Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1903-09-15
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 15 septembre 1903 15 septembre 1903
Description : 1903/09/15 (N12240). 1903/09/15 (N12240).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75755017
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
CINQ CENTIMES' 1© Numéro. IS - - - Numéro OiyTQ CENTI.ffES
r
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L'échéance du 15 septembre étant. une des
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vellement à l'Administrateur de notre jour
nal, 14, rue du Mail.
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NOS LEADERS
ÎJIJÎ [Il j | Trllir
Perros-Guirec, 12 septembre.
Je pars tout à l'heure pour Tré-
guier. Si on le veut bien, je complé-
terai par quelques notes personnelles
le compte rendu très détaillé des fêtes
que nos lecteurs trouveront par ail-
leurs. Au moment où ces lignes pa-
raîtront, le télégraphe vous aura, en
effet, renseignés. Mais ces fêtes au-
ront, j'espère l'avoir fait comprendre
dans de précédents articles, un carac-
tère origmal"que l'information télégra-
phique n'est peut-être pas de nature à
mettre en relief. Il manque souvent à
la dépêche de donner l'impression de
la « chose vue ». C'est la lacune que
je voudrais combler.
***
Ici, nous sommes certainement sur
une terre républicaine : toutes les élec-
tions le prouvent. Mais c'est un sol
démocratique neuf, et, au milieu de la
riche moisson qui se lève, il y a encore
toute une flore sauvage qui, mal déra-
cinée, essaie encore de sortir des sil-
lons.
Voilà ce qui rend, au pays de Trécor,
la vie politique si ardente et si passion-
née. Il y a, dans cette partie de la Bre-
tagne, une joie de bataille qui fait de
chaque républicain un admirable mi-
litant. -
Nos amis bretons ont affaire à forte
partie. Nous avons parlé souvent du
rôle du clergé. On pourrait apercevoir,
dans ce clergé régional, deux partis :
nous les appellerons le parti « jeune-
prêtre » et le parti « vieux-prêtre ».
Ce dernier est composé des curés re-
- crutés autrefois dans le monde des
cultivateurs. Ce sont, en somme, des
- paysans, dont l'esprit n'a d'autre hori-
zon que celui que leur a ouvert l'église.
Gens crédules, fanatiques : vrais fils
de chouans. ,
L'autre parti est constitué par des
prêtres plus avisés, plus affinés, plus
diplomates, plus renseignés : généra-
lement, d'ailleurs, aussi violemment
ennemis de la société moderne que
leurs anciens.
Les uns et les autres usentuvec lar-
gesse du sermon en breton qui leur
permet une propagande plus intime
auprès de la masse ignorante des
« fidèles ».
Les placards en breton ou en fran-
çais sont distribués toujours avec abon-
dance. L'un de ces placards, que j'ai
sous les yeux, mais que je n'ai pas eu
le temps de faire traduire s'intitule:
Renan ar Judas, Renan le Judas. Le ti-
tre suffit, n'est-ce pas ?
Le parti clérical dispose aussi, dans
nos départements de l'Ouest,de moyens
de pression sur l'opinion, qui sont
d'un caractère moins brutal et plus
moderne que ceux que je viens d'énu-
mérer.
La presse réactionnaire est forte-
ment outillée ; elle dispose de capitaux
à coup sûr considérables. Ses organes,
franchement monarchistes et cléri-
caux, ou modérément républicains,ré-
pandent partout la bonne parole pa-
piste et méliniste. Leurs affiches rac-
crochent l'œil et leurs crieurs déchi-
rent l'oreille. Il y a certainement, de
ce chef, beaucoup d'argent depensé.
On comprend que les partis de recul
ne lésinent pas pour essayer de con-
server leurs vieux fiefs électoraux,
★**
Pourtant., l'opinion tend avec cons-
tance à se dégager des préjugés qu'on
tente de cultiver chez elle. Impossible
de ne pas admirer cette évolu hon.seu--
sible et spontanée de la conscience
populaire.
La réaction locale a fait appel à des
concours étrangers à la région.
M. Ferdinand Bnmetière donne à
- une feuille bretonne une série de let-
tres relatives a Renan. La politique de
M. Bnmetière est beaucoup trop « ta-
tillonne » et précieuse, en même
temps que spécieuse, pour exercer
une action sur le peuple juvénile et
vigoureux de la terre celtique. Sim-
plement, les honnêtes Bretons compa-
reront le portrait que fait de Renan
M. Brunetière, aux caricatures que
- distribuent, les sacristains à la porte
des églises. Et ces braves gens con-
• • sei lieront aux cléricaux de mettre un
peu d'harmonie dans un concert fort
discordant.
L'amiral Rieunier, battu à Lannion
aux dernières élections, se joint égale-
ment, dans un manifeste à ses an-
ciens électeurs, a la coalition des droi-
: tes contre Renan. L'éloquence de M.
ïlieunier est beaucoup plus rude et
plus « nature » que celle de M. Brune-
tière. Je crains cependant qu'elle ne
soit pas plus efficace. Ne prédisons
rien, puisque les événements vont
nous renseigner.
Hugues Destrem.
■
LE DISCOURS DE M. COMBES
On lira plus loin le discours
prononcé à Tréguier par M.
Combes : chacun de nos lecteurs
pourra donc se faire sur cette
harangue une opinion person-
nelle.
La notre , nous la résumerons ainsi :
presque tout ce qu'a dit M. Combes mérite
d'être approuvé ; nous reprochons à M.
Combes de n'avoir pas dit tout ce qu'il
avait à dire. •
Nous avons d'autant plus le droit de
conclure ainsi, que le discours du président
du conseil embrasse toutes les questions
qui sont en ce moment en discussion ou à
l'étude ; ainsi il a parlé, et très bien parlé,
: du service de deux ans : il s'est exprimé
sur nos finances* et-sur le ministre qui est
à leur tête, en des termes excellents ; il a
traité la question extérieure ; il a salué
l'aurore de cette nouvelle et grande révo-
lution : l'arbitrage international, de façon à
'recueillir l'assentiment de tous les républi-
cains, de tous les amis d'une France grande
dans les travaux de la paix.
Revenant aux questions intérieures, il s'est
défendu de donner dans la majorité une
place prépondérante au groupe socialiste; ,
il a délaré être, à un titre égal, le serviteur;
de toutes les fractions de la majorité, et il
a affirmé, en propres termes, qu'il n'est
pas le prisonnier de M. Jaurès. Enfin, sur
la question des Congrégations, il a rappelé,-
en tous ses détails, l'insurrection mona-
cale ; il a fait remarquer que le gouveMie-
ment nesongeait nullement à faire la guerre,
aux religions, et il a indiqué qu'il avait
dù se trouver en lutte ouverte avec les mi-
nistres de là religion catholique, à raison
de l'alliance évidente de ceux-ci avec la
moinerie en révolte.
Et c'est ici que nous arrêtons nos com-
pliments, et que nous devons formuler des
réserves sérieuses : voilà bien des fois, —
et combien de fois, — que M. Combes
nous annonce qu'il est en guerre avec le
clergé ; il a même été plus loin, récem-
ment, puisqu'il a laissé entendre, s'il ne l'a
pas dit expressément, que l'heure de la
séparation des Eglises et de l'Etat pour-
rait bien prochainement sonner. On atten-
dait,sur ce point, une parole décisive. Cette:
parole, M. Combes n'a point encore jugé à
propos de la prononcer hier, à Tréguier.
Nous sommes obligé de lui avouer que
cette abstention nous paraît fâcheuse. Mais
cette question est de celles sur lesquelles
les occasions ne sont point rares de reve-
nir. Nous y reviendrons.
1 ♦ ..IH
EMBUSCADES !
Je suis, de ceux que laissent sceptiques les
déclarations plus ou moins tardives, plus ou
moins bruyantes que font certains modérés en
faveur du service de deux ans.
Je me rappelle que jadis, il firent dans le
pays, dans leurs journaux, dans leurs dis-
cours, une campagne systématique contre
cette réforme égalilaire. Tous les. arguments
leur furent bons. Ils mêlèrent même le patrio-
tisme à cette affaire où il n'avait rien à voir.
Le patriotisme sert trop souvent,hélas, à mas-
quer l'absence de raisons sérieuses.
D'où vient une brusque volte face ? D'où
vient que des hommes qui, il y a deux ans,
comptaient parmi les adversaires les plus ré-
solus du service à court terme, ont si rapide-
ment changé leur fusil d'épaule ? Sont-ils sin-
cères ? Leurs conversions ne sont-elles qu'ap-
parentes ? Que méditent-ils ?
J'ai bien peur que ce ne soit le service de
deux ans lui-même qui paie les frais de leurs
r revirements. Nous avions le droit de considérer
sa réalisation comme prochaine. Après une
discussion minutieuse le Sénat l'avait enfin;
voté, en deuxième délibération. La parole est
maintenant à la Chambre. Oue va-t-il se
passer? -
Un ! j'adjure nos amis de se taire, de voter
sans presenier aucun amendement, aucun
contre-projet qui occasionnerait des retards, et.
de ne point s'associer aux amendements et aux
contre-projets d'hommes de la droite ou du
centre, car, je le crois, c'est là qu'est le péril.
Je ld sais bien, le projet Rolland est loin
d'être parfait, mais la perfection existe-t-elle ?;
Elle ne réside pas, dans tous les cas, dans les
lois les plus discutées et les plus remaniées;;
-voyez plutôt la loi des accidents, la loi des:
'associations, la loi sur les bouilleurs de cru.:
Et telles retouches que l'on croit un moment
opportunes nuisent bien souvent à l'ensemble.
Mais enfin, tel qu'il est, il vaut mieux que"
rien, et plus tard, si dans la pratique des cor-
rections de détail se révèlent, nécessaires, il
sera toujours temps de les faire.
Le projet des droitiers est de faire avorter la
loi, par une. obstruction systématique. On
verra, à chaque séance, un réactionnaire de
marque, ou un sous-Lasies quelconque monter
à la tribune et déposer fin amendement censé-,
ment destiné à perfectionner le texte primitif,
mais qui en réalité remettra tout en question.
Il ne faut pas être dupe de cette tactique et
tomber dans les embuscades qu'on sèmera sous
nos pas.. - -
Ce serait, d'un seul coup, annihiler tous les
efforts faits par le parti républicain pour le
vote d'une loi désiréo par le pays qui fera dis-
paraître les privilèges et qui rétablira l'égalité
de tous les citoyens devant l'impôt du sang. —
Charles Darcy.
UN ÉCHO DES MANŒUVRES ALLEMANDES
(De notre correspondant particulier)
Dresde, 13 septembre. -
Peu de temps avant les grandes manœuvres,
le propriétaire d'une grande villa avait été
averti qu'il aurait pour hôte un souverain,
qui, lui avait-on dit, ne serait pas l'empereur
Guillaume.
Le propriétaire fit mettre à neuf tout l'appar-
tement, et ses soins s'étendaient même à un
cabinet d'une destination bien discrète.
Il y avait placé une boîte à musique disposée
de telle façon que rien qu'en prenant place
sur l'unique siège du cabinet elle commençait-
à jouer l'hymne national, le Wacht am Rhein.
Tout était prêt pour recevoir dignement la
tête couronnée, lorsqu'une dépêche de la der- ,
nière heure annonça que le souverain ne pren-
drait pas part aux grandes manœuvres et qu'il,
se ferait remplacer par un très, haut militaire.
«Bonî sejdit lo propriétaire, je prouverai
toujours mon dévouement au roi et à sa glo-
rieuse armée », et il fit le meilleur i accueil au
général.
Le lendemain, l'aimable amnhylrion était
tout étonné de découvrir un petit air de mé-
contentement chez son hôte et il s'empressa de
lui demander s'il était satisfait de son logement.
Ce serait parfait, répondit le général, s'il n'y
avait pas ce a machin avec boite à musique ». A
peine suis-je assis dessus, voilà que cela joue le
Wacht am Rhein. D'après le règlement, jo suis
obligé de l'écouter jusqu'à la fin en me tenant de-
bout les talons joints,'ce que je fais puisque c'est
le règlement. Mais dès que je me rasseois, l'air
recommence et m'oblige à me remettre de nouveau
debout.., Alors quand et comment voulez-vous
que je. fasse ma digestion?
A VOLVIC
Quand, il y a quelques semaines, les soeurs
du « Bon-Pasteur. » qui tenaient école à Volvic
(Puy-de-Dôme) durent vider les lieux, elles
assuraient que leur exil serait de courte durée.
Un avocat très réactionnaire — celui-là même
à qui M. Buffet réserve la préfecture du Puy-
de-Dôme, quand on mettra les républicains à
mal — leur avait affirmé que le pays était exas-
péré de la façon dont on les traitait, et que le
diable lui-même, fût-il mis à la tête du gou-
vernement, devrait cédsr devant l'explosion du
courroux populaire. :
Les jours sa suivant sans que l'opinion anti-
cléricale fléchisse, robe d'avocat et robes de
sœurs s'agitent. Il apparaît aux meneurs qu'il
faut se résigner à la lutte briitale.,
Les béguines sont donc revenues à Volvic.
On peut voir, tout le jour, de noires corneilles
voler de porte en porte. Ces épouses du Sei-
gneur, qu'anime une ardeur belliqueuse, s'en
vont répétant à to.s, et surtout à toutes que,
dès la rentrée des classes, elles vont rouvrir
;leur école. Elles invitent la population à ne
pas confier les enfants aux institutrices laï-
ques.
La majorité républicaine et socialiste de Vol-
vic est justement émue de ce retour offensif de
la congrégation.
Si M. Combes, qui doit aller à Clermont-
Fetrand 19 11 octobre, veut y être acclamé par
les électeurs volvicois, il fera bien de mettre à
la raison la moinerie en révolte.
- L'action anticléricale du gouvernement n'est
déjà pas très brillante. S'il laisse la congréga-
tion se moquer des décrets de fermeture, on se
demande où seront les résultats du magnifique
mouvement d'opinion de ces dernières années.
- Maurice Juncker.
NOUVEAU COMPLOT MILITAIRE EN SERBIE
(De notre correspondant particulier)
Zimony (frontière serbo-hongroise),
13 septembre.
A Kragouyevatz, on a découvert un nouveau
complot, militaire. Plusieurs officiers ont été
arrêtés. Les autorités sérbesentourent d'un pro-
fond mystère cette affaire, qui parait d'une
telle gravité qu'elle a déterminé le roi Pierre à
prendre des mesures extraordinaires, pour sa
sécurité personnelle.
Le roi fait garder sa chambre à coucbor ptr
douze gardes-suisses. Il a fait relier psrr un fil
électrique cette pièce à la caserne des gardes dà
corps. Au bord de la Save on tient une barque
toute prête à conduire, le cas échéant, le roi
sur l'autre rive qui est déjà territoirehongrois^
Par surcroît de précaution on attache chaque
nuit une échelle de corde à la fenêtre de la
chambre à coucher du roi.
—————.—————— ———— : ——————.
DÉSERTIONS DE SOLDATS HONGROIS
(De notre correspondant particulier)
.- Budapest, 13 septembre.
Les soldats hongrois retenus sous les dra-
peaux, contrairement à la loi, désertent en
masse : au 65e régiment d'infanterie seul, les
désertions s'élèvent à cinquante environ.
Même les soldats hongrois en garnison en
Autriche, s'évadent et rentrent en Hongrié, Ce
mouvement rappelle quelque peu celui- qui
s'était produit à la veille de la Révolution de
1848.
—————.———————— ---
L'EMPEREUR JACQUES Ier POURSUIVI EN SUISSE
(De notre correspondant particulier)
Berne, 13 septembre.
Les autorités fédérales ont appris, par des
rapports confidentiels, que M.Jacques Lebaudy,
-se donnant comme touriste anglais, a parcouru
la Suisse, dans le but d'enrôler des gens pour
sa « garde impériale ».
Aussitôt que l'enquête établira l'exactitude
de ce fait, le procureur fédéral intentera des
poursuites correctionnelles contre M. Lebaudy
pour infraction à l'art. 3 de la loi fédérale.
M. Lebaudy est passible d'une condamnation
d'un mois à trois ans de prison et de 1,000 lr.
d'amende.
LA CONVOCATION DU REICHSTAG
(De notre correspondant particulier)
Berlin, 13 septembre.
Le nouveau Reichstag ne se réunira que
vers la fin du mois de novembre. Le gouver-
nement attendra le résultat des élections pour
!a Diète prussienne, qui auront lieu dans la
deuxième quinzaine de novembre. ToutefoiSj
on ne pourra pas éviter que les deux corps
parlementaires siègent simultanément.
LES CONGRÉGATIONS
Lunéville, 13 septembre.
Les 25 religieuses de la doctrine chrétienne,
qui dirigeaient à Lunéville le pensionnat des
Saints-Anges, sont parties pour San Remo. >
Six conseillers municipaux cléricaux de lu
commune de Bayon et un conseiller d'arron
dissement, viennent d'envoyer lenr démission
au préfet, à la suite du renvoi des religieuses
qui dirigeaient récole de filles de la commune.
Dunkerque, 13 septembre.
M. Gobert. juge d'instruction, vient de ren-
dre une ordonnance de non-lieu en faveur de
35 socialistes inculpés d'avoir occasionné du
-désordre dans les rues de Dunkerque le jour
des processions de la Fête-Dieu.
Château-Thierry. 13 septembre.
Leur école ayant été laïcisée, les sœurs qui
la tenaient étaient restées à la Ferté-Milon
pour y donner des leçons. Le tribunal correc-
tionnel de Château-Thierry vient de les con-
damner, ainsi que leur propriétaire, pour
avoir ouvert et tenu sans autorisation un éta-
blissement d'enseignement : Mmes Belin et.
Tissier, ev-religieuses du Bon-Pasteur de
Charly, à 1,000 francs d'amende, et M. Masson
à quinze jours da prison et 1.000 francs d'a-
mende.
Pampelune, 13 septembre.
La supérieure des sœurs de Calasanz est ar-
rivée, venant de France pour fonder un cou-,
vent. Les difficultés qu'elle rencontre l'obli-
geraient, dit-on, à renoncer it cette entre-
prise.
LES FETES DE RENAN
Jour de pluie, jour de fête. - Les « Bleus » et les « Blancs ».
- De Portrieux à Tréguier. — Vive la République ! — A
l'entrée de la ville. — Sur la place Centrale. — Le monu-
ment. — La prière sur l'acropole. — Les discours. —
Un maire embarrassé. — Manifestations et inci-
dents. -- De par la loi! — La maison de Renan.
Le banquet démocratique. — Toasts et -
discours. — La profession de foi de
M. Combes. — Troubles et incidents
(De notre envoyé spécial)
Tréguier, 13 septembre.
La pluie tombe presque sans discontinuer.
Il fait un temps gris et maussade. Malgré la
tristesse lugubre du temps, la ville a revêtu un
air de fête. La foule se presse dans les étroites
rues de la ville, se dirigeant sur la place du
Centre sur laquelle se dresse la statue de
Renan. -
Les porteurs de cartes d'invitation seuls sont
admis à pénétrer sur la place. Ils attendent en
silence l'arrivée des personnages officiels.
Les cléricaux, convoqués par le curé de Tré-
guier, se rendent, par petits groupes, à la ca-'
thédrale Saint-Yves. Les femmes sont en
grande majorité. Ils se réunissent devant la
porte du presbytère et, se sentant assez nom-
breux, ils se mettent à siffler, ou à crier. Ils
Sont là une centaine de braillards qui brandis-
sent des bâtons en menaçant les « Bleus de
Bretagne » qui sont massés sur la ulace. Un
groupe de « Bietis» se porte du côté des mani-
festants en criant:«Hou! hou! A bas la calotte!»
Un cordon de soldats empêche le contact entre
les deux partis.
A 10 h., la cloche de la cathédrale retentit.
Les cléricaux pénètrent alors dans l'église,
tandis que les admirateurs de Renan se portent
à l'entrée de la rue par laquelle doit arriver le
cortège officiel.
Sur la façade principale de l'église, on avait
placé une banderole rouge portant l'inscrip-
tion : « Vive la République! ». Je vous l'ai si-
gnalé hier. Les calotins. n'ont pas osé l'enlever,
mais au-dessus, ils viennent placer une ban-
derole blanche portant l'inscription : « Vive
le Christ! » Des cris de « A bas la calotte! » se
font entendre de toutes parts. Mais la troupe
s'interpose de nouveau et aucune collision ne
se produit.
L'arrivée de M. Combes
A 10 h.. 1 ï4, M. Combes accompagné par
MM. Chaumié, Anatole France, Bertheîot,
Henri Brisson, le général Passerieu, l'amiral
'Réveillère, Guieysso, Guillerm, maire de Tré-
guier, etc., arrive sur la place Centrale, salué
par d'enthousiastes acclamations. La foule
applaudit le président du conseil et crie:
« Vive la République ! » Elle applaudit aussi"
M. Chaumité et les personnages officiels. M.-
Combes était parti de Pontrieux ce matin à
8 h., en voiture, accompagné par le général
'Passerieu, le préfet des Côtes-du-Nord, et le
maire de Pontrieux. Le cortège comprenait. 6
voitures, et était escorté par deux pelotons de
dragons et doux pelotons de gendarmes.
Sur le parcours, qui est de dix-sept k!-:
lomètres, on a entendu de rares coups de sif-
flets ; ils étaient timides, et les quelques fem-
mes qui sifflaient étaient cachées. En revanche,
les cris de : « Vive Combes ! Vive la Républi-
que ! » étaient plus chauds et plus nourris
qu'hier.
A la Roche-Derrien, dont la municipalité
est républicaine, le maire, M. Roland, s'était
porté à l'entrée du village et avait salué M.
Combes au nom de ses administrés. Il l'a as-
suré du dévouement inaltérable de ses conci-
toyens à la République.
M. Combes a répondu qu'il est venu non
s3ulement pour s'associer à la glorilica-tion de
Renan, mais aussi pour se rendre compte de
l'état d'esprit de la Bretagne. On lui avait an-
noncé que tous les sifflets des magasins de la
'Bretagne avaient été accaparés pour sa récep-
tion. Il ne s'en est guère aperçu jusqu'à pré-
sent. L'accueil chaleureux qui lui a été fait le
touche profondément. Il est heureux de cons-
tater que le progrès est dû en grande partie
!aux hommes à l'initiative généreuse, comme
Jo maire de La Roche-Derrien, qui veulent la
'liberté pour tous et le progrès pour la France
entière. Il les en félicite.
: Les conseillers municipaux et les curieux,
'groupés autour d'eux ont crié chaleureuse-
ment à plusieurs reprises : « Vive Combes !
Vive la République ! »
: A la sortie de la Roche-Derisen,quelques per-
sonnes hostiles au président du conseil étaient
:molltées sur un talus, situé à gauche de la
route. Quelques cris de : « A bas Combes ! »
ont retenti sur le passage du cortège. Des coups
;de sifflet se sont fait entendre. Mais aussitôt
îune bruyante contre-manifestation s'est pro-
duite de l'autre côté de la route : c'est un fort
groupe de « Bleus » venus de Tréguier à la
rencontre du président du conseil. Ils crient :
« Vive Combes! A bas la calotte 1 Hou! hou 1 »
Ils accompagnent le cortège en acclamant la
',République et le président du conseil.
On remarque la présence de M. Baudin, an-
cien député du Cher, aujourd'hui retiré à St-
■Brieuc, qui est venu à la tête d'une délégation
des Bleus de sa région. Tous les délégués joi-
gnent leurs acclamations à celles des habi-
tants. l
A Sqint- Yyesde- TrégUl.er, a. dernièro agglo-
mération traversée avant l'arrivée à Tréguier,
une manifestation hostile s'est également pro-
duite. Mais une contre-manifestation en favenr
de la République a imposé silence aux clé-
ricaux.
A l'entrée de Tréguièr. un petit arc de
triomphe a été dressé. C'est là que le président
du conseil est reçu par M. Chaumié, ministre
de l'instruction publique ; MM. Henri Brisson,
Berthelot, les députés républicains des Côtès-
du-Nord, le maire de Tréguier, M. de Kergué-
zec, conseiller général, etc.
Une jeune fille offre des fleurs au président
du conseil ; puis le maire lui souhaite la bien-
venue.
M. Combes remercie le maire et lui dit l'im-
pression agréable qu'il éprouve à se trouver
en Bretagne :
On m'avait dit, ajoute-t-il en souriant, que- mon
voyage aurait des côtés fâcheux. Je les cherche
vainement ; je n'ai trouvé sur mon passage qu'une
population très républicaine qui m'a fait le meil-
leur accueil.
C'est à peine si par-ci par-là j'ai entendu, très
espace quelques coups de sifflets. Permettez-moi
de les comparer aux airs de flûte que l'on jouait
autrefois derrière le char des, triomphateurs et qui
étaient destinés à leur rappeler qu'élevés par le
peuple, ils devaient gouverner par le peuple. Je
suis fier. de la mission qui m'a été confiée, et j'es-
père la mener à bonne fin. Je me félicite de ren-
contrer des auxiliaires tels que vous, qui vous êtes
dévoués ici, avec succès, à l'affranchissement du
servage intellectuel de la Bretagne.
Le président du congrès républicain des Cô-
tes-du-Nord, qui a été tenu hier, s'avance et lit
l'ordre du jour voté par le congrès et félicitant
le gouvernement de son attitude démocratique
.et laïque.
M, Uuieysse, député de Lorient, au nom des
Bleus de Bretagne, fait part, à son tour, à M.
Combes, des toasts chaleureux portés hier à la
fin du banquet des Bleus au gouvernement ré-
publicain et au président du conseil.
Précédé de la musique des équipages de la
flotte, escorté par une foule très dense, au
premier rang de laquelle sont les membres
du clergé républicain de Guingamp, le cor-
tège pénètre à pied dans Tréguier et gagne la
place du Centre, ou, ainsi que je vous l'ai déjà
dit, il arrive à 10 h. 114.
L'INAUGURATION
DU MONUMENT
Le président du conseil monte immédiate-
ment sur une estrade où se trouvent déjà M. et
Mme J. Psichari, ainsi que les autres membres,
de la famille d'Ernest Renan. Tout le monde
veut s'approcher de l'estracw et serrer la main-
de M. Combes. Une légère poussée en résulte.
Des «chut! chut!» se font entendre. Voici
que des ouvriers enlèvent le voile qui recou-
vre la statue de Renan.
De tous les points de la place retentissent
des applaudissements répétés lorsqu'apparaît.
aux yeux de tous le chef-d'œuvre du sculpteur
Jean Boucher. Je ne referai pas ici la descrip-
tion du monument : le souvenir doit être en-
core présent à tous les esprits de la descrip-
tion que vous en avez donnée il y a quelques
jours.
Mlle Moreno, de la Comédie-Française, s'a-
vance sur le devant de l'estrade et dit la Prière
sur l'Acropole, de M. Anatole Le Braz. -
Voici quelques strophes de cet admirable
poème :
RÉPONSE A LA DÉESSE
Ma réponse, regarde, elle est là, ciselée
Par l'art de Phidias, dans ce couple d'airain.
Ma réponse à Renan, c'est sa mémoire ailée,
Ramenée en triomphe à l'ancien vieux marin.
C'est ta pensée assise au foyer de ta race ;
C'est, du bois de Ker-Hir au bois de Tur- YuneJ,
Ton beau front radieux, illuminant l'espace
Comme un phare idéal, paisible et fraternel.
C'est enfin ma fortune enchaînée à la tienne,
Mon ciel clair déserté par ton ciel nébuleux
Et, dejbout près de toi, Pallas athénienne,
Dans le brouillard breton,promenant tes yeux bleus.
Puis des discours sont prononcés par MM.
Guieysse, le maire de Tréguier, Chaumié,
Berthelot, Anatole France et Jean Psicllari.
Discours de M. Guieysse
M. Paul Guioysse, député du Morbihan,
président des Bleus de Bretagne, a pris le pre-
mier la. parole. Voici les principaux passages
de son discours :
Au nom des Bleus de Bretagne, je vous souhaite
la bienvenue dans notre pays, et ne, peux résister
au désir de vous remercier le. premier du témoi-
gnage de haute sympathio que vous nous donnez
au nom du gouvernement de la République en ve-
nant présider l'inauguration du monument élevé à
l'homme - illustre dont s'honore la ville de Tré-
guier et la Bretagne.
Renan, comme tous les Bretons, adorait son
pays natal ; il avait, depuis longtemps, retrouvé
sa place à l'ancien foyer de famille , l'estime et
l'afïeiîtion de ses compatriotes, de ses anciens amis
de jeunesse ne lui avaient jamais manqué,
tellement les sentiments vrais, les convictions sin-
cères savent s'imposer' à tous, tne aux adver-
saires quand ils sont de .t)nnc foi. Et c'est pour
consacrer l'ancien retour de Renan au pays, pour
perpétuer son souvenir dans l'avenir, que nous
avons tenu, en dépit des critiques des uns, des
folles injures des autres, à élever notre monu-
ment à Tréguier même, au cœur de la ville na-
tale. -
II a fallu néanmoins un rare courage au maire
de Tréguier, M. Guilierrn, et à ses amis pour ac-
cepter et défendre l'idée d'ériger cette statue, idée
lancée et murie par l'association des Bleus de Bre-
tagne.
Après Hoche, symbole de l'honneur militaire
dans ce qu'il a de plus pur, de plus élevé. Renan,
le plus noble représentant de la pensée philosophi-
que et du libre "IYllmCn, le continuateur de cette
rande famille rte penseurs bretons, qui s'étend
d'Abélard à Lamp.ona;s. -'
Pour mener nôtrf œuvre a bonne fin, r;en ne
nous a manqué, Monsieur 1* maire, ni fes encou-
ragements venus da tous les points de la Bretagne
même; ni aussi les outrages que des fanatiques
grossiers ont déversés sur lo compatriote que nous
avons voulu honorer, et les insultes adressées à
tous ceux qui ont coopéré à notre œuvre com-
mune. Ne nous y arrêtons pas! Nous n'avons pour
les repousser qu'à rappeler les paroles si sincères
que prononçait Renan, il y a vingt ans, à son re-
tour à Tréguier, au milieu de ses amis de France
et de Bretagne.
« Oui, j'ai, aimé la Vérité, je l'ai cherchée, je
l'ai suivie où elle m'a appelé, sans regarder aux
durs sacrifices qu'elle m'imposait. J'ai déchiré les
liens les plus chers pour lui obéir. Je suis sûr d'a-
voir bien fait. »
Ces paroles résument bien la pensée de Renan ;
ses compatriotes les ont comprises. C'est pour-
quoi, Monsieur le maire, les Bleus de Bretagne
vous remettent avec confiance l'œuvre si" belle de
notre compatriote Boucher. Se pénétrer de l'esprit
de Renan inspiré par la divine Athénée sous notre
ciel brumeux comme au sofeil de l'Acropole, tel
doit être notre bout; à nous tous Bretons;
Discours du maire de Tréguier
M. Guiîlerm, maire de Tréguier, avait pré-
paré un long discours, qu'il se proposait de
lire à l'inauguration de li statue de Renan. M.
Guillerm avait placé le texte de ce discours
dans son porte-monnaie. Tandis qu'il se trou-
vait à l'entrée de la ville, entouré de son con-
seil municipal, et attendait l'arrivée du prési-
dent du conseil, un habile pickpocket lui a dé-
robé son.porte-monnaie et, par la même occa-
sion, le discours préparé avec un soin jaloux.
Désespéré, navré — on le serait à moins, —
le maire a dû prendre brièvement la parole,
en improvisant, au moment de la cérémonie.
Voici les paroles qu'il a prononcées :
Je veux d'abord remercier M Paul Guieysse du
grand acte de générosité qu'il vient de faire en of.
frant, au nom de l'Association des « Bleus de Bre-
tagne H, le monument d'Ernest Renan à la ville de
Tréguier, dont j'ai l'inappréciable honneur d'être
le maite en ces circonstances mémorables. -
Je tiens aussi it dire à M. Paul Guieysse — et j'ai
la conviction d'être le fidèle interprète de tous les
républicains bretons —que nul n'était plus propre à
rallier ici,à l'association de propagande républicaine
qu'il dirige avec tant d'autorité, plus d'activés et
d'ardentes sympathies. *
En prenant l'initiative de cette fête commémora-
tive, à laquelle, je dois le dire, la ville de Tréguier
a prêté son plus ardent concours, les « Bleus de
Bretagne », dont la bienfaisante et féconde in-
fluence pénètre chaque jour, plus profondément,
l'âme bretonne, ét l'oriente vers des destinées nou-
velles, ont en effet proclamé, à la face du monde
entier, que notre vieille province n'était pas abso-
lument abandonnée au fanatisme et à l'ignorance,
et qûe l'esprit de la Révolution, l'esprit de justice,
et de vérité pouvait encore y être publiquement
glorifié dans ses plus hautes personnifications.
Quels exemples salutaires, quelles éloquentes le-
çons que les inaugurations des statues de Floche, h
Quiberon, de Renan, à Tréguier!
Mais la gloireRenan rayonne bien au delà des
murs de sa petite ville natale et des limites de la
Bretagne !
Elle aqpartient à la France tout entière !
Aussi, monsieur le ministre de l'instruction pu-
blique et des beaux-arts, en vous remerciant d'a-
voir prNé votre haut patronage à cetfe grande so.
lennité, jo vous demande de vouloir bien recevoir,
de la ville de Tréguier, le dépôt sacré de-ce monu-
ment commémoratif, avec la partie de la place sur
laquelle il se dresse et qui semble son cadre natu-
rel.
C'est à Tréguie? que devait d'abord s'élever la
statue d'Ernest Renan, au centre mme de cette
petite ville où il naquit et que son nom illumina
de gloire.
Mais c'est à la France, c'est au gouvernement de
la République qu'il appartient d'être le gardien
jaloux de ce monument, dans lequel quelques es-
prits fanatiques ou volontairement aveugles, veu-
lent voir une provocation, alors qu'il n'est que la
symbole de l'esprit de tolérance et que l'expression
d'une réparation tardive et à -laquelle s'est associé
l'univers entier, par l'adhésion des hommes les
plus illustres de tous les pays.
Attenter à son existence, ce serait attenter à la
gloire de la France et faire nne injure profonde à
la dignité de la pensée humaine.
Discours de M. Chaumié
M. Chaumié a pris ensuite la parole :
C'est l'an dernier, a-t-il dit au pied de la statue
de Hoche, que celui qui parlait, à la fois au nom
de la Ligue des Bleus de Bretagne, dont il était la
fondateur, et du ninistre de l'instruction publi-
que, dont il était le délégué; émit le vœu que la
ville de Tréguier élevât, eti? aussi, sans tarder,
une statue à son plus illustre enfant.
C'est merveille de voir quel écho à répondu à
cet appel.. ",'
Quelaues jours ne s'étaient pas écoulés, que le
conseil municipal da Tréguier choisissait une des
places de la ville pour y ériger cette statue et for-
mulait, dans des considérants d'une concision sai-
sissante et d'une remarquable justesse, les raisons
dominantes qui imposaient sa décisioh.
« Il est de son devoir, disait-il de rendre un
public hommage à la grande mémoire d'Ernest
Renan, qui restera un des écrivains et un des
penseurs les plus illustres du monde ; il importe
de réparer l'injuste ostracisme dont l'apôtre de la
tolérance a été si longtemps frappé sur le sol de
sa patrie bretonne. »
Glorifier l'écrivain et le penseur, honorer l'apô-
tre de la tolérance au lieu même où l'intolérance
dut lui être le plus dure à subir,car rien n'est plus
cruel que d'être méconnu des siens, quelle entre-
prise plus noble pouvait éveiller l'empressement
de tous ? De tous côtcs, les adhésions sont venues
en foule, Hères, enthousiastes, émues. Pas un con-
cours attendu n'a fait déhut.
Le gouvernement de la République a tenu, dès
la première heure, à apportes le sien.
L'hommage est grandiose, digne de la grande
mémoire à laquelle il est rendu.
Au spectacle de cette cérémonie, ma pensée ne
peut s'empêcher de se reporter en arrière, d'évo-
quer le souvenir des passions, des calomnies, des
outrages, des haines qui se déchaînèrent jadis con-
.Renan, avec quelle violence sauvage, vous le sa-
vez, de se rappeler ce gouvernement d'alors, par-
tageant ces passions ou en ayant peur, fermant la
porte du Collège de France au maître qui devait y
enseigner avec tant d'éclat, et dont ces disgrâces et
ces orages ne parvenaient pas à troubler la gère
sérénité.
Certes les haines n'ont pas désarmé, nous assis.
tons à celte heure même à leur explosion ; mais sf
leur violence est égale, leurs clameurs de jour en
jour plus rares s'éteignent au milieu du eoneert
d'admiration qui, de toutes parts, monte vers cette
grande œuvre et ce grand nom.
Je songe aux éclatantes réparations apportées
depuis, je songe à la chaire rouverte par la Répu-
blique, à l'Académie française, s'honorant d'ac-
cueillir l'écrivain admirable, aux funérailles so-
lennelles, à la gloriflcation d'aujourd'hui, et, à
chacune de ces étapes, je salue un pas en avant
de l'esprit de vérité, de progrès, de lumière, de li-
berté.
Tréguier place ce monument sous la sauvegarde
de l'Etat. Le .gouvernement accepte, avec joie, cette
mission qui l'associe de façon plus intime à l'am-
vre de justice accomplie aujourd'hui.
- Discours de M. Berthelot
M. Berthelot, sénateur, membre de l'Acadé-
mie française, secrétaire perpétuel de l'Acadé-
mie des sciences, qui a été l'ami et le compa-
gnon de Henan, a parlé après M Chaumié :
La cérémonie qui nous réunit devant ce monu-
ment, consécraUon suprême d'un grand homme,
au sein de la ville de Tréguier, où Rnu-n est né et
dont il avait garde un si tendre souvenir, a pour
moi un caractère tout particulier : j'ai été son
compagnon de route, chacun de nous développant
sa carrière originale au cours de nos destinées fra-
ternellement conjointes; chacun de nous a été un
témoin fidèle et dévoué de la vie do son compa-
gnon. Nous avons lutté côte à côte, combattu le bon
combat pour la science et pour la liberté, pour
l'amour et le perfectionnement de nos concitoyens 1
C'est un dernier devoir pour moi de m associer à
cet hommage de sympathie nationale et univer-
selle pour l'existence de Renan, si pure et si
digne î
J'ai vu Renan, pour la première fois, en 1845
dans une petite pension: dont les élèves suivaient
les cours du collège Henri IV. Un jour, au r »
ment où je sortais de ma chambrette située se us
les combles, j'aperçus sur le seuil voisin une nou-
velle ligure qui ne ressemblait à celle d'aucun da
.mes camarades ; c'était un jeune homme sérieux
et réservé, de tournure ecclésiastique : le regard
dé ses yeux purs était franc et modeste, la tête
grosse et ronde ; le visage rasé ne manquait ni de
finesse ni d'expression. Il suivait à la Sorbonne
les cours de littérature et de philosophie de MM.
Le Clerc et Garnier ; ab Collège do France, les
cours de sanscrit et d'hébreu de MM. Eugène Bur,
îouf et de Quatremère Nous nous observâmes
pendant quelques jours, et nous ne tardâmes pas
A nous lier d'une affection de plus en plus étroite.
tous deux travailleurs acharnés, curieux de con-
naissances précises et de philosophie, et ouverts
aux quatre vents de l'esprit, quoique poursuivant
des directions bien différentes : Renan, l'érudition
historique et philologique, et moi m-me, les scien-
ces mathématiques et expérimentales.
Espérons que l'humanité, affranchie de tout
dogmatisme imposé, proclamera désormais comme
son œuvre propre-la morale du devoir et de la
bonté, do la justice et de la solidarité, morale de
l'avenir désormais séparée de tout symbole et de
'tout surnaturel.
C'est à ce point de vue que se plaça Renan
,]uand il entreprit d'étudier d'une façon purement
rationnelle la création du christianisme, avec son
mélange de grandes vérités morales et de grandes
erreurs scientifiques.
Discours de M. Anatole France
M. Anatole France, membre de l'Académie
française, a parlé ensuite :
Renan avait l'esprit fait pour sentir très vite
la difficulté de croire. Tout jeune, au séminaire,
il esquissa dans son esprit une philosophie des
sciences. Il n'avait pas entendu parler de Lamarck,
ni de Geoffroy-Saint-Hilaire. Darwin n'avait pas
encore publié son livre sur l'Origine des espèces-
Ecartant, comme enfantine et fabuleuse, l'idée de
la création telle qu'elle est exposée dans les vieil-
les cosmogonies, sans initiateur et sans guide, H
conçut une théorie du transformisme universel,
une doctrine de la perpétuelle évolution des êtres-
et des métamorphoses de la nature. Ses croyances*
fondamentales étaient dès lors établies. En réa-
lité, Renan, dans le cours de sa vie, changea peu.
Ceux qui le croyaient flottant et mobile n'avaient
pas pris la peine d'observer son monde de pen-
sées ; il ressemblait à sa terre natale ; les nuées
y couraient dans un ciel agité, mais le sol en était
de granit et des chênes y plongeaient leurs raci-
nes. A vingt-six ans, après cette révolution de
février, source pour lui de grandes espérances, de
grandes illusions, il exposa toute sa philosophiie
dans ce livre de l'Avenir de la science, que plus
tard il appelait son .vieux Pourânas, entendant Paf
là que c'était le recueil de ses jeunes et chère a_
croyances, les premières incarnations de ses dieux*
bons. -
Lo sculpteur dont I,oeuvre vient d'être évoilée
devant vous n'a pas sans raison représenté Pallas-
Athènè au côté de; Renan, Homèré.nous l'apprend:
Athènè a coutume de descendre du vaste ciel pour
r
- ANNONCES *
AUX BUREAUX DU JOURNAL
14, rue du Mail, Paris.
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29 FRUCTIDOR AN 111 -
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L'échéance du 15 septembre étant. une des
plus considérables de l'année, nous prions les
personnes dont l'abonnement expire à cette
date d'envoyer, dès à présent, avec la
dernière bande, le montant de leur renou-
vellement à l'Administrateur de notre jour
nal, 14, rue du Mail.
On peut également s'abonner sans frais
dans tous les bureaux de poste.
NOS LEADERS
ÎJIJÎ [Il j | Trllir
Perros-Guirec, 12 septembre.
Je pars tout à l'heure pour Tré-
guier. Si on le veut bien, je complé-
terai par quelques notes personnelles
le compte rendu très détaillé des fêtes
que nos lecteurs trouveront par ail-
leurs. Au moment où ces lignes pa-
raîtront, le télégraphe vous aura, en
effet, renseignés. Mais ces fêtes au-
ront, j'espère l'avoir fait comprendre
dans de précédents articles, un carac-
tère origmal"que l'information télégra-
phique n'est peut-être pas de nature à
mettre en relief. Il manque souvent à
la dépêche de donner l'impression de
la « chose vue ». C'est la lacune que
je voudrais combler.
***
Ici, nous sommes certainement sur
une terre républicaine : toutes les élec-
tions le prouvent. Mais c'est un sol
démocratique neuf, et, au milieu de la
riche moisson qui se lève, il y a encore
toute une flore sauvage qui, mal déra-
cinée, essaie encore de sortir des sil-
lons.
Voilà ce qui rend, au pays de Trécor,
la vie politique si ardente et si passion-
née. Il y a, dans cette partie de la Bre-
tagne, une joie de bataille qui fait de
chaque républicain un admirable mi-
litant. -
Nos amis bretons ont affaire à forte
partie. Nous avons parlé souvent du
rôle du clergé. On pourrait apercevoir,
dans ce clergé régional, deux partis :
nous les appellerons le parti « jeune-
prêtre » et le parti « vieux-prêtre ».
Ce dernier est composé des curés re-
- crutés autrefois dans le monde des
cultivateurs. Ce sont, en somme, des
- paysans, dont l'esprit n'a d'autre hori-
zon que celui que leur a ouvert l'église.
Gens crédules, fanatiques : vrais fils
de chouans. ,
L'autre parti est constitué par des
prêtres plus avisés, plus affinés, plus
diplomates, plus renseignés : généra-
lement, d'ailleurs, aussi violemment
ennemis de la société moderne que
leurs anciens.
Les uns et les autres usentuvec lar-
gesse du sermon en breton qui leur
permet une propagande plus intime
auprès de la masse ignorante des
« fidèles ».
Les placards en breton ou en fran-
çais sont distribués toujours avec abon-
dance. L'un de ces placards, que j'ai
sous les yeux, mais que je n'ai pas eu
le temps de faire traduire s'intitule:
Renan ar Judas, Renan le Judas. Le ti-
tre suffit, n'est-ce pas ?
Le parti clérical dispose aussi, dans
nos départements de l'Ouest,de moyens
de pression sur l'opinion, qui sont
d'un caractère moins brutal et plus
moderne que ceux que je viens d'énu-
mérer.
La presse réactionnaire est forte-
ment outillée ; elle dispose de capitaux
à coup sûr considérables. Ses organes,
franchement monarchistes et cléri-
caux, ou modérément républicains,ré-
pandent partout la bonne parole pa-
piste et méliniste. Leurs affiches rac-
crochent l'œil et leurs crieurs déchi-
rent l'oreille. Il y a certainement, de
ce chef, beaucoup d'argent depensé.
On comprend que les partis de recul
ne lésinent pas pour essayer de con-
server leurs vieux fiefs électoraux,
★**
Pourtant., l'opinion tend avec cons-
tance à se dégager des préjugés qu'on
tente de cultiver chez elle. Impossible
de ne pas admirer cette évolu hon.seu--
sible et spontanée de la conscience
populaire.
La réaction locale a fait appel à des
concours étrangers à la région.
M. Ferdinand Bnmetière donne à
- une feuille bretonne une série de let-
tres relatives a Renan. La politique de
M. Bnmetière est beaucoup trop « ta-
tillonne » et précieuse, en même
temps que spécieuse, pour exercer
une action sur le peuple juvénile et
vigoureux de la terre celtique. Sim-
plement, les honnêtes Bretons compa-
reront le portrait que fait de Renan
M. Brunetière, aux caricatures que
- distribuent, les sacristains à la porte
des églises. Et ces braves gens con-
• • sei lieront aux cléricaux de mettre un
peu d'harmonie dans un concert fort
discordant.
L'amiral Rieunier, battu à Lannion
aux dernières élections, se joint égale-
ment, dans un manifeste à ses an-
ciens électeurs, a la coalition des droi-
: tes contre Renan. L'éloquence de M.
ïlieunier est beaucoup plus rude et
plus « nature » que celle de M. Brune-
tière. Je crains cependant qu'elle ne
soit pas plus efficace. Ne prédisons
rien, puisque les événements vont
nous renseigner.
Hugues Destrem.
■
LE DISCOURS DE M. COMBES
On lira plus loin le discours
prononcé à Tréguier par M.
Combes : chacun de nos lecteurs
pourra donc se faire sur cette
harangue une opinion person-
nelle.
La notre , nous la résumerons ainsi :
presque tout ce qu'a dit M. Combes mérite
d'être approuvé ; nous reprochons à M.
Combes de n'avoir pas dit tout ce qu'il
avait à dire. •
Nous avons d'autant plus le droit de
conclure ainsi, que le discours du président
du conseil embrasse toutes les questions
qui sont en ce moment en discussion ou à
l'étude ; ainsi il a parlé, et très bien parlé,
: du service de deux ans : il s'est exprimé
sur nos finances* et-sur le ministre qui est
à leur tête, en des termes excellents ; il a
traité la question extérieure ; il a salué
l'aurore de cette nouvelle et grande révo-
lution : l'arbitrage international, de façon à
'recueillir l'assentiment de tous les républi-
cains, de tous les amis d'une France grande
dans les travaux de la paix.
Revenant aux questions intérieures, il s'est
défendu de donner dans la majorité une
place prépondérante au groupe socialiste; ,
il a délaré être, à un titre égal, le serviteur;
de toutes les fractions de la majorité, et il
a affirmé, en propres termes, qu'il n'est
pas le prisonnier de M. Jaurès. Enfin, sur
la question des Congrégations, il a rappelé,-
en tous ses détails, l'insurrection mona-
cale ; il a fait remarquer que le gouveMie-
ment nesongeait nullement à faire la guerre,
aux religions, et il a indiqué qu'il avait
dù se trouver en lutte ouverte avec les mi-
nistres de là religion catholique, à raison
de l'alliance évidente de ceux-ci avec la
moinerie en révolte.
Et c'est ici que nous arrêtons nos com-
pliments, et que nous devons formuler des
réserves sérieuses : voilà bien des fois, —
et combien de fois, — que M. Combes
nous annonce qu'il est en guerre avec le
clergé ; il a même été plus loin, récem-
ment, puisqu'il a laissé entendre, s'il ne l'a
pas dit expressément, que l'heure de la
séparation des Eglises et de l'Etat pour-
rait bien prochainement sonner. On atten-
dait,sur ce point, une parole décisive. Cette:
parole, M. Combes n'a point encore jugé à
propos de la prononcer hier, à Tréguier.
Nous sommes obligé de lui avouer que
cette abstention nous paraît fâcheuse. Mais
cette question est de celles sur lesquelles
les occasions ne sont point rares de reve-
nir. Nous y reviendrons.
1 ♦ ..IH
EMBUSCADES !
Je suis, de ceux que laissent sceptiques les
déclarations plus ou moins tardives, plus ou
moins bruyantes que font certains modérés en
faveur du service de deux ans.
Je me rappelle que jadis, il firent dans le
pays, dans leurs journaux, dans leurs dis-
cours, une campagne systématique contre
cette réforme égalilaire. Tous les. arguments
leur furent bons. Ils mêlèrent même le patrio-
tisme à cette affaire où il n'avait rien à voir.
Le patriotisme sert trop souvent,hélas, à mas-
quer l'absence de raisons sérieuses.
D'où vient une brusque volte face ? D'où
vient que des hommes qui, il y a deux ans,
comptaient parmi les adversaires les plus ré-
solus du service à court terme, ont si rapide-
ment changé leur fusil d'épaule ? Sont-ils sin-
cères ? Leurs conversions ne sont-elles qu'ap-
parentes ? Que méditent-ils ?
J'ai bien peur que ce ne soit le service de
deux ans lui-même qui paie les frais de leurs
r revirements. Nous avions le droit de considérer
sa réalisation comme prochaine. Après une
discussion minutieuse le Sénat l'avait enfin;
voté, en deuxième délibération. La parole est
maintenant à la Chambre. Oue va-t-il se
passer? -
Un ! j'adjure nos amis de se taire, de voter
sans presenier aucun amendement, aucun
contre-projet qui occasionnerait des retards, et.
de ne point s'associer aux amendements et aux
contre-projets d'hommes de la droite ou du
centre, car, je le crois, c'est là qu'est le péril.
Je ld sais bien, le projet Rolland est loin
d'être parfait, mais la perfection existe-t-elle ?;
Elle ne réside pas, dans tous les cas, dans les
lois les plus discutées et les plus remaniées;;
-voyez plutôt la loi des accidents, la loi des:
'associations, la loi sur les bouilleurs de cru.:
Et telles retouches que l'on croit un moment
opportunes nuisent bien souvent à l'ensemble.
Mais enfin, tel qu'il est, il vaut mieux que"
rien, et plus tard, si dans la pratique des cor-
rections de détail se révèlent, nécessaires, il
sera toujours temps de les faire.
Le projet des droitiers est de faire avorter la
loi, par une. obstruction systématique. On
verra, à chaque séance, un réactionnaire de
marque, ou un sous-Lasies quelconque monter
à la tribune et déposer fin amendement censé-,
ment destiné à perfectionner le texte primitif,
mais qui en réalité remettra tout en question.
Il ne faut pas être dupe de cette tactique et
tomber dans les embuscades qu'on sèmera sous
nos pas.. - -
Ce serait, d'un seul coup, annihiler tous les
efforts faits par le parti républicain pour le
vote d'une loi désiréo par le pays qui fera dis-
paraître les privilèges et qui rétablira l'égalité
de tous les citoyens devant l'impôt du sang. —
Charles Darcy.
UN ÉCHO DES MANŒUVRES ALLEMANDES
(De notre correspondant particulier)
Dresde, 13 septembre. -
Peu de temps avant les grandes manœuvres,
le propriétaire d'une grande villa avait été
averti qu'il aurait pour hôte un souverain,
qui, lui avait-on dit, ne serait pas l'empereur
Guillaume.
Le propriétaire fit mettre à neuf tout l'appar-
tement, et ses soins s'étendaient même à un
cabinet d'une destination bien discrète.
Il y avait placé une boîte à musique disposée
de telle façon que rien qu'en prenant place
sur l'unique siège du cabinet elle commençait-
à jouer l'hymne national, le Wacht am Rhein.
Tout était prêt pour recevoir dignement la
tête couronnée, lorsqu'une dépêche de la der- ,
nière heure annonça que le souverain ne pren-
drait pas part aux grandes manœuvres et qu'il,
se ferait remplacer par un très, haut militaire.
«Bonî sejdit lo propriétaire, je prouverai
toujours mon dévouement au roi et à sa glo-
rieuse armée », et il fit le meilleur i accueil au
général.
Le lendemain, l'aimable amnhylrion était
tout étonné de découvrir un petit air de mé-
contentement chez son hôte et il s'empressa de
lui demander s'il était satisfait de son logement.
Ce serait parfait, répondit le général, s'il n'y
avait pas ce a machin avec boite à musique ». A
peine suis-je assis dessus, voilà que cela joue le
Wacht am Rhein. D'après le règlement, jo suis
obligé de l'écouter jusqu'à la fin en me tenant de-
bout les talons joints,'ce que je fais puisque c'est
le règlement. Mais dès que je me rasseois, l'air
recommence et m'oblige à me remettre de nouveau
debout.., Alors quand et comment voulez-vous
que je. fasse ma digestion?
A VOLVIC
Quand, il y a quelques semaines, les soeurs
du « Bon-Pasteur. » qui tenaient école à Volvic
(Puy-de-Dôme) durent vider les lieux, elles
assuraient que leur exil serait de courte durée.
Un avocat très réactionnaire — celui-là même
à qui M. Buffet réserve la préfecture du Puy-
de-Dôme, quand on mettra les républicains à
mal — leur avait affirmé que le pays était exas-
péré de la façon dont on les traitait, et que le
diable lui-même, fût-il mis à la tête du gou-
vernement, devrait cédsr devant l'explosion du
courroux populaire. :
Les jours sa suivant sans que l'opinion anti-
cléricale fléchisse, robe d'avocat et robes de
sœurs s'agitent. Il apparaît aux meneurs qu'il
faut se résigner à la lutte briitale.,
Les béguines sont donc revenues à Volvic.
On peut voir, tout le jour, de noires corneilles
voler de porte en porte. Ces épouses du Sei-
gneur, qu'anime une ardeur belliqueuse, s'en
vont répétant à to.s, et surtout à toutes que,
dès la rentrée des classes, elles vont rouvrir
;leur école. Elles invitent la population à ne
pas confier les enfants aux institutrices laï-
ques.
La majorité républicaine et socialiste de Vol-
vic est justement émue de ce retour offensif de
la congrégation.
Si M. Combes, qui doit aller à Clermont-
Fetrand 19 11 octobre, veut y être acclamé par
les électeurs volvicois, il fera bien de mettre à
la raison la moinerie en révolte.
- L'action anticléricale du gouvernement n'est
déjà pas très brillante. S'il laisse la congréga-
tion se moquer des décrets de fermeture, on se
demande où seront les résultats du magnifique
mouvement d'opinion de ces dernières années.
- Maurice Juncker.
NOUVEAU COMPLOT MILITAIRE EN SERBIE
(De notre correspondant particulier)
Zimony (frontière serbo-hongroise),
13 septembre.
A Kragouyevatz, on a découvert un nouveau
complot, militaire. Plusieurs officiers ont été
arrêtés. Les autorités sérbesentourent d'un pro-
fond mystère cette affaire, qui parait d'une
telle gravité qu'elle a déterminé le roi Pierre à
prendre des mesures extraordinaires, pour sa
sécurité personnelle.
Le roi fait garder sa chambre à coucbor ptr
douze gardes-suisses. Il a fait relier psrr un fil
électrique cette pièce à la caserne des gardes dà
corps. Au bord de la Save on tient une barque
toute prête à conduire, le cas échéant, le roi
sur l'autre rive qui est déjà territoirehongrois^
Par surcroît de précaution on attache chaque
nuit une échelle de corde à la fenêtre de la
chambre à coucher du roi.
—————.—————— ———— : ——————.
DÉSERTIONS DE SOLDATS HONGROIS
(De notre correspondant particulier)
.- Budapest, 13 septembre.
Les soldats hongrois retenus sous les dra-
peaux, contrairement à la loi, désertent en
masse : au 65e régiment d'infanterie seul, les
désertions s'élèvent à cinquante environ.
Même les soldats hongrois en garnison en
Autriche, s'évadent et rentrent en Hongrié, Ce
mouvement rappelle quelque peu celui- qui
s'était produit à la veille de la Révolution de
1848.
—————.———————— ---
L'EMPEREUR JACQUES Ier POURSUIVI EN SUISSE
(De notre correspondant particulier)
Berne, 13 septembre.
Les autorités fédérales ont appris, par des
rapports confidentiels, que M.Jacques Lebaudy,
-se donnant comme touriste anglais, a parcouru
la Suisse, dans le but d'enrôler des gens pour
sa « garde impériale ».
Aussitôt que l'enquête établira l'exactitude
de ce fait, le procureur fédéral intentera des
poursuites correctionnelles contre M. Lebaudy
pour infraction à l'art. 3 de la loi fédérale.
M. Lebaudy est passible d'une condamnation
d'un mois à trois ans de prison et de 1,000 lr.
d'amende.
LA CONVOCATION DU REICHSTAG
(De notre correspondant particulier)
Berlin, 13 septembre.
Le nouveau Reichstag ne se réunira que
vers la fin du mois de novembre. Le gouver-
nement attendra le résultat des élections pour
!a Diète prussienne, qui auront lieu dans la
deuxième quinzaine de novembre. ToutefoiSj
on ne pourra pas éviter que les deux corps
parlementaires siègent simultanément.
LES CONGRÉGATIONS
Lunéville, 13 septembre.
Les 25 religieuses de la doctrine chrétienne,
qui dirigeaient à Lunéville le pensionnat des
Saints-Anges, sont parties pour San Remo. >
Six conseillers municipaux cléricaux de lu
commune de Bayon et un conseiller d'arron
dissement, viennent d'envoyer lenr démission
au préfet, à la suite du renvoi des religieuses
qui dirigeaient récole de filles de la commune.
Dunkerque, 13 septembre.
M. Gobert. juge d'instruction, vient de ren-
dre une ordonnance de non-lieu en faveur de
35 socialistes inculpés d'avoir occasionné du
-désordre dans les rues de Dunkerque le jour
des processions de la Fête-Dieu.
Château-Thierry. 13 septembre.
Leur école ayant été laïcisée, les sœurs qui
la tenaient étaient restées à la Ferté-Milon
pour y donner des leçons. Le tribunal correc-
tionnel de Château-Thierry vient de les con-
damner, ainsi que leur propriétaire, pour
avoir ouvert et tenu sans autorisation un éta-
blissement d'enseignement : Mmes Belin et.
Tissier, ev-religieuses du Bon-Pasteur de
Charly, à 1,000 francs d'amende, et M. Masson
à quinze jours da prison et 1.000 francs d'a-
mende.
Pampelune, 13 septembre.
La supérieure des sœurs de Calasanz est ar-
rivée, venant de France pour fonder un cou-,
vent. Les difficultés qu'elle rencontre l'obli-
geraient, dit-on, à renoncer it cette entre-
prise.
LES FETES DE RENAN
Jour de pluie, jour de fête. - Les « Bleus » et les « Blancs ».
- De Portrieux à Tréguier. — Vive la République ! — A
l'entrée de la ville. — Sur la place Centrale. — Le monu-
ment. — La prière sur l'acropole. — Les discours. —
Un maire embarrassé. — Manifestations et inci-
dents. -- De par la loi! — La maison de Renan.
Le banquet démocratique. — Toasts et -
discours. — La profession de foi de
M. Combes. — Troubles et incidents
(De notre envoyé spécial)
Tréguier, 13 septembre.
La pluie tombe presque sans discontinuer.
Il fait un temps gris et maussade. Malgré la
tristesse lugubre du temps, la ville a revêtu un
air de fête. La foule se presse dans les étroites
rues de la ville, se dirigeant sur la place du
Centre sur laquelle se dresse la statue de
Renan. -
Les porteurs de cartes d'invitation seuls sont
admis à pénétrer sur la place. Ils attendent en
silence l'arrivée des personnages officiels.
Les cléricaux, convoqués par le curé de Tré-
guier, se rendent, par petits groupes, à la ca-'
thédrale Saint-Yves. Les femmes sont en
grande majorité. Ils se réunissent devant la
porte du presbytère et, se sentant assez nom-
breux, ils se mettent à siffler, ou à crier. Ils
Sont là une centaine de braillards qui brandis-
sent des bâtons en menaçant les « Bleus de
Bretagne » qui sont massés sur la ulace. Un
groupe de « Bietis» se porte du côté des mani-
festants en criant:«Hou! hou! A bas la calotte!»
Un cordon de soldats empêche le contact entre
les deux partis.
A 10 h., la cloche de la cathédrale retentit.
Les cléricaux pénètrent alors dans l'église,
tandis que les admirateurs de Renan se portent
à l'entrée de la rue par laquelle doit arriver le
cortège officiel.
Sur la façade principale de l'église, on avait
placé une banderole rouge portant l'inscrip-
tion : « Vive la République! ». Je vous l'ai si-
gnalé hier. Les calotins. n'ont pas osé l'enlever,
mais au-dessus, ils viennent placer une ban-
derole blanche portant l'inscription : « Vive
le Christ! » Des cris de « A bas la calotte! » se
font entendre de toutes parts. Mais la troupe
s'interpose de nouveau et aucune collision ne
se produit.
L'arrivée de M. Combes
A 10 h.. 1 ï4, M. Combes accompagné par
MM. Chaumié, Anatole France, Bertheîot,
Henri Brisson, le général Passerieu, l'amiral
'Réveillère, Guieysso, Guillerm, maire de Tré-
guier, etc., arrive sur la place Centrale, salué
par d'enthousiastes acclamations. La foule
applaudit le président du conseil et crie:
« Vive la République ! » Elle applaudit aussi"
M. Chaumité et les personnages officiels. M.-
Combes était parti de Pontrieux ce matin à
8 h., en voiture, accompagné par le général
'Passerieu, le préfet des Côtes-du-Nord, et le
maire de Pontrieux. Le cortège comprenait. 6
voitures, et était escorté par deux pelotons de
dragons et doux pelotons de gendarmes.
Sur le parcours, qui est de dix-sept k!-:
lomètres, on a entendu de rares coups de sif-
flets ; ils étaient timides, et les quelques fem-
mes qui sifflaient étaient cachées. En revanche,
les cris de : « Vive Combes ! Vive la Républi-
que ! » étaient plus chauds et plus nourris
qu'hier.
A la Roche-Derrien, dont la municipalité
est républicaine, le maire, M. Roland, s'était
porté à l'entrée du village et avait salué M.
Combes au nom de ses administrés. Il l'a as-
suré du dévouement inaltérable de ses conci-
toyens à la République.
M. Combes a répondu qu'il est venu non
s3ulement pour s'associer à la glorilica-tion de
Renan, mais aussi pour se rendre compte de
l'état d'esprit de la Bretagne. On lui avait an-
noncé que tous les sifflets des magasins de la
'Bretagne avaient été accaparés pour sa récep-
tion. Il ne s'en est guère aperçu jusqu'à pré-
sent. L'accueil chaleureux qui lui a été fait le
touche profondément. Il est heureux de cons-
tater que le progrès est dû en grande partie
!aux hommes à l'initiative généreuse, comme
Jo maire de La Roche-Derrien, qui veulent la
'liberté pour tous et le progrès pour la France
entière. Il les en félicite.
: Les conseillers municipaux et les curieux,
'groupés autour d'eux ont crié chaleureuse-
ment à plusieurs reprises : « Vive Combes !
Vive la République ! »
: A la sortie de la Roche-Derisen,quelques per-
sonnes hostiles au président du conseil étaient
:molltées sur un talus, situé à gauche de la
route. Quelques cris de : « A bas Combes ! »
ont retenti sur le passage du cortège. Des coups
;de sifflet se sont fait entendre. Mais aussitôt
îune bruyante contre-manifestation s'est pro-
duite de l'autre côté de la route : c'est un fort
groupe de « Bleus » venus de Tréguier à la
rencontre du président du conseil. Ils crient :
« Vive Combes! A bas la calotte 1 Hou! hou 1 »
Ils accompagnent le cortège en acclamant la
',République et le président du conseil.
On remarque la présence de M. Baudin, an-
cien député du Cher, aujourd'hui retiré à St-
■Brieuc, qui est venu à la tête d'une délégation
des Bleus de sa région. Tous les délégués joi-
gnent leurs acclamations à celles des habi-
tants. l
A Sqint- Yyesde- TrégUl.er, a. dernièro agglo-
mération traversée avant l'arrivée à Tréguier,
une manifestation hostile s'est également pro-
duite. Mais une contre-manifestation en favenr
de la République a imposé silence aux clé-
ricaux.
A l'entrée de Tréguièr. un petit arc de
triomphe a été dressé. C'est là que le président
du conseil est reçu par M. Chaumié, ministre
de l'instruction publique ; MM. Henri Brisson,
Berthelot, les députés républicains des Côtès-
du-Nord, le maire de Tréguier, M. de Kergué-
zec, conseiller général, etc.
Une jeune fille offre des fleurs au président
du conseil ; puis le maire lui souhaite la bien-
venue.
M. Combes remercie le maire et lui dit l'im-
pression agréable qu'il éprouve à se trouver
en Bretagne :
On m'avait dit, ajoute-t-il en souriant, que- mon
voyage aurait des côtés fâcheux. Je les cherche
vainement ; je n'ai trouvé sur mon passage qu'une
population très républicaine qui m'a fait le meil-
leur accueil.
C'est à peine si par-ci par-là j'ai entendu, très
espace quelques coups de sifflets. Permettez-moi
de les comparer aux airs de flûte que l'on jouait
autrefois derrière le char des, triomphateurs et qui
étaient destinés à leur rappeler qu'élevés par le
peuple, ils devaient gouverner par le peuple. Je
suis fier. de la mission qui m'a été confiée, et j'es-
père la mener à bonne fin. Je me félicite de ren-
contrer des auxiliaires tels que vous, qui vous êtes
dévoués ici, avec succès, à l'affranchissement du
servage intellectuel de la Bretagne.
Le président du congrès républicain des Cô-
tes-du-Nord, qui a été tenu hier, s'avance et lit
l'ordre du jour voté par le congrès et félicitant
le gouvernement de son attitude démocratique
.et laïque.
M, Uuieysse, député de Lorient, au nom des
Bleus de Bretagne, fait part, à son tour, à M.
Combes, des toasts chaleureux portés hier à la
fin du banquet des Bleus au gouvernement ré-
publicain et au président du conseil.
Précédé de la musique des équipages de la
flotte, escorté par une foule très dense, au
premier rang de laquelle sont les membres
du clergé républicain de Guingamp, le cor-
tège pénètre à pied dans Tréguier et gagne la
place du Centre, ou, ainsi que je vous l'ai déjà
dit, il arrive à 10 h. 114.
L'INAUGURATION
DU MONUMENT
Le président du conseil monte immédiate-
ment sur une estrade où se trouvent déjà M. et
Mme J. Psichari, ainsi que les autres membres,
de la famille d'Ernest Renan. Tout le monde
veut s'approcher de l'estracw et serrer la main-
de M. Combes. Une légère poussée en résulte.
Des «chut! chut!» se font entendre. Voici
que des ouvriers enlèvent le voile qui recou-
vre la statue de Renan.
De tous les points de la place retentissent
des applaudissements répétés lorsqu'apparaît.
aux yeux de tous le chef-d'œuvre du sculpteur
Jean Boucher. Je ne referai pas ici la descrip-
tion du monument : le souvenir doit être en-
core présent à tous les esprits de la descrip-
tion que vous en avez donnée il y a quelques
jours.
Mlle Moreno, de la Comédie-Française, s'a-
vance sur le devant de l'estrade et dit la Prière
sur l'Acropole, de M. Anatole Le Braz. -
Voici quelques strophes de cet admirable
poème :
RÉPONSE A LA DÉESSE
Ma réponse, regarde, elle est là, ciselée
Par l'art de Phidias, dans ce couple d'airain.
Ma réponse à Renan, c'est sa mémoire ailée,
Ramenée en triomphe à l'ancien vieux marin.
C'est ta pensée assise au foyer de ta race ;
C'est, du bois de Ker-Hir au bois de Tur- YuneJ,
Ton beau front radieux, illuminant l'espace
Comme un phare idéal, paisible et fraternel.
C'est enfin ma fortune enchaînée à la tienne,
Mon ciel clair déserté par ton ciel nébuleux
Et, dejbout près de toi, Pallas athénienne,
Dans le brouillard breton,promenant tes yeux bleus.
Puis des discours sont prononcés par MM.
Guieysse, le maire de Tréguier, Chaumié,
Berthelot, Anatole France et Jean Psicllari.
Discours de M. Guieysse
M. Paul Guioysse, député du Morbihan,
président des Bleus de Bretagne, a pris le pre-
mier la. parole. Voici les principaux passages
de son discours :
Au nom des Bleus de Bretagne, je vous souhaite
la bienvenue dans notre pays, et ne, peux résister
au désir de vous remercier le. premier du témoi-
gnage de haute sympathio que vous nous donnez
au nom du gouvernement de la République en ve-
nant présider l'inauguration du monument élevé à
l'homme - illustre dont s'honore la ville de Tré-
guier et la Bretagne.
Renan, comme tous les Bretons, adorait son
pays natal ; il avait, depuis longtemps, retrouvé
sa place à l'ancien foyer de famille , l'estime et
l'afïeiîtion de ses compatriotes, de ses anciens amis
de jeunesse ne lui avaient jamais manqué,
tellement les sentiments vrais, les convictions sin-
cères savent s'imposer' à tous, tne aux adver-
saires quand ils sont de .t)nnc foi. Et c'est pour
consacrer l'ancien retour de Renan au pays, pour
perpétuer son souvenir dans l'avenir, que nous
avons tenu, en dépit des critiques des uns, des
folles injures des autres, à élever notre monu-
ment à Tréguier même, au cœur de la ville na-
tale. -
II a fallu néanmoins un rare courage au maire
de Tréguier, M. Guilierrn, et à ses amis pour ac-
cepter et défendre l'idée d'ériger cette statue, idée
lancée et murie par l'association des Bleus de Bre-
tagne.
Après Hoche, symbole de l'honneur militaire
dans ce qu'il a de plus pur, de plus élevé. Renan,
le plus noble représentant de la pensée philosophi-
que et du libre "IYllmCn, le continuateur de cette
rande famille rte penseurs bretons, qui s'étend
d'Abélard à Lamp.ona;s. -'
Pour mener nôtrf œuvre a bonne fin, r;en ne
nous a manqué, Monsieur 1* maire, ni fes encou-
ragements venus da tous les points de la Bretagne
même; ni aussi les outrages que des fanatiques
grossiers ont déversés sur lo compatriote que nous
avons voulu honorer, et les insultes adressées à
tous ceux qui ont coopéré à notre œuvre com-
mune. Ne nous y arrêtons pas! Nous n'avons pour
les repousser qu'à rappeler les paroles si sincères
que prononçait Renan, il y a vingt ans, à son re-
tour à Tréguier, au milieu de ses amis de France
et de Bretagne.
« Oui, j'ai, aimé la Vérité, je l'ai cherchée, je
l'ai suivie où elle m'a appelé, sans regarder aux
durs sacrifices qu'elle m'imposait. J'ai déchiré les
liens les plus chers pour lui obéir. Je suis sûr d'a-
voir bien fait. »
Ces paroles résument bien la pensée de Renan ;
ses compatriotes les ont comprises. C'est pour-
quoi, Monsieur le maire, les Bleus de Bretagne
vous remettent avec confiance l'œuvre si" belle de
notre compatriote Boucher. Se pénétrer de l'esprit
de Renan inspiré par la divine Athénée sous notre
ciel brumeux comme au sofeil de l'Acropole, tel
doit être notre bout; à nous tous Bretons;
Discours du maire de Tréguier
M. Guiîlerm, maire de Tréguier, avait pré-
paré un long discours, qu'il se proposait de
lire à l'inauguration de li statue de Renan. M.
Guillerm avait placé le texte de ce discours
dans son porte-monnaie. Tandis qu'il se trou-
vait à l'entrée de la ville, entouré de son con-
seil municipal, et attendait l'arrivée du prési-
dent du conseil, un habile pickpocket lui a dé-
robé son.porte-monnaie et, par la même occa-
sion, le discours préparé avec un soin jaloux.
Désespéré, navré — on le serait à moins, —
le maire a dû prendre brièvement la parole,
en improvisant, au moment de la cérémonie.
Voici les paroles qu'il a prononcées :
Je veux d'abord remercier M Paul Guieysse du
grand acte de générosité qu'il vient de faire en of.
frant, au nom de l'Association des « Bleus de Bre-
tagne H, le monument d'Ernest Renan à la ville de
Tréguier, dont j'ai l'inappréciable honneur d'être
le maite en ces circonstances mémorables. -
Je tiens aussi it dire à M. Paul Guieysse — et j'ai
la conviction d'être le fidèle interprète de tous les
républicains bretons —que nul n'était plus propre à
rallier ici,à l'association de propagande républicaine
qu'il dirige avec tant d'autorité, plus d'activés et
d'ardentes sympathies. *
En prenant l'initiative de cette fête commémora-
tive, à laquelle, je dois le dire, la ville de Tréguier
a prêté son plus ardent concours, les « Bleus de
Bretagne », dont la bienfaisante et féconde in-
fluence pénètre chaque jour, plus profondément,
l'âme bretonne, ét l'oriente vers des destinées nou-
velles, ont en effet proclamé, à la face du monde
entier, que notre vieille province n'était pas abso-
lument abandonnée au fanatisme et à l'ignorance,
et qûe l'esprit de la Révolution, l'esprit de justice,
et de vérité pouvait encore y être publiquement
glorifié dans ses plus hautes personnifications.
Quels exemples salutaires, quelles éloquentes le-
çons que les inaugurations des statues de Floche, h
Quiberon, de Renan, à Tréguier!
Mais la gloireRenan rayonne bien au delà des
murs de sa petite ville natale et des limites de la
Bretagne !
Elle aqpartient à la France tout entière !
Aussi, monsieur le ministre de l'instruction pu-
blique et des beaux-arts, en vous remerciant d'a-
voir prNé votre haut patronage à cetfe grande so.
lennité, jo vous demande de vouloir bien recevoir,
de la ville de Tréguier, le dépôt sacré de-ce monu-
ment commémoratif, avec la partie de la place sur
laquelle il se dresse et qui semble son cadre natu-
rel.
C'est à Tréguie? que devait d'abord s'élever la
statue d'Ernest Renan, au centre mme de cette
petite ville où il naquit et que son nom illumina
de gloire.
Mais c'est à la France, c'est au gouvernement de
la République qu'il appartient d'être le gardien
jaloux de ce monument, dans lequel quelques es-
prits fanatiques ou volontairement aveugles, veu-
lent voir une provocation, alors qu'il n'est que la
symbole de l'esprit de tolérance et que l'expression
d'une réparation tardive et à -laquelle s'est associé
l'univers entier, par l'adhésion des hommes les
plus illustres de tous les pays.
Attenter à son existence, ce serait attenter à la
gloire de la France et faire nne injure profonde à
la dignité de la pensée humaine.
Discours de M. Chaumié
M. Chaumié a pris ensuite la parole :
C'est l'an dernier, a-t-il dit au pied de la statue
de Hoche, que celui qui parlait, à la fois au nom
de la Ligue des Bleus de Bretagne, dont il était la
fondateur, et du ninistre de l'instruction publi-
que, dont il était le délégué; émit le vœu que la
ville de Tréguier élevât, eti? aussi, sans tarder,
une statue à son plus illustre enfant.
C'est merveille de voir quel écho à répondu à
cet appel.. ",'
Quelaues jours ne s'étaient pas écoulés, que le
conseil municipal da Tréguier choisissait une des
places de la ville pour y ériger cette statue et for-
mulait, dans des considérants d'une concision sai-
sissante et d'une remarquable justesse, les raisons
dominantes qui imposaient sa décisioh.
« Il est de son devoir, disait-il de rendre un
public hommage à la grande mémoire d'Ernest
Renan, qui restera un des écrivains et un des
penseurs les plus illustres du monde ; il importe
de réparer l'injuste ostracisme dont l'apôtre de la
tolérance a été si longtemps frappé sur le sol de
sa patrie bretonne. »
Glorifier l'écrivain et le penseur, honorer l'apô-
tre de la tolérance au lieu même où l'intolérance
dut lui être le plus dure à subir,car rien n'est plus
cruel que d'être méconnu des siens, quelle entre-
prise plus noble pouvait éveiller l'empressement
de tous ? De tous côtcs, les adhésions sont venues
en foule, Hères, enthousiastes, émues. Pas un con-
cours attendu n'a fait déhut.
Le gouvernement de la République a tenu, dès
la première heure, à apportes le sien.
L'hommage est grandiose, digne de la grande
mémoire à laquelle il est rendu.
Au spectacle de cette cérémonie, ma pensée ne
peut s'empêcher de se reporter en arrière, d'évo-
quer le souvenir des passions, des calomnies, des
outrages, des haines qui se déchaînèrent jadis con-
.Renan, avec quelle violence sauvage, vous le sa-
vez, de se rappeler ce gouvernement d'alors, par-
tageant ces passions ou en ayant peur, fermant la
porte du Collège de France au maître qui devait y
enseigner avec tant d'éclat, et dont ces disgrâces et
ces orages ne parvenaient pas à troubler la gère
sérénité.
Certes les haines n'ont pas désarmé, nous assis.
tons à celte heure même à leur explosion ; mais sf
leur violence est égale, leurs clameurs de jour en
jour plus rares s'éteignent au milieu du eoneert
d'admiration qui, de toutes parts, monte vers cette
grande œuvre et ce grand nom.
Je songe aux éclatantes réparations apportées
depuis, je songe à la chaire rouverte par la Répu-
blique, à l'Académie française, s'honorant d'ac-
cueillir l'écrivain admirable, aux funérailles so-
lennelles, à la gloriflcation d'aujourd'hui, et, à
chacune de ces étapes, je salue un pas en avant
de l'esprit de vérité, de progrès, de lumière, de li-
berté.
Tréguier place ce monument sous la sauvegarde
de l'Etat. Le .gouvernement accepte, avec joie, cette
mission qui l'associe de façon plus intime à l'am-
vre de justice accomplie aujourd'hui.
- Discours de M. Berthelot
M. Berthelot, sénateur, membre de l'Acadé-
mie française, secrétaire perpétuel de l'Acadé-
mie des sciences, qui a été l'ami et le compa-
gnon de Henan, a parlé après M Chaumié :
La cérémonie qui nous réunit devant ce monu-
ment, consécraUon suprême d'un grand homme,
au sein de la ville de Tréguier, où Rnu-n est né et
dont il avait garde un si tendre souvenir, a pour
moi un caractère tout particulier : j'ai été son
compagnon de route, chacun de nous développant
sa carrière originale au cours de nos destinées fra-
ternellement conjointes; chacun de nous a été un
témoin fidèle et dévoué de la vie do son compa-
gnon. Nous avons lutté côte à côte, combattu le bon
combat pour la science et pour la liberté, pour
l'amour et le perfectionnement de nos concitoyens 1
C'est un dernier devoir pour moi de m associer à
cet hommage de sympathie nationale et univer-
selle pour l'existence de Renan, si pure et si
digne î
J'ai vu Renan, pour la première fois, en 1845
dans une petite pension: dont les élèves suivaient
les cours du collège Henri IV. Un jour, au r »
ment où je sortais de ma chambrette située se us
les combles, j'aperçus sur le seuil voisin une nou-
velle ligure qui ne ressemblait à celle d'aucun da
.mes camarades ; c'était un jeune homme sérieux
et réservé, de tournure ecclésiastique : le regard
dé ses yeux purs était franc et modeste, la tête
grosse et ronde ; le visage rasé ne manquait ni de
finesse ni d'expression. Il suivait à la Sorbonne
les cours de littérature et de philosophie de MM.
Le Clerc et Garnier ; ab Collège do France, les
cours de sanscrit et d'hébreu de MM. Eugène Bur,
îouf et de Quatremère Nous nous observâmes
pendant quelques jours, et nous ne tardâmes pas
A nous lier d'une affection de plus en plus étroite.
tous deux travailleurs acharnés, curieux de con-
naissances précises et de philosophie, et ouverts
aux quatre vents de l'esprit, quoique poursuivant
des directions bien différentes : Renan, l'érudition
historique et philologique, et moi m-me, les scien-
ces mathématiques et expérimentales.
Espérons que l'humanité, affranchie de tout
dogmatisme imposé, proclamera désormais comme
son œuvre propre-la morale du devoir et de la
bonté, do la justice et de la solidarité, morale de
l'avenir désormais séparée de tout symbole et de
'tout surnaturel.
C'est à ce point de vue que se plaça Renan
,]uand il entreprit d'étudier d'une façon purement
rationnelle la création du christianisme, avec son
mélange de grandes vérités morales et de grandes
erreurs scientifiques.
Discours de M. Anatole France
M. Anatole France, membre de l'Académie
française, a parlé ensuite :
Renan avait l'esprit fait pour sentir très vite
la difficulté de croire. Tout jeune, au séminaire,
il esquissa dans son esprit une philosophie des
sciences. Il n'avait pas entendu parler de Lamarck,
ni de Geoffroy-Saint-Hilaire. Darwin n'avait pas
encore publié son livre sur l'Origine des espèces-
Ecartant, comme enfantine et fabuleuse, l'idée de
la création telle qu'elle est exposée dans les vieil-
les cosmogonies, sans initiateur et sans guide, H
conçut une théorie du transformisme universel,
une doctrine de la perpétuelle évolution des êtres-
et des métamorphoses de la nature. Ses croyances*
fondamentales étaient dès lors établies. En réa-
lité, Renan, dans le cours de sa vie, changea peu.
Ceux qui le croyaient flottant et mobile n'avaient
pas pris la peine d'observer son monde de pen-
sées ; il ressemblait à sa terre natale ; les nuées
y couraient dans un ciel agité, mais le sol en était
de granit et des chênes y plongeaient leurs raci-
nes. A vingt-six ans, après cette révolution de
février, source pour lui de grandes espérances, de
grandes illusions, il exposa toute sa philosophiie
dans ce livre de l'Avenir de la science, que plus
tard il appelait son .vieux Pourânas, entendant Paf
là que c'était le recueil de ses jeunes et chère a_
croyances, les premières incarnations de ses dieux*
bons. -
Lo sculpteur dont I,oeuvre vient d'être évoilée
devant vous n'a pas sans raison représenté Pallas-
Athènè au côté de; Renan, Homèré.nous l'apprend:
Athènè a coutume de descendre du vaste ciel pour
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