Décorations éphémères et thème dynastique
à la cour de Lorraine (1650-1736)
par Chantal Humbert
Hormis l'ouvrage de M. Pierre Marot sur les
pompes funèbres des ducs de Lorraine (1),
les travaux sur l'art lorrain classique ont
négligé les célébrations éphémères. La docu-
mentation est certes difficile à réunir puisque,
le plus souvent, aucune représentation gravée
ou dessinée n'a reproduit l'événement fêté.
Pour connaître l'importance, la composition
et le déroulement des fêtes éphémères le seul
recours possible est quelquefois les relations
faites par des contemporains. Nous nous
proposons surtout d'insister sur le rôle poli-
tique que de telles manifestations fugaces ont
eu sous les règnes de Charles IV, Charles V,
Léopold 1er, et François III.
L'usage d'honorer triomphalement le prince
s'est peu à peu établi dans les duchés à
l'exemple des cours d'Italie et de France.
La première entrée triomphale, qui donna
prétexte à une décoration éphémère comme
on n'en avait jamais vu, fut celle préparée
pour le mariage de Henri de Lorraine et de
Marguerite de Gonzague, en 1606; la grande
rue de Nancy était ornée de portiques édifiés
de distance en distance et portant des inscrip-
tions. Un arc de triomphe était composé de
quatre colonnes corinthiennes surmontées
d'une corniche ; sur cette dernière, un piédestal
supportait les neuf Muses et les trois Grâces
avec la figure d'Ovide, le poète de Mantoue (2).
Toutefois, les circonstances politiques puis
les malheurs de la guerre de Trente Ans ont
ensuite empêché toute réception extraordinaire.
C'est seulement en 1655 que le conseil de ville
charge Claude Déruet de diriger des travaux
décoratifs pour l'entrée solennelle du maréchal
de La Ferté-Senectère et de son épouse à
Nancy. Les artistes édifient suivant les « des-
seings dudit sieur Desruet » trois portes de
triomphe fondées sur le thème de l'Amour
et de l'Hymen; on note d'ailleurs le remontage
de certaines décorations faites pour la récep-
tion de Henri de Lorraine puisque « Magde-
laine Mathieu veufve de feu... Drouin, vivant
maître-sculpteur à Nancy » prête à « Anthoine
Grata aussi Mtre sculpteur à Nancy... 3 figures
de pouppons de piastres utilizés en 1606 ».
La première des trois portes triomphales
s'élève entre « l'église de Saint-Georges et la
porte de la Cour, sur laquelle seroit mis un
concert de musicque; la seconde (est édifiée)
au quart de la maison de la damoizelle Perrin
entre les deux villes, tenant des deux costés
de la rue, sur laquelle seroient posées quantité
de joueurs d'instruments, et la troisième
(s'élève) au quart de la place au devant de
l'Hostel de ville de Nancy-la-nœuve, a prandre
depuis la maison de la veuve Jacques Belleau,
Mre appoticaire, jusqu'à la maison qui est
à l'opposite, sur lesquelles seroient mis l'un
trompettes et timballes... » (3).
Avant de célébrer le gouverneur adminis-
trant les duchés au nom du roi de France
dans la capitale lorraine, Claude Déruet
avait déjà dessiné une suite de décorations
éphémères qui devaient honorer le retour
tant espéré du duc Charles IV en ses États.
L'allongement excessif des personnages comme
leur représentation maniériste (fig. 1, 2, 3 et 4)
permettent de les dater vers 1641; M. F.-G.
Pariset distingue une interprétation plus
mesurée et plus sobre des figures à l'époque
tardive des œuvres du peintre (4). Déruet,
peu de temps avant sa mort, a remis ses projets
1. P. MAROT, Recherches sur les pompes funèbres des
ducs de Lorraine, Nancy, 1935.
2. F.-G. PARISET, Le mariage d'Henri de Lorraine et
de Marguerite de Gonzague-Mantoue (1606), dans Les
Fêtes de la Renaissance, I, pp. 153-189.
3. « César Bagard, sculteur reçoit trente francs, pour
avoir vernis des bras et des testes à une partie des Cupi-
dons, avoir fait les moulles exprès, avoir fourny piastre,
bois, charbon pour larque damour de devant Saint-Georges.
13 Aoust 1655. » Archives Municipales, Nancy, CC 167
fos 179 ro et suiv., CC 168.
4. F.-G. PARISET, Claude Déruet, dans Gazette des Beaux-
Arts, 1952, 1, pp. 153-172.
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