Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1900-05-01
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 mai 1900 01 mai 1900
Description : 1900/05/01 (Numéro 11766). 1900/05/01 (Numéro 11766).
Description : Note : porte imprimé par erreur le n° 11765. Note : porte imprimé par erreur le n° 11765.
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Mardi 1 er Mai 1900
Sdltloa QxK>tldi«na» — il,7Ô5>
Lundi 1 er Mai 1900
ÉDITION QXIOTlblENNB
PARIS ÉTRANGER
et départements (union postale)
tJn &n......... 40 » 51 »
Six mois 21 » 26 50
Trois mois 11 » 14 »
le® «ÎJOjmemeatB partent des I e * et 13 da chaque mois
UN NUMÉRO I PariS 10 CSnt *
ujn NUMERO | Dé parte ments,,.,. i5 _
BUREAUX : Paria, me CaaBette, W
On s'abonne à Rome, place du Gesù, 8
ET
LE MONDE
ÉDITION SEMI-QUOTIDIENNE
PARIS ÉTRANGER
ET DÉPARTEMENTS (UNION postale)
Un an 20 » 26 »
Six mois 10 » 13 *
Trois mois 5 »» 6 50
abonnements partent des 1 er Ofc 10 de chaq.no mois
L'UNIVERS m répond pas des manuscrits qui hi sont adressé*
ANNONCES
MM. LAGRÂNGE, CERF et C u , 6, plac 3e la Bouts»
PARIS, 30 AVRIL 1900
SOMMAIRE
k® dogme et la pen
sée catholiques... Eugèhk Tavernier,
Enterrement p. V.
Oà et là : Mes prix. Joseph L egueu.
En Afrique aus
trale p. L.
En Allemagne L. I.
La messe de l'Expo
sition Edouard Alexandre
Causerie littéraire :
Tennyson Edmond Biré.
Bulletin. — Nouvelles de Rome. — La
justice... protégeant le crime. — La santé
de Mgr Le Nordez. — La catastrophe du
Çhamp-dc-Mars. — L'Exposition. — Les
élections sénatoriales. — Les conseils
généraux. — Informations politiques et
parlementaires. — La guerre du Trans-
vaal. — Dépêches de l'étranger. —* Le
duc d'Orléans et le dessinateur Willette.
— Chronique. —Lettres, sciences et arts.
—■ Fêtes et réunions d'hier. — Chez les
socialistes. — Echos de partout. — Né
crologie. Guerre et marine. — L'atten
tat de Bruxelles.— Tribunaux. — Nou
velles diverses. — Calendrier. — Der
nières nouvelles. — Bourse et bulletin
Nuancier.
Il BOGrME El LA Piffl CATlUIll
Il y a un protestant qui s'appelle
M. Bazalgette et qui vient d'écrire
contre les catholiques un livre as
sez enragé. Le Signal s'en montre
ravi. En,effet ce bel ouvrage prouve
rait à la'Franceque pour reconquérir
son ancienne suprématie elle doit,
chez elle du moins, anéantir le ca
tholicisme. Par essence, le catholi
cisme serait opposé à notre na
tion.
Il faudrait croire que Charlema-
fne, Hugues Capet, saint Louis,
eanne a'Arc et Louis XIV, saint
Bernard, saint Vincent de Paul,
Corneille, Racine et quelques autres
célébrités qui n'ont pas nui au pres
tige du nom français étaient péné
trés de l'esprit protestant. On ne
s'en doutait pas. Le catholicisme
incompatible avec la France, qu'est-
ce que Guizot penserait de cette
manière d'écrire l'histoire ?
Mais que ne dit-on pas aujour
d'hui dans ce milieu? Voici le direc
teur du Signal, M. Chastand, qui
écrit : « Le catholicisme va même
« jusqu'à condamner toute recher-
« che et à déclarer impie tout désir
« de s'éclairer soi-même sur les dog-
« mes de l'Eglise ».
Si un homme sincère et sérieux
devient capable de se laisser entraî
ner à de telles affirmations, c'est
que l'état des esprits dans le monde
protestant est profondément trou-
M. Chastand serait fort embar
rassé de dire quel est le concile ou
quel est le Pape qui a « condamné
« toute recherche et tout désir de
« s'éclairer sur les dogmes ». Il
s'est imaginé cela tout simplement.
Cependant les œuvres des Pères,
amassées de génération en généra
tion, forment une immense biblio
thèque où l'on trouve surtout des
recherches sur le dogme. Et depuis
saint Augustin et saint Thomas, qui
dépensèrent en ce genre une appli
cation incomparable, chaque siècle
a fourni son apport à la théologie ca
tholique.
Nous assistons même à une véri
table renaissance que, dans la grande
publication intitulée Un siècle, le
R. P. Bainvel, jésuite, expose d'une
manière aussi solide que brillante.
Cette étude s'appelle le Dogme et la
pensée catholique. M. Chastand y
recueillerait des indications qui le
dissuaderaient d'écrire les choses
extraordinaires auxquelles il s'a
bandonne; et peut-être M. Balza
gette lui-même en tirerait profit, car
il a certainement besoin de se mettre
à réfléchir.
Comment s'est comporté l'esprit
catholique depuis la Révolution?
Le R. P. Bainvel a fait là-dessus
un examen d'ensemble qui est très
net et, comme on dit à présent, très
suggestif. Ecartant toute affirma-
tion impétueuse et toute déclama
tion ; suivant de près la marche des
idées parfois pesant les mots,
dont l'emploi judicieux a, en pa
reille matière, de si graves consé
quences, le savant jésuite retrace le
relèvement qui s'est dessiné, gra
duel et continuel, au milieu du
chaos.
C'est très exact et très clair. Et
dans quelle langue c'est écrit 1
Puisque M. Chastand aime les pen
sées substantielles et la bonne lit
térature, qu'il lise donc ces trente-
quatre pages. Il ne perdra pas Son
temps, parole d'honneur.
En ce qui concerne notre pays
surtout le R. P. Bainvel a réussi à
marquer les étapes du mouvement
qui ramène vers le centre de la vé
rité les forces si longtemps dirigées
contre elle.
Il ne dissimule rien de la faiblesse
à laquelle, il y a cent ans, était ré
duite chez nous l'idée religieuse.
Les saturnales de la Révolution,
l'épopée de l'Empire, une Restau
ration accomplie sur un terrain bou
leversé et mouvant, achevaient le
désarroi des âmes croyante# qui
avaient vu le dix-huitième siècle se
griser d'impiété. Selon le mot du
R. P. Bainvel, trois hommes surto^jt
donnèrent le branle et ouvrirent les
grandes voies. Chateaubriand « pei-
« gnit la religion catholique belle,
« attrayante, poétique, à moitié per-
« due dans le rayonnement de sa
« gloire extérieure et de ses bisn-
« faits ». C'était beaucoup selon les
circonstances; c'était peu pour le
résultat final. Lamennais « vint
« donner une secousse nouvelle... Il
« montra le problème religieux
« comme un problème qui s'im-
« pose ». Maistre/< réinstalla Tes
te prit chrétien dans la philosophie,
« dans l'histoire, dans tous les do
te maines de l'intelligence ».
Le réveil se faisait par l'apologé
tique. Elle allait au plus pressé, s'é-
tant approvisionnée à la hâte. Des
conférences de Frayssinous à I'« ex
position du dogme catholique »
faite par le P. Monsabré,le progrès
est éclatant. Gerbet, Montalembert,
Lacordaire, Pie, Guéranger, Freppel
sont des noms qui apparaissent
comme des étendards plantés sur
des positions conquises.
Le R. P. Bainvel reconnaît volon
tiers la part qui revient aux laïques
dans cette oeuvre de relèvement. En
parlant de Joseph de Maistre, de Do-
neso Cortès et de Louis Veuillot, il
va jusqu'à déclarer que ceux-ci ont
parfois mieux servi la théologie que
des théologiens de profession. Ci
tons quelques lignes de cette page
curieuse et qui certainement sera
bien comprise :
... Le théologien, vivant toujours dans
la vérité, finit par se familiariser avec
elle ; ne la voyant que du dedans, il n'a
pas toujours le sens net des proportions...
Le laïque, qui voit de plus près les tem
pêtes et les naufrages, goûte mieux la
sécurité du port ; comparant doctrine à
doctrine, explication à explication, il
sent mieux tous ses avantages et plus fa
cilement son âme s'élève et chante tout
haut ce que l'autre ne savait dire qu'à
Dieu...;ladoctrine ancienne reparait chez
lui plus neuve, plus originale, plus de ce
temps et de ce monde. Et voilà comment
la théologie se renouvelle en partie sous
des plumes moins théologiques.
Evidemment il ne s'agit que d'une
circonstance spéciale. Elle n'est
cependant pas unique puisque, et
le R. P. Bainvel le note, Tertullien
et Cyprien défendirent la foi avant
d'être prêtres et que Minutius Fé
lix et Lactance restèrent laïques.
On avouera au moins que cette
observation témoigne d.'un esprit
large.
Elle se rattache à la pensée prin
cipale de l'étude : le réveil ae la
pensée théologique. Sans doute, la
théologie n'avait pas abdiqué, mais
elle se trouvait en face de problè
mes multiples, compliqués depuis
longtemps déjà, les uns par les au
tres. M. Chastand et M. Balzagette
croient que la France avait besoin
d'une « révolution religieuse». Non,
c'est une rénovation qui était néces
saire, une renaissance, travail par
faitement familier à l'Eglise, travail
qui s'accomplit sous la direction de
1 autorité doctrinale, les laïques ne
pouvant être crue des auxiliaires.
Est-ce que les protestants n'ont
aucune notion de l'œuvre qui s'o
père dans le domaine biblique? On
doit le supposer. Si M. Cnastand
avait lu seulement l'encyclique Pro-
videntissimus Deus, il n'aurait ja
mais eu l'idée d'affirmer que le ca
tholique n'a pas le droit de « s'éclai
rer soi-même sur les dogmes de
l'Eglise ». A moins qu'il n'ait voulu
dire : s'éclairer soi tout seul.
Ce n'est pas du tout, la même
chose. Mais en ce cas on n'aboutirait
qu'au charivari entretenu par les
protestants et dans lequel se mélan
gent si bien le fanatisme et l'illumi-
nisme. Sans doute, à certains jours,
le charivari s'apaise. Alors nous
avons un spectacle comme celui
de la conférence de Lyon. Là, les
deux écoles protestantes réunies
pour traiter de leur foi se résignent
a ne pas dire un mot de cette foi ;
feignant d'être d'accord sur ce
qu elles nient l'une contre l'autre ;
hypocrisie réciproque ; double apos
tasie de commande; spectacle hon
teux.
Il n'existe plus d'église protes
tante française : M. Doumergue,
collaborateur du Signal, l'a dit assez
souvent et assez haut.
Parce que nous avons une règle,
nos adversaires veulent que nous
soyons incapables de penser. Mais,
est-ce que Calvin n'a pas voulu s'at
tribuer l'usage de cette régie? Est-
ce qu'il ne dit pas, dans son Institu
tion : « L'Eglise a le pouvoir des
« clefs ; de ce pouvoir émanent des
« droits d'enseignement, de prédi-
« cation, de rémisssion des fautes
« et d'excommunication. » Faut-il
citer le texte de l'excommunication
longtemps employée à Genève?
M. Balzagette nous refuse le titre
de Français parce crue nous suivons
l'esprit de Rome. Mais l'esprit pro
testant est venu d'Allemagne et de
Suisse. Probablement, M. Balza-
fette croit que Genève et Augs-
ourg sont en France et que les
Allemands, les Anglais, les Italiens,
les Norvégiens, les juifs de tout
pays qui nous prêchèrent la foi drey-
fusienne étaient de purs Français.
Eugène T averniek.
"BULLETI&C
Hier ont eu lieu deux élections sénato r
riales. Dans le Rhône, M. Thèvenet a de
nouveau été battu par M. Repiquet qui
avait été injustement invalidé. Dans le
Pas-de-Calais, M. Leroy a été nommé
par 1,538 voix; le concurrent qui a réu
ni le plus de suffrages après l'élu, a été...
le président Kruger aunom duquel on a
trouvé 70 suffrages.
Hier après-midi, à l'Exposition, s'est
produit une catastrophe : une passe
relle, non encore livrée à la circulation,
s'est effondrée, tuant dans sa chute neuf
personnes et en blessant plusieurs au
tres. On trouvera plus loin de longs
détails sur cet épouvantable accident.
Le comité général du parti socialiste
français a décidé que «vu les obliga
tions de la propagande électorale muni
cipale, il n'organiserait pas de mani
festations communes à l'occasion du
L" mai. »
En Espagne, VUnion nationale con(i-
nue sa violente campagne contre les pro
jets financiers du gouvernement. De son
côté, le ministère est décidé à repousser
énergiquement toutes les manifestations
hostiles : c'est ainsi qu'ilva poursuivre le
Siglo futuro et le Pais pour avoir publié
le manifeste de l'Ujiion nationale.
Le congrès des Etats-Unisvient de dé
cider de faire constrire toute une flottille
de torpilleurs sous-marins.
On annonce que la députation boer va
se rendre aux Etats-Unis ; elle s'embar
quera jeudi à Rotterdam.
—
NOUVELLES DE ROME
27 avril.
Le Souverain Pontife a reçu hier en
audience particulière le général baron de
Loë, aide de camp de l'empereur d'Alle
magne.
— Hier aussi, le Souverain Pontife a
r' '„-u en audience particulière, le prince
Taddeo Lubormirski, le prince et la prin
cesse Ladislao Lubormiski.
— Le Souverain Pontife a reçu ce ma
tin en audiences privées et séparées,
NN. SS. Thomas Norber, évéque de Fri-
bourg, Dominique-Charles Willi, évéque
de Limbourg, et Adalbert Eudert, évéque
de Fulda.
— On calcule que le nombre des pèle
rins, arrivés dans la journée d'hier à
Rome, est supérieur à neuf mille.
— Le comte et la comtesse Lonyay
sont partis ce soir pour le Tyrol.
— Le Souverain Pontife Léon XIII est
descendu ce matin à Saint-Pierre pour
recevoir environ six mille pèlerins.
Les groupes des divers diocèses étaient
présidés par leurs évéques.
Celui de la Toscane, le plus nombreux,
était présidé par Mgr Mistrangelo, arche
vêque de Florence.
Environ dix mille personnes de Rome
et de l'étranger s'étaient unies aux pèle
rins : plusieurs cardinaux, de nombreux
archevêques, évéques et prélats, ainsi
que de hauts personnages, entre autres,
la comtesse de Trani, le comte de Thun,
le prince Ratibor, la princesse Strozzi, la
comtesse de la Roche-Fouchet. Il y avait
aussi beaucoup de représentants des so
ciétés catholiques.
Sa Sainteté, vivement acclamée, a
donné la bénédiction apostolique et reçu
les chefs du pèlerinage.
28 avril.
Le Souverain Pontife a reçu ce matin
en audience privée S. Em. le cardinal
Pierre-Lambert Goossens, archevêque de
Malines.
Ce matin également, Sa Sainteté a reçu
en audience privée S. Em. le cardinal
Gennaro Portanova, archevêque de Reg-
gio-Caiabre.
— On mande de Naples :
« Demain dimanche, S. Em. le cardi
nal archevêque Prisco fera son entrée
solennelle au sanctuaire de Pompéi et
prendra possession de sa nouvelle charge
de vicaire de S. S. Léon XIII audit sanc
tuaire. »
— Aujourd'hui sont arrivés les nom
breux pèlerinages du diocèse d'Arezzo,
de l'Apulie et Basilieate, ainsi que des
provinces méridionales de Lecce, Bari,
FQggia et Potenza, — composées d'envi
ron trois mille personnes.
— Aujourd'hui est arrivé, sous la con
duite de S. Em. le cardinal Gruscha, ar
chevêque de Vienne, le pèlerinage de
l'aristocratie viennoise, composé d'envi
ron cinq cents personnes.
ENTERREMENT
• Voici, de nouveau, M. Thévenet
battu. Cette fois, c'est définitif. Le
Voltaire promet au vaincu sa re
vanche pour les prochaines élec
tions sénatoriales du Rhône, —
dans neuf ans. Le Voltaire a la con
solation cruelle.
On applaudit volontiers, et même
joyeusement, au scrutin d'hier. Il
soulage la conscience. Il la soulage,
d'abord, parce que l'invalidation de
M. Repiquet avait été une flagrante
injustice. Personne, de tous ceux
qui ont rendu ce vote, n'a pu se faire
illusion là-dessus. On voulait repê
cher M. Thévenet; on l'a repêché,
contre tout droit. Mais ce n'était
pas la cassation pure et simple du
verdict électoral. L'audace eût paru
trop forte. C'était, comme pour une
autre affaire, la cassation avec ren
voi. Même issue : confirmation de
la première sentence. Et voilà M.
Thévenet deux fois condamné. Il
ne lui a servi à rien de faire le ca
davre récalcitrant. Repêché par le
Sénat, renoyé par les électeurs.
La conscience publique est sou
lagée en outre, pour une raison
d'ordre plus général. Le vaincu
d'hier avait l'honneur,... ou le dé
shonneur d'être un drapeau. Vous,
l'auriez peut-être qualifié de loque;
mais c'était un drapeau cependant.
Il symbolisait une certaine politique
et certaines mœurs parlementaires.
On l'avait dit quand il fut battu au
mois de janvier. On avait vu dans
son échec une réprobation de la
Haute-Cour, de la campagne contre
l'armée ainsi que des menées sec
taires et jacobines qui entretiennent
la suspicion avec la discorde. Il
semblait aussi, à cause de certaines
accusations maintes fois repro
duites, que les électeurs eussent
été guidés par un souci de moralité.
C^st pour cela, sans doute, que
les radicaux et les vieux-opportu
nistes du Sénat, au risque ae n'ob
tenir qu'une condamnation' nou
velle, en ont voulu appeler au suf
frage mieux informé. Le résultat,
c'est une affirmation plus claire,
plus formelle et plus retentissante
de la volonté du pays, qui réclame
une politique honnête et libérale.
P. V.
Çà et là
MES PRIX
Hier, profitant des loisirs d'une soirée
de dimanche... et de migraine, j'ai fait
autour de ma chambre une excursion
forcément moins étendue et moins pro
longée que le charmant voyage de Xavier
de Maistre. Très vite, mes yeux se sont
fixés, sur le seul de mes meubles qui offre
de l'intérêt pour autrui et pour moi-
même : ma bibliothèque. Le contenu de
cette simple armoire d'acajou... en bois
blanc peint, constitue le plus clair de ma
fortune, bien qu'à l'achat de mes livres
je n'aie sacrifié nul capital. Les uns en
effet sont des « hommages de l'éditeur »
auxquels j'ai consacré dans divers jour
naux des bibliographies bien entendu
louangeuses ; les autres, au nombre d'une
centaine, sont mes prix d'autrefois, les
gages des brillantes victoires que je rem
portai au collège breton de Saint-Nor
bert.
Jamais je ne considère leurs reliures
sombres, — ornées d'une croix et de la
belle devise : In hoc signo vinces — et
leurs tranches poussiéreuses (mon cher
meuble ferme mal) sans quelque étonne-
ment ni sans quelque regret. La première
de ces impressions provient de ce que je
ne puis concevoir comment j'obtins jadis
le prix de version grecque, ou celui d'his
toire ancienne des peilples de l'Orient.
Aujourd'hui, hélas llamoindre fable d'E
sope offre pour moi (ne le dites pas à mes
élèves) des pièges et des ténèbres. Et de
la liste des rois d'Egypte, je n'ai retenu
qu'un nom qui me parut toujours extrê^
mement suggestif et harmonieux : Se-
sourtasen. Dix années ont effacé mes au
tres souvenirs antiques. Car l'homme
oublie très vite ce qu'on lui enseigna. H
ne se souvient fidèlement que de ses
deuils et de ses larmes...
Le regret que m'inspire d'autre part
la vue de mes prix est presque du re««
mords. Il résulte de ce fait que je ne les
lus jamais. Dans mon enfance et ma
prime jeunesse, il me semblait que des
livres provenant d'un collège et distri
bués à l'issue d'un solennel discours ne
pouvaient qu'être ennuyeux. Seuls deux
volumes du marquis de Ségur ; Souve
nirs et récits d'un Frère, me séduisirent
par leur titre, par le portrait du doux et
saint aveugle dont Us évoquaient la vie.
Je les lus jusqu'au bout, en très peu de
jours, avec autant de plaisir que d'édifi
cation. Mais j'eus le tort de n'ouvrir ni
les Antonins. du comte de Champagny,
ni l'Esquisse de Rome chrétienne , de
Mgr Gerbet, ni les Persécutions de M.
Paul Allard, ni le Garcia Moreno, du
R. P. Berthe. Absorbé maintenant par la
besogne journalière, combien je me re
proche de n'avoir point, durant mon ado
lescence, exploité, armé d'une plume et
d'un cahier de notes, ces trésors et tant
d'autres !
Ce qui donnait cependant pour moi, ja
dis, une réelle valeur à mes livres de ré
compenses, comme aux guirlandes de
laurier provenant du parc de mon cher
vieux collège, c'était la joie profonde et
émue de mes parents, quand je rappor
tais au foyer mes trophées pacifiques. La
distribution des prix, c'est la fête des
mères bien plutôt que celle des fils. Il me
semble (peut-être est-ce d'ailleurs une im
pression personnelle et trompeuse) que
les écrivains qui célèbrent l'ivresse des
succès scolaires exagèrent un peu. Pour
ma part, faut-il l'avouer? j'aurais volon
tiers, si je n'avais songé au bonheur des
miens, échangé mes prix et mes cou
ronnes contre le coupé à deux chevaux
de mon camarade Henri Mongellec, aussi
fortuné que paresseux, qui briguait tou
jours les dernières places et détenait le
record des pensums... Il est devenu de
puis maire de sa commune, conseiller
général de son canton et membre de l'A
cadémie d« son chef-lieu. Car c'est à de
telles gloires que conduit l'ignorance de
l'orthographe...
Jamais donc, les satisfactions que me
causaient mes victoires classiques ne
compensèrent les blessures d'amour-pro
pre, si cruelles à douze ou quinze ans,
que je ressentais parfois, moi tout petit
bourgeois, élevé parmi des enfants en
majorité riches. Quand, au retour d'une
promenade, la division des « moyens »
passait devant le chalet modeste, et tant
aimé pourtant,où s'abrita mon adolescen
ce, j'avais la faiblesse de rougir de cette
construction exiguë, dont les six fenêtres
s'ouvraient sur des platebandes peuplées
de roses anémiques et d'œillets sang d«
bœuf. Depuis lors, j'ai subi des douleurs
plus profondes. Elles n'ont pas complète
ment effacé le souvenir de ces chagrins
d'enfant dont je sourirais aujourd'hui, si
je ne me rappelais combien ils furent
vifs...
Je dois le dire pourtant, en dépit des
froissements passagers que faisait naître
de temps à autre ou qu'exagérait mon
orgueil, mes années de collège furent
pour moi une époque bénie.
Comme j'aimais le calme des croitres
blancs que tachait çà et là de noir une
robe de prêtre, et le recueillement de la
chapelle romane où mes prières avaient
une ferveur fraîche et naïve que je vou
drais tant retrouver ! Les hommes de
Dieu qui veillèrent sur mon adolescence,
l'autel de ma première communion, je
les revoyais hier soir, avec les yeux du
cœur, en feuilletant mes livres de prix.
Mes regards distraits ne lisaient pas les
mots imprimés sur les pages déjà jau
nissantes. C'était un passé lointain qui
occupait ma pensée. Et voilà pourquoi
ces quelques heures de voyage à travers
ma bibliothèque me furent en somme
brèves et douces. Car le vrai bonheur
FEUILLETON DE L'UNIVERS
du l" mai 1900
CADSERIE LITTÉRAIRE
Alfred Tennyson (1).
(Suite et fin.)
I
La gloire, la fortune et les honneurs
étaient venus chercher Tennyson. En
France, on n'eut pas admis qu'un hom
me, ainsi placé à la tête de la littérature,
put vivre ailleurs qu'à Paris, avec ses
confrères de l'Académie ou de la Société
des gens de lettres. En Angleterre, il n'en
va pas de même, et l'idée ne vint pas un
instant au grand poète qu'il dût aller vi
vre à Londres. Il acceptait bien d'être
jwète lauréat et d'avoir ses entrées à la
cour, mais à la condition de vivre à la
campagne et dans la solitude. Après son
mariage, il cessa d'habiter avec sa fa
mille, à Boxley, mais ce fut pour aller
demeurer à Warminglid dans le Sussex,
où il loua une belle maison. Cette maison
ne lui plut pas longtemps. Une autre
(1) Tennyson, par le R P. Ragcy, Maris-
te. Un volume in-18, Delhomme et Briguet,
éditeurs, rue de Rennes, 1900.— Voir, pour
le premier article, VUntverç du 3 avril
1900.
qu'il loua Tannée suivante à Twickenam
ne le satisfit pas non plus. Ce n'était pas
ce qu'il rêvait. Il voulait un grand parc,
la pleine campagne, un paysage pittores
que, le voisinage de la mer. En 1853, on
lui parla d'une habitation dans l'île de
Wight qui réunissait toutes ces condi
tions. Il partit aussitôt avec Mme Tenny
son pour la visiter. Cette fois, il avait
trouvé la réalisation de ton rêve. Far-
ringford — c'est le nom de cette résiden
ce, à la fois tranquille et magnifique —
jouit d'une des plus belles vues de la
mer qu'offre l'Angleterre, qui en a ce
pendant, on le sait, un grand nombre de
très belles. La mer bordée de côtes pitto
resques n'est qu'à environ un demi-kilo
mètre de distance. La. maison avec ses
dépendances était à louer ou à vendre.
Le prix qu'on en demandait était beau
coup trop élevé pour que Tennyson, à ce
moment, pût songer à l'acquérir. La loca
tion seule s'élevait très haut, tellement
haut qu'il ne pouvait y atteindre. Mais
l'éditeur Maxbn avança vingt-cinq mille
francs, et le 24 novembre 1853 le poète,
ayant pris une location avec promesse
de vente, s'installa à Farringford.
Le moment viendra bientôt où, grâce
au succès grandissant de ses œuvres, il
pourra s'en rendre acquéreur ; mais cette
belle résidence ne lui suffira plus. Il se
fera bâtir, selon ses goûts, dans un site
superbe du comté de Surrey, une habita
tion vraiment splendide. Il en posa la
première pierre en avril 1868- Aldworth
est une demeure princière, environnée
de grands bois et qui commande une
vue immense. Chaque année, quand il
avait regardé la mer tout à son aise des
fenêtres de Farringford, il allait, au
commencement de juillet, contempler de
ses terrasses d'Aldworth un des plus
beaux panoramas de forêts, de plaines,
de prairies, de riches coteaux et de gra
cieuses vallées que puisse présenter l'An
gleterre.
C'est dans ces deux poétiques résiden
ces, mais surtout à Farringford, que
Tennyson a composé les œuvres dont il
nous reste à parler.
II fit paraître en 1855 son poème de
Maud, auquel il avaitd'abord donné pour
titre : Maud or the madness, Maud ou
la folie. Le héros qu'il met en scène est
une manière d'IIamlet. Comme Hamlet,
il n'est fou que d'une manière intermit
tente, et il est atteint d'une folie d'un
genre tout particulier à laquelle se mêle
ce que le génie a de plus élevé et la poé
sie, de plus ravissant. C'est un fou de
génie, doué de l'âme la plus poétique.
Rendu fou par un égoïsme cynique et des
passions basses, il est ramené à la raison
et à des sentiments plus généreux par
l'amour d'une noble femme. Cette femme
c'est Maud.
Quelques critiques, et non des moin
dres, firent entendre de vives protesta
tions ; ils voulurent voir dans le héros du
poème Tennyson lui-même, absolument
comme on avait vu Byron dans Child-Ha-
x*old. Certes, rien ne ressemblait moins
au noble poète que ce nouvel Hamlet,
cet Hamlet vicieux, sombre, égoïste, pas
sionné jusqu'à la démence. Et pourtant
il est bien vrai que Tennyson avait mis
dans cette nouvelle œuvre quelque chose
de lui-même, comme un brûlant souve
nir des impressions, des visions trou
blantes, qui l'avaient agité au lendemain
de la mort de son ami Hallam ; comme
une évocation de la lutte étrange, mysté
rieuse qu'il avait alors soutenue et dont
il était sorti vainqueur. Les critiques ne
se trompaient donc pas tout à fait, de
même que ceux-là ne se trompaient pas
non plus qui faisaient remarquer que,
dans aucune autre de ses oeuvres, Ten
nyson n'avait déployé plus de lyrisme.
Dans aucune la beauté des détails n'est
plus ravissante ; mais surtout dans au
cune autre il ne s'est montré aussi vive
ment, aussi puissamment passionné; By
ron lui-même n'a rien de plus passionné
que Maud.
Malgré les critiques qu'il souleva, ou
plutôt à cause d'elles, le poème eut un
succès de vente considérable, si bien que
Tennyson, l'année suivante (1856), put
acheter Farringford. Jusqu'alors il n'a
vait qu'une location.
En 1859, un applaudissement unanime
accueillit les Idylles du roi. En moins de
huit jours, dix mille exemplaires furent
enlevés, des exemplaires à quinze francs
le volume.
Avec In memoriam, les Idylles du roi
sont restées l'œuvre capitale de Tenny
son. Les poésies auxquelles il a donné
ce titre ne sont pas du reste des idylles.
Elles ressemblent plutôt à des fragments
d'épopée où sont célébrés les exploits du
roi Arthur et de ses chevaliers de la
Table ronde.
- Le volume de 1859 ne renfermait
qu'une partie des Idyiles que nous avons
aujourd'hui. Ce ne fut qu'en 1869, dix
ans plus tard, que Tennyson publia The
Holy Grail, Le saint Graal ; puis, en 1871,
Tkelast Tournament, Le dernier Tour
noi ; en 1872, Gareth and Lynette, et,
enfin, en 1885, Balin and Balan. Quand
tous ces poèmes furent achevés, il les
réunit et les publia sous ce titre définitif :
les Idylles du roi en douze livres.
Dès sa jeunesse, il avait rêvé de traiter
ce grand sujet, qui l'occupa en réalité
pendant plus d'un demi-siècle. Ce fut, à
proprement parler, son sujet. S'il ne le
traita que d'une manière intermittente,
et à la longue, c'est parce qu'il lui ré
servait ses meilleures inspirations, ses
meilleurs moments, ceux où il se sentait
le mieux disposé et le plus en verve. Il
voulait aussi n'en aborder les parties
principales que lorsque son génie, par
de longues études et un long exercice,au
rait acquis tout son développement et
toute sa puissance. Quoique Tennyson
ait composé beaucoup d'autres poèmes
de grande importance et de haute va
leur, les Idylles du roi furent vraiment
Vœuvre de sa vie : In memoriam est
peut-être la plus belle production de son
génie ; les Idylles en sont le plus grand
effort.
Elles sont aussi, dé toutes ses oeuvres,
celle qui révèle le plus complètement
sa personnalité. C'est l'opinion de son
fils lui-même, et aucun juge ne saurait
être plus compétent. Il semble, en effet,
que les Idylles montrent mieux encore
que In memoriam tout ce qu'il y avait de
grand, de noble, de chevaleresque, d'ex
quis et de délicat dans cette nature pri
vilégiée. Par la peinture des caractères,
les harmonies poétiques et la beauté du
style, les Idylles satisfont l'esprit et plai
sent à l'imagination. Mais elles ont un
mérite plus grand enoore ; elles élèvent
l'âme. En même temps que le poète a su
animer toute son œuvre d'un souffle puis
sant, et lui communiquer une grandeur
et une majesté vraiment épiques, il a
pris soin de relier ces douze petits poèmes
par une idée morale qui leur donne une
véritabie unité. L'unité de pensée sup
plée, jusqu'à un certain point, à l'unité
d'action requise pour l'épopée.
L'idée morale qui se dégage de toutes
ces idylles et qui les relie entre elles,
c'est l'idée chrétienne des ravages exer
cés sur toute une vie par un seul péché.
C'est que, dans cette lutte longue et mys
térieuse entre la chair et l'esprit qui
remplit la vie humaine, il importe d'être
.victorieux, et que la vietpire n'appartient
qu'à la vertu, parfois à l'héroïsme.
Le 11 novembre 1872, le cardinal Man-
ning, ayant eu une entrevue avec Ten
nyson, en profita pour le remercier cha
leureusement de l'un des poèmes des
Idylles qui venait de paraître sous ce ti
tre : Gareth and Lynette.
II
Tennyson n'est pas seulement le poète
des Idylles du roi, c'est-à-dire d«« Idyl-
Sdltloa QxK>tldi«na» — il,7Ô5>
Lundi 1 er Mai 1900
ÉDITION QXIOTlblENNB
PARIS ÉTRANGER
et départements (union postale)
tJn &n......... 40 » 51 »
Six mois 21 » 26 50
Trois mois 11 » 14 »
le® «ÎJOjmemeatB partent des I e * et 13 da chaque mois
UN NUMÉRO I PariS 10 CSnt *
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LE MONDE
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Un an 20 » 26 »
Six mois 10 » 13 *
Trois mois 5 »» 6 50
abonnements partent des 1 er Ofc 10 de chaq.no mois
L'UNIVERS m répond pas des manuscrits qui hi sont adressé*
ANNONCES
MM. LAGRÂNGE, CERF et C u , 6, plac 3e la Bouts»
PARIS, 30 AVRIL 1900
SOMMAIRE
k® dogme et la pen
sée catholiques... Eugèhk Tavernier,
Enterrement p. V.
Oà et là : Mes prix. Joseph L egueu.
En Afrique aus
trale p. L.
En Allemagne L. I.
La messe de l'Expo
sition Edouard Alexandre
Causerie littéraire :
Tennyson Edmond Biré.
Bulletin. — Nouvelles de Rome. — La
justice... protégeant le crime. — La santé
de Mgr Le Nordez. — La catastrophe du
Çhamp-dc-Mars. — L'Exposition. — Les
élections sénatoriales. — Les conseils
généraux. — Informations politiques et
parlementaires. — La guerre du Trans-
vaal. — Dépêches de l'étranger. —* Le
duc d'Orléans et le dessinateur Willette.
— Chronique. —Lettres, sciences et arts.
—■ Fêtes et réunions d'hier. — Chez les
socialistes. — Echos de partout. — Né
crologie. Guerre et marine. — L'atten
tat de Bruxelles.— Tribunaux. — Nou
velles diverses. — Calendrier. — Der
nières nouvelles. — Bourse et bulletin
Nuancier.
Il BOGrME El LA Piffl CATlUIll
Il y a un protestant qui s'appelle
M. Bazalgette et qui vient d'écrire
contre les catholiques un livre as
sez enragé. Le Signal s'en montre
ravi. En,effet ce bel ouvrage prouve
rait à la'Franceque pour reconquérir
son ancienne suprématie elle doit,
chez elle du moins, anéantir le ca
tholicisme. Par essence, le catholi
cisme serait opposé à notre na
tion.
Il faudrait croire que Charlema-
fne, Hugues Capet, saint Louis,
eanne a'Arc et Louis XIV, saint
Bernard, saint Vincent de Paul,
Corneille, Racine et quelques autres
célébrités qui n'ont pas nui au pres
tige du nom français étaient péné
trés de l'esprit protestant. On ne
s'en doutait pas. Le catholicisme
incompatible avec la France, qu'est-
ce que Guizot penserait de cette
manière d'écrire l'histoire ?
Mais que ne dit-on pas aujour
d'hui dans ce milieu? Voici le direc
teur du Signal, M. Chastand, qui
écrit : « Le catholicisme va même
« jusqu'à condamner toute recher-
« che et à déclarer impie tout désir
« de s'éclairer soi-même sur les dog-
« mes de l'Eglise ».
Si un homme sincère et sérieux
devient capable de se laisser entraî
ner à de telles affirmations, c'est
que l'état des esprits dans le monde
protestant est profondément trou-
M. Chastand serait fort embar
rassé de dire quel est le concile ou
quel est le Pape qui a « condamné
« toute recherche et tout désir de
« s'éclairer sur les dogmes ». Il
s'est imaginé cela tout simplement.
Cependant les œuvres des Pères,
amassées de génération en généra
tion, forment une immense biblio
thèque où l'on trouve surtout des
recherches sur le dogme. Et depuis
saint Augustin et saint Thomas, qui
dépensèrent en ce genre une appli
cation incomparable, chaque siècle
a fourni son apport à la théologie ca
tholique.
Nous assistons même à une véri
table renaissance que, dans la grande
publication intitulée Un siècle, le
R. P. Bainvel, jésuite, expose d'une
manière aussi solide que brillante.
Cette étude s'appelle le Dogme et la
pensée catholique. M. Chastand y
recueillerait des indications qui le
dissuaderaient d'écrire les choses
extraordinaires auxquelles il s'a
bandonne; et peut-être M. Balza
gette lui-même en tirerait profit, car
il a certainement besoin de se mettre
à réfléchir.
Comment s'est comporté l'esprit
catholique depuis la Révolution?
Le R. P. Bainvel a fait là-dessus
un examen d'ensemble qui est très
net et, comme on dit à présent, très
suggestif. Ecartant toute affirma-
tion impétueuse et toute déclama
tion ; suivant de près la marche des
idées parfois pesant les mots,
dont l'emploi judicieux a, en pa
reille matière, de si graves consé
quences, le savant jésuite retrace le
relèvement qui s'est dessiné, gra
duel et continuel, au milieu du
chaos.
C'est très exact et très clair. Et
dans quelle langue c'est écrit 1
Puisque M. Chastand aime les pen
sées substantielles et la bonne lit
térature, qu'il lise donc ces trente-
quatre pages. Il ne perdra pas Son
temps, parole d'honneur.
En ce qui concerne notre pays
surtout le R. P. Bainvel a réussi à
marquer les étapes du mouvement
qui ramène vers le centre de la vé
rité les forces si longtemps dirigées
contre elle.
Il ne dissimule rien de la faiblesse
à laquelle, il y a cent ans, était ré
duite chez nous l'idée religieuse.
Les saturnales de la Révolution,
l'épopée de l'Empire, une Restau
ration accomplie sur un terrain bou
leversé et mouvant, achevaient le
désarroi des âmes croyante# qui
avaient vu le dix-huitième siècle se
griser d'impiété. Selon le mot du
R. P. Bainvel, trois hommes surto^jt
donnèrent le branle et ouvrirent les
grandes voies. Chateaubriand « pei-
« gnit la religion catholique belle,
« attrayante, poétique, à moitié per-
« due dans le rayonnement de sa
« gloire extérieure et de ses bisn-
« faits ». C'était beaucoup selon les
circonstances; c'était peu pour le
résultat final. Lamennais « vint
« donner une secousse nouvelle... Il
« montra le problème religieux
« comme un problème qui s'im-
« pose ». Maistre/< réinstalla Tes
te prit chrétien dans la philosophie,
« dans l'histoire, dans tous les do
te maines de l'intelligence ».
Le réveil se faisait par l'apologé
tique. Elle allait au plus pressé, s'é-
tant approvisionnée à la hâte. Des
conférences de Frayssinous à I'« ex
position du dogme catholique »
faite par le P. Monsabré,le progrès
est éclatant. Gerbet, Montalembert,
Lacordaire, Pie, Guéranger, Freppel
sont des noms qui apparaissent
comme des étendards plantés sur
des positions conquises.
Le R. P. Bainvel reconnaît volon
tiers la part qui revient aux laïques
dans cette oeuvre de relèvement. En
parlant de Joseph de Maistre, de Do-
neso Cortès et de Louis Veuillot, il
va jusqu'à déclarer que ceux-ci ont
parfois mieux servi la théologie que
des théologiens de profession. Ci
tons quelques lignes de cette page
curieuse et qui certainement sera
bien comprise :
... Le théologien, vivant toujours dans
la vérité, finit par se familiariser avec
elle ; ne la voyant que du dedans, il n'a
pas toujours le sens net des proportions...
Le laïque, qui voit de plus près les tem
pêtes et les naufrages, goûte mieux la
sécurité du port ; comparant doctrine à
doctrine, explication à explication, il
sent mieux tous ses avantages et plus fa
cilement son âme s'élève et chante tout
haut ce que l'autre ne savait dire qu'à
Dieu...;ladoctrine ancienne reparait chez
lui plus neuve, plus originale, plus de ce
temps et de ce monde. Et voilà comment
la théologie se renouvelle en partie sous
des plumes moins théologiques.
Evidemment il ne s'agit que d'une
circonstance spéciale. Elle n'est
cependant pas unique puisque, et
le R. P. Bainvel le note, Tertullien
et Cyprien défendirent la foi avant
d'être prêtres et que Minutius Fé
lix et Lactance restèrent laïques.
On avouera au moins que cette
observation témoigne d.'un esprit
large.
Elle se rattache à la pensée prin
cipale de l'étude : le réveil ae la
pensée théologique. Sans doute, la
théologie n'avait pas abdiqué, mais
elle se trouvait en face de problè
mes multiples, compliqués depuis
longtemps déjà, les uns par les au
tres. M. Chastand et M. Balzagette
croient que la France avait besoin
d'une « révolution religieuse». Non,
c'est une rénovation qui était néces
saire, une renaissance, travail par
faitement familier à l'Eglise, travail
qui s'accomplit sous la direction de
1 autorité doctrinale, les laïques ne
pouvant être crue des auxiliaires.
Est-ce que les protestants n'ont
aucune notion de l'œuvre qui s'o
père dans le domaine biblique? On
doit le supposer. Si M. Cnastand
avait lu seulement l'encyclique Pro-
videntissimus Deus, il n'aurait ja
mais eu l'idée d'affirmer que le ca
tholique n'a pas le droit de « s'éclai
rer soi-même sur les dogmes de
l'Eglise ». A moins qu'il n'ait voulu
dire : s'éclairer soi tout seul.
Ce n'est pas du tout, la même
chose. Mais en ce cas on n'aboutirait
qu'au charivari entretenu par les
protestants et dans lequel se mélan
gent si bien le fanatisme et l'illumi-
nisme. Sans doute, à certains jours,
le charivari s'apaise. Alors nous
avons un spectacle comme celui
de la conférence de Lyon. Là, les
deux écoles protestantes réunies
pour traiter de leur foi se résignent
a ne pas dire un mot de cette foi ;
feignant d'être d'accord sur ce
qu elles nient l'une contre l'autre ;
hypocrisie réciproque ; double apos
tasie de commande; spectacle hon
teux.
Il n'existe plus d'église protes
tante française : M. Doumergue,
collaborateur du Signal, l'a dit assez
souvent et assez haut.
Parce que nous avons une règle,
nos adversaires veulent que nous
soyons incapables de penser. Mais,
est-ce que Calvin n'a pas voulu s'at
tribuer l'usage de cette régie? Est-
ce qu'il ne dit pas, dans son Institu
tion : « L'Eglise a le pouvoir des
« clefs ; de ce pouvoir émanent des
« droits d'enseignement, de prédi-
« cation, de rémisssion des fautes
« et d'excommunication. » Faut-il
citer le texte de l'excommunication
longtemps employée à Genève?
M. Balzagette nous refuse le titre
de Français parce crue nous suivons
l'esprit de Rome. Mais l'esprit pro
testant est venu d'Allemagne et de
Suisse. Probablement, M. Balza-
fette croit que Genève et Augs-
ourg sont en France et que les
Allemands, les Anglais, les Italiens,
les Norvégiens, les juifs de tout
pays qui nous prêchèrent la foi drey-
fusienne étaient de purs Français.
Eugène T averniek.
"BULLETI&C
Hier ont eu lieu deux élections sénato r
riales. Dans le Rhône, M. Thèvenet a de
nouveau été battu par M. Repiquet qui
avait été injustement invalidé. Dans le
Pas-de-Calais, M. Leroy a été nommé
par 1,538 voix; le concurrent qui a réu
ni le plus de suffrages après l'élu, a été...
le président Kruger aunom duquel on a
trouvé 70 suffrages.
Hier après-midi, à l'Exposition, s'est
produit une catastrophe : une passe
relle, non encore livrée à la circulation,
s'est effondrée, tuant dans sa chute neuf
personnes et en blessant plusieurs au
tres. On trouvera plus loin de longs
détails sur cet épouvantable accident.
Le comité général du parti socialiste
français a décidé que «vu les obliga
tions de la propagande électorale muni
cipale, il n'organiserait pas de mani
festations communes à l'occasion du
L" mai. »
En Espagne, VUnion nationale con(i-
nue sa violente campagne contre les pro
jets financiers du gouvernement. De son
côté, le ministère est décidé à repousser
énergiquement toutes les manifestations
hostiles : c'est ainsi qu'ilva poursuivre le
Siglo futuro et le Pais pour avoir publié
le manifeste de l'Ujiion nationale.
Le congrès des Etats-Unisvient de dé
cider de faire constrire toute une flottille
de torpilleurs sous-marins.
On annonce que la députation boer va
se rendre aux Etats-Unis ; elle s'embar
quera jeudi à Rotterdam.
—
NOUVELLES DE ROME
27 avril.
Le Souverain Pontife a reçu hier en
audience particulière le général baron de
Loë, aide de camp de l'empereur d'Alle
magne.
— Hier aussi, le Souverain Pontife a
r' '„-u en audience particulière, le prince
Taddeo Lubormirski, le prince et la prin
cesse Ladislao Lubormiski.
— Le Souverain Pontife a reçu ce ma
tin en audiences privées et séparées,
NN. SS. Thomas Norber, évéque de Fri-
bourg, Dominique-Charles Willi, évéque
de Limbourg, et Adalbert Eudert, évéque
de Fulda.
— On calcule que le nombre des pèle
rins, arrivés dans la journée d'hier à
Rome, est supérieur à neuf mille.
— Le comte et la comtesse Lonyay
sont partis ce soir pour le Tyrol.
— Le Souverain Pontife Léon XIII est
descendu ce matin à Saint-Pierre pour
recevoir environ six mille pèlerins.
Les groupes des divers diocèses étaient
présidés par leurs évéques.
Celui de la Toscane, le plus nombreux,
était présidé par Mgr Mistrangelo, arche
vêque de Florence.
Environ dix mille personnes de Rome
et de l'étranger s'étaient unies aux pèle
rins : plusieurs cardinaux, de nombreux
archevêques, évéques et prélats, ainsi
que de hauts personnages, entre autres,
la comtesse de Trani, le comte de Thun,
le prince Ratibor, la princesse Strozzi, la
comtesse de la Roche-Fouchet. Il y avait
aussi beaucoup de représentants des so
ciétés catholiques.
Sa Sainteté, vivement acclamée, a
donné la bénédiction apostolique et reçu
les chefs du pèlerinage.
28 avril.
Le Souverain Pontife a reçu ce matin
en audience privée S. Em. le cardinal
Pierre-Lambert Goossens, archevêque de
Malines.
Ce matin également, Sa Sainteté a reçu
en audience privée S. Em. le cardinal
Gennaro Portanova, archevêque de Reg-
gio-Caiabre.
— On mande de Naples :
« Demain dimanche, S. Em. le cardi
nal archevêque Prisco fera son entrée
solennelle au sanctuaire de Pompéi et
prendra possession de sa nouvelle charge
de vicaire de S. S. Léon XIII audit sanc
tuaire. »
— Aujourd'hui sont arrivés les nom
breux pèlerinages du diocèse d'Arezzo,
de l'Apulie et Basilieate, ainsi que des
provinces méridionales de Lecce, Bari,
FQggia et Potenza, — composées d'envi
ron trois mille personnes.
— Aujourd'hui est arrivé, sous la con
duite de S. Em. le cardinal Gruscha, ar
chevêque de Vienne, le pèlerinage de
l'aristocratie viennoise, composé d'envi
ron cinq cents personnes.
ENTERREMENT
• Voici, de nouveau, M. Thévenet
battu. Cette fois, c'est définitif. Le
Voltaire promet au vaincu sa re
vanche pour les prochaines élec
tions sénatoriales du Rhône, —
dans neuf ans. Le Voltaire a la con
solation cruelle.
On applaudit volontiers, et même
joyeusement, au scrutin d'hier. Il
soulage la conscience. Il la soulage,
d'abord, parce que l'invalidation de
M. Repiquet avait été une flagrante
injustice. Personne, de tous ceux
qui ont rendu ce vote, n'a pu se faire
illusion là-dessus. On voulait repê
cher M. Thévenet; on l'a repêché,
contre tout droit. Mais ce n'était
pas la cassation pure et simple du
verdict électoral. L'audace eût paru
trop forte. C'était, comme pour une
autre affaire, la cassation avec ren
voi. Même issue : confirmation de
la première sentence. Et voilà M.
Thévenet deux fois condamné. Il
ne lui a servi à rien de faire le ca
davre récalcitrant. Repêché par le
Sénat, renoyé par les électeurs.
La conscience publique est sou
lagée en outre, pour une raison
d'ordre plus général. Le vaincu
d'hier avait l'honneur,... ou le dé
shonneur d'être un drapeau. Vous,
l'auriez peut-être qualifié de loque;
mais c'était un drapeau cependant.
Il symbolisait une certaine politique
et certaines mœurs parlementaires.
On l'avait dit quand il fut battu au
mois de janvier. On avait vu dans
son échec une réprobation de la
Haute-Cour, de la campagne contre
l'armée ainsi que des menées sec
taires et jacobines qui entretiennent
la suspicion avec la discorde. Il
semblait aussi, à cause de certaines
accusations maintes fois repro
duites, que les électeurs eussent
été guidés par un souci de moralité.
C^st pour cela, sans doute, que
les radicaux et les vieux-opportu
nistes du Sénat, au risque ae n'ob
tenir qu'une condamnation' nou
velle, en ont voulu appeler au suf
frage mieux informé. Le résultat,
c'est une affirmation plus claire,
plus formelle et plus retentissante
de la volonté du pays, qui réclame
une politique honnête et libérale.
P. V.
Çà et là
MES PRIX
Hier, profitant des loisirs d'une soirée
de dimanche... et de migraine, j'ai fait
autour de ma chambre une excursion
forcément moins étendue et moins pro
longée que le charmant voyage de Xavier
de Maistre. Très vite, mes yeux se sont
fixés, sur le seul de mes meubles qui offre
de l'intérêt pour autrui et pour moi-
même : ma bibliothèque. Le contenu de
cette simple armoire d'acajou... en bois
blanc peint, constitue le plus clair de ma
fortune, bien qu'à l'achat de mes livres
je n'aie sacrifié nul capital. Les uns en
effet sont des « hommages de l'éditeur »
auxquels j'ai consacré dans divers jour
naux des bibliographies bien entendu
louangeuses ; les autres, au nombre d'une
centaine, sont mes prix d'autrefois, les
gages des brillantes victoires que je rem
portai au collège breton de Saint-Nor
bert.
Jamais je ne considère leurs reliures
sombres, — ornées d'une croix et de la
belle devise : In hoc signo vinces — et
leurs tranches poussiéreuses (mon cher
meuble ferme mal) sans quelque étonne-
ment ni sans quelque regret. La première
de ces impressions provient de ce que je
ne puis concevoir comment j'obtins jadis
le prix de version grecque, ou celui d'his
toire ancienne des peilples de l'Orient.
Aujourd'hui, hélas llamoindre fable d'E
sope offre pour moi (ne le dites pas à mes
élèves) des pièges et des ténèbres. Et de
la liste des rois d'Egypte, je n'ai retenu
qu'un nom qui me parut toujours extrê^
mement suggestif et harmonieux : Se-
sourtasen. Dix années ont effacé mes au
tres souvenirs antiques. Car l'homme
oublie très vite ce qu'on lui enseigna. H
ne se souvient fidèlement que de ses
deuils et de ses larmes...
Le regret que m'inspire d'autre part
la vue de mes prix est presque du re««
mords. Il résulte de ce fait que je ne les
lus jamais. Dans mon enfance et ma
prime jeunesse, il me semblait que des
livres provenant d'un collège et distri
bués à l'issue d'un solennel discours ne
pouvaient qu'être ennuyeux. Seuls deux
volumes du marquis de Ségur ; Souve
nirs et récits d'un Frère, me séduisirent
par leur titre, par le portrait du doux et
saint aveugle dont Us évoquaient la vie.
Je les lus jusqu'au bout, en très peu de
jours, avec autant de plaisir que d'édifi
cation. Mais j'eus le tort de n'ouvrir ni
les Antonins. du comte de Champagny,
ni l'Esquisse de Rome chrétienne , de
Mgr Gerbet, ni les Persécutions de M.
Paul Allard, ni le Garcia Moreno, du
R. P. Berthe. Absorbé maintenant par la
besogne journalière, combien je me re
proche de n'avoir point, durant mon ado
lescence, exploité, armé d'une plume et
d'un cahier de notes, ces trésors et tant
d'autres !
Ce qui donnait cependant pour moi, ja
dis, une réelle valeur à mes livres de ré
compenses, comme aux guirlandes de
laurier provenant du parc de mon cher
vieux collège, c'était la joie profonde et
émue de mes parents, quand je rappor
tais au foyer mes trophées pacifiques. La
distribution des prix, c'est la fête des
mères bien plutôt que celle des fils. Il me
semble (peut-être est-ce d'ailleurs une im
pression personnelle et trompeuse) que
les écrivains qui célèbrent l'ivresse des
succès scolaires exagèrent un peu. Pour
ma part, faut-il l'avouer? j'aurais volon
tiers, si je n'avais songé au bonheur des
miens, échangé mes prix et mes cou
ronnes contre le coupé à deux chevaux
de mon camarade Henri Mongellec, aussi
fortuné que paresseux, qui briguait tou
jours les dernières places et détenait le
record des pensums... Il est devenu de
puis maire de sa commune, conseiller
général de son canton et membre de l'A
cadémie d« son chef-lieu. Car c'est à de
telles gloires que conduit l'ignorance de
l'orthographe...
Jamais donc, les satisfactions que me
causaient mes victoires classiques ne
compensèrent les blessures d'amour-pro
pre, si cruelles à douze ou quinze ans,
que je ressentais parfois, moi tout petit
bourgeois, élevé parmi des enfants en
majorité riches. Quand, au retour d'une
promenade, la division des « moyens »
passait devant le chalet modeste, et tant
aimé pourtant,où s'abrita mon adolescen
ce, j'avais la faiblesse de rougir de cette
construction exiguë, dont les six fenêtres
s'ouvraient sur des platebandes peuplées
de roses anémiques et d'œillets sang d«
bœuf. Depuis lors, j'ai subi des douleurs
plus profondes. Elles n'ont pas complète
ment effacé le souvenir de ces chagrins
d'enfant dont je sourirais aujourd'hui, si
je ne me rappelais combien ils furent
vifs...
Je dois le dire pourtant, en dépit des
froissements passagers que faisait naître
de temps à autre ou qu'exagérait mon
orgueil, mes années de collège furent
pour moi une époque bénie.
Comme j'aimais le calme des croitres
blancs que tachait çà et là de noir une
robe de prêtre, et le recueillement de la
chapelle romane où mes prières avaient
une ferveur fraîche et naïve que je vou
drais tant retrouver ! Les hommes de
Dieu qui veillèrent sur mon adolescence,
l'autel de ma première communion, je
les revoyais hier soir, avec les yeux du
cœur, en feuilletant mes livres de prix.
Mes regards distraits ne lisaient pas les
mots imprimés sur les pages déjà jau
nissantes. C'était un passé lointain qui
occupait ma pensée. Et voilà pourquoi
ces quelques heures de voyage à travers
ma bibliothèque me furent en somme
brèves et douces. Car le vrai bonheur
FEUILLETON DE L'UNIVERS
du l" mai 1900
CADSERIE LITTÉRAIRE
Alfred Tennyson (1).
(Suite et fin.)
I
La gloire, la fortune et les honneurs
étaient venus chercher Tennyson. En
France, on n'eut pas admis qu'un hom
me, ainsi placé à la tête de la littérature,
put vivre ailleurs qu'à Paris, avec ses
confrères de l'Académie ou de la Société
des gens de lettres. En Angleterre, il n'en
va pas de même, et l'idée ne vint pas un
instant au grand poète qu'il dût aller vi
vre à Londres. Il acceptait bien d'être
jwète lauréat et d'avoir ses entrées à la
cour, mais à la condition de vivre à la
campagne et dans la solitude. Après son
mariage, il cessa d'habiter avec sa fa
mille, à Boxley, mais ce fut pour aller
demeurer à Warminglid dans le Sussex,
où il loua une belle maison. Cette maison
ne lui plut pas longtemps. Une autre
(1) Tennyson, par le R P. Ragcy, Maris-
te. Un volume in-18, Delhomme et Briguet,
éditeurs, rue de Rennes, 1900.— Voir, pour
le premier article, VUntverç du 3 avril
1900.
qu'il loua Tannée suivante à Twickenam
ne le satisfit pas non plus. Ce n'était pas
ce qu'il rêvait. Il voulait un grand parc,
la pleine campagne, un paysage pittores
que, le voisinage de la mer. En 1853, on
lui parla d'une habitation dans l'île de
Wight qui réunissait toutes ces condi
tions. Il partit aussitôt avec Mme Tenny
son pour la visiter. Cette fois, il avait
trouvé la réalisation de ton rêve. Far-
ringford — c'est le nom de cette résiden
ce, à la fois tranquille et magnifique —
jouit d'une des plus belles vues de la
mer qu'offre l'Angleterre, qui en a ce
pendant, on le sait, un grand nombre de
très belles. La mer bordée de côtes pitto
resques n'est qu'à environ un demi-kilo
mètre de distance. La. maison avec ses
dépendances était à louer ou à vendre.
Le prix qu'on en demandait était beau
coup trop élevé pour que Tennyson, à ce
moment, pût songer à l'acquérir. La loca
tion seule s'élevait très haut, tellement
haut qu'il ne pouvait y atteindre. Mais
l'éditeur Maxbn avança vingt-cinq mille
francs, et le 24 novembre 1853 le poète,
ayant pris une location avec promesse
de vente, s'installa à Farringford.
Le moment viendra bientôt où, grâce
au succès grandissant de ses œuvres, il
pourra s'en rendre acquéreur ; mais cette
belle résidence ne lui suffira plus. Il se
fera bâtir, selon ses goûts, dans un site
superbe du comté de Surrey, une habita
tion vraiment splendide. Il en posa la
première pierre en avril 1868- Aldworth
est une demeure princière, environnée
de grands bois et qui commande une
vue immense. Chaque année, quand il
avait regardé la mer tout à son aise des
fenêtres de Farringford, il allait, au
commencement de juillet, contempler de
ses terrasses d'Aldworth un des plus
beaux panoramas de forêts, de plaines,
de prairies, de riches coteaux et de gra
cieuses vallées que puisse présenter l'An
gleterre.
C'est dans ces deux poétiques résiden
ces, mais surtout à Farringford, que
Tennyson a composé les œuvres dont il
nous reste à parler.
II fit paraître en 1855 son poème de
Maud, auquel il avaitd'abord donné pour
titre : Maud or the madness, Maud ou
la folie. Le héros qu'il met en scène est
une manière d'IIamlet. Comme Hamlet,
il n'est fou que d'une manière intermit
tente, et il est atteint d'une folie d'un
genre tout particulier à laquelle se mêle
ce que le génie a de plus élevé et la poé
sie, de plus ravissant. C'est un fou de
génie, doué de l'âme la plus poétique.
Rendu fou par un égoïsme cynique et des
passions basses, il est ramené à la raison
et à des sentiments plus généreux par
l'amour d'une noble femme. Cette femme
c'est Maud.
Quelques critiques, et non des moin
dres, firent entendre de vives protesta
tions ; ils voulurent voir dans le héros du
poème Tennyson lui-même, absolument
comme on avait vu Byron dans Child-Ha-
x*old. Certes, rien ne ressemblait moins
au noble poète que ce nouvel Hamlet,
cet Hamlet vicieux, sombre, égoïste, pas
sionné jusqu'à la démence. Et pourtant
il est bien vrai que Tennyson avait mis
dans cette nouvelle œuvre quelque chose
de lui-même, comme un brûlant souve
nir des impressions, des visions trou
blantes, qui l'avaient agité au lendemain
de la mort de son ami Hallam ; comme
une évocation de la lutte étrange, mysté
rieuse qu'il avait alors soutenue et dont
il était sorti vainqueur. Les critiques ne
se trompaient donc pas tout à fait, de
même que ceux-là ne se trompaient pas
non plus qui faisaient remarquer que,
dans aucune autre de ses oeuvres, Ten
nyson n'avait déployé plus de lyrisme.
Dans aucune la beauté des détails n'est
plus ravissante ; mais surtout dans au
cune autre il ne s'est montré aussi vive
ment, aussi puissamment passionné; By
ron lui-même n'a rien de plus passionné
que Maud.
Malgré les critiques qu'il souleva, ou
plutôt à cause d'elles, le poème eut un
succès de vente considérable, si bien que
Tennyson, l'année suivante (1856), put
acheter Farringford. Jusqu'alors il n'a
vait qu'une location.
En 1859, un applaudissement unanime
accueillit les Idylles du roi. En moins de
huit jours, dix mille exemplaires furent
enlevés, des exemplaires à quinze francs
le volume.
Avec In memoriam, les Idylles du roi
sont restées l'œuvre capitale de Tenny
son. Les poésies auxquelles il a donné
ce titre ne sont pas du reste des idylles.
Elles ressemblent plutôt à des fragments
d'épopée où sont célébrés les exploits du
roi Arthur et de ses chevaliers de la
Table ronde.
- Le volume de 1859 ne renfermait
qu'une partie des Idyiles que nous avons
aujourd'hui. Ce ne fut qu'en 1869, dix
ans plus tard, que Tennyson publia The
Holy Grail, Le saint Graal ; puis, en 1871,
Tkelast Tournament, Le dernier Tour
noi ; en 1872, Gareth and Lynette, et,
enfin, en 1885, Balin and Balan. Quand
tous ces poèmes furent achevés, il les
réunit et les publia sous ce titre définitif :
les Idylles du roi en douze livres.
Dès sa jeunesse, il avait rêvé de traiter
ce grand sujet, qui l'occupa en réalité
pendant plus d'un demi-siècle. Ce fut, à
proprement parler, son sujet. S'il ne le
traita que d'une manière intermittente,
et à la longue, c'est parce qu'il lui ré
servait ses meilleures inspirations, ses
meilleurs moments, ceux où il se sentait
le mieux disposé et le plus en verve. Il
voulait aussi n'en aborder les parties
principales que lorsque son génie, par
de longues études et un long exercice,au
rait acquis tout son développement et
toute sa puissance. Quoique Tennyson
ait composé beaucoup d'autres poèmes
de grande importance et de haute va
leur, les Idylles du roi furent vraiment
Vœuvre de sa vie : In memoriam est
peut-être la plus belle production de son
génie ; les Idylles en sont le plus grand
effort.
Elles sont aussi, dé toutes ses oeuvres,
celle qui révèle le plus complètement
sa personnalité. C'est l'opinion de son
fils lui-même, et aucun juge ne saurait
être plus compétent. Il semble, en effet,
que les Idylles montrent mieux encore
que In memoriam tout ce qu'il y avait de
grand, de noble, de chevaleresque, d'ex
quis et de délicat dans cette nature pri
vilégiée. Par la peinture des caractères,
les harmonies poétiques et la beauté du
style, les Idylles satisfont l'esprit et plai
sent à l'imagination. Mais elles ont un
mérite plus grand enoore ; elles élèvent
l'âme. En même temps que le poète a su
animer toute son œuvre d'un souffle puis
sant, et lui communiquer une grandeur
et une majesté vraiment épiques, il a
pris soin de relier ces douze petits poèmes
par une idée morale qui leur donne une
véritabie unité. L'unité de pensée sup
plée, jusqu'à un certain point, à l'unité
d'action requise pour l'épopée.
L'idée morale qui se dégage de toutes
ces idylles et qui les relie entre elles,
c'est l'idée chrétienne des ravages exer
cés sur toute une vie par un seul péché.
C'est que, dans cette lutte longue et mys
térieuse entre la chair et l'esprit qui
remplit la vie humaine, il importe d'être
.victorieux, et que la vietpire n'appartient
qu'à la vertu, parfois à l'héroïsme.
Le 11 novembre 1872, le cardinal Man-
ning, ayant eu une entrevue avec Ten
nyson, en profita pour le remercier cha
leureusement de l'un des poèmes des
Idylles qui venait de paraître sous ce ti
tre : Gareth and Lynette.
II
Tennyson n'est pas seulement le poète
des Idylles du roi, c'est-à-dire d«« Idyl-
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