, au contraire, est étrange
ment triste, composée de phrases saccadées, cour
tes, que terminent des finales inouïes; les hommes
chantent d’une voix plaintive qui n’a rien de na
turel; en revanche, les femmes donnent des notes
de la plus exquise douceur.
Au moment où J... nous amène le canot-major,
survint la plus sigulière créature du monde,
petite grasse, à mine de Chinoise d’éventail. Elle
est peignée avec soin, vêtue d’une tunique de mous
seline jaune recouverte d’une couverture rouge,
et elle a les lèvres ornées d’un léger tatouage.
Elle s’avance en minaudant et s’assied d’un air
discret. Péters affirme que c’est la femme des papas
farania, ce qui surprend au premier abord; nous
apprenons ensuite qu’elle est l’épouse morgana
tique du vieux Danois.
Houga tient beaucoup à me porter lui-même
dans le canot-major, de peur qu’il ne m’arrive
quelque accident. Enfin nous partons ....
5 janvier.
Le lendemain, nous avons encore obtenu, J... et
moi,un canot à nos ordres; la brise d’est est droit
debout, ce qui ralentit notre marche et nous
mouille de la tête aux pieds. Nous voulons accos
ter au plus près dans la baie de Cook; mais, con
naissant mal la passe, nous nous embrouillons au
milieu des brisants. Nous atteignons pourtant la
plage en face de la maison ruinée du mission
naire. Atamon était accouru nous recevoir avec
quelques sauvages de figure inconnue, et je fais
parmi eux l’acquisition d’un petit dieu coiffé de
plumes noires. Je mène J... voir l’antique Moraï,
auquel nous devons, dans l’après-midi, enlever ses
statues; les in ligènes organisent une danse géné
rale sur les vieilles pierres du cromlech, et nous
croyons voir une légion de farfadets.
En nous rendant au village, nous rencontrons
plusieurs amis qui nous arrêtent; c’est le vieux
chef, accroupi dans un creux de rocher et qui mar
motte des phrases inintelligibles ; plus loin, la
chefesse et sa fille, occupées à arracher des patates
douces» Tout le monde nous tend les mains en
disant: ya oranatays (toujours amis).
Je meurs d'envie de posséder une de ces coif
fures en plumes noires que portent les chefs; il
faut faire des recherches, et Pétéro me présente
dans plusieurs tanières où sont accroupis des
vieillards tatoués, immobiles comme des momies
et qui paraissent ne s’apercevoir en rien de ma
présence; l’un d’eux, cependant, travaille ; il arra
che les dents à une mâchoire humaine pour re
mettre un œil d’émail à son idole. Il y a là plu
sieurs coiffures très-belles, mais ces messieurs en
demandent des prix fous ; mon pantalon de toile
blanche, ma veste de midship, avec ses attentes
et ses galons (l’argent est inconnu à l’île de Pâ-
ques), c’est décidément trop cher; il faut y re
noncer.
Nous poussons jusqu’à la demeure d’Adam
Smith, le vieux Danois. Cette maison est nue an
cienne demeure des missionnaires et la seule qui
ne soit pas ruinée. Elle est grande, entourée d’un
jardin et d’une véranda de boucinganatias.
L’épouse morganatique nous aperçoit par la
fenêtre; elle se dépêche de passer sa robe jaune
et s’entortille dans sa couverture rouge ; après
quoi, elle vient nous recevoir en souriant et nous
fait plusieurs petites mines gracieuses. Son maître
et seigneur est absent, mais elle nous apporte une
gargoulette d’eau douce, ce qui est dans le pays
une chose très-précieuse; on n’en trouve qu'après
les grandes pluies, dans certaines mares du cra
tère de Ranokan.
Les indigènes la conservent dans des gourdes
où elle fermente, et ces pauvres gens, qui se bour
rent de lichen et de patates douces, sont souvent
obligés de se priver de boire.
Un grand registre était ouvert devant moi sur
une table; en y jetant les yeux par distraction, j’y
lus quelques phrases anglaises.
C’était le journal particulier du Danois. Il y
écrivait chaque jour ses impressions, ses difficul
tés avec les naturels, toutes les circonstances de
sa vie singulière.
Au retour, plusieurs naturels s’obstinent à nous
vendre des lapins; c’est là un des plus sérieux dé
sagréments du pays; chacun des naturels élève
dans sa ceinture plusieurs de ces animaux et tour
mente les étrangers pour les lui acheter. Un lapin
pour une épingle; c'est le tarif que les matelots
ont établi.
Nous rentrons à bord, où l’amiral m’attend avec
impatience pour m’envoyer prendre un dessin
exact de la statue avant son enlèvement; il désire
envoyer ce dessin au ministère. 4
Cependant tous les préparatifs faits, la cha
loupe parée, nous partons avec cent hommes
pour aller chercher le colosse. M. Rodolphe, lieu
tenant de vaisseau, commande l’expédition.
La chaloupe très-chargée a du mal à passer les
brisants et finit par s’amarrer dans une position
convenable;, les indigènes s’étaient réunis en
foule sur la plage et poussaient des cris perçants;
on avait répandu la nouvelle de l’enlèvement de
la statue, et ils étaient accourus de toute part
pour assister à la cérémonie; il en était venu
même de ceux qui habitent la baie de la Pérouse,
de l’autre côté de l’île; aussi voyons-nous beau
coup de figures nouvelles.
Les cent hommes de M. Rodolphe se rendent
au Moraï en bon ordre et au pas, les clairons
sonnant la marche; ce bruit insolite met les indi
gènes dans un état indescriptible.
Quelle scène au Moraï! Les sauvages, entraî
nés par l’exemple, se montrent aussi vandales
que nous...
Au bout d’une heure tout était bouleversé, les
statues brisées, chavirées, et on ne savait pas en
core laquelle aurait l’honneur de se voir couper
la tête pour aller figurer au Louvre, entre les di
vinités égyptiennes et celles d’Assyrie.
Les sauvages entremêlaient leur affreuse be
sogne de danses et de cris qui n’avaient rien d’hu
main... Mais debout et à l’écart se tenait un vieux
chef, la tête hérissée de plumes noires, il con
templait avec tristesse cette scène de destruction.
Lui seul, sans doute, avait conservé le respect
des choses sacrées.
La statue choisie est couchée la tête en bas, le
visage dans la terre; elle cède aux efforts des le
viers, tourne sur elle-même et retombe brusque
ment sur le dos. Sa chute est le signal d’une danse
générale; les sauvages sautent comme des fous
sur la figure et le ventre de la statue, et gamba
dent en poussant vers le ciel mille cris frénétiques.
Ces vieux morts des races primitives, depuis qu’ils
sont endormis dans leur Moraï, n’ont jamais en
tendu pareil vacarme... si ce n’est celui qu’ont dû
faire leurs statues quand elles sont tombées de
vieillesse, une à une, le nez contre terre.
Ayant terminé mes croquis pour l’amiral, je re
pris avec Atamon le chemin du village ; j’y re
trouvai Nouga, qui travail 1 ait avec ardeur à me
confectionner cette couronne de plumes noires si
enviée, et qu’il me livra le soir même.
Pendant que j’attendais, le vieux chef de Rapa-
Nui me montra d’un air engageant une poussière
noire qu’il tenait enveloppée dans un étui de
feuilles mortes et qu’il appellait Talon. C’é’ait
de la poudre pour tatouer en bleu, et il me pro •
posa de me faire un léger tatouage, opération
douloureuse qui n’eut pas l’avantage de me tenter.
Je rentrai à bord à cinq heures, portant en
triomphe ma coiffure de plumes noires et une
autre de plumes blanches qui excitèrent l’admira
tion générale.
Après dîner, le commandant de L... me proposa
de le suivre le lendemain matin à une excursion
qu’il projetait de faire au cratère de Rano-Ra-
roku, situé à six lieues de la baie de Cook, de
l’autre côté de l’île.
(6 janvier). Notre petite expédition se met en
marche à quatre heures; nous atteignons la plage
avant le jour dans la baie de Cook; du côté du
village, on aperçoit quelques feux dans l’herbe;
le ciel est entièrement couvert; à l'Orient, une
déchirure dans les nuages laisse voir la teinte
jaune pâle qui précède le lever du soleil; nous
passons près de Moraï, dont l’aspect est sinistre.
Le vieux Danois, qui devait nous servir de
guide et s’était engagé à nous attendre sur le
bord de la mer, n'est pas à son poste; aussi mar
chons-nous en avant dans l'herbe mouillée; au
bout d’une demi-heure, la mer et la frégate ont
disparu derrière les replis du terrain; nous nous
enfonçons dans cette partie de l’île que couvre sur
la carte des missionnaires le mot Tekanhangearu
écrit en grosses lettres de la main de l’évêque de
Tahiti. Tekanhangearu est le plus ancien des
noms que les indigènes donnèrent à leur île.
Au temps même où la- population était nom
breuse, ce territoire central était inhabité. Quel
étrange pays... Nous traversons des plaines déso
lées, couvertes d’une quantité innombrable de
petites pyramides de pierre; on dirait un cime
tière immense.
Il pleut, le jour se lève, mais le temps est très-
sombre; l’horizon est toujours borné par des cra
tères qui ont tous la même forme conique, la
même teinte uniforme. Les pyramides que nous
rencontrons à chaque pas sont composées de
pierres brutes, simplement posées les unes sur
les autres; le temps les a rendues noires; elles
paraissent être là depuis des siècles.
Nous sommes jusqu’aux genoux dans l’herbe
mouillée; cette herbe est toujours la même; elle
couvre l’île dans toute son étendue; c’est une
sorte de plante rude, à tiges ligneuses, d’un vert
grisâtre, couvertes d’imperceptibles fleurs vio
lettes ; il en sort des milliers de ces petits insectes
qu’on appelle en France des éphémères.
Nous traversons une vallée où la végétation est
un peu moins triste; il y croît des cannes à sucre
sauvages, quelques maigres broussailles de Mi
mosa, de Bouraas et de Mûriers à papier. L’ab
sence complète des arbres à l’île de Pâques est
d’autant plus singulière que tout atteste des traces
d’une végétation détruite... Viaud.
[La fin prochainement.)
BIGARRURES ANECDOTIQUES
LITTÉRAIRES ET FANTAISISTES
AAA La mode revient des aiguillettes sur l’é
paule parmi les Parisiennes. C’est le moment de
rappeler qu’un avocat général du xvi e siècle ,
Étienne Pasquier, donne, dans ses Recherches, un
petit renseignement de nature à discréditer un
peu, ce nous semble, cette fantaisie de nos élégan
tes. Oyez donc :
On voulut que les femmes publiques eussent quelque
signal sur elles pour les distinguer et reconnaître d’avec
le reste des prudes femmes, qui fut de porter une es-
guillette sur l’épaule...
119
L’ILE DE PAQUES
JOURNAL d’un sous-officier de l’état-major de La Flore
(Suite)
Les environs de la baie d’Hanga-Piko sont très-
animés le soir, au moment du départ des canots;
tous les officiers sont là, assis au milieu des grou
pes des indigènes. — Les druidesses et les mysté
rieux observateurs sont aussi là haut à leur poste.
Je prends place au milieu de mes amis : Hanga
Atamon, Pétéro, le vieux chef, Marie et Jueritaï
arrivent, en courant, s’asseoira côté'de nous.
Les indigènes chantent;... j’aurais voulu écrire
quelques-uns de leurs airs, mais c’est impossible :
il faudrait d’autres notations que celles que nous
possédons ; celles-ci sont insuffisantes.
La musique des Tahitiens est gaie et facile ;
celle de l’île de Pâques, au contraire, est étrange
ment triste, composée de phrases saccadées, cour
tes, que terminent des finales inouïes; les hommes
chantent d’une voix plaintive qui n’a rien de na
turel; en revanche, les femmes donnent des notes
de la plus exquise douceur.
Au moment où J... nous amène le canot-major,
survint la plus sigulière créature du monde,
petite grasse, à mine de Chinoise d’éventail. Elle
est peignée avec soin, vêtue d’une tunique de mous
seline jaune recouverte d’une couverture rouge,
et elle a les lèvres ornées d’un léger tatouage.
Elle s’avance en minaudant et s’assied d’un air
discret. Péters affirme que c’est la femme des papas
farania, ce qui surprend au premier abord; nous
apprenons ensuite qu’elle est l’épouse morgana
tique du vieux Danois.
Houga tient beaucoup à me porter lui-même
dans le canot-major, de peur qu’il ne m’arrive
quelque accident. Enfin nous partons ....
5 janvier.
Le lendemain, nous avons encore obtenu, J... et
moi,un canot à nos ordres; la brise d’est est droit
debout, ce qui ralentit notre marche et nous
mouille de la tête aux pieds. Nous voulons accos
ter au plus près dans la baie de Cook; mais, con
naissant mal la passe, nous nous embrouillons au
milieu des brisants. Nous atteignons pourtant la
plage en face de la maison ruinée du mission
naire. Atamon était accouru nous recevoir avec
quelques sauvages de figure inconnue, et je fais
parmi eux l’acquisition d’un petit dieu coiffé de
plumes noires. Je mène J... voir l’antique Moraï,
auquel nous devons, dans l’après-midi, enlever ses
statues; les in ligènes organisent une danse géné
rale sur les vieilles pierres du cromlech, et nous
croyons voir une légion de farfadets.
En nous rendant au village, nous rencontrons
plusieurs amis qui nous arrêtent; c’est le vieux
chef, accroupi dans un creux de rocher et qui mar
motte des phrases inintelligibles ; plus loin, la
chefesse et sa fille, occupées à arracher des patates
douces» Tout le monde nous tend les mains en
disant: ya oranatays (toujours amis).
Je meurs d'envie de posséder une de ces coif
fures en plumes noires que portent les chefs; il
faut faire des recherches, et Pétéro me présente
dans plusieurs tanières où sont accroupis des
vieillards tatoués, immobiles comme des momies
et qui paraissent ne s’apercevoir en rien de ma
présence; l’un d’eux, cependant, travaille ; il arra
che les dents à une mâchoire humaine pour re
mettre un œil d’émail à son idole. Il y a là plu
sieurs coiffures très-belles, mais ces messieurs en
demandent des prix fous ; mon pantalon de toile
blanche, ma veste de midship, avec ses attentes
et ses galons (l’argent est inconnu à l’île de Pâ-
ques), c’est décidément trop cher; il faut y re
noncer.
Nous poussons jusqu’à la demeure d’Adam
Smith, le vieux Danois. Cette maison est nue an
cienne demeure des missionnaires et la seule qui
ne soit pas ruinée. Elle est grande, entourée d’un
jardin et d’une véranda de boucinganatias.
L’épouse morganatique nous aperçoit par la
fenêtre; elle se dépêche de passer sa robe jaune
et s’entortille dans sa couverture rouge ; après
quoi, elle vient nous recevoir en souriant et nous
fait plusieurs petites mines gracieuses. Son maître
et seigneur est absent, mais elle nous apporte une
gargoulette d’eau douce, ce qui est dans le pays
une chose très-précieuse; on n’en trouve qu'après
les grandes pluies, dans certaines mares du cra
tère de Ranokan.
Les indigènes la conservent dans des gourdes
où elle fermente, et ces pauvres gens, qui se bour
rent de lichen et de patates douces, sont souvent
obligés de se priver de boire.
Un grand registre était ouvert devant moi sur
une table; en y jetant les yeux par distraction, j’y
lus quelques phrases anglaises.
C’était le journal particulier du Danois. Il y
écrivait chaque jour ses impressions, ses difficul
tés avec les naturels, toutes les circonstances de
sa vie singulière.
Au retour, plusieurs naturels s’obstinent à nous
vendre des lapins; c’est là un des plus sérieux dé
sagréments du pays; chacun des naturels élève
dans sa ceinture plusieurs de ces animaux et tour
mente les étrangers pour les lui acheter. Un lapin
pour une épingle; c'est le tarif que les matelots
ont établi.
Nous rentrons à bord, où l’amiral m’attend avec
impatience pour m’envoyer prendre un dessin
exact de la statue avant son enlèvement; il désire
envoyer ce dessin au ministère. 4
Cependant tous les préparatifs faits, la cha
loupe parée, nous partons avec cent hommes
pour aller chercher le colosse. M. Rodolphe, lieu
tenant de vaisseau, commande l’expédition.
La chaloupe très-chargée a du mal à passer les
brisants et finit par s’amarrer dans une position
convenable;, les indigènes s’étaient réunis en
foule sur la plage et poussaient des cris perçants;
on avait répandu la nouvelle de l’enlèvement de
la statue, et ils étaient accourus de toute part
pour assister à la cérémonie; il en était venu
même de ceux qui habitent la baie de la Pérouse,
de l’autre côté de l’île; aussi voyons-nous beau
coup de figures nouvelles.
Les cent hommes de M. Rodolphe se rendent
au Moraï en bon ordre et au pas, les clairons
sonnant la marche; ce bruit insolite met les indi
gènes dans un état indescriptible.
Quelle scène au Moraï! Les sauvages, entraî
nés par l’exemple, se montrent aussi vandales
que nous...
Au bout d’une heure tout était bouleversé, les
statues brisées, chavirées, et on ne savait pas en
core laquelle aurait l’honneur de se voir couper
la tête pour aller figurer au Louvre, entre les di
vinités égyptiennes et celles d’Assyrie.
Les sauvages entremêlaient leur affreuse be
sogne de danses et de cris qui n’avaient rien d’hu
main... Mais debout et à l’écart se tenait un vieux
chef, la tête hérissée de plumes noires, il con
templait avec tristesse cette scène de destruction.
Lui seul, sans doute, avait conservé le respect
des choses sacrées.
La statue choisie est couchée la tête en bas, le
visage dans la terre; elle cède aux efforts des le
viers, tourne sur elle-même et retombe brusque
ment sur le dos. Sa chute est le signal d’une danse
générale; les sauvages sautent comme des fous
sur la figure et le ventre de la statue, et gamba
dent en poussant vers le ciel mille cris frénétiques.
Ces vieux morts des races primitives, depuis qu’ils
sont endormis dans leur Moraï, n’ont jamais en
tendu pareil vacarme... si ce n’est celui qu’ont dû
faire leurs statues quand elles sont tombées de
vieillesse, une à une, le nez contre terre.
Ayant terminé mes croquis pour l’amiral, je re
pris avec Atamon le chemin du village ; j’y re
trouvai Nouga, qui travail 1 ait avec ardeur à me
confectionner cette couronne de plumes noires si
enviée, et qu’il me livra le soir même.
Pendant que j’attendais, le vieux chef de Rapa-
Nui me montra d’un air engageant une poussière
noire qu’il tenait enveloppée dans un étui de
feuilles mortes et qu’il appellait Talon. C’é’ait
de la poudre pour tatouer en bleu, et il me pro •
posa de me faire un léger tatouage, opération
douloureuse qui n’eut pas l’avantage de me tenter.
Je rentrai à bord à cinq heures, portant en
triomphe ma coiffure de plumes noires et une
autre de plumes blanches qui excitèrent l’admira
tion générale.
Après dîner, le commandant de L... me proposa
de le suivre le lendemain matin à une excursion
qu’il projetait de faire au cratère de Rano-Ra-
roku, situé à six lieues de la baie de Cook, de
l’autre côté de l’île.
(6 janvier). Notre petite expédition se met en
marche à quatre heures; nous atteignons la plage
avant le jour dans la baie de Cook; du côté du
village, on aperçoit quelques feux dans l’herbe;
le ciel est entièrement couvert; à l'Orient, une
déchirure dans les nuages laisse voir la teinte
jaune pâle qui précède le lever du soleil; nous
passons près de Moraï, dont l’aspect est sinistre.
Le vieux Danois, qui devait nous servir de
guide et s’était engagé à nous attendre sur le
bord de la mer, n'est pas à son poste; aussi mar
chons-nous en avant dans l'herbe mouillée; au
bout d’une demi-heure, la mer et la frégate ont
disparu derrière les replis du terrain; nous nous
enfonçons dans cette partie de l’île que couvre sur
la carte des missionnaires le mot Tekanhangearu
écrit en grosses lettres de la main de l’évêque de
Tahiti. Tekanhangearu est le plus ancien des
noms que les indigènes donnèrent à leur île.
Au temps même où la- population était nom
breuse, ce territoire central était inhabité. Quel
étrange pays... Nous traversons des plaines déso
lées, couvertes d’une quantité innombrable de
petites pyramides de pierre; on dirait un cime
tière immense.
Il pleut, le jour se lève, mais le temps est très-
sombre; l’horizon est toujours borné par des cra
tères qui ont tous la même forme conique, la
même teinte uniforme. Les pyramides que nous
rencontrons à chaque pas sont composées de
pierres brutes, simplement posées les unes sur
les autres; le temps les a rendues noires; elles
paraissent être là depuis des siècles.
Nous sommes jusqu’aux genoux dans l’herbe
mouillée; cette herbe est toujours la même; elle
couvre l’île dans toute son étendue; c’est une
sorte de plante rude, à tiges ligneuses, d’un vert
grisâtre, couvertes d’imperceptibles fleurs vio
lettes ; il en sort des milliers de ces petits insectes
qu’on appelle en France des éphémères.
Nous traversons une vallée où la végétation est
un peu moins triste; il y croît des cannes à sucre
sauvages, quelques maigres broussailles de Mi
mosa, de Bouraas et de Mûriers à papier. L’ab
sence complète des arbres à l’île de Pâques est
d’autant plus singulière que tout atteste des traces
d’une végétation détruite... Viaud.
[La fin prochainement.)
BIGARRURES ANECDOTIQUES
LITTÉRAIRES ET FANTAISISTES
AAA La mode revient des aiguillettes sur l’é
paule parmi les Parisiennes. C’est le moment de
rappeler qu’un avocat général du xvi e siècle ,
Étienne Pasquier, donne, dans ses Recherches, un
petit renseignement de nature à discréditer un
peu, ce nous semble, cette fantaisie de nos élégan
tes. Oyez donc :
On voulut que les femmes publiques eussent quelque
signal sur elles pour les distinguer et reconnaître d’avec
le reste des prudes femmes, qui fut de porter une es-
guillette sur l’épaule...
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.42%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 88.42%.
- Collections numériques similaires Bibliographie de la presse française politique et d'information générale Bibliographie de la presse française politique et d'information générale /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BIPFPIG00"L'Écho de Vésone : bulletin de la Dordogne /ark:/12148/bd6t550152097.highres Le Nontronnais : journal de la Dordogne paraissant le samedi : littéraire, administratif, commercial et d'annonces ["puis" journal républicain du dimanche "puis" organe hebdomadaire du Parti radical et radical-socialiste de l'arrondissement] /ark:/12148/bd6t55035813r.highres
- Auteurs similaires Sorbets Gaston Sorbets Gaston /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Sorbets Gaston" or dc.contributor adj "Sorbets Gaston")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 7/15
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bd6t51385260m/f7.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bd6t51385260m/f7.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bd6t51385260m/f7.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bd6t51385260m/f7.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bd6t51385260m
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bd6t51385260m
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bd6t51385260m/f7.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest