À propos de l'œuvre

Les caractères

La Bruyère observe admirablement les caractères, et c'est dans l'art du portrait qu'il excelle. Dans ses Caractères, l'humour, la finesse, le burlesque ou la satire, voire parfois une indulgence amusée, sont mis au service d'un œil perspicace. Sa liberté de ton et son regard suffisent à faire comprendre quels sont le suffisant Arsène, le pédant Théocrine, le richissime Philémon, l'égoïste Gnathon, le goinfre Cliton, l'efféminé Iphis, et tant d'autres.
L'auteur dénonce ainsi les abus du pouvoir, les égarements de la Cour et de ceux qui la font, ou la fausse dévotion, et personne n’échappe à son regard aiguisé. Les portraits allient physique et moral, et, par leur brièveté, ils visent avant tout des stéréotypes qui se rapprochent parfois de la caricature. Acis par exemple est un courtisan, précieux et servile, qui s’étourdit dans la vacuité d’un langage inutilement contourné ; Arias « a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se donne pour tel », le portrait s’employant à démontrer la présomption et l’absurdité de telles affirmations ; Ménalque quant à lui promène sa distraction dans les rues et à la Cour, s’associe aux moqueries qu’il provoque et s’égare dans sa propre maison.
Si l’ironie est bien présente au fil de ces portraits, l’objectif de La Bruyère est de dresser un portrait de son époque, de ses travers et de ses absurdités, et d’amener par le rire ses contemporains à corriger leurs mœurs : son projet tel qu’il le présente dans la préface est donc à finalité didactique. À une autre échelle, se dessine aussi un tableau plus universel des grandeurs et des misères de l’Homme, tissé de contradictions, capable du pire et du meilleur.

« Corneille peint les hommes comme ils devraient être ; Racine les peint tels qu’ils sont. »

La saga éditoriale de ce volume, qui connaît 8 éditions revues et augmentées du vivant de son auteur, donne la mesure de son immense succès. 
Enrichi et complété au fil des éditions, le recueil est le travail d’une vie – 420 remarques en 1688, 1120 en 1694 – et la seule œuvre que La Bruyère ait publiée : il travaillait encore à la neuvième édition, posthume, au moment de sa mort en 1696.