À propos de l’œuvrePascale Hellegouarch’

Les trois états Selkirk : dégradation successive

En 1713, paraît le récit de l’Écossais Alexandre Selkirk, devenu marin pour fuir son microcosme et laissé seul dans une île pendant plus de quatre ans. Ce texte impressionne Defoe qui s’y retrouve et sera sans doute un élément déclencheur pour la genèse des Aventures de Robinson Crusoé. Defoe campe un personnage haut en couleurs, déterminé et aventurier qui très jeune commence à parcourir le monde : naufrage, capture par les pirates, emprisonnement, évasion, les péripéties s’enchaînent et, après un naufrage alors qu’il est en route vers le Brésil, il échoue seul à l’embouchure de l’Orénoque, sur une île déserte qu’il va baptiser Despair Island, l’île du désespoir. Il subvient à ses besoins, trouve une grotte puis construit un abri, fabrique un calendrier, pêche, chasse, élève des chèvres, cultive le blé, coud des vêtements. Son existence va changer lorsqu’il sauve un homme des cannibales qui voulaient le tuer : la conquête de l’autonomie s’enrichit alors d’un projet éducatif puisque Robinson enseigne à Vendredi – référence au jour du sauvetage donc de sa renaissance – l’anglais et le convertit au christianisme. Robinson et Vendredi, serviteur fidèle, vivront 28 ans sur l’île avant d’être secourus à la faveur d’une mutinerie dans un navire et de regagner l’Angleterre.

Au-delà des aventures, c’est un récit initiatique qui prend forme, souligné par une narration à la première personne. L’homme revenu à l’état de nature assume seul ses besoins mais il ne renonce ni à la richesse ni à la tentation de domination de l’autre car Robinson n’est pas un surhomme : c’est Vendredi qui devient son serviteur. Des thèmes récurrents du siècle des Lumières traversent ce roman : l’image de l’autre, l’ethnocentrisme, la religion, le pouvoir, la relation entre l’homme et la nature, le voyage comme découverte de soi… Defoe les explore et les met en scène dans un conte moral, suscitant interrogations et réflexions parallèlement à l’aventure. L’ouvrage connaît un immense succès, il est déjà traduit en plusieurs langues lorsque Defoe meurt en 1731. Son récit inspirera d’autres textes et sera même à l’origine d’un genre littéraire, la robinsnonade, dans laquelle s’inscrivent Le Robinson suisse de Johann David Wyss (1812), L’Île mystérieuse de Jules Verne (1874), Sa Majesté des mouches de William Golding (1954). Michel Tournier en 1967 reprendra l’argument dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique et en 1971 pour un deuxième volume Vendredi ou la Vie sauvage. Le livre sera plusieurs fois adapté au cinéma.

 
Je me vis possesseur d’un canot fort beau
J’avais revêtu mon grand costume
Vendredi fut épouvanté de nouveau