À propos de l’œuvreÉmilie Pézard

Le baron de Sigognac

Amour, épées et planches de théâtre

Issu d’une grande famille aujourd’hui ruinée, le baron de Sigognac vit misérablement dans son château décrépit avec son vieux domestique et quelques animaux de compagnie. Un soir, il donne l’hospitalité à une troupe de comédiens ambulants, et, tombé amoureux d’Isabelle, l’ingénue de la troupe, il repart avec eux le lendemain sur les routes. La mort du Matamore dans une tempête de neige le pousse à endosser le rôle du Capitaine Fracasse, un des bravaches de la Commedia dell’arte. Mais Sigognac doit affronter le duc de Vallombreuse, qui veut séduire Isabelle. Duel, tentative d’assassinat, enlèvement, batailles : ces péripéties s’achèvent avec une scène de reconnaissance où il s’avère qu’Isabelle est la sœur du duc. Vallombreuse peut alors donner la main d’Isabelle, jeune fille noble, à Sigognac. Les deux époux retournent vivre dans le château de la misère, devenu « le château du bonheur ».
Le dénouement initialement prévu par Gautier différait du tout au tout de la fin effectivement écrite : Sigognac devait rentrer dans son château, plus seul et plus pauvre que jamais, et s’y laisser mourir. L’éditeur du roman refuse cette fin trop sombre, et Gautier accepte d’en donner une version plus heureuse : jusqu’à la dernière page, la fantaisie l’emporte sur la mélancolie.
 

Le Scapin, le Matamore et le Tyran

Un hommage aux « grotesques »

S’il est probable qu’à l’époque de sa conception, le roman a pu s’inscrire dans le sillage du goût romantique pour le roman historique (Walter Scott, Victor Hugo avec Notre-Dame de Paris), il ne constitue pas moins un projet personnel qui reflète les goûts esthétiques et littéraires de Gautier. Féru depuis l’adolescence de Villon, Rabelais et d’auteurs de la décadence latine, Gautier a découvert avec ravissement ces auteurs de la première moitié du XVIIe siècle auxquels il consacre une étude, Les Grotesques en 1844 : Saint-Amant, Théophile de Viau, Cyrano de Bergerac, Georges de Scudéry, Scarron. Le Capitaine Fracasse s’inscrit ainsi dans la lignée du Roman comique de Scarron, qui racontait déjà de façon plaisante les aventures d’une troupe de comédiens. On aurait donc tort de reprocher au roman ses invraisemblances ou le caractère stéréotypé de ces personnages : le burlesque ne craint pas la démesure.

 

Le Capitaine Fracasse

Faire revivre le passé

« C’est une œuvre purement pittoresque, objective, comme diraient les Allemands. […] Figurez-vous que vous feuilletez des eaux-fortes de Callot ou des gravures d’Abraham Bosse historiées de légendes. » Avec le modèle de ces deux graveurs du XVIIe siècle, le roman ne vise pas la vraisemblance historique, mais parvient cependant à restituer tout le charme d’une époque révolue. Les nombreuses descriptions élaborent des images vivantes et fourmillantes de détails des lieux et des hommes du passé. Les dialogues sont pleins d’une verve savoureuse. Gautier, qui rappelle dans son avant-propos que « quand [les personnages] parlent, ils emploient la langue de leur époque », reprend avec humour plusieurs langages du XVIIe siècle et offre notamment la parodie du style précieux.
 

Le Capitaine Fracasse

La vérité du théâtre, le jeu de la vie

Le critique Paolo Tortonese propose de lire le roman « comme une aventure des apparences », comme « une épopée humoristique de la fiction ». Il montre que Gautier crée un monde où la frontière est difficile à tracer entre l’illusion et la réalité : les personnages du roman sont des acteurs qui possèdent eux-mêmes toutes les caractéristiques de leurs rôles. Il n’est même pas sûr que l’illusion ne vaille pas mieux que la réalité, comme le montre la réaction du marquis de Bruyères qui a réussi à faire la conquête de Zerbine : « Il avait la femme, il regrettait la comédienne. […] Souvent c’est le masque qu’on préfère, encore que la figure soit jolie. » C’est la fonction même de l’art de mettre au jour cette vérité qui gît inaperçue dans les apparences.
 

 

Lire… et voir Le Capitaine Fracasse

À sa parution, le roman a remporté un vif succès — davantage encore que Les Misérables ! — et Gautier a reçu les témoignages admiratifs de ses pairs : « Quelle merveille ! », s’écrie Flaubert. Au XXe siècle, l’œuvre est restée très populaire, sans doute grâce aux adaptations qui en ont été tirées, d’abord pour le théâtre (en 1878, en 1890 et en 1972), ensuite pour le cinéma (films d’Abel Gance en 1952, de Pierre Gaspard-Huit avec Jean Marais en 1961, d’Ettore Scola en 1992). On peut cependant regretter qu’aujourd’hui, ce soit surtout en tant que roman pour la jeunesse qu’est lu, dans des éditions tronquées, ce beau roman qui cultive les plaisirs de l’imagination, du jeu et de l’écriture comme remède à la tristesse du réel.
 

 
Le Capitaine Fracasse, quadrille pour piano
Le Capitaine Fracasse, opéra-comique. Affiche
Le Capitaine Fracasse et ses aventures : imagerie populaire