A propos de l'œuvreCharles-Eloi Vial

Prologue

Le sujet en lui-même n’était pas complètement nouveau : les tribus d’Amérique du Nord et du Sud avaient déjà fait l’objet de plusieurs récits, comme Les Incas de Marmontel (1778) ou le court roman Odérahi, publié anonymement en 1796. Cependant, à la parution d’Atala, les lecteurs furent d’abord frappés par la qualité pittoresque de l’écriture et par la puissance poétique des évocations des beautés de la faune, de la flore et des paysages de l’Amérique, qui valurent à l’auteur le surnom « d’Enchanteur ». La puissance des sentiments et le caractère dramatique de l’intrigue fascinèrent également les contemporains.

Au début du roman, le vieux chaman Chactas, devenu aveugle, confie à René, un Français recueilli par les Indiens, le récit tragique de sa jeunesse. L’histoire de Chactas, jeune guerrier indien de la tribu des Natchez, alliés aux colons espagnols contre les Muscogulges, commence avec l’évocation de la défaite de son clan, de sa capture et de son adoption par un vieil espagnol nommé Lopez, qui le recueille dans la ville de Saint-Augustin, dans l’actuelle Floride. Décidé à retourner à la vie sauvage après avoir refusé de se convertir au christianisme, Chactas quitte Lopez mais se fait bientôt capturer par les Muscogulges qui décident de le brûler en sacrifice. Il est libéré par Atala, la fille de Simaghan, le chef de la tribu, qui l’aide à s’enfuir. Les deux jeunes fugitifs tombent éperdument amoureux l’un de l’autre, mais à mesure qu’ils s’enfoncent dans les forêts de la Louisiane, Atala, qui semble peu à peu dépérir, refuse de se donner à Chactas. Elle lui parle de sa conversion à la foi chrétienne, et lui avoue être née des amours d’une indienne avec un Espagnol, ce même Lopez qui avait secouru et adopté Chactas. Cette découverte les rapproche, au point qu’Atala semble sur le point de céder aux avances de son soupirant. Par une nuit d’orage, Chactas et Atala arrivent dans un village isolé, où ils sont secourus par le père Aubry, un missionnaire français qui dirige une petite communauté d’indiens convertis au christianisme. Chactas, convaincu par le prêtre, promet de se convertir pour épouser Atala et couler avec elle des jours heureux dans ce petit village, mais son bonheur n’est que de courte durée : Atala a secrètement avalé du poison. Elle avoue au père Aubry que, vouée depuis l’enfance à la religion par sa mère, elle a fait vœu de chasteté et de célibat et que, tourmentée par son amour pour Chactas, elle a préféré se suicider plutôt que de manquer à sa promesse. Le religieux blâme sa conduite, car il aurait suffi qu’Atala demande à être relevée de ses vœux par l’évêque de Québec pour en être libérée. Il pardonne cependant à Atala, qui ignorait que le catholicisme condamne le suicide et a donc péché par ignorance. Après une émouvante scène d’extrême-onction et de tristes funérailles, Chactas reprend la route à la recherche de sa tribu d’origine, non sans avoir promis de se convertir un jour au christianisme. Pour oublier la mort de sa bien-aimée, il passe le reste de sa vie à combattre et à voyager, finissant même par être reçu à la cour de Versailles. 

 
Première rencontre entre Atala et Chactas
Fuite de Chactas et Atala
Les funérailles
 

Court roman d’amour au dénouement tragique, Atala connaît également un triste épilogue : le vieux Chactas, qui avoue ne s’être toujours pas fait baptisés, raconte à René la triste fin du père Aubry et de ses ouailles, torturés et brûlés par une tribu ennemie quelques années après la mort d’Atala. La morale de l’histoire est complexe : Chateaubriand veut montrer les mœurs des sauvages sous un jour positif, mais ses personnages principaux ont tous deux connus la culture européenne et la morale chrétienne, tandis que les autres Indiens décrits dans le roman semblent adopter des coutumes barbares comme les sacrifices humains ou la profanation des sépultures. Il cherche à dépeindre un amour pur et partagé, mais Atala, fille naturelle de Lopez, et Chactas, adopté par ce dernier, ont tous les deux le même père, ce qui fait planer sur leur amour l’ombre de l’inceste. Leur histoire trouve son dénouement en une dramatique scène de suicide, mais celui-ci est pardonné, accepté et accompagné par un religieux. Malgré ces quelques ombres, l’amour de Chactas et d’Atala, par la pureté et la simplicité des sentiments qu’il exalte, semble transcender tous les interdits.