Titre : La Guêpe : journal paraissant le dimanche / directeur Ch. Riaux
Éditeur : [s.n.] (Alger)
Date d'édition : 1892-02-14
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32896221v
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 100 Nombre total de vues : 100
Description : 14 février 1892 14 février 1892
Description : 1892/02/14 (N5). 1892/02/14 (N5).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k964465k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-6803
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 25/06/2013
Première Année. N° S. DIX CENTIMES Dimanche 14 Février 18ÎI2
ADMINISTRATION RÉDACTION ET PUBLICITÉ
7, RUE DE JOINVILLE, 7. — ALGER.
UN NUMÉRO CHAQUE DIMANCHE
DERNIÈRE MÉTAMORPHOSE
Aux personnes que ma nouvelle transforma
tion surprendrait, je répondrai deux choses :
d’abord, qu’elles ont bien tort de s’étonner d’un
fait de minime importance, alors que d’autres
véritablement sérieux passent inaperçus; ensuite,
que les lois naturelles ne sauraient être trans
gressées. Une de ces lois veut que les guêpes,
avant de devenir ces insectes ailés, finis, dont la
piqûre toujours redoutée est souvent dangereuse,
passent par plusieurs états intermédiaires : de
vers microscopiques entérinés dans l’œuf pres
que invisible, elles deviennent larves et pren
nent enfin la forme définitive qu’elles conser
veront leur vie durant.
Pourquoi aurais-je échappé à ces métamor
phoses fatidiques qui m’ont faite telle que je me
montre aujourd’hui et qu’on me verra toujours?
Je suis une guêpe comme les autres, ni meil
leure ni plus mauvaise, destinée à voltiger de
droite, de gauche, piquant les fâcheux et les mé
chants. Il est une seule exception que la Nature
ait faite en ma faveur ; la bonne Dame m’a oc
troyé le don de longue et joyeuse vie. puisse t elle
en avoir agi de même avec vous, aimables lec
trices et chers lecteurs.
La Guêpe.
ON DEMANDE DES DISTRACTIONS
Je m’imagine Alger sous la forme horrifique-
ment abracadabrante d’un épouvantail à Bar-
nums.
Je ne sais pas en effet de ville au monde d’où
s’éloignent avec un plus systématique effroi tous
les exploiteurs des curiosités qui fourmillent en
cette terre faite par nous si étrange, curieuses par
leur rareté, leur originalité ou leur imbécilité. Ils
semblent — ces exploiteurs — s’être entendus
dans une internationale conspiration pour vouer
au mortel ennui cette malheureuse Alger, cité
dont le climat et l’aspect sont faits pour engen
drer l’amour du rire et du batifolage.
Ennui mortel et réfrigérant aussi, car n’est-ce
pas depuis que l’on ne s’amuse plus ici que les
hivers y sont devenus incléments et bientôt insup
portables ?
Allez... n'importe dans quel endroit raisonna
blement habité, vous y trouverez multipliés —
quelquefois mais rarement à l’excès —- casinos,
cercles, cirques, cafés-concerts, théâtres, panora
mas et autres établissements de distractions et
gais loisirs, et à Alger ? pas ça !
Ah 1 si, il y a un théâtre, fort justement quali
fié de municipal, car il a exactement la même
valeur que le conseil son parrain, mais il n’y a
qu’un théâtre. Or, entendre toujours chanter mal
ou faux, cela devient fastidieux et du reste impos
sible en cette époque d’étonnante diversité des
occasions de se réjouir et faire du bon sang —
aux dépens d’autrui souvent — mais la vie n’est-
elle pas un incessant échange de procédés ? diver
sité tellement merveilleuse que s’il fallait à un
homme les voir défiler sans d’attristantes inter
ruptions, il deviendrait fou et en peu de temps
mourrait d’inextinguibilité rieuse.
Les hommes et les choses prêtent si facilement
à rire !
La population algérienne aime beaucoup à
s’amuser et ne se fait aucunement prier pour
délier les cordons de sa bourse quand on ne pré
tend pas exlravagamment exploiter cet amour des
plaisirs, soit par l’exhorbitance des prix ou par
l’exagération dans le mauvais des spectacles qu’on
lui offre.
Et si quelques-uns ont fait de mauvaises affai
res, c’est plutôt à eux-mêmes qu’ils doivent s’en
prendre qu’à l'indifférence des habitants d’Alger.
Ce n’est pas tout que de vouloir distraire les
hommes — y compris les femmes ce qui n’est
pas si facile que l’on croit— il faut encore savoir
choisir ses distractions.
La sagesse des nations — qui n’est en somme
que celle des hommes, puisque ce sont les hom
mes qui composent les nations, a édicté plu
sieurs sentences pour dire succintement ce que
j’ai à peine expliqué avec tant de' mots : Il ne
faut jamais vouloir... renifler plus haut que son..,
nez ; à chacun son métier, les troupeaux seront
bien gardés : qui trop embrasse mal étreint et
d’autres Si les personnes venues parmi nous avec l’idée
de nous distraire et l’espoir de tirer profil de
leurs efforts charitables ont fait de mauvaises
affaires, ce dont je les plains de tout mon cœur,
c’est qu’elles n’avaient pas suffisamment médité
sur ces proverbes.
Amuser les hiverneurs, c’est 1res beau, mais
un comité qui mettrait tout en œuvre pour offrir
des distractions aux véritables habitants d’Alger
serait beaucoup plus sympathique et utile que
n’importe quel autre, d’autant mieux que ces
distractions serviraient à tous.
Mais que faire quand on a des conseillers qui
ne peuvent se regarder sans bailler et crier d’en
nui, valant moins que les augures antiques les
quels au moins riaient lorsqu’ils se trouvaient
entre eux.
Joli mois de Mai, quand viendras tu ?
Cette absence totale de choses distrayantes est
d’un eilet désastreux sur la conduite et sur les
mœurs.
On ne sait que faire de son temps quand on
en a un peu à soi, alors on va au café, ce qui est
abrutissant et bien plus coûteux qu’on ne se
l’imagine, où l’on coure les femmes, pas les faci
les, car celles qui le sont le sont beaucoup trop
pour servir à autre chose qu’un déversement de
trop plein, mais les autres, celles dont la con
quête donne de la peine, exige des elforls, une
constance qui à eux seuls sont déjà un plaisir.
Résultat : cette réputation de légèreté laite aux
algériennes qui ne valent pourtant pas moins que
leurs sœurs des autres pays.
Que voulez-vous ? Est-ce de leur faute à nos
adorables payses, si leurs bouches ouvertes en un
long bâillement se referment sur (je masculines
lèvres et amoureuses, quelquefois féminines ?
Ah ! que je m’ennuie, disent elles !
Ali ! que je vous aime, leur répond-on !
Car elles s’ennuient aussi, les pauvrettes, et
les hommes, qui sont des coquins, cl se trouvent
dans la même situation les prient d’essayer si
l’union de deux ennuis n’engendrera pas un joli
plaisir. Elles engendrent bien autre chose aussi,
ces sortes d’union !
Donc, Alger demande des distractions. Et
comme elle manque un peu d’initiative, c’est à
ceux qui l’ont prise en garde de s’ingénier à la
satisfaire, non qu’on* leur demande d’organiser
eux-mêmes des plaisirs — que celte tache
serait en beaucoup de cas plus utile que celle
qu’ils remplissent — mais de donner à ceux que
tenteraient celte entreprise toutes facilités pour y
réussir, même pécuniaires.
On subventionne tant de choses inutiles ?
Ch. RIAUX.
UNE INNOVATION
Désireux de rendre notre journal aussi attrayant
que possible, nous donnerons à partir de dimanche
prochain, des Instantanés avec portraits en gravure,
dans le texte. Nous ne négligerons du reste rien pour
nous attirer et nous maintenir la sympathie de nos
lectrices yt lecteurs, et pour arriver à faire de
LA GUEPE, qui paraîtra désormais régulièrement,
un journal amusant et intéressant.
Le Photographe.
ECHOS DE LA SEMAINE
Si j’étais Roi est un titre trop dubitatif pour
certaines personnes qui ont trouvé bon de le
remplacera la représentation de jeudi parmi
autre plus affirmatif : Nous sommes rois et ils
l’ont immédiatement prouvé en se mettant je ne
sais combien pour abîmer un confrère venu au
théâtre avec l’intention d’entendre chanter et que
ces quelques personnes incorrectes assourdis
saient de leurs-bavardages idiots.
Lorsque l’on a envie de faire son perroquet, on
va s’asseoir à côté des ouvreuses ou se promener
vLuia les couloirs.
Si comme on me l’affirmé, ce sont les sieurs
M... qui ont donné le signal de cctle lâche agres
sion, je ne les en félieile pas, car ce n’est pas en
se montrant aussi incorrects qu’ils arriveront à
faire oublier leur conduite dans d’autres circons
tances.
Je 11e sais ce que j’ai le plus admiré à la soirée
théâtrale de mardi : de Mlle Courjon, la toujours
gracieuse cl suggestive petite femme dont le sou
rire est si étrange, ou de l’exquise toilette arbo-
îéc par l’ancienne étoile des Nouveautés. Ah ! les
troublants coins de chair parfumée que le cor
sage écliancré laissait apercevoir.
Les habitants de Biskra sont bien heureux. Ils
oui un casino avec jeux de toutes sortes et vien
nent d’être gratifiés un tir aux pigeons.
La relue du désert dégomme par sa magnifi
cence la reine du littoral. Nous avons cependant
bien aussi un tir aux pigeons, mais les femmes
seules dites les — (Voleuses — peuvent être
admises comme tireuses. Cependant quelques
hommes dépourvus de préjugés ne se gênent pas
pour y aller de leur trous de balles.
Nous avons chaque hiver au Théâtre municipal
deux bals vraiment bien : celui du Stand n’esl
plus qu’un gracieux souvenir déjà ancien, le
deuxième a été donné cette semaine par les étu
diants. J’avoue préférer ce — deuxième. Les or
ganisateurs, tous jeunes, enthousiastes de rires cl
de danses, apportent eux-mêmes l’entrain sans
lequel nulle fête n’est digne de ce nom, el que
j’ai fort admiré mercredi dernier.
Au nom de vos invités, merci à vous tous, fu
turs avocats, médecins et autres, qui vous êtes
ingéniés à leur faire passer une inoubliable soirée.
Merci encore, mais par anticipation, pour le
bal travesti que vous préparez, m’a-t-on affirmé,
et qui portera à son apogée l’allégresse joyeuse
des heureux el surtout des heureuses que vous
convierez à cette nouvelle fête.
-Afè3
Le processif Guillicn est plongé dans le papier
timbré jusqu’au cou. G est du reste un peu son
habitude et il ne faut pas désespérer de le voir
prochainement se noyer dans les (lots de ses
parchemins judiciaires.
Cette mort ne serait pas un accident, mais un
suicide, puisque le défunt aurait lui-même dé- i
chaîné les éléments qui l’auraient englouti. Acci
dent ou suicide, faudrait-il déplorer l'événement ?
Connaissez-vous les — deux dames parfumées
— ? C’est Fifine et Marie-Jeanne qu’un spirituel
abonné désigne sous celte gracieuse appellation.
Ellesla méritent. Est-ce naturel ? est-ce artificiel ?
Mais toujours est il que lorsqu'elles viennent
occuper leurs fauteuils au balcon, l’odorat des
spectateurs voisins est délicieusement chatouillé.
Mais qu’est donc allé faire à Üran la séduisante
Marie-Jeanne, assez dure pour délaisser ses nom
breux amis ?
A signaler l’apparition d’une nouvelle et en
core peu brillante étoile. Elle a filé de Mostagancm
pour venir se fixer dans l’hospitalière ville d’Al
ger ou tant d’autres brillent déjà mais qu’elle
parviendra à éclipser, car elle possède ce qui
manque à la plupart de scs rivales : la jeunesse et
une joliesse de traits qui vaut beaucoup mieux
que certaines beautés trop vantées.
Mais il faut vous débrouiller, ma petite, si vous
voulez devenir de première grandeur.
Petit dialogue entre un monsieur et une dame
excessivement décolletée entendu au Bal des Etu
diants.
— Si j’osais, chère madame, comparer vos
épaules à des violetles...
— Osez donc, je vous en prie, osez.
— Je dirais qu elles en ont le parfum sans en
avoir la modestie.
La Guêpe.
\
REDACTEUR EN CHEF : CH. RIAUX
Abonnement : Un an, 6 fr.
AUX ENCHÈRES
Figurez-vous une affreuse mégère et vieille,
cassée, ridée, édentée, possédant le plus mer
veilleux joyau que l’on puisse rêver : une fille de
seize ans, dotée des plus insignes faveurs par la
tant douce Vénus, la reine de toutes beautés. Je
vois encore ses yeux aux reflets verdoyants ca
chés par l’abaissement de longs cils, non pas
noirs, blonds non plus, mais de celte teinte chau
dement cendrée que l’on admire sur la 1 oison de
quelques chattes précieuses, rendant fous tous
les donneurs de sérénades nocturnes el grands
troubleurs du sommeil bourgeois, sa bouche si
exquise, et fraîche, cl colorée, que volontiers
quand elle passait par dessous les grands arbres
feuillus les moineaux gourmands seraient venus
la becqueter, et son oreille si fine et gracieuse
ment découpée, et sa chevelure de même teinte
([ue les cils plus foncée seulement, et sa taille à
faire mourir d’envie les brillantes libellules qui
voltigent de par les nénuphars et les feuilles des
saules trempant leurs pointes dans l’eau claire,
cl scs pieds menus, et son sourire.... oh ! son
sourire !
Célèbres dans Alger la mère et la fille : la fille as
sez belle pour empêcher les hommes de fuir devant
la laideur de lanière. C’était spectacle singulière
ment curieux, le dimanche,- à la sortie de la
messe, de tous les hommes, depuis des éphèbes
encore imberbes jusqu’à des vieux aux genoux
tremblants, se presser, semblables aux chiens
affamés d’amour trottant après la femelle en fu
rie, autour des deux femmes, et déserter, pour
voir la plus jeune, toutes les promeneuses d’onze
heures rageant de cet abandon insoucieux de
leurs toilettes et de leurs tortillements si soi
gneusement étudiés pendant la semaine.
Mais elles passaient, la mère et la fille: la fille,
sans un seul instant relever ses longs cils à tra
vers lesquels clic voyait tout cependant, la mère
rabattant son ombrelle on son parapluie sur la
main des trop entreprenants, en crachant à tra
vers les vides énormes de ses mâchoires des in
jures cinglant, pour la raviver, la paillardise des
mâles semblables aux chiens affamés d’amour.
*
* *
La fille était à vendre, comme la mère avait
été vendue. La mère el la fille attendaient des
offres, et pour elles, comme pour bien d’autres,
oli ! cela est sûr, les arcades de la rue Bab-Azoun
notaient que le marché où elles venaient écouter
les enchères. La tille avait trouvé dans son om
brelle un billet lui offrant mille francs, la mère
en avait reçu un dans la main qui offrait cin
quante louis. L’un de ces billets émanait d’un
homme très riche, grand broyeur de farines,
journaliste à ses heures, député en passant ; l’au
tre d’un bohème bizarre, assez riche parfois pour
entrer en lutte avec son rival d’amour, à d’au
tres moments tout à fait incapable de trouver
en scs poches assez d’argent pour arroser d’un fin
pomard son déjeuner dans le restaurant à la
mode.
Mille francs 1 G 'était à ce jour la plus forte of
frande, mais elle se produisait en double, La
quelle accepter ?
— J ai une idée ! dit la mère. Et se pen
chant....
-- Elle est bien bonne! répondit la fille.
Le soir, les deux concurrents étaient en pré
sence dans le taudis où rayonnait la désirable
beauté .
— Messieurs, leur dit la mère, vos offres me
mettent dans le plus grand embarras. Elles Bout
semblables, et je ne sais en vérité à qui de vous
deux donner ce trésor que je m'enorgueillis de
vous présenter comme ma fille,
La fille se montrait à ce moment, avec scs yeux
largement ouverts celle fois, pareils à deux ini-
loirs ardents où devait se consumer la raison do
ses adorateurs. Une jupe simplette et toute courte
montrait la naissance de sa jambe, ensorcelle
ment des sens, sur son buste d’où s’exhalait un
délicieux parlum de jeunesse un simple vêtement
de fantaisie fermé à la naissance du cou, mais ri
gidement soulevé par deux seins que l’on devi
nait parfaits, exquis, sous l’étoffe marquée en
relief de deux pointes. Sur ces pointes se rivèrent
aussitôt les yeux des deux hommes.
| —Alors, messieurs, reprit la mère, j’ai pensé
ADMINISTRATION RÉDACTION ET PUBLICITÉ
7, RUE DE JOINVILLE, 7. — ALGER.
UN NUMÉRO CHAQUE DIMANCHE
DERNIÈRE MÉTAMORPHOSE
Aux personnes que ma nouvelle transforma
tion surprendrait, je répondrai deux choses :
d’abord, qu’elles ont bien tort de s’étonner d’un
fait de minime importance, alors que d’autres
véritablement sérieux passent inaperçus; ensuite,
que les lois naturelles ne sauraient être trans
gressées. Une de ces lois veut que les guêpes,
avant de devenir ces insectes ailés, finis, dont la
piqûre toujours redoutée est souvent dangereuse,
passent par plusieurs états intermédiaires : de
vers microscopiques entérinés dans l’œuf pres
que invisible, elles deviennent larves et pren
nent enfin la forme définitive qu’elles conser
veront leur vie durant.
Pourquoi aurais-je échappé à ces métamor
phoses fatidiques qui m’ont faite telle que je me
montre aujourd’hui et qu’on me verra toujours?
Je suis une guêpe comme les autres, ni meil
leure ni plus mauvaise, destinée à voltiger de
droite, de gauche, piquant les fâcheux et les mé
chants. Il est une seule exception que la Nature
ait faite en ma faveur ; la bonne Dame m’a oc
troyé le don de longue et joyeuse vie. puisse t elle
en avoir agi de même avec vous, aimables lec
trices et chers lecteurs.
La Guêpe.
ON DEMANDE DES DISTRACTIONS
Je m’imagine Alger sous la forme horrifique-
ment abracadabrante d’un épouvantail à Bar-
nums.
Je ne sais pas en effet de ville au monde d’où
s’éloignent avec un plus systématique effroi tous
les exploiteurs des curiosités qui fourmillent en
cette terre faite par nous si étrange, curieuses par
leur rareté, leur originalité ou leur imbécilité. Ils
semblent — ces exploiteurs — s’être entendus
dans une internationale conspiration pour vouer
au mortel ennui cette malheureuse Alger, cité
dont le climat et l’aspect sont faits pour engen
drer l’amour du rire et du batifolage.
Ennui mortel et réfrigérant aussi, car n’est-ce
pas depuis que l’on ne s’amuse plus ici que les
hivers y sont devenus incléments et bientôt insup
portables ?
Allez... n'importe dans quel endroit raisonna
blement habité, vous y trouverez multipliés —
quelquefois mais rarement à l’excès —- casinos,
cercles, cirques, cafés-concerts, théâtres, panora
mas et autres établissements de distractions et
gais loisirs, et à Alger ? pas ça !
Ah 1 si, il y a un théâtre, fort justement quali
fié de municipal, car il a exactement la même
valeur que le conseil son parrain, mais il n’y a
qu’un théâtre. Or, entendre toujours chanter mal
ou faux, cela devient fastidieux et du reste impos
sible en cette époque d’étonnante diversité des
occasions de se réjouir et faire du bon sang —
aux dépens d’autrui souvent — mais la vie n’est-
elle pas un incessant échange de procédés ? diver
sité tellement merveilleuse que s’il fallait à un
homme les voir défiler sans d’attristantes inter
ruptions, il deviendrait fou et en peu de temps
mourrait d’inextinguibilité rieuse.
Les hommes et les choses prêtent si facilement
à rire !
La population algérienne aime beaucoup à
s’amuser et ne se fait aucunement prier pour
délier les cordons de sa bourse quand on ne pré
tend pas exlravagamment exploiter cet amour des
plaisirs, soit par l’exhorbitance des prix ou par
l’exagération dans le mauvais des spectacles qu’on
lui offre.
Et si quelques-uns ont fait de mauvaises affai
res, c’est plutôt à eux-mêmes qu’ils doivent s’en
prendre qu’à l'indifférence des habitants d’Alger.
Ce n’est pas tout que de vouloir distraire les
hommes — y compris les femmes ce qui n’est
pas si facile que l’on croit— il faut encore savoir
choisir ses distractions.
La sagesse des nations — qui n’est en somme
que celle des hommes, puisque ce sont les hom
mes qui composent les nations, a édicté plu
sieurs sentences pour dire succintement ce que
j’ai à peine expliqué avec tant de' mots : Il ne
faut jamais vouloir... renifler plus haut que son..,
nez ; à chacun son métier, les troupeaux seront
bien gardés : qui trop embrasse mal étreint et
d’autres
de nous distraire et l’espoir de tirer profil de
leurs efforts charitables ont fait de mauvaises
affaires, ce dont je les plains de tout mon cœur,
c’est qu’elles n’avaient pas suffisamment médité
sur ces proverbes.
Amuser les hiverneurs, c’est 1res beau, mais
un comité qui mettrait tout en œuvre pour offrir
des distractions aux véritables habitants d’Alger
serait beaucoup plus sympathique et utile que
n’importe quel autre, d’autant mieux que ces
distractions serviraient à tous.
Mais que faire quand on a des conseillers qui
ne peuvent se regarder sans bailler et crier d’en
nui, valant moins que les augures antiques les
quels au moins riaient lorsqu’ils se trouvaient
entre eux.
Joli mois de Mai, quand viendras tu ?
Cette absence totale de choses distrayantes est
d’un eilet désastreux sur la conduite et sur les
mœurs.
On ne sait que faire de son temps quand on
en a un peu à soi, alors on va au café, ce qui est
abrutissant et bien plus coûteux qu’on ne se
l’imagine, où l’on coure les femmes, pas les faci
les, car celles qui le sont le sont beaucoup trop
pour servir à autre chose qu’un déversement de
trop plein, mais les autres, celles dont la con
quête donne de la peine, exige des elforls, une
constance qui à eux seuls sont déjà un plaisir.
Résultat : cette réputation de légèreté laite aux
algériennes qui ne valent pourtant pas moins que
leurs sœurs des autres pays.
Que voulez-vous ? Est-ce de leur faute à nos
adorables payses, si leurs bouches ouvertes en un
long bâillement se referment sur (je masculines
lèvres et amoureuses, quelquefois féminines ?
Ah ! que je m’ennuie, disent elles !
Ali ! que je vous aime, leur répond-on !
Car elles s’ennuient aussi, les pauvrettes, et
les hommes, qui sont des coquins, cl se trouvent
dans la même situation les prient d’essayer si
l’union de deux ennuis n’engendrera pas un joli
plaisir. Elles engendrent bien autre chose aussi,
ces sortes d’union !
Donc, Alger demande des distractions. Et
comme elle manque un peu d’initiative, c’est à
ceux qui l’ont prise en garde de s’ingénier à la
satisfaire, non qu’on* leur demande d’organiser
eux-mêmes des plaisirs — que celte tache
serait en beaucoup de cas plus utile que celle
qu’ils remplissent — mais de donner à ceux que
tenteraient celte entreprise toutes facilités pour y
réussir, même pécuniaires.
On subventionne tant de choses inutiles ?
Ch. RIAUX.
UNE INNOVATION
Désireux de rendre notre journal aussi attrayant
que possible, nous donnerons à partir de dimanche
prochain, des Instantanés avec portraits en gravure,
dans le texte. Nous ne négligerons du reste rien pour
nous attirer et nous maintenir la sympathie de nos
lectrices yt lecteurs, et pour arriver à faire de
LA GUEPE, qui paraîtra désormais régulièrement,
un journal amusant et intéressant.
Le Photographe.
ECHOS DE LA SEMAINE
Si j’étais Roi est un titre trop dubitatif pour
certaines personnes qui ont trouvé bon de le
remplacera la représentation de jeudi parmi
autre plus affirmatif : Nous sommes rois et ils
l’ont immédiatement prouvé en se mettant je ne
sais combien pour abîmer un confrère venu au
théâtre avec l’intention d’entendre chanter et que
ces quelques personnes incorrectes assourdis
saient de leurs-bavardages idiots.
Lorsque l’on a envie de faire son perroquet, on
va s’asseoir à côté des ouvreuses ou se promener
vLuia les couloirs.
Si comme on me l’affirmé, ce sont les sieurs
M... qui ont donné le signal de cctle lâche agres
sion, je ne les en félieile pas, car ce n’est pas en
se montrant aussi incorrects qu’ils arriveront à
faire oublier leur conduite dans d’autres circons
tances.
Je 11e sais ce que j’ai le plus admiré à la soirée
théâtrale de mardi : de Mlle Courjon, la toujours
gracieuse cl suggestive petite femme dont le sou
rire est si étrange, ou de l’exquise toilette arbo-
îéc par l’ancienne étoile des Nouveautés. Ah ! les
troublants coins de chair parfumée que le cor
sage écliancré laissait apercevoir.
Les habitants de Biskra sont bien heureux. Ils
oui un casino avec jeux de toutes sortes et vien
nent d’être gratifiés un tir aux pigeons.
La relue du désert dégomme par sa magnifi
cence la reine du littoral. Nous avons cependant
bien aussi un tir aux pigeons, mais les femmes
seules dites les — (Voleuses — peuvent être
admises comme tireuses. Cependant quelques
hommes dépourvus de préjugés ne se gênent pas
pour y aller de leur trous de balles.
Nous avons chaque hiver au Théâtre municipal
deux bals vraiment bien : celui du Stand n’esl
plus qu’un gracieux souvenir déjà ancien, le
deuxième a été donné cette semaine par les étu
diants. J’avoue préférer ce — deuxième. Les or
ganisateurs, tous jeunes, enthousiastes de rires cl
de danses, apportent eux-mêmes l’entrain sans
lequel nulle fête n’est digne de ce nom, el que
j’ai fort admiré mercredi dernier.
Au nom de vos invités, merci à vous tous, fu
turs avocats, médecins et autres, qui vous êtes
ingéniés à leur faire passer une inoubliable soirée.
Merci encore, mais par anticipation, pour le
bal travesti que vous préparez, m’a-t-on affirmé,
et qui portera à son apogée l’allégresse joyeuse
des heureux el surtout des heureuses que vous
convierez à cette nouvelle fête.
-Afè3
Le processif Guillicn est plongé dans le papier
timbré jusqu’au cou. G est du reste un peu son
habitude et il ne faut pas désespérer de le voir
prochainement se noyer dans les (lots de ses
parchemins judiciaires.
Cette mort ne serait pas un accident, mais un
suicide, puisque le défunt aurait lui-même dé- i
chaîné les éléments qui l’auraient englouti. Acci
dent ou suicide, faudrait-il déplorer l'événement ?
Connaissez-vous les — deux dames parfumées
— ? C’est Fifine et Marie-Jeanne qu’un spirituel
abonné désigne sous celte gracieuse appellation.
Ellesla méritent. Est-ce naturel ? est-ce artificiel ?
Mais toujours est il que lorsqu'elles viennent
occuper leurs fauteuils au balcon, l’odorat des
spectateurs voisins est délicieusement chatouillé.
Mais qu’est donc allé faire à Üran la séduisante
Marie-Jeanne, assez dure pour délaisser ses nom
breux amis ?
A signaler l’apparition d’une nouvelle et en
core peu brillante étoile. Elle a filé de Mostagancm
pour venir se fixer dans l’hospitalière ville d’Al
ger ou tant d’autres brillent déjà mais qu’elle
parviendra à éclipser, car elle possède ce qui
manque à la plupart de scs rivales : la jeunesse et
une joliesse de traits qui vaut beaucoup mieux
que certaines beautés trop vantées.
Mais il faut vous débrouiller, ma petite, si vous
voulez devenir de première grandeur.
Petit dialogue entre un monsieur et une dame
excessivement décolletée entendu au Bal des Etu
diants.
— Si j’osais, chère madame, comparer vos
épaules à des violetles...
— Osez donc, je vous en prie, osez.
— Je dirais qu elles en ont le parfum sans en
avoir la modestie.
La Guêpe.
\
REDACTEUR EN CHEF : CH. RIAUX
Abonnement : Un an, 6 fr.
AUX ENCHÈRES
Figurez-vous une affreuse mégère et vieille,
cassée, ridée, édentée, possédant le plus mer
veilleux joyau que l’on puisse rêver : une fille de
seize ans, dotée des plus insignes faveurs par la
tant douce Vénus, la reine de toutes beautés. Je
vois encore ses yeux aux reflets verdoyants ca
chés par l’abaissement de longs cils, non pas
noirs, blonds non plus, mais de celte teinte chau
dement cendrée que l’on admire sur la 1 oison de
quelques chattes précieuses, rendant fous tous
les donneurs de sérénades nocturnes el grands
troubleurs du sommeil bourgeois, sa bouche si
exquise, et fraîche, cl colorée, que volontiers
quand elle passait par dessous les grands arbres
feuillus les moineaux gourmands seraient venus
la becqueter, et son oreille si fine et gracieuse
ment découpée, et sa chevelure de même teinte
([ue les cils plus foncée seulement, et sa taille à
faire mourir d’envie les brillantes libellules qui
voltigent de par les nénuphars et les feuilles des
saules trempant leurs pointes dans l’eau claire,
cl scs pieds menus, et son sourire.... oh ! son
sourire !
Célèbres dans Alger la mère et la fille : la fille as
sez belle pour empêcher les hommes de fuir devant
la laideur de lanière. C’était spectacle singulière
ment curieux, le dimanche,- à la sortie de la
messe, de tous les hommes, depuis des éphèbes
encore imberbes jusqu’à des vieux aux genoux
tremblants, se presser, semblables aux chiens
affamés d’amour trottant après la femelle en fu
rie, autour des deux femmes, et déserter, pour
voir la plus jeune, toutes les promeneuses d’onze
heures rageant de cet abandon insoucieux de
leurs toilettes et de leurs tortillements si soi
gneusement étudiés pendant la semaine.
Mais elles passaient, la mère et la fille: la fille,
sans un seul instant relever ses longs cils à tra
vers lesquels clic voyait tout cependant, la mère
rabattant son ombrelle on son parapluie sur la
main des trop entreprenants, en crachant à tra
vers les vides énormes de ses mâchoires des in
jures cinglant, pour la raviver, la paillardise des
mâles semblables aux chiens affamés d’amour.
*
* *
La fille était à vendre, comme la mère avait
été vendue. La mère el la fille attendaient des
offres, et pour elles, comme pour bien d’autres,
oli ! cela est sûr, les arcades de la rue Bab-Azoun
notaient que le marché où elles venaient écouter
les enchères. La tille avait trouvé dans son om
brelle un billet lui offrant mille francs, la mère
en avait reçu un dans la main qui offrait cin
quante louis. L’un de ces billets émanait d’un
homme très riche, grand broyeur de farines,
journaliste à ses heures, député en passant ; l’au
tre d’un bohème bizarre, assez riche parfois pour
entrer en lutte avec son rival d’amour, à d’au
tres moments tout à fait incapable de trouver
en scs poches assez d’argent pour arroser d’un fin
pomard son déjeuner dans le restaurant à la
mode.
Mille francs 1 G 'était à ce jour la plus forte of
frande, mais elle se produisait en double, La
quelle accepter ?
— J ai une idée ! dit la mère. Et se pen
chant....
-- Elle est bien bonne! répondit la fille.
Le soir, les deux concurrents étaient en pré
sence dans le taudis où rayonnait la désirable
beauté .
— Messieurs, leur dit la mère, vos offres me
mettent dans le plus grand embarras. Elles Bout
semblables, et je ne sais en vérité à qui de vous
deux donner ce trésor que je m'enorgueillis de
vous présenter comme ma fille,
La fille se montrait à ce moment, avec scs yeux
largement ouverts celle fois, pareils à deux ini-
loirs ardents où devait se consumer la raison do
ses adorateurs. Une jupe simplette et toute courte
montrait la naissance de sa jambe, ensorcelle
ment des sens, sur son buste d’où s’exhalait un
délicieux parlum de jeunesse un simple vêtement
de fantaisie fermé à la naissance du cou, mais ri
gidement soulevé par deux seins que l’on devi
nait parfaits, exquis, sous l’étoffe marquée en
relief de deux pointes. Sur ces pointes se rivèrent
aussitôt les yeux des deux hommes.
| —Alors, messieurs, reprit la mère, j’ai pensé
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