Le roman épistolaire

Copie calligraphiée pour la Maréchale de Luxembourg

Le roman au XVIIIe siècle s’appuie souvent sur une légitimation par la réalité d’une confidence, d’un récit ou d’une tradition. Dans le roman épistolaire, échange de lettres écrites à la première personne, le héros assume les éléments de la narration en les organisant et en les jugeant a posteriori de l’histoire vécue. L’auteur contrôle l’ensemble. Description, analyse et satire en font tout le charme.

L’échange épistolaire entre des voyageurs étrangers et leurs amis restés au pays est un artifice littéraire qui permet une mise à distance. Ainsi Montesquieu peut-il faire une critique amusée et féroce de la société française avec les Lettres persanes, dans lesquelles Usbek et Rica observent les mœurs et les coutumes de la Régence. Ce subterfuge trouve nombre d’imitations avec des Lettres turques, Lettres juives, Lettres iroquoises… Sorte de Lettres persanes au féminin, les Lettres d’une Péruvienne, de Mme de Graffigny, apportent le mythe d’un équilibre retrouvé, malgré les déboires de la sensibilité.

Directement inspiré des romans épistolaires sentimentaux de Samuel Richardson, Julie ou La Nouvelle Héloïse, publiée en 1761, vaut à Rousseau un immense succès. Une lettre, adressée par l’héroïne à Saint-Preux, son amant, pour lui annoncer son mariage et sa conversion, est la clé de voûte du roman. Défendant le sentiment religieux contre l’athéisme, Rousseau y développe des thèmes qu’il reprendra dans ses œuvres politiques. C’est aussi un magnifique récit de conversion d’une douloureuse intensité. Cette forme mêlant amour et philosophie permet à l’auteur d’évoquer des souvenirs personnels loin de la théorie. Contre les dogmes de l’Église, Rousseau croit à une nature bonne par essence et, contre les Lumières, qui s’érigent en nouveau dogme, il accuse un progrès qui n’est que matériel et intellectuel, dénonçant la collusion entre le travail rationnel et le fossé social.

Dans un tout autre registre épistolaire, la correspondance libertine, Choderlos de Laclos s’illustre avec Les Liaisons dangereuses, roman paru en 1782. Le groupe de personnages appartient au milieu aristocratique, avec deux meneurs de jeu : le comte de Valmont et la marquise de Merteuil, anciens amants qui tentent de manipuler leurs semblables par des stratégies de séduction et de corruption. Ils seront finalement les principales victimes de leurs stratagèmes, laissant une place à la morale au milieu d’un cynisme qui suscite l’admiration d’un large public.
Le roman épistolaire au XVIIIe siècle permet donc beaucoup d’audace aux amateurs de controverses. La fiction amoureuse se transforme en enseignement civique et moral.

EN SAVOIR PLUS
> Montesquieu, Lettres persanes, 1721
> Mme de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne, 1747
> Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse, 1761
> Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782