Titre : La Justice / dir. G. Clemenceau ; réd. Camille Pelletan
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-06-15
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 juin 1883 15 juin 1883
Description : 1883/06/15 (Numéro 1247). 1883/06/15 (Numéro 1247).
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Provence-Alpes-Côte d'Azur
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 10/02/2011
Quatrième année.â Î* 1247.
Un numéro : 1 °· Paris et Départements
Vendredi là Juin 1883.
DIRECTEUR POLITIQUE :
GF·. CLEMENCEAU
RÉDACTION
(Les manuJKrUa non insérés ne seront pas rendus.),
S'ADRESSER
FOUR TOÜT GS QUI CONCERNE LA RÉDACTUWr
* M, GUSTAVE GEFFROY
Secrétaire de la Rédaction \
10| me du Faubourg - Mantmartre, lV
LA JUSTICE
tóDáCTEUH L4 CHET :
CAMILLE; PELLETAN
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Paris : 3 mois,.. 10 fr. â Dép. : 3 moia,.. IS fr.
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nés dont l'abonnement expire le
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montant «le leur renouvellement,
RÛH d'éviter des retards dans la
réception du Journal·
AMNISTIE
On annonce que le président de la Ré-
publique a fait remisa complète de leur
peino à quatre des condamnés de Mon-
ceau-les-Mines, et qu'il a réduit de moi-
tié les trois années d'emprisonnement
prononcées contre deux de leurs co-ac-
cusés.
C'est un acte do justice dont il faut
louer la sagesse. Mais pourquoi M.
Grévy n'a-t-il pas étendu la mesure à
tous les condamnés politiques? Allons-
BOUS revenir au système de la clémence
arbitraire et restreinte qui fut en hon-
neur sous la présidence de M. de Mac-
Mahon S
On se souvient du procédé qu'avait
imaginé le spirituel successeur de M.
Thiers pour éviter l'amnistie qu'il re-
doutait au moins autant que la désap-
probation do M. d'Harcourt. Lorsque les
réclamations de l'opinion républicaine
devenaient trop pressantes pour qu'il
pût leur refuser touto satisfaction, il
faisait solennellement annoncer qu'il
avait accordé la grâce d'une demi-
douzaine de condamnés de la Commune,
η était convaincu que, de cette façon, il
s'assurerait jusqu'à la consommation
de son septennat personnel ou imper-
sonnel, â on sait qu'il ne se rendait pas
un compte très exact de la nuance, â
la jouissance tranquille du pouvoir pré-
sidentiel.
Aux demandes d'amnistie de l'extrèmo-
gauche, les avocats de la politique pra-
tique répondaient par la proposition de
cessation de poursuites, et les ministres
du blessé de Sedan, par la promesse de
longues listes de grâces qui se trans-
formaient en mesures ridiculement mes-
quines à l'égard d'un très petit nombre
de proscrits. C'était ce qu'on appelait la
large clémence. Elle valait à l'intelligent
maréchal des éloges pompeux de son
chef de cabinet, M. Dufaure, qui ne pou-
vait comprendre, étant orléaniste, que
l'on filt équitable pour les défenseurs de
la République, et qui s'en voulait d'en
avoir laissé survivre aux épouvantables
massacres de la Semaine de Mai.
Pas plus que la soumission du vaincu
piteux du 14 octobre n'empêcha sa dé-
mission, la large clémence n'empêcha
l'amnistie. Elle fut votée, malgré lea ter-
giversations du ministère qui s'était vu
dans l'obligation de la proposer, et mal-
gré les rodomontades des ministères
précédents dont les uns l'avaient ajour-
née à une époque indéfinie tandis que
les autres l'avaient repoussée insolem-
ment. Et ce furent ceux-mêmes dont
l'inconcevable résistance l'avait fait re-
jeter antérieurement, qui furent con-
traints à la dernière heure de la défen-
dre avec le plus d'ardeur.
Veut-on procéder, à l'égard des der-
niers condamnés politiques, comme on
l'a fait pour ceux de 1871 ? Veut-on leur
marchander quelques grâces, jusqu'à ce
qu'on sente que les délits qu'on leur re-
proche sont scandaleusement dispropor-
tionnés avec l'énormité de leur con-
damnation í Ne serait-il pas plus hu-
main, plus juste et plus politique de
prendre une mesure générale qui les
rende tous à leurs familles qui ont,
pour la plupart, besoin de leur travail
et qui souffrent plus qu'eux-mêmes des
conséquences de leurs prétendus mé-
faits *.
Au lieu de grâcier seulement quel-
ques mineurs de Montceau-les-Mines,
que n'accorde-t-on l'amnistie à tous les
condamnés de Rioni, de Moulins et de
Lyon? C'est ce que réclamait hier, dans
le Rappel, notre èminent confrère, M.
Auguste Vacquerie. Nous ne pouvons
trop nous associer à sa réclamation. On
se souvient de la lettre émouvante
adressée à M. Grévy, par les savants
les plus illustres do l'Angleterre et re-
mise au président de la République avec
l'apostille de Victor Hugo. Ils rappe-
laient avec éloquence les services ren-
dus à la science par Kropotkine. « Son
absence, disaient-ils, serait une grande
perte pour la science et, par conséquent,
pour l'humanité. » Et, faisant allusion
à sa santé, ils ajoutaient : « Sa santé a
été profondément altérée par ses voya-
ges à travers la Sibérie et son état a été
encore aggravé pai· un long séjour pré-
ventif dans une forteresse russe comme
prisonnier politique. Il souffre d'une af-
fection gastrique compliquée par le scor-
but. Le priver du grand air et de la li-
berté, serait développer ces symptômes
et amener des complications certai-
nes qui entraîneraient uno mort préma-
turée. »
On est resté sourd, en haut lieu, à
cette requête émanant de savants, étran-
gers à nos luttes politiques, et qui font
autorité dans le monde entier. Cepen-
dant leurs prévisions se sont réalisées.
La santé de Kropotkine n'a fait que s'al-
térer do plue en plus. Voici qu'aujour-
d'hui nous apprenons que son co-détenu
Emile Gautier est lui-même atteint,
grâce au régime de la prison, d'uno
grave maladie, Qu'a-t-il fait pour qu'on
le condamne à passer sous les verroux
cinq années qui peuvent être meurtriè-
res ? II a exprimé des opinions, rien de
plus.
Que ces opinions sont absolument
contraires à celles de nos ministres et
à celles de la presque unanimité du
parti républicain, c'est un fait incon-
testable. Mais est-ce un article de foi
de la nouvelle école républicaine, que
l'on n'est tenu d'accorder la liberté qu'à
ceux dont on partage ies sentiments í
On se rappelle le vacarme fait par
toute la meute autoritaire au moment
du procès de Lyon. L'antique péril so-
cial, soigneusement rétamé, était exhibé
chaque jour sous les yeux des bons
bourgeois qu'on prend, an fond, pour
plus naïfs qu'ils n'entendent l'être. Il
semblait que la France eût été à la veille
de sombrer dans une effroyable crise ot
qu'elle ne dût son salut qu'à l'énergie et
à la prévoyance de M. Duclerc, de ses ma-
gistrats et de sa police. A quoi tont cela
s'est-il réduit? A un vulgaire procès de
tendance, à un monstrueux jugement
ne frappant que des délits d'opinion, à
l'impossibilité pour le parquet, renforcé
de tous ses témoins à charge, de rele-
ver quoi que ce soit de criminel contre
aucun des accusés.
Il serait trop absurde de s'escrimer à
supprimer l'anarchie en emprison-
nant un nombre plus ou moins grand
d'anarchistes. Ce serait à peu près com-
me un médecin qui penserait que le
meilleur moyen do guérir une maladie,
c'est de supprimer ie malade. Qu'on fasse
de la bonne politique et la petite secte
qui se fait ua monopole de la violence
continuera peut-être à s'agiter bruyam-
mont dans le vide, mais il ne sera pas à
craindre qu'elle fasse des prosélytes et
qu'elle ait de l'action sur le corps social.
Quant aux condamnés de Moulins, qui
ne sont pas des anarchistes ot qui ont ré-
pudiéavec éclat l'entreprise qui avait pour
principal instigateur un policier de Lyon,
leur condamnation n'est pas moins
monstrueuse que celle de Kropotkine et
d'Emile Gautier. Nos confrères Guesde
et Lafargue sont en prison pour avoir
exposé, dans des conférences, leurs con-
victions politiques et socialistes. Les re-
mettre en liberté est un devoir do stricte
et bonne justice. A défaut de la « large
clémence » de M. Grévy, nous faisons
appel aux sentiments d'équité de ses mi-
nistres et à l'esprit politique de la
Chambre. La fête du 14 Juillet n'aura
son véritable caractère démocratique et
républicain que si elle est marquée par
la cessation de peines iniques et par la
reconnaissance de la liberté pour toutes
les opinions.
S. Pichón.
LI
JOURNEE
Le texte des conventions avec les grandes
compagnies sera distribué aujourd'hui aux
députés. La commission du régime général
des chemins de fer se réunira lundi pro-
chain pour les examiner.
Le gouvernement espère que cette coin-
mission sera favorable aux conventions et
qu'elle pourra déposer son rapport dans
une quinzaine de jours afin de permettre
à la Chambre de statuer sur la question des
chemins de fer avant les grandes vacances.
A la demande de M. fialini·, la commis-
sion de l'armée se réunira aujourd'hui,
avant la séance, pour décider s'il y a lieu
do réclamer la mise à l'ordre du Jour de
la discussion de la lot sur le recrute-
ment.
Eu grande majorité, les membres de la
commission sont d'avis qu'il est préférable
d'attendre que les rapports sur l'avance-
ment. l'armée coloniale et les écoles d'en-
fants de troupe soient déposés, pour de-
mander à la Chambre la mise à l'ordre du
jour.
Si cette opinion prévaut, M. Ballue, en
son nom personnel, demandera la mise à
l'ordre du jour, après la loi municipale, de
la loi sur le recrutement dont il est, comme
on sait, le rapporteur.
La Gauche radicale s'est réunie hier. i
La délibération a porté sur la loi relative
aux chambres syndicales en discussion de-
vant la Chambre.
M. Gervomme-Réache a fait part hier à la
commission des récidivistes, de l'entretien
qu'il a eu avec le ministre de la marine au
sujet des frais qu'entraînera la relégation
des récidivistes. Nous avons publié hier
ces renseignements.
La commission a achevé la révision du
texte de la loi en vue de la seconde délibé-
ration.
Demain, M. Gerville-Reache lira un rap- i
port nouveau à la commission; ce rapport -
sera déposé samedi sur le bureau ae la j
Chambre.
Les députés de l'Algérie ont tenu une |
conférence hier matin avec le gouverneur
général au sujet des différentès affaires
actuellement pendantes qui intéressent ]
l'Algérie et devront être soumises au Par-
lement.
On annonce, à ce propos, que le projet de
loi sur la colonisation sera déposé dans
quelques Jours sur le bureau de la Cham-
bre.
Ce projet, on le sait, a pour objet d'affec- !
ter une somme de cinquante millions à la j
création de nouveaux villages.
La commission chargée d'examiner la
proposition de M. Casimir-Périer, ayant
pour objet d'accorder aux officiers et assi-
milés des armées de terre et de mer. et aux
veuves et orphelins le bénéfice des pen-
sions établies par les lots des 22 juin 1878 et
5 août 1879, a Indéfiniment ajourné ses
séances.
Cet ajournement équivaut au rejet pur
et simple de celte proposition qui compor-
tait une dépense annuelle évaluée à neuf
millions.
On rapporte dans lea couloirs de la Cham-
bre que le ministre de la marine a encore
télégraphié à M. Thomson, l'invitant à
transmettre par la vole télégraphique tout
ce qui peut concerner le Tonkin. Il lui a
de nouveau rappelé que la liste des sous-
officiers et soldats tués est attendue en
France avec une vive impatience.
Le transport-aviso la Saône, commandé
par M. le capitaine de frégate Monin, qui
était altaché à la station locale de Tunisie,
vient de recevoir l'ordre de se rendre sans
tarder à Toulon pour se préparer à rejoin-
dre le pavillon du commandant de la sta-
tion navale du Tonkin.
La Saône embarquera la matériel de té-
légraphie optique demandé par le général
Bouët ; le personnel spécialement, affecté k
ce service prendra passage sur ce bâti-
ment.
La Saône est un transport à hélice en
bois construit à Toulon, die 64 mètres de
long, déplaçant 1,600 tonneaux, armé de 4
canons ae 14 cent., mi par une machine de
675 chevaux qui lui Imprime une vitesse
de 10 noeuds. L'équipage de ce bâtiment est
de 105 hommes.
Le Boyard, cuirassé de station, portant
le pavillon du contre-amiral Courbet, com-
mandant la division navale du Tonkin, a
mouillé liier devant Port-Said.
Il s'est mie Immédiatement à modifier
son tirant d'eau pour entrer daus le canal.
On verra plus loin que dans le procès enga-
gé entre la Compagnie du gaz et l'an de ses
abonnés, M. Pérignon, le tribunal s'est dé-
claré Incompétent quant au fond. Il a meme
réservé la question des dépens. Les cinq
centimes en litige seront déposés à la Caisse
des dépôts et consignations.
Les abonnés de la Compagnie du gaz
n'ont donc plus à hésiter. lis doivent payer
les notes facturées au prix de 2& centimes,
et attendre ie recours du préfet et les votes
du Conseil municipal.
Le Siècle est l'organe d'un candidat
jusqu'ici malheureux à la situation de
sénateur inamovible. Il est donc natu-
rel d'abord qu'il redoute fort la sup-
pression de 1 inamovibilité sénatoriale :
et ensuite qu'il essaye de gagner à son
directeur les suffrages jusqu'ici rebelles
du Luxembourg.
Aussi, il prend texte de ma confé-
rence de Dijon pour défendre ce Sénat
qu'on vilipende indignement, parait-il :
son zèle l'emporte un peu loin. S'il fal-
lait prendre sa démonstration au pied
de la lettre, à quoi bon uno révision
quelle qu'elle filt í â Les bons ajour-
neurs qui jurent parfois tour grand
Dieu qu ils veulent ta réforme constitu-
tionnelle tout autant que nous, laissent
peut-être voir un peu trop souvent
qu'ils ne s'en soucient pas du tout.
Le plaisant de l'affaire, c'est que le
Siècle ne connaît nullement le discours
dont il parle ; et qu'il se trouve juste-
ment qu'il y était beaucoup moins ques-
tion du Sénat que du gouvernement et
de la Chambre. On connaît notre opinion
sur l'Assemblée du Luxembourg : il suf-
fit delire qu'elle émane d'un suffrage
restreint, qu'elle contient des membres
inamovibles,pour prouver que la Consti-
tution est en contradiction avec la sou-
veraineté du suffrage universel, c'est ce
que j'ai fait. Et le pays est tellement
édifié à ce sujet, qu'il est superflu de
s'étendre.
Mais comment les dispositions orléa-
nistes de la Constitution durent elles en-
core? Pourquoi a-t-on ajourné la révi-
sion ? Pourquoi ajourne-t-on toutes les
réformes Í Telle est la question que j'ai
traitée à Dijon. Pour cela, c'est la
Chambre, le ministèro, que j'avais à exa-
miner.
Et c'est là dessus que le Siècle aurait
eu à répondre, s'il avait d'aulre motif
que de fléchir les rigueurs des séna-
teurs pour les candidats qu'ils jugent in-
suffisants.
Eh non ! O Siècle ! Jo n'ai point ditque
la Chambre travaillerait merveilleuse-
ment si le Sénat ne mettait obstacle à
tout. Je crois mémo que la Chambre ne
travaille pas bien; et que, sans cela, nous
aurions fa révision dont le Siècle ne pa-
rait pas vouloir. M. Jourde, il est vrai,
ne pourrait pas être sénateur inamovi-
ble; eh bien! il s'adressait aux électeurs
des Bouches-du-Rhône.
Le Siècle, là-dessus, déclare que nous
réussissons mal, et il en donne pour
preuve qu'une ville do cinquante mille
âmes (textuel) n'assistait pas tout en-
tière à la conférence. â Mais, Ô Siècle'.
la difficulté serait de trouver une salle
de réunion qui contînt cinquante mille
personnes. Celle de Dijon était remplie.
On ne pouvait pas faire plus. Seule-
ment, ce qui est à noter, c'est que ni à
Dijon, ni dans aucune autre ville, vos
amis n'osent affronter le débat. Per-
sonne ne se lève pour développer toutes
les belles réponses que vous imprimez,
mais qui n'affrontent pas les sifflets du
public. Des votes unanimes viennent
sanctionner nos paroles, et vous parlez
après cela des méfiances que nous sou-
levons? â Cela est ridicule, ô Siècle.
On y sent le dépit. Vous savez bien que
nous trouvons dos auditeurs et même
dee électeurs ; c'est ce qui vous met en
rage. Cachez-le donc un peu mieux.
Camille Pelletan.
Le ministre des Etats-Unis à Paris, M.
Morton, nous communique la dépêche sui-
vante de Washington, 13 Juin :
La dépêche de Philadelphie publiée par le
Times, portant que le département de la ma-
rine des Etats-Unis aurait fait annoncer que
dea congés seraient accordés aux officiers amé-
ricains qui désireraient prendredu service dans
la marine chinoise, ne repose sur aucun fonde-
ment.
Une intéressante polémique s'est engagée
entre le Parlement ai la République fran-
çaise à propos de la loi sur la magistrature.
Les deux journaux se renvoient récipro-
quement l'opinion de Gambetta sur la ques-
tion. Ce qu'il y a de piquant, c'est que
M. Ribot a établi, dans un article auquel
Ïι'a pas répondu la République, â proba-
blement parce qu'elle n'avait rien à répon-
dre, â qu'il avait plus d'autorité que
M. Spuller pour parler au nom de Gam-
betta, puisque le chef de ce qui fut le grand
ministère lui aval! offert nn portefeuille,
tandis qu'il n'avait donné à M. Spuller
qu'un sous-secrétariat d'Etat.
S. P.
Ce soir à huit heures aura lieu, dans
la salle de la Redoute, rue Jean-Jac-
ques-Rousseau, une réunion générale
es délégués des groupes et des jour-
naux adhérents à la « Ligue pour la Ré-
vision de la Constitution. »
CHRONIQUE
PORT-BRETON
Les voleurs de grands chemins du temps
passé étaient des personnages chevaleres-
ques qui TOUS laissaient généralement l'al-
ternative, et l'on avait le droit de choisir
entre la bourse et la vie. Les voyageurs
grincheux qui croyaient indigne d'eux de
faire des concessions devant l'escopelle d'un
malandrin, payaient crânement de leur tête
une énergie peut-être déplacée dans la cir-
constance, mais les malins, convaincus que
l'abandon de leur vie serait immédiate-
ment suivi de la confiscation de leur porte-
feuille, préféraient s'en dépouiller incon-
tinement.
Aujourd'hui, on a perfectionné tout cela.
Il s'est trouvé des grinches de haute lice,
des gentlemens tire-laine qui prenaient la
bourse dane la poche des gens, ce qui ne
les empêchait pas d'être en même temps
de véritables escarpes, et de conduire len-
tement, mais sûrement, leurs victimes à
une mort inéluctable. Le marquis de Rays
que la huitième chambre correctionnelle
est en train de juger, est un des modèles du
genre.
Ce n'est plus le Krach vulgaire, la dé-
bâcle des écus qui laisse du moins le gogo
jeune et bien portant, avec des bras tout
neufs qui peuvent lui refaire une fortune.
Le gentilhomme breton ne faisait rien à
demi. Après avoir agrippé, à grand renfort
d'annonces, les épargnes des malheu-
reux qui croyaient * que c'était arrivé, »
il les expédiait tranquillement en Oceanie
sur nn rocher inculte où ies souscripteurs
claquaient comme des mouches.
La religion ne pouvait manquer de se
trouver mêlée À l'affaire. Dès 1879, l'assas-
sin-marquis expliquait à Marseille, dans
une conférence, le but â la fois * religieux
et patriotique »-.qu'il poursuivait, et il af-
firmait son intention de donner à l'oeuvre
nouvelle « le baptême catholique. * Il in-
sistait sur le caractère social et chrétien
de l'entreprise, promettant de consacrer
dans la législation future de la colonie « la
liberté absolue de tester dans l'acception la
plus large et la plus générale. » Un prêtre,
l'abbé Victor Ménard, fut nommé en 1879
administrateur du bureau de Marseille
avec M. Tarbé des Sablons*
Des bureaux furent successivement fon-
dés dans la ville que nous venons de nom-
mer â on avait naturellement commencé
par Paris â au Havre, à Bruxelles, à An-
vers et à Jersey.
Le gentilhomme-escroc a trouvé le moyen
d'y prélever un joli denier. Sur cinq mil-
lions encaissés à Paris, le marquis de Rays
a palpé 680,000 francs. Il a pris à Marseille
926,000 francs sur 1,612,000 francs; au Ha-
vre 342,000 sur 996,000, à Anvers 45,000 sur
78,000, Je cite les sommes en chiffres ronds :
le marquis m'en voudrait si je venais comp-
ter des fractions. 11 y avait en outre un cer-
tain nombre de « courtiers religieux » (sic)
qui, pour employer une expression popu-
laire, « ne se sont pas embêtés ». Ils doi-
vent présentement vivre de leurs rentes.
J'allais oublier un détail : Charles Bona-
venture du Breil, marquis de Rays, consul
de Bolivie à Quimeren (Finistère), était un
esprit pratique, qui avait prévu le cas où
la colonisation ne répondrait pas à ses espé-
rances: son arc n'était pas un arc mono-
corde, et entre deux réclames pour Port-
Breton, il exploitait « avec une de ses maî-
tresses » une eau et une poudre dentrifice
de son invention,
Nous sommes persuadé, d'ailleurs, que
l'avocat, du marquis saura tirer tout le
parti désirable d'un fait qui montre à quel
point Bonaventura du Breil était un com- 1
merçant entendu en affaire, faisant de la
colonisation sérieuse et possesseur de con-
cessions authentiques. M. de Rays avait
acheté pour la bagatelle de 62 livres ster-
ling (1550 francs) le territoire de la Nou-
velle-Islande et les îlots voisins au roi Ma-
ragano, légataire universel â mon Dieu,
oui ! â du roi Tomdyck.
Un acte notarié â il y avait là-bas un
ancien tabellion de Marseille qui a repris
pendant une minute â sans jeu de mots â
ses anciennes fonctions, constate * que le
prix a été immédiatement payé par lo ven-
deur, qui a vérifié la somme et donné quit-
tance définitive. » La vérité nue, c'est que
Maragano en lieu et placé des 62 livres
sterling, a touché â comme un simple fils
de famille auquel Gobseck livre des croco-
diles empaillés et un mobilier complet en
velours d'Utrecht, â deux paquets de tabac,
un lot de haches, quelques perles et un
costume écarlate.
- Voilà lê côté plaisant, de l'entreprise. Il y
a malheureusement, nous l'avons dit, un
côté sinistre. Sur quatre-vingt-neuf passa-
gers transportés par le Chandernagor.
vingt-sept sont morts, vingt-et-un sont
disparus. Les auxiliaires du marquis de
Rays avaient perfectionné le supplice de
l'actionnaire. On ne se contentait pas de le
dépouiller, on le torturait.
L'un d'eux fut attaché au grand mât, les
deux pouces rapprochés et liés ensemble.
Le filin entrait dans les chairs, et le balan-
cement causé par le roulis rendait la souf-
france épouvantable. Les officiers de con-
trebande recrutés par le marquis menacè-
rent de leurs revolvers les passagers qui
voulaient le délivrer. Ceci pourtant n'était
rien. Le malheureux en réchappa, Mais les
colons débarqués avec quinze jours de vi-
vres á Port-Breton et abandonnés par le
Chandernagor, mouraient comme des mou-
ches. Quelques-uns furent mangés par des
cannibales; un autre, mettant en pratique
la devise du Sphynx, se fit anthropophage.
Quant aux émigrants du Gênil, un cer-
tain nombre fut mis aux fers. Le capitaine
écrivait : fusillerons, et ils pourront aller le dire à
la République française. » Une partie des
passagers réussit néanmoins à s'échapper.
Enfin, sur les colons transportés par l'In-
I dia, 51 sont morts.
Tel est, en raccourci, le bilan de l'entre-
prise « religieuse et sociale » du marquis
de Rays. On sait que ce n'est pas notre ha-
bitude d'anticiper sur l'oeuvre de la justice
et de « charger » les prévenus qui ont
maille à partir avec elle. Màis nous n'a-
vons pas à craindre d'influencer ies juges
de la correctionnelle, seuls compétents, pa-
rai t-il, puisque le Mandrin du grand monde
dont il s'agit ne relève pas de la cour d'as-
sises. C'est là, d'ailleurs, notre seul regret.
On le poursuit pour escroquerie. Nous ne
nous consolerons Jamais qu'on ne puisse
pas íe condamner pour assassinat.
Léon Millot.
UNE
LETTRE DU TONKIN
Nous recevons d'an de nos amis, qui fait
partie de notre corps d'occupation du Tonkin,
mie lettre qui contient les détails les plus in-
téressants sur la prise de la citadelle de Nam-
Dinh.
Noua en extrayons les passages suivants ï
Monsieur le directeur du journal
la JUSTICE, Paris.
Le télégraphe a sans doute appris depuis
longtemps à vos lecteurs la prise de la cita-
delle de Nam-Dinh, mais il n'a pu leur
donner les détails de cette opération mili-
taire. Ils me paraissent assez intéressants
pour vous être transmis.
Depuis quelque temps, pour des raisons
que je n'ai pas à apprécier et qui sont expo-
sées dans le document que vous lirez plus
loin, le commandant Rivière était décidé a
sévir contre le gouverneur de cette pro-
vince.
Le 23 mars, il confiait la défense de Hanoi
au chef de bataillon Berthe de Villers
ayant sous ses ordres la garnison ordi-
naire casernée dans la pagode et 300 h om-
ines spécialement affectés à la garde de la
concession, et se mettaci en marche sur
Nam-Dinh.
L'expédition se composait des bâtiment«
suivants :
La Hache ;
Le Yatagan ;
te Kianq-Nam ;
Le Tonquin ;
Le Whampoa et quatre jonque*.
La Carabine, le Pluvier, la Surprise,
la Fanfare et la chaloupe à vapeur le
Haï-Phong, étaient en avant. La Fanfare
notamment, était depuis quelques jours de-
vaut Nam-Dinh où elle surveillait les ten-
tatives de barrage qui pouvaient se pro-
duire.
Ces bâtiments portaient quatre compa-
gnies de débarquement.
lie lendemain, 24, après avoir dépassé la
grande mission catholique, la flotille ar-
riva en vue de la citadelle annamite de
Ninh-Brinh, dont les canons demeurèrent
muets, ie gouverneur ne voulant pas se
rendre solidaire de son collègue de Nam-
Dlnh, seul menacé par nous. Ce fut une
circonstance heureuse qui permit k l'expé-
dition d'arriver le lendemain dimanche,
25 mars, devant Nam-Dinh. A onze heu-
res du matin, tous les bâtiments étaient an
mouillage à 1,500 mètres de la place.
Le commandant Rivière donna immédia-
tement des ordres pour le débarquement
des troupes qui, très à l'étroit dans ies
Jonques, avaient grand besoin de repos.
Elles prirent terre et s'élancèrent sur les
casernes annamites situées à gauche de la
ville. Elles ne rencontrèrent aucun obsta-
cle devant elles, bien qu'on pùt apercevoir,
en arrière, de nombreuses troupes annami-
tes en train de manoeuvrer dans le camp
: des Lettrés.
I Avant de commencer les hostilités, le
' commandant Rivière crut devoir sommer
le gouverneur.
Il lui adressa en conséquence la lettre
suivante dont j'ai pu me procurer une
copie :
Monsieur le gouverneur,
Depuis un an vous avez eu envers nous l'at-
titude ia plus hostile, et vous avez armé votre
citadelle, autant que vous l'avez pu, de soldats
et de munitions.
Tout dernièrement voua avez préparé des
barrages que l'arrivée seule de nos bâtiments
vous a empêché de faire. Depuis l'arrivée de
nos bâtiments, vous avez encore augmenté vos
armes et vos soldats, excité la population con-
tre nous et proféré contre les Français des in-
sultes et des menaces.
Voua avez fait tout cela sans avoir été pro-
voqué par nous, car j'avais même recommandé
k mes capitaines de bâtiments de ne pas s'a-
percevoir de votre mauvaise volonté et d'user
toujours de courtoisie avec vous, et si vous n'a-
viez pas fait de barrages, je ne vous aurais
pas demandé raison de vos autres actes.
La situation dont vous êtes seul la eause, ne
peut pas durer. Il faut pour le respect qui nous
est du, pour la liberté de notre navigation,
pour notre sécurité au Tonkin, pour que la
paix ne soit plus menacée par vous, que la
citadelle de Nam Dinh soit désormais inoffen-
sive pour nous. Et pour cela, il faut que vous
la remettiez entre mes mains. La citadelle
ayant dès lors cessê d'être une ennemie pour
nous, nous pourrons vivre avec vous dans de
bona termes et vois pourrez garder avec vos
mandarins l'administration de la ville et de la
province» Si vous acceptez ces conditions vous
aurez, vous et vos mandarins, le Thuan-Phu
et le Quan-An, à venir me voir demain matin
à huit heures.
Si vous n'êtes pas venu à bord, demain ma-
tin à huit heures, de mon grand bâtiment
blanc, je serai forcé de vous traiter en ennemi.
Le délai que je vous indique est court, mais
vous devez avoir réfléchi depuis assez long-
temps aux conséquences de votre conduite en-
vers nous, pour que vous ne soyez pas étonné
du peu de temps que je vous laisse oour pren-
dre une décision. De celte décision dépendra,
entre nous, la paix on la guerre.
Veuillez recevoir, etc.
Le commandant en chef des troupes
françaises.
Signé : H. RIVIÈRE.
Le gouverneur a répondu à cette som-
mation, en protestant contre l'imputation
: qui.lui était faite d'avoir ordonné des ten-
tatives de barrage, et par le refus de
livrer la place. Le commandant Rivière
lui adressa quelques lignes pour lui con-
seiller de réfléchir aux conséquences de sa
résolution et l'informer que le lendemain
matin, à huit heures, il commencerait les
hostilités.
Le lendemain 26 mars, on s'éveilla au
milieu d'un brouillard assez épais pour
dérober la vue de la citadelle et des ter-
rains environnants. Nos canonnières de-
meurèrent muettes toute la matinée, qui
fut uniquement employée à une reconnais-
sance opérée par le colonel Carreau, le
commandant Badens, et 25 hommes de
l'infanterie de marine.
Cette reconnaissance eut pour résultat de
déterminer le meilleur point d'attaque, et
des instructions furent données poni* que
les bâtiments concentrassent leurs feux sur
la face sud de la citadelle, afin de faire
croire à l'ennemi que notre principal effort
se porterait de ce côté. A midi, le temps
devint plus clair et permit aux marins de
La Fanfare d'envoyer leurs projectiles
sur les batteries ennemies, dont quelques
pièces furent bientôt démontées. La Fan-
fare était commandée par ie lieutenant de
vaisseau Gadaud. Il était trop tard pour
tenter une attaque décisive; elle fut remise
au lendemain.
Le 27, à sept heures du matin, les troupes
de débarquement prenaient les positions
assignées par le commandant supérieur,
tandis que les canonnières couvraient de
leurs feux, les faces sud, est et ouest de
la citadelle. La Surprise était, pendant ce
temps, plus spécialement chargée de sur-
veiller la campagne et de s'opposer, avec
ses canons, à toute tentative qui pourrait
être faite par les troupes aperçues la veille
dans la direction du camp des Lettres.
Sous la protection de nos bâtiments,
nos braves soldats sé jet tont dans les rues
qui précèdent le fort. Après une vive· fu-
sillade, ils parviennent h s'y loger; mais
dans celte attaque le lieu tenant-colonel
Carreau est malheureusement atteint de
deux balles. Il tombe, la jambe droite bri-
sée. On le transporte au poste de la Mis-
sion, où. M. le chirurgien-major Masse
opère l'amputation héroïquement sup-
portée.
On raconte à ce sujet un mot de ce mal-
heureux officier qui mérite d'être re-
cueilli. On venait de lui couper le pied
quand le commandant Ri vière entra dans
l'ambulance pour le voir et lui serrer la
main : « Ah 1 mon cher co m mandant, dit-il,
avec un sourire, je ferai, des économies do
chaussures. *
Le lieutenant-colonel Carreau blessé, le
chef de bataillon Badens avait pris le com-
mandement de la colonne d'attaque. II fal-
lait avant d'arriver à la citadelle elle-
Un numéro : 1 °· Paris et Départements
Vendredi là Juin 1883.
DIRECTEUR POLITIQUE :
GF·. CLEMENCEAU
RÉDACTION
(Les manuJKrUa non insérés ne seront pas rendus.),
S'ADRESSER
FOUR TOÜT GS QUI CONCERNE LA RÉDACTUWr
* M, GUSTAVE GEFFROY
Secrétaire de la Rédaction \
10| me du Faubourg - Mantmartre, lV
LA JUSTICE
tóDáCTEUH L4 CHET :
CAMILLE; PELLETAN
ABONNEMENTS
Paris : 3 mois,.. 10 fr. â Dép. : 3 moia,.. IS fr.
Adresser les mandats i Τ Administrateur
M. E. TRÉBVTIEX
10, rus da Fautourg- Montmartre, 10
ANNONCES
Cira MS. BOLLINGEN FILS, SÉGUY ET O
16) rue Grange-Batelière
Stona prions ceux de no« abon-
nés dont l'abonnement expire le
1S Julia, de none faire parvenir te
montant «le leur renouvellement,
RÛH d'éviter des retards dans la
réception du Journal·
AMNISTIE
On annonce que le président de la Ré-
publique a fait remisa complète de leur
peino à quatre des condamnés de Mon-
ceau-les-Mines, et qu'il a réduit de moi-
tié les trois années d'emprisonnement
prononcées contre deux de leurs co-ac-
cusés.
C'est un acte do justice dont il faut
louer la sagesse. Mais pourquoi M.
Grévy n'a-t-il pas étendu la mesure à
tous les condamnés politiques? Allons-
BOUS revenir au système de la clémence
arbitraire et restreinte qui fut en hon-
neur sous la présidence de M. de Mac-
Mahon S
On se souvient du procédé qu'avait
imaginé le spirituel successeur de M.
Thiers pour éviter l'amnistie qu'il re-
doutait au moins autant que la désap-
probation do M. d'Harcourt. Lorsque les
réclamations de l'opinion républicaine
devenaient trop pressantes pour qu'il
pût leur refuser touto satisfaction, il
faisait solennellement annoncer qu'il
avait accordé la grâce d'une demi-
douzaine de condamnés de la Commune,
η était convaincu que, de cette façon, il
s'assurerait jusqu'à la consommation
de son septennat personnel ou imper-
sonnel, â on sait qu'il ne se rendait pas
un compte très exact de la nuance, â
la jouissance tranquille du pouvoir pré-
sidentiel.
Aux demandes d'amnistie de l'extrèmo-
gauche, les avocats de la politique pra-
tique répondaient par la proposition de
cessation de poursuites, et les ministres
du blessé de Sedan, par la promesse de
longues listes de grâces qui se trans-
formaient en mesures ridiculement mes-
quines à l'égard d'un très petit nombre
de proscrits. C'était ce qu'on appelait la
large clémence. Elle valait à l'intelligent
maréchal des éloges pompeux de son
chef de cabinet, M. Dufaure, qui ne pou-
vait comprendre, étant orléaniste, que
l'on filt équitable pour les défenseurs de
la République, et qui s'en voulait d'en
avoir laissé survivre aux épouvantables
massacres de la Semaine de Mai.
Pas plus que la soumission du vaincu
piteux du 14 octobre n'empêcha sa dé-
mission, la large clémence n'empêcha
l'amnistie. Elle fut votée, malgré lea ter-
giversations du ministère qui s'était vu
dans l'obligation de la proposer, et mal-
gré les rodomontades des ministères
précédents dont les uns l'avaient ajour-
née à une époque indéfinie tandis que
les autres l'avaient repoussée insolem-
ment. Et ce furent ceux-mêmes dont
l'inconcevable résistance l'avait fait re-
jeter antérieurement, qui furent con-
traints à la dernière heure de la défen-
dre avec le plus d'ardeur.
Veut-on procéder, à l'égard des der-
niers condamnés politiques, comme on
l'a fait pour ceux de 1871 ? Veut-on leur
marchander quelques grâces, jusqu'à ce
qu'on sente que les délits qu'on leur re-
proche sont scandaleusement dispropor-
tionnés avec l'énormité de leur con-
damnation í Ne serait-il pas plus hu-
main, plus juste et plus politique de
prendre une mesure générale qui les
rende tous à leurs familles qui ont,
pour la plupart, besoin de leur travail
et qui souffrent plus qu'eux-mêmes des
conséquences de leurs prétendus mé-
faits *.
Au lieu de grâcier seulement quel-
ques mineurs de Montceau-les-Mines,
que n'accorde-t-on l'amnistie à tous les
condamnés de Rioni, de Moulins et de
Lyon? C'est ce que réclamait hier, dans
le Rappel, notre èminent confrère, M.
Auguste Vacquerie. Nous ne pouvons
trop nous associer à sa réclamation. On
se souvient de la lettre émouvante
adressée à M. Grévy, par les savants
les plus illustres do l'Angleterre et re-
mise au président de la République avec
l'apostille de Victor Hugo. Ils rappe-
laient avec éloquence les services ren-
dus à la science par Kropotkine. « Son
absence, disaient-ils, serait une grande
perte pour la science et, par conséquent,
pour l'humanité. » Et, faisant allusion
à sa santé, ils ajoutaient : « Sa santé a
été profondément altérée par ses voya-
ges à travers la Sibérie et son état a été
encore aggravé pai· un long séjour pré-
ventif dans une forteresse russe comme
prisonnier politique. Il souffre d'une af-
fection gastrique compliquée par le scor-
but. Le priver du grand air et de la li-
berté, serait développer ces symptômes
et amener des complications certai-
nes qui entraîneraient uno mort préma-
turée. »
On est resté sourd, en haut lieu, à
cette requête émanant de savants, étran-
gers à nos luttes politiques, et qui font
autorité dans le monde entier. Cepen-
dant leurs prévisions se sont réalisées.
La santé de Kropotkine n'a fait que s'al-
térer do plue en plus. Voici qu'aujour-
d'hui nous apprenons que son co-détenu
Emile Gautier est lui-même atteint,
grâce au régime de la prison, d'uno
grave maladie, Qu'a-t-il fait pour qu'on
le condamne à passer sous les verroux
cinq années qui peuvent être meurtriè-
res ? II a exprimé des opinions, rien de
plus.
Que ces opinions sont absolument
contraires à celles de nos ministres et
à celles de la presque unanimité du
parti républicain, c'est un fait incon-
testable. Mais est-ce un article de foi
de la nouvelle école républicaine, que
l'on n'est tenu d'accorder la liberté qu'à
ceux dont on partage ies sentiments í
On se rappelle le vacarme fait par
toute la meute autoritaire au moment
du procès de Lyon. L'antique péril so-
cial, soigneusement rétamé, était exhibé
chaque jour sous les yeux des bons
bourgeois qu'on prend, an fond, pour
plus naïfs qu'ils n'entendent l'être. Il
semblait que la France eût été à la veille
de sombrer dans une effroyable crise ot
qu'elle ne dût son salut qu'à l'énergie et
à la prévoyance de M. Duclerc, de ses ma-
gistrats et de sa police. A quoi tont cela
s'est-il réduit? A un vulgaire procès de
tendance, à un monstrueux jugement
ne frappant que des délits d'opinion, à
l'impossibilité pour le parquet, renforcé
de tous ses témoins à charge, de rele-
ver quoi que ce soit de criminel contre
aucun des accusés.
Il serait trop absurde de s'escrimer à
supprimer l'anarchie en emprison-
nant un nombre plus ou moins grand
d'anarchistes. Ce serait à peu près com-
me un médecin qui penserait que le
meilleur moyen do guérir une maladie,
c'est de supprimer ie malade. Qu'on fasse
de la bonne politique et la petite secte
qui se fait ua monopole de la violence
continuera peut-être à s'agiter bruyam-
mont dans le vide, mais il ne sera pas à
craindre qu'elle fasse des prosélytes et
qu'elle ait de l'action sur le corps social.
Quant aux condamnés de Moulins, qui
ne sont pas des anarchistes ot qui ont ré-
pudiéavec éclat l'entreprise qui avait pour
principal instigateur un policier de Lyon,
leur condamnation n'est pas moins
monstrueuse que celle de Kropotkine et
d'Emile Gautier. Nos confrères Guesde
et Lafargue sont en prison pour avoir
exposé, dans des conférences, leurs con-
victions politiques et socialistes. Les re-
mettre en liberté est un devoir do stricte
et bonne justice. A défaut de la « large
clémence » de M. Grévy, nous faisons
appel aux sentiments d'équité de ses mi-
nistres et à l'esprit politique de la
Chambre. La fête du 14 Juillet n'aura
son véritable caractère démocratique et
républicain que si elle est marquée par
la cessation de peines iniques et par la
reconnaissance de la liberté pour toutes
les opinions.
S. Pichón.
LI
JOURNEE
Le texte des conventions avec les grandes
compagnies sera distribué aujourd'hui aux
députés. La commission du régime général
des chemins de fer se réunira lundi pro-
chain pour les examiner.
Le gouvernement espère que cette coin-
mission sera favorable aux conventions et
qu'elle pourra déposer son rapport dans
une quinzaine de jours afin de permettre
à la Chambre de statuer sur la question des
chemins de fer avant les grandes vacances.
A la demande de M. fialini·, la commis-
sion de l'armée se réunira aujourd'hui,
avant la séance, pour décider s'il y a lieu
do réclamer la mise à l'ordre du Jour de
la discussion de la lot sur le recrute-
ment.
Eu grande majorité, les membres de la
commission sont d'avis qu'il est préférable
d'attendre que les rapports sur l'avance-
ment. l'armée coloniale et les écoles d'en-
fants de troupe soient déposés, pour de-
mander à la Chambre la mise à l'ordre du
jour.
Si cette opinion prévaut, M. Ballue, en
son nom personnel, demandera la mise à
l'ordre du jour, après la loi municipale, de
la loi sur le recrutement dont il est, comme
on sait, le rapporteur.
La Gauche radicale s'est réunie hier. i
La délibération a porté sur la loi relative
aux chambres syndicales en discussion de-
vant la Chambre.
M. Gervomme-Réache a fait part hier à la
commission des récidivistes, de l'entretien
qu'il a eu avec le ministre de la marine au
sujet des frais qu'entraînera la relégation
des récidivistes. Nous avons publié hier
ces renseignements.
La commission a achevé la révision du
texte de la loi en vue de la seconde délibé-
ration.
Demain, M. Gerville-Reache lira un rap- i
port nouveau à la commission; ce rapport -
sera déposé samedi sur le bureau ae la j
Chambre.
Les députés de l'Algérie ont tenu une |
conférence hier matin avec le gouverneur
général au sujet des différentès affaires
actuellement pendantes qui intéressent ]
l'Algérie et devront être soumises au Par-
lement.
On annonce, à ce propos, que le projet de
loi sur la colonisation sera déposé dans
quelques Jours sur le bureau de la Cham-
bre.
Ce projet, on le sait, a pour objet d'affec- !
ter une somme de cinquante millions à la j
création de nouveaux villages.
La commission chargée d'examiner la
proposition de M. Casimir-Périer, ayant
pour objet d'accorder aux officiers et assi-
milés des armées de terre et de mer. et aux
veuves et orphelins le bénéfice des pen-
sions établies par les lots des 22 juin 1878 et
5 août 1879, a Indéfiniment ajourné ses
séances.
Cet ajournement équivaut au rejet pur
et simple de celte proposition qui compor-
tait une dépense annuelle évaluée à neuf
millions.
On rapporte dans lea couloirs de la Cham-
bre que le ministre de la marine a encore
télégraphié à M. Thomson, l'invitant à
transmettre par la vole télégraphique tout
ce qui peut concerner le Tonkin. Il lui a
de nouveau rappelé que la liste des sous-
officiers et soldats tués est attendue en
France avec une vive impatience.
Le transport-aviso la Saône, commandé
par M. le capitaine de frégate Monin, qui
était altaché à la station locale de Tunisie,
vient de recevoir l'ordre de se rendre sans
tarder à Toulon pour se préparer à rejoin-
dre le pavillon du commandant de la sta-
tion navale du Tonkin.
La Saône embarquera la matériel de té-
légraphie optique demandé par le général
Bouët ; le personnel spécialement, affecté k
ce service prendra passage sur ce bâti-
ment.
La Saône est un transport à hélice en
bois construit à Toulon, die 64 mètres de
long, déplaçant 1,600 tonneaux, armé de 4
canons ae 14 cent., mi par une machine de
675 chevaux qui lui Imprime une vitesse
de 10 noeuds. L'équipage de ce bâtiment est
de 105 hommes.
Le Boyard, cuirassé de station, portant
le pavillon du contre-amiral Courbet, com-
mandant la division navale du Tonkin, a
mouillé liier devant Port-Said.
Il s'est mie Immédiatement à modifier
son tirant d'eau pour entrer daus le canal.
On verra plus loin que dans le procès enga-
gé entre la Compagnie du gaz et l'an de ses
abonnés, M. Pérignon, le tribunal s'est dé-
claré Incompétent quant au fond. Il a meme
réservé la question des dépens. Les cinq
centimes en litige seront déposés à la Caisse
des dépôts et consignations.
Les abonnés de la Compagnie du gaz
n'ont donc plus à hésiter. lis doivent payer
les notes facturées au prix de 2& centimes,
et attendre ie recours du préfet et les votes
du Conseil municipal.
Le Siècle est l'organe d'un candidat
jusqu'ici malheureux à la situation de
sénateur inamovible. Il est donc natu-
rel d'abord qu'il redoute fort la sup-
pression de 1 inamovibilité sénatoriale :
et ensuite qu'il essaye de gagner à son
directeur les suffrages jusqu'ici rebelles
du Luxembourg.
Aussi, il prend texte de ma confé-
rence de Dijon pour défendre ce Sénat
qu'on vilipende indignement, parait-il :
son zèle l'emporte un peu loin. S'il fal-
lait prendre sa démonstration au pied
de la lettre, à quoi bon uno révision
quelle qu'elle filt í â Les bons ajour-
neurs qui jurent parfois tour grand
Dieu qu ils veulent ta réforme constitu-
tionnelle tout autant que nous, laissent
peut-être voir un peu trop souvent
qu'ils ne s'en soucient pas du tout.
Le plaisant de l'affaire, c'est que le
Siècle ne connaît nullement le discours
dont il parle ; et qu'il se trouve juste-
ment qu'il y était beaucoup moins ques-
tion du Sénat que du gouvernement et
de la Chambre. On connaît notre opinion
sur l'Assemblée du Luxembourg : il suf-
fit delire qu'elle émane d'un suffrage
restreint, qu'elle contient des membres
inamovibles,pour prouver que la Consti-
tution est en contradiction avec la sou-
veraineté du suffrage universel, c'est ce
que j'ai fait. Et le pays est tellement
édifié à ce sujet, qu'il est superflu de
s'étendre.
Mais comment les dispositions orléa-
nistes de la Constitution durent elles en-
core? Pourquoi a-t-on ajourné la révi-
sion ? Pourquoi ajourne-t-on toutes les
réformes Í Telle est la question que j'ai
traitée à Dijon. Pour cela, c'est la
Chambre, le ministèro, que j'avais à exa-
miner.
Et c'est là dessus que le Siècle aurait
eu à répondre, s'il avait d'aulre motif
que de fléchir les rigueurs des séna-
teurs pour les candidats qu'ils jugent in-
suffisants.
Eh non ! O Siècle ! Jo n'ai point ditque
la Chambre travaillerait merveilleuse-
ment si le Sénat ne mettait obstacle à
tout. Je crois mémo que la Chambre ne
travaille pas bien; et que, sans cela, nous
aurions fa révision dont le Siècle ne pa-
rait pas vouloir. M. Jourde, il est vrai,
ne pourrait pas être sénateur inamovi-
ble; eh bien! il s'adressait aux électeurs
des Bouches-du-Rhône.
Le Siècle, là-dessus, déclare que nous
réussissons mal, et il en donne pour
preuve qu'une ville do cinquante mille
âmes (textuel) n'assistait pas tout en-
tière à la conférence. â Mais, Ô Siècle'.
la difficulté serait de trouver une salle
de réunion qui contînt cinquante mille
personnes. Celle de Dijon était remplie.
On ne pouvait pas faire plus. Seule-
ment, ce qui est à noter, c'est que ni à
Dijon, ni dans aucune autre ville, vos
amis n'osent affronter le débat. Per-
sonne ne se lève pour développer toutes
les belles réponses que vous imprimez,
mais qui n'affrontent pas les sifflets du
public. Des votes unanimes viennent
sanctionner nos paroles, et vous parlez
après cela des méfiances que nous sou-
levons? â Cela est ridicule, ô Siècle.
On y sent le dépit. Vous savez bien que
nous trouvons dos auditeurs et même
dee électeurs ; c'est ce qui vous met en
rage. Cachez-le donc un peu mieux.
Camille Pelletan.
Le ministre des Etats-Unis à Paris, M.
Morton, nous communique la dépêche sui-
vante de Washington, 13 Juin :
La dépêche de Philadelphie publiée par le
Times, portant que le département de la ma-
rine des Etats-Unis aurait fait annoncer que
dea congés seraient accordés aux officiers amé-
ricains qui désireraient prendredu service dans
la marine chinoise, ne repose sur aucun fonde-
ment.
Une intéressante polémique s'est engagée
entre le Parlement ai la République fran-
çaise à propos de la loi sur la magistrature.
Les deux journaux se renvoient récipro-
quement l'opinion de Gambetta sur la ques-
tion. Ce qu'il y a de piquant, c'est que
M. Ribot a établi, dans un article auquel
Ïι'a pas répondu la République, â proba-
blement parce qu'elle n'avait rien à répon-
dre, â qu'il avait plus d'autorité que
M. Spuller pour parler au nom de Gam-
betta, puisque le chef de ce qui fut le grand
ministère lui aval! offert nn portefeuille,
tandis qu'il n'avait donné à M. Spuller
qu'un sous-secrétariat d'Etat.
S. P.
Ce soir à huit heures aura lieu, dans
la salle de la Redoute, rue Jean-Jac-
ques-Rousseau, une réunion générale
es délégués des groupes et des jour-
naux adhérents à la « Ligue pour la Ré-
vision de la Constitution. »
CHRONIQUE
PORT-BRETON
Les voleurs de grands chemins du temps
passé étaient des personnages chevaleres-
ques qui TOUS laissaient généralement l'al-
ternative, et l'on avait le droit de choisir
entre la bourse et la vie. Les voyageurs
grincheux qui croyaient indigne d'eux de
faire des concessions devant l'escopelle d'un
malandrin, payaient crânement de leur tête
une énergie peut-être déplacée dans la cir-
constance, mais les malins, convaincus que
l'abandon de leur vie serait immédiate-
ment suivi de la confiscation de leur porte-
feuille, préféraient s'en dépouiller incon-
tinement.
Aujourd'hui, on a perfectionné tout cela.
Il s'est trouvé des grinches de haute lice,
des gentlemens tire-laine qui prenaient la
bourse dane la poche des gens, ce qui ne
les empêchait pas d'être en même temps
de véritables escarpes, et de conduire len-
tement, mais sûrement, leurs victimes à
une mort inéluctable. Le marquis de Rays
que la huitième chambre correctionnelle
est en train de juger, est un des modèles du
genre.
Ce n'est plus le Krach vulgaire, la dé-
bâcle des écus qui laisse du moins le gogo
jeune et bien portant, avec des bras tout
neufs qui peuvent lui refaire une fortune.
Le gentilhomme breton ne faisait rien à
demi. Après avoir agrippé, à grand renfort
d'annonces, les épargnes des malheu-
reux qui croyaient * que c'était arrivé, »
il les expédiait tranquillement en Oceanie
sur nn rocher inculte où ies souscripteurs
claquaient comme des mouches.
La religion ne pouvait manquer de se
trouver mêlée À l'affaire. Dès 1879, l'assas-
sin-marquis expliquait à Marseille, dans
une conférence, le but â la fois * religieux
et patriotique »-.qu'il poursuivait, et il af-
firmait son intention de donner à l'oeuvre
nouvelle « le baptême catholique. * Il in-
sistait sur le caractère social et chrétien
de l'entreprise, promettant de consacrer
dans la législation future de la colonie « la
liberté absolue de tester dans l'acception la
plus large et la plus générale. » Un prêtre,
l'abbé Victor Ménard, fut nommé en 1879
administrateur du bureau de Marseille
avec M. Tarbé des Sablons*
Des bureaux furent successivement fon-
dés dans la ville que nous venons de nom-
mer â on avait naturellement commencé
par Paris â au Havre, à Bruxelles, à An-
vers et à Jersey.
Le gentilhomme-escroc a trouvé le moyen
d'y prélever un joli denier. Sur cinq mil-
lions encaissés à Paris, le marquis de Rays
a palpé 680,000 francs. Il a pris à Marseille
926,000 francs sur 1,612,000 francs; au Ha-
vre 342,000 sur 996,000, à Anvers 45,000 sur
78,000, Je cite les sommes en chiffres ronds :
le marquis m'en voudrait si je venais comp-
ter des fractions. 11 y avait en outre un cer-
tain nombre de « courtiers religieux » (sic)
qui, pour employer une expression popu-
laire, « ne se sont pas embêtés ». Ils doi-
vent présentement vivre de leurs rentes.
J'allais oublier un détail : Charles Bona-
venture du Breil, marquis de Rays, consul
de Bolivie à Quimeren (Finistère), était un
esprit pratique, qui avait prévu le cas où
la colonisation ne répondrait pas à ses espé-
rances: son arc n'était pas un arc mono-
corde, et entre deux réclames pour Port-
Breton, il exploitait « avec une de ses maî-
tresses » une eau et une poudre dentrifice
de son invention,
Nous sommes persuadé, d'ailleurs, que
l'avocat, du marquis saura tirer tout le
parti désirable d'un fait qui montre à quel
point Bonaventura du Breil était un com- 1
merçant entendu en affaire, faisant de la
colonisation sérieuse et possesseur de con-
cessions authentiques. M. de Rays avait
acheté pour la bagatelle de 62 livres ster-
ling (1550 francs) le territoire de la Nou-
velle-Islande et les îlots voisins au roi Ma-
ragano, légataire universel â mon Dieu,
oui ! â du roi Tomdyck.
Un acte notarié â il y avait là-bas un
ancien tabellion de Marseille qui a repris
pendant une minute â sans jeu de mots â
ses anciennes fonctions, constate * que le
prix a été immédiatement payé par lo ven-
deur, qui a vérifié la somme et donné quit-
tance définitive. » La vérité nue, c'est que
Maragano en lieu et placé des 62 livres
sterling, a touché â comme un simple fils
de famille auquel Gobseck livre des croco-
diles empaillés et un mobilier complet en
velours d'Utrecht, â deux paquets de tabac,
un lot de haches, quelques perles et un
costume écarlate.
- Voilà lê côté plaisant, de l'entreprise. Il y
a malheureusement, nous l'avons dit, un
côté sinistre. Sur quatre-vingt-neuf passa-
gers transportés par le Chandernagor.
vingt-sept sont morts, vingt-et-un sont
disparus. Les auxiliaires du marquis de
Rays avaient perfectionné le supplice de
l'actionnaire. On ne se contentait pas de le
dépouiller, on le torturait.
L'un d'eux fut attaché au grand mât, les
deux pouces rapprochés et liés ensemble.
Le filin entrait dans les chairs, et le balan-
cement causé par le roulis rendait la souf-
france épouvantable. Les officiers de con-
trebande recrutés par le marquis menacè-
rent de leurs revolvers les passagers qui
voulaient le délivrer. Ceci pourtant n'était
rien. Le malheureux en réchappa, Mais les
colons débarqués avec quinze jours de vi-
vres á Port-Breton et abandonnés par le
Chandernagor, mouraient comme des mou-
ches. Quelques-uns furent mangés par des
cannibales; un autre, mettant en pratique
la devise du Sphynx, se fit anthropophage.
Quant aux émigrants du Gênil, un cer-
tain nombre fut mis aux fers. Le capitaine
écrivait :
la République française. » Une partie des
passagers réussit néanmoins à s'échapper.
Enfin, sur les colons transportés par l'In-
I dia, 51 sont morts.
Tel est, en raccourci, le bilan de l'entre-
prise « religieuse et sociale » du marquis
de Rays. On sait que ce n'est pas notre ha-
bitude d'anticiper sur l'oeuvre de la justice
et de « charger » les prévenus qui ont
maille à partir avec elle. Màis nous n'a-
vons pas à craindre d'influencer ies juges
de la correctionnelle, seuls compétents, pa-
rai t-il, puisque le Mandrin du grand monde
dont il s'agit ne relève pas de la cour d'as-
sises. C'est là, d'ailleurs, notre seul regret.
On le poursuit pour escroquerie. Nous ne
nous consolerons Jamais qu'on ne puisse
pas íe condamner pour assassinat.
Léon Millot.
UNE
LETTRE DU TONKIN
Nous recevons d'an de nos amis, qui fait
partie de notre corps d'occupation du Tonkin,
mie lettre qui contient les détails les plus in-
téressants sur la prise de la citadelle de Nam-
Dinh.
Noua en extrayons les passages suivants ï
Monsieur le directeur du journal
la JUSTICE, Paris.
Le télégraphe a sans doute appris depuis
longtemps à vos lecteurs la prise de la cita-
delle de Nam-Dinh, mais il n'a pu leur
donner les détails de cette opération mili-
taire. Ils me paraissent assez intéressants
pour vous être transmis.
Depuis quelque temps, pour des raisons
que je n'ai pas à apprécier et qui sont expo-
sées dans le document que vous lirez plus
loin, le commandant Rivière était décidé a
sévir contre le gouverneur de cette pro-
vince.
Le 23 mars, il confiait la défense de Hanoi
au chef de bataillon Berthe de Villers
ayant sous ses ordres la garnison ordi-
naire casernée dans la pagode et 300 h om-
ines spécialement affectés à la garde de la
concession, et se mettaci en marche sur
Nam-Dinh.
L'expédition se composait des bâtiment«
suivants :
La Hache ;
Le Yatagan ;
te Kianq-Nam ;
Le Tonquin ;
Le Whampoa et quatre jonque*.
La Carabine, le Pluvier, la Surprise,
la Fanfare et la chaloupe à vapeur le
Haï-Phong, étaient en avant. La Fanfare
notamment, était depuis quelques jours de-
vaut Nam-Dinh où elle surveillait les ten-
tatives de barrage qui pouvaient se pro-
duire.
Ces bâtiments portaient quatre compa-
gnies de débarquement.
lie lendemain, 24, après avoir dépassé la
grande mission catholique, la flotille ar-
riva en vue de la citadelle annamite de
Ninh-Brinh, dont les canons demeurèrent
muets, ie gouverneur ne voulant pas se
rendre solidaire de son collègue de Nam-
Dlnh, seul menacé par nous. Ce fut une
circonstance heureuse qui permit k l'expé-
dition d'arriver le lendemain dimanche,
25 mars, devant Nam-Dinh. A onze heu-
res du matin, tous les bâtiments étaient an
mouillage à 1,500 mètres de la place.
Le commandant Rivière donna immédia-
tement des ordres pour le débarquement
des troupes qui, très à l'étroit dans ies
Jonques, avaient grand besoin de repos.
Elles prirent terre et s'élancèrent sur les
casernes annamites situées à gauche de la
ville. Elles ne rencontrèrent aucun obsta-
cle devant elles, bien qu'on pùt apercevoir,
en arrière, de nombreuses troupes annami-
tes en train de manoeuvrer dans le camp
: des Lettrés.
I Avant de commencer les hostilités, le
' commandant Rivière crut devoir sommer
le gouverneur.
Il lui adressa en conséquence la lettre
suivante dont j'ai pu me procurer une
copie :
Monsieur le gouverneur,
Depuis un an vous avez eu envers nous l'at-
titude ia plus hostile, et vous avez armé votre
citadelle, autant que vous l'avez pu, de soldats
et de munitions.
Tout dernièrement voua avez préparé des
barrages que l'arrivée seule de nos bâtiments
vous a empêché de faire. Depuis l'arrivée de
nos bâtiments, vous avez encore augmenté vos
armes et vos soldats, excité la population con-
tre nous et proféré contre les Français des in-
sultes et des menaces.
Voua avez fait tout cela sans avoir été pro-
voqué par nous, car j'avais même recommandé
k mes capitaines de bâtiments de ne pas s'a-
percevoir de votre mauvaise volonté et d'user
toujours de courtoisie avec vous, et si vous n'a-
viez pas fait de barrages, je ne vous aurais
pas demandé raison de vos autres actes.
La situation dont vous êtes seul la eause, ne
peut pas durer. Il faut pour le respect qui nous
est du, pour la liberté de notre navigation,
pour notre sécurité au Tonkin, pour que la
paix ne soit plus menacée par vous, que la
citadelle de Nam Dinh soit désormais inoffen-
sive pour nous. Et pour cela, il faut que vous
la remettiez entre mes mains. La citadelle
ayant dès lors cessê d'être une ennemie pour
nous, nous pourrons vivre avec vous dans de
bona termes et vois pourrez garder avec vos
mandarins l'administration de la ville et de la
province» Si vous acceptez ces conditions vous
aurez, vous et vos mandarins, le Thuan-Phu
et le Quan-An, à venir me voir demain matin
à huit heures.
Si vous n'êtes pas venu à bord, demain ma-
tin à huit heures, de mon grand bâtiment
blanc, je serai forcé de vous traiter en ennemi.
Le délai que je vous indique est court, mais
vous devez avoir réfléchi depuis assez long-
temps aux conséquences de votre conduite en-
vers nous, pour que vous ne soyez pas étonné
du peu de temps que je vous laisse oour pren-
dre une décision. De celte décision dépendra,
entre nous, la paix on la guerre.
Veuillez recevoir, etc.
Le commandant en chef des troupes
françaises.
Signé : H. RIVIÈRE.
Le gouverneur a répondu à cette som-
mation, en protestant contre l'imputation
: qui.lui était faite d'avoir ordonné des ten-
tatives de barrage, et par le refus de
livrer la place. Le commandant Rivière
lui adressa quelques lignes pour lui con-
seiller de réfléchir aux conséquences de sa
résolution et l'informer que le lendemain
matin, à huit heures, il commencerait les
hostilités.
Le lendemain 26 mars, on s'éveilla au
milieu d'un brouillard assez épais pour
dérober la vue de la citadelle et des ter-
rains environnants. Nos canonnières de-
meurèrent muettes toute la matinée, qui
fut uniquement employée à une reconnais-
sance opérée par le colonel Carreau, le
commandant Badens, et 25 hommes de
l'infanterie de marine.
Cette reconnaissance eut pour résultat de
déterminer le meilleur point d'attaque, et
des instructions furent données poni* que
les bâtiments concentrassent leurs feux sur
la face sud de la citadelle, afin de faire
croire à l'ennemi que notre principal effort
se porterait de ce côté. A midi, le temps
devint plus clair et permit aux marins de
La Fanfare d'envoyer leurs projectiles
sur les batteries ennemies, dont quelques
pièces furent bientôt démontées. La Fan-
fare était commandée par ie lieutenant de
vaisseau Gadaud. Il était trop tard pour
tenter une attaque décisive; elle fut remise
au lendemain.
Le 27, à sept heures du matin, les troupes
de débarquement prenaient les positions
assignées par le commandant supérieur,
tandis que les canonnières couvraient de
leurs feux, les faces sud, est et ouest de
la citadelle. La Surprise était, pendant ce
temps, plus spécialement chargée de sur-
veiller la campagne et de s'opposer, avec
ses canons, à toute tentative qui pourrait
être faite par les troupes aperçues la veille
dans la direction du camp des Lettres.
Sous la protection de nos bâtiments,
nos braves soldats sé jet tont dans les rues
qui précèdent le fort. Après une vive· fu-
sillade, ils parviennent h s'y loger; mais
dans celte attaque le lieu tenant-colonel
Carreau est malheureusement atteint de
deux balles. Il tombe, la jambe droite bri-
sée. On le transporte au poste de la Mis-
sion, où. M. le chirurgien-major Masse
opère l'amputation héroïquement sup-
portée.
On raconte à ce sujet un mot de ce mal-
heureux officier qui mérite d'être re-
cueilli. On venait de lui couper le pied
quand le commandant Ri vière entra dans
l'ambulance pour le voir et lui serrer la
main : « Ah 1 mon cher co m mandant, dit-il,
avec un sourire, je ferai, des économies do
chaussures. *
Le lieutenant-colonel Carreau blessé, le
chef de bataillon Badens avait pris le com-
mandement de la colonne d'attaque. II fal-
lait avant d'arriver à la citadelle elle-
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