Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1903-09-12
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 12 septembre 1903 12 septembre 1903
Description : 1903/09/12 (N12237). 1903/09/12 (N12237).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75754986
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
CIISTO CENTIMES le Nuxnèrd. PARIS a DÉPARTEMENTS Le Numéro CINQ CENTIMES
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3ST» 12237. — Samedi 12 Septembre 1903
26 FRUCTIDOR AN 111
-.
ADMINISTIRATION ; 14, rue clu -
Adresser lettres et mandais X l'Ai ni Ustraieur
NOS LEADERS
La Proriété littéraire
Je viens de lire avec un grand in-
térêt le rapport « sur les moyens pra-
tiques d'organiser le domaine public
payant en matière de propriété litté-
raire et artistique » que va présenter
au congrès de l'Association littéraire
et artistique internationale, qui doit
se tenir à Weimar, ce mois-ci, M. Ed.
Mack, avocat à la cour d'appel, délé-
gué de la Société des gens de lettres.
C'est une heureuse inspiration qu'a
eue le journal la Loi de publier "à
l'avance ce document ; cela nous per-
met de le discuter ; et nul doute que,
dans cette discussion, que nous vou-
drions voir s'ouvrir dans tous les jour-
naux, M. Mack ne puise des arguments
pour celle qu'il aura à soutenir de-
vant le congrès.
Je ne prétends point, je me hâte de
[le dire, traiter la question au point de
vue juridique ; pour cela, les connais-
sances techniques me feraient défaut.
}Mais au point de vue professionnel -.
set c'est sur ce terrain que j'entends
me cantonner — tous nous pouvons et
nous devons avoir notre avis.
Nous autres, les gens de lettres,
dont c'est le métier d'habiller en mots
et en phrases nos idées et de ranger
grammaticalement ces mots et ces
phrases sur le papier, et qui avons
l'ambition légitime et modeste de ga-
gner notre vie par l'exercice de cette
profession, nous avons deux ennemis
terribles : les amateurs et les morts,
c'est-à-dire : le domaine public.
L'amateur c'est ce monsieur ou cette
dame qui, ayant d'autres moyens
d'existence, donne sa copie pour rien,
ou même paie pour se faire imprimer.
Les messieurs et dames de cette caté-
gorie sont des êtres malfaisants au pre-
mier chef.
Leurs productions étant à peu près
toujours au-dessous de l'ineptie, ils dé-
• considèrent la littérature, conduisent
à la faillite les journaux et les éditeurs
assez malavisés pour donner asile à
leurs œuvres et empêchent de vivre les
vrais gens de lettres. Pour nous défen-
dre contre eux, nous avons nos asso-
ciations professionnelles qui les ex-
cluent impitoyablement, mais ce sont
des adversaires redoutables, étant for-
cément sans scrupules et sans pudeur.
J'en pourrais nommer qui ont été de
maison en maison portant sous unbras
Seur manuscrit et dans leur poche quel-
ques billets de banque. Repoussés dédai-
gneusement par certains éditeurs hon-
nêtes qui savaient bien qu'ils aviliraient
irrémédiablement leur marque de fa-
brique s'ils se prêtaient à ce trafic, ils
ont trouvé refuge chez d'autres et ont
fini par donner à ceux qui ne savent
pas l'illusion qu'ils font de la littéra-
ture.
Pendant ce temps ceux qui, écri-
vains, ont besoin de vivre, ne savent
où placer leur copie et claquent des
dents. Ils se trouvent moralement as-
• sez vengés, cela est vrai, par la sottise
des amateurs et amatrices, mais cela
ne les empêche pas de claquer des
-dents.
L'amateurisme, en littérature, est
une plaie. Le domaine public en est
une autre.
On sait quel estle régime actuel.Cin-
quante ans après la mort d'un auteur,
ses œuvres appartiennent à tout le
monde; ses héritiers n'ont plus rien à
prétendre; peut les publier qui veut,
sans avoir à payer de redevance à
personne. Cela est exhorbitant et pro-
fondément injuste.
La propriété artistique et littéraire
est une propriété. Je ne vois pas pour-
quoi les héritiers se trouvent dépossé-
dés des revenus de cette propriété. Je
dis : des revenus, parce qu'il y a la
une nuance nécessaire à faire obser-
ver. Si la propriété littéraire était une
propriété absolument comme les au-
tres, les héritiers auraient le droit de
la confisquer, voire de l'anéantir,
D'est-à-dire de s'opposer à toute réim-
pression, à toute reproduction. C'est
évidemment ce qu'il ne faut pas.
Une œuvre littéraire fait partie du
patrimoine intégral de l'humanité ;
nul ne peut avoir le droit de l'accapa-
rer. Mais il ne s'ensuit pas que tout
le monde doive avoir licence d'en user
sans comptes à rendre à personne. Le
domaine public est un abus dont souf-
frent cruellement les professionnels de
la littérature.
Ne voit-on pas, en effet, directeurs
de journaux et éditeurs puiser large-
ment dans le domaine public, ce qur
leur permet d'offrir à leurs lecteurs:
des chefs-d'œuvre, sans bourse délier,
tandis que, toute la place étant occu-.
pee, les vivants attendent, maigres,
derrière les portes clones ?
Assurément, il ne saurait être ques-
tion d'interdire ou même de limiter le
droit de reproduction des chefs-d'œu-
vre, mais ne serait-il pas équitable
que ceux qui tirent profit de cette
reproduction abandonnent une part de
leurs bénéfices à la collectivité litté-
raire ?
Dès 1861, la Société des gens delet-
itres proposait la reconnaissance du
Idroit de propriété perpétuel des héri-
tiers en ligne directe ; dans ce sys-
tème, pour les collatéraux et les ces-
tionnaires, le droit de propriété eût
'comporté l'obligation à faire une édi-
tion tous les dix ans, faute de quoi
chacun devait pouvoir publier l'œu-
vre, moyennant une redevance ; à dé-
faut d'héritiers, la redevance devait
être attribuée à une société d'auteurs
avec une destination précise.
Ce projet n'a pu aboutir. La Société
des auteurs dramatiques, qui avait pris
les devants, a été, on le sait, plus heu-
reuse; elle impose aux théâtres une
rétribution pour les pièces du domaine
public comme pour celles des auteurs
vivants; elle verse ce produit dans sa
caisse, et quand un descendant de la
famille d'un auteur est dans une situa-
tion pénible, la commission lui offre,
comme une sorte de restitution, le de-
nier qu'elle a récolté sur le produit
-pécuniaire de l'œuvre.
1. Le projet que les délégués de la So-
.ciété des gens de lettres vont soutenir
à Weimar est inspiré par ce précédent.
Il établit le domaine public payant
après l'expiration du droit exclusif de
l'auteur et de ses héritiers ou ayants-
cause, et fixe à 5 0[0 sur le prix fort
indiqué pour chaque exemplaire ou
5 010 sur le produit brut de l'ex-
.ploitation de l'œuvre la redevance à,
payer, redevance qui, perçue par les
sociétés reconnues d'utilité publique et
investies du mandat légal de représen-
ter le domaine public payant, sera af-
fectée par elles à des œuvresde bienfai-
sance ou d'encouragement.
Tout homme de lettres doit, à notre
avis, approuver ce projet; et nous for-
mons le vœu que le vote unanime du
congrès de Weimar l'impose enfin à
l'attention des pouvoirs publics. Il im-i
porte de faire cesser une iniquité et uni
abus. Il faut défendre les vivants con-
tre les morts.
'; ¡
Lucien Victor-Meunier.
ENTRE AMIRAL ET MINISTRE
M~. "faillirai Maréchal vient de
rentrer en France ; il est en dis-
grâce ; il a été relevé du com-
mandement de l'escadre de l'Ex-
trême-Orient ; et on publie la
lettre de lui qui a motivé son
déplacement.
L'amiral avait pris le parti d'un lieute-
nant de vaisseau sous ses ordres, blâmé
.par le ministre ; jusque-là, il semble qu'il
n'y ait rien à objecter, et il est bien proba-'
ble que l'affaire en fût restée là, si le com-
mandant de l'escadre de l'escadre de l'Ex-
trême-Orient s'était borné à déclarer que
son subordonné avait agi d'après ses ins-
tructions et ne pouvait, par conséquent,
encourir aucune responsabilité ; mais il est
sans doute plusieurs façons de dire une
chose, et, pour savoir de quelle façon s'y
était pris l'amiral, il suffit de s'en référer à
la nouvelle lettre qu'il a adressée au minis-
tre et que voici :
J'ai reçu votre lettre du Il avril 1903, ainsi
que ma propre lettre du 10 février 1903, que
vous me renvoyez en m'informant que vous ne.
pouvez pas la recevoir, parce qu'elle n'est pas,
de nature à entrer dans les archives du dépar-
tement. Permettez-moi de vous faire remar-
quer, monsieur le ministre, que cette lettre fait
déjà partie des archives de l'escadre de l'Ex-
trême-Orient, au même titre que la lettre du
ministre de la marine, datée de décembre 1902,
à laquelle elle répond. « La lettre du vice-ami-"
ral commandant en chef l'escadre de l'Extrême-
Orient ne peut disparaître des documents offi-
ciels que si celle du ministre disparaît aussi.;
Je renvoie donc de nouveau ma lettre du 10 fé-
'vrier 1903 au ministre de la marine, et s'il veut
bien m'autoriser officiellement à détruire celle
qu'il m'a écrite, datée de décembre 1902, ma
réponse du 10 février 1903, n'ayant plus de
raison d'être, pourra également être détruite. »
Je ne suis pas d'un âge où l'on agit pour re-
chercher le bruit ou enfreindre la discipline,
mais j'ai le droit et le devoir de défendre mon
honneur militaire et mon honneur privé contre
toutes les attaques, et le chef de la marine
française se diminuerait lui-même s'il avait
pour objectif de commander à des officiers de
marine assez lâches pour accepter l'outrage
sans sourciller.
Ainsi c'est l'amiral lui-même qui nous
fait savoir que, répondant une première
fois au ministre, il l'a fait en de tels ter-'
mes que le ministre lui a renvoyé sa lettre,
en l'avertissant « qu'elle n'était pas d.e na-
ture à entrer dans les archives du départe-
ment )). On ne pouvait agir plus délicate-
ment ni d'une façon plus vraiment Ibon-
;homme que ne le faisait ici M. Pelletan,
puisqu'il donnait à son subordonné la pos-
sibilité de retirer honorablement un écrit
qui ne figurerait pas dans les dossiers du
personnel, et de leremplacer par une mis-
sive administrativement acceptable. Mais
nous vivons dans un temps ou certains
chefs de l'armée nous enseignent le respect
de la discipline, en discutant avec leurs su-
périeurs, et en leur posant, -:. comme c'est
le cas ici— leurs conditions. Le ministre.
pouvait,en classant la première lettre, infliger
une punition grave à son signataire ; il ne l'a
pas fait; et tout aussitôt il en est récom-
pensé par une seconde lettre où le subor-
donné traite avec son chef; dans les fonc-
tions simplement civiles, une telle attitude
entraînerait la révocation du fonction-
naire; dans la vie militaire, on en est quitte,
parfois pour un changement qui n'empê-
che nullement l'officier général de poursui-
vre sa carrière. S'il s'agissait d'un simple
matelot ce serait peut-être une autre af-
faire.}
Actuellement, on doit se demander ce;
que l'amiral veut prouver par sa lettre,
sinon que le ministre lui a offert de passer
l'éponge sur un acte qu'il pouvait réprimer
sans autre discussion.
LA QUESTION JUIVE
AVANT ET APRÈS 1789
Une thèse intéressante. — La condi-
tion des juifs. — L'ancien régime
et les persécutions. — Les bien-
- faits de l'émancipation. —
Ses résultats actuels.
Ce fut comme une révélation, la thèse au-
dacieuse et si bien documentée que soutint il
y a quelques semaines sur la question juive en
France en 1789, un jeune docteur en droit dont
'le nom était jusqu'à ce jour inconnu du grand
public et qui, sans avoir recours aux applau-
dissements de commande des camarades con-
viés à l'audition de la soutenance tradition-
nelle, s'est signalé de façon émérite à l'atten-
tion des juristes et des lettrés.
, M. Mamfroy Maignal, dont les qualités pro-
fessionnelles d'avocat au barrreau toulousain
n'ont pas eu jusqu'à ce jour l'occasion de se
mettre en valeur autremtlnt que dans de me-
nues causes où il se trouva désigné d'office, a
,su, au cours de sa thèse,dessiner très nettement
l'esprit de déduction et de logique auquel ses
études fortement nourries et trempées au con-
tact des classiques l'ont formé en l'aidant ainsi
à dégager des textes de lois le côté attrayant.
Peut-être retrouve-t-on dans ses pageslestra-
ces d'une docilité bien pardonnable à l'inexpé-
rience d3 la vie pratique, et trop respectueuse
des traditions surannées du Midi bien pensant
dont les superstitions maintiennent encore des
milliers d'êtres sous le joug rétrograde des
classes dirigeantes et du sectarisme religieux.
Mais la sincérité de ses observations ne saurait
être mise en doute, puisqu'elle trouve ses bases
dans une documentation rigoureusement his-
torique, et puisqu'elle nous permet de décou-
vrir les éléments d'un intéressant plaidoyer en
faveur de la liberté morale et religieuse des
enfants de Judas.
Ce n'est pas an effet d'aujourd'hui que date
cet ostracisme dont les israélites sont l'objet
dans nombre de pays et que la Révolution
française n'a pas réussi à lever entièrement
chez nous. Il est le résultat d'une haine sécu-
laire et que seul l'examen raisonné de l'histoire
du peuple juif on France peut expliquer,sans le
justifier.
L'établissement des juifs en France
Dès l'an 222, nous les trouvons installés $i
Metz, puis, lors des invasions barbares, en
Aquitaine, à Narbonne et dans tout le Midi.
Astreints à vivre en communauté dans unia,
ambiance hostile, leur solidarité n'en est que
plus étroite et s'affirme en raison directe du
travail de pénétration ot de fusion natio-
nale qui va s'opérer sur le territoire.
Tant que l'isolement judaïque correspondais
à l'isolement des autres races, les chrétiens et
les juifs vécurent en assez bonnes relations, ut
l'on cite plus d'un pasteur qui, à l'exemple de
saint Ferréol, évêque d'Uzès, accueillit soas
son toit des israélites de marque. Mais quand,
vers le Xe siècle, la sentiment national se fit
jour, l'isolement d'une portion aussi minime
d'individus, résolus à se régir sous des lois et
des rites spéciaux, apparut comme dau/fe-
reux.
De tout temps en effet, les solitaires ont été
l'objet de la jalousie et de la haine des foules
ignorantes auxquelles ils ne se sont pas mêlés
f et qui ne les ont respectés que lorsqu'elles y
étaient forcées. Ici la haine populaire prit sa
source non seulement dans le préjugé religieux
qui s'ancrait dans les esprits avec toute la force
de persuasion dont usèrent les premiers chré-
tiens, mais encore dans les conflits économi-
ques qui devaient résulter d'une concurrence
commerciale dans laquelle les aptitudes toutes
particulières des juifs devaient leur assurer la
supérioriié. Ils étaient parvenus à détenir une
belle part de la fortune privée. Ils possédaient
au 9e siècle des quartiers entiers à Lyon, en
Champagne, en Bourgogne et même à Paris.
Experts dans le négoce des matières précieuses,
ils étaient devenus les argentiers et les collec-
teurs d'impôts des rois Carlovingiens qui les
entouraient d'une cerlaine protection. Et comme
d'autre part l'Eglise prohibait le prêt à intérêt,
les juifs seuls en conservaient le monopole.
Lorsqu'ils furent ainsi devenus les plus
gros propriétaires, pa" le système du prêt sur
gages, on chercha tous les moyens de les dé-
: posséder, et les rois eux-mêmes trouvant en
eux un obstacle de nature à gêner leur puis-
sance, puisqu'ils avaient en outre recours à
¡leurs bons offices pour meubler leur cassette'
personnelle, favorisèrent le mouvement d'hos-
tilité qui bientôt se devait inaugurer par les
persécutions.
L'influence des Croisades
Jusqu'à l'époque des Croisades, l'anarchie
féodale, intéressant le seigneur à maintenir ses
sujets attachés à la glèbe, continua le crédit
des trafiquants et des juifs voyageurs accoutu-
mes à risquer le danger des déplacements.
Mais les Croisades, en ouvrant aux Français
un horizon lointain, substituèrent à l'inertie
'du vilain, l'idée du commerce et de l'échange
collectif. Les foires et les lendits où le Lom-
bard luttait de ruse avec le marchand français
et avec l'israélite, chassèrent peu à peu ce der-
nier du terrain économique, et le réduisirent
aux trafics secrets d'où naquirent les légendes
de complots sacrilèges, de sophistications des
fprodt.its, d'empoisonnement des fontaines et
sde meurtres d'enfants dont le peuple entoura
cette caste qui lui demeurait impénétrable.
Les Capétiens, dans leur avarice, usèrent
d'une tactique intéressée à leur égard. Les pe-
tits-enfants des protégés de Charlemagne,
chassés par Philippe Ier, furent rappelés sous
Louis VI pour se voir dépouiller de leurs biens
en 1182, quelque temps après l'avènement de
Philippe-Auguste. Celui-ci, à court d'argent,
Iseize ans plus tard, les fit revenir, et depuis ce
temps jusqu'à l'expulsion décidée par l'édit de
Charles VI, en 1394, la tactique royale consista
à les tolérer pendant tout le temps qu'ils met-
taient à s'enrichir pour faire main basse sur
leurs biens en les payant de soufflets et de sup-
plices.
Plus avisé, le bon roi Saint-Louis, qui ren-
dait la justice sous le chêne de Vincennes les!
enleva à la juridiction seigneuriale pour con
server sur eux sa main-mise et le monopole de
ces déprédations, qui toujours trouvèrent l'as-
sentiment populaire.
Plus tard, rentrés en France vers 1850, par
Bordeaux et Bayonne, les juifs chassés de
nouveau par un édit de Louis XIII sur la de-
mande des marchands qui toujours craignaient
en eux des rivaux contre lesquels la lutte était
impossible, se virent tolérés sous Louis XIV,
qui avait besoin d'alimenter son trésor et n'hé-
sitait pas à emprunter au banquier Salomon
Bernard pour payer les frais de la dure expé-
dition de la succession d'Espagne. Payés
comme autrefois de mépris.on les vit, sous le
régent, relever de la juridiction de la police
spéciale chargée de la surveillance connexe
des escrocs et des juifs et autres gens sans
aveu.
Le décret d'émancipation
Et les perquisitions nocturnes employées
pour déjouer leur habileté, durèrent jusqu'à la
veille de la Révolution, ainsi qu'en témoignent
des procès-verbaux du 21 janvier 1789. Cepen-
dant le peu d'action exercée pendant le 18e siè-
cle par rEglise,ne pouvait que devenir favora-
ble à cettè derrière.
l , S'il y avait encore antagonisme, c'est dans
^l'hostilité sourde et envieuse du peuple qu'il
fallait le - chercher. -
« Ils n'ont jamais été à la mode depuis que
[ « Dieu les a abandonnés, écrivait le prince de
« Ligne.C'est pour cela que les chrétiens ne se
« sont jamais occupés d'eux, et d'un autre
■ « côté, les philosophes n'y ont pas pensé parce
« que leur figure ne leur revenait pas. »
; Et nous en sommes toujours là. Les princi-
pas de liberté civique sur lesquels nous avons
institué notre liberté sociale, n'ont pas banni
l'antipathie de race. Ce ne sont pas les israé-
lites que nous combattons, disent certains po-
liticiens acharnés à leur perte, mais le juif qui
est pour nous un étranger.
L'éloquence convainquante de Mirabeau, et,
chose curieuse,de quelques prêtres tels que les
abbés Grégoire, Fauchet et Talleyrand, nour-
rie par l'étude des textes de Mendelssohn et
de Dohm, des appels chaleureux de Diderot et
de Montesquieu, devait assurer en 1791 leur
émancipation par un décret de la Consti-
tuante. Et si Voltaire sentait jadis le côté diffi-
cile de leur assimilation en déclarant que leurs
usages étaient précisément le contraire des
usages sociables,ce qui conduisait à les traiter
comme une nation en tout opposée aux autres,
Robespierre, du moins, n'hésitait pas à affir-
mer que leurs vices naissaient de l'avilissement
où ils étaient plongés.
Le sémitisme contemporain
En vérité,ce serait bien mal préjuger de notre
force morale que de supposer impossible la
fusion do cent mille êtres dans un ensemble
de trente-huit millions de Français régis par
les mêmes lois et les même^ mœurs. Le jeune
sociologue, estimant que la Constituante eut
tort de comprendre tous les juifs dans une
même mesure d'assimilation civique, aurait
préféré une méthode de sélection. Ce n'est pas
notre av-is. D'abord c'eût été contraire au prin
cipe même d'égalité et de fraternité.
Et puis, si, au lendemain de la Révolution,
les sympathies d'origine ont ramené un courant
de solidarité entre les disciples d'un même rite,
nul ne s'en doit formaliser. Parce que, sur les
ceut mille juifs français, il se trouve une élite
suffisamment régénérée par un siècle d'éman-
cipalion pour figurer au premier rang de l'in-
tellectualité artiste, scientifique ou littéraire,
outre la financière et la politique, ce n'est pas
à une nation libre qu'il appartient d'en pren-
dre ombrage, et les campagnes funestes et dis-
solvantes menées par quelques ambitieux han-
tés par l'arrivisme, ne sauraient trouver leur
excuse dans la seule répulsion du chrétien à
l'égard du sémite. -
Lorsque la puissance matérielle d'une asso-
ciation fait échec à l'Etat, il est toujours temps
de la réduire par des moyens radicaux basés
sur le principo même de la souveraineté na-
tionale et de sa conservation. La liberté des'
uns ne doit pas gêner celle des autres.
Le peuple tout entier aussi bien que les
juifs manquait de préparation à l'œuvre do
durable libération qui clôtura l'ancien régime.
Et ce sont peut-être ces derniers qui en ont
tiré le parti le plus sage. Pendant que le
tiers s'est scindé en deux éléments si distincts,
la bourgeoisie et le prolétariat, la race d'Israël
n'a pas eu besoin d'un siècle entier pour tirer
les meilleur parti de sa condition nouvelle, et
participer largement à la régénération et à la
prospérité de la France républicaine. Ce n'est
peut-être pas ce que M. Maignial a voulu dé-
montrer, mais cela ressort clairement de l'en-
semble de son très intéressant ouvrage.
ALCANTER DE BRAHM.
—
UNE RÉPONSE
J'ai là, sur mon bureau, deux lettres aux-
quelles je m'excuse de n'avoir pas déjà ré-
pondu. Elles sont relatives à mon article paru
ici le 2 septembre sous ce titre : Les Frères de
Launay,
La première est signée de M. Le Provost de
Launay, sénateur des Côtes-du-Nord.
Avec une haute courtoisie, M. le Provost de
Launay m'écrit : — « Je crois être certain que
si vous aviez connu la question telle qu'elle
s'est posée ainsi que l'origine de l'affaire et
ses causes, votre solution eût été toute diffé-
rente. »
Je me permettrai do faire observer à M. Le
Provost de Launay que, dans l'article en ques-
tion, je me suis bien gardé de toucher le fond
de l'affaire. J'ai toujours trop présentes à la
mémoire les admirables pages écrites par Di-
derot sous ce titre : « De l'inconséquence du
jugement public dans nos affaires particuliè-
res » pour ne pas me refuser énergiquement
à émettre un avis sur aucun différend d'ordre
privé. M. Le Provost de Launay voudra bien
reconnaître que, ne connaissant pas en effet et
n'ayant pas à connaitre l'origine de l'affaire
et ses causes, je n'ai émis sur cette affai re en
elle-même aucune opinion. J'ai uniquement
traité la question professionnelle soulevée en
me plaçant au point de vue de la responsabi-
lité du directeur du journal mis en cause.
Précisément, l'autre lettre que j'ai là, qui
émane d'un des témoins de M. de Kerguézec,
précise ce fait que c'est à ce dernier que les
témoins de M. Le Provost de Launay ont con-
tinué de s'adresser, après que M. Pierre Le
Provost de Launay eut revendiqué la respon-
sabilité des articles incriminés. Eh bien ! je ne
puis pas ne pas persister à croire et à dire que
cette déclaration mettait hors de cause absolu-
ment le directeur du journal. Il y a là une
question de dignité professionnelle. Tous les
journalistes doivent être d'accord pour refuser
absolument à un directeur le droit de se subs-
tituer au signataire d'un article, à moins, bien
entendu, que ce signataire ne soit notoirement
disqualifié.
Dans sa lettre, M. Le Provost de Launay
s'adresse à ma loyauté en une phrase où je lis
ceci : - « Si j'ai le chagrin d'avoir eu des
dissentiments d'ordre privé avec un frère, j'ai
la consolation d'être entouré et soutenu par
toute ma famille. » Je donne acte bien volon-
tiers à M. Le Provost de Launay de cette dé- -
claration ; et je n'hésite pas à lui exprimer
mes sincères regrets si, en traitant ici, je le
répète, une question professionnelle, j'ai avivé
en lui la souffrance de ces chagrins de famille
qui creusent dans les cœurs de si profondes
blessures. — L. Y,-M.
Une croisade contre law-tori
(De notre correspondant particulier)
New-York, 10 septembre.
Des croisés d'un nouveau genre se propo-
sent d'attaquer la ville de New-York. Le D'
Dowie, fondateur d'une nouvelle religion et
d'une cité appelée Nouvelle Sion, annonce
qu'il marchera, avec trois mille fidèles, vers.
New-York, « pour renverser le veau d'Or ».
Le nouveau Pierre l'Hermite se mettra lui-
même à la tête de la croisade. Au lieu du
« Dieu le veult » le cri de ralliement sera : à
New-York ! Exterminons les Bidls and Bears 1
(Boursicotiers). Ils ont déjà loué un local dans
la Waiistreet en face de la Bourse. La ôam-
pagne peut amener de graves complications,
car, en même temps que les notiveaisés
arriveront, il y aura à New-York une grande
affluence des Salutistes. Armée du Salut et
Nouvelle Sion sont des ennemies irréconci-
liables, le D' Dowie ayant converti à sa doc-
trine deux fils du maréchal Booih.
Voir à la 3° page
les Dernières Dépêches
do la nuit
et la Revue des. J ournaux
du matin
LISTE CIVILE
Dire qu'il y a des gens qui se laissent tou-
jours apitoyer sur les malheurs et la misère
; du prisonnier du Vatican. Que de petits sous
sont journellement drainés dans l'univers pour
grossir ce famoux denier de Saint-Pierre l Et
pourtant le pape n'est pas à plaindre.
Léon XIII a laissé à son successeur la jolie
somme de 150 millions, résultat de ses écono-
mies, 60 millions ont été récoltés dans son
seul jubilé. Après cela, il convient bien de
pleurer misère et de crier la faim.
Le pape aurait amplement do quoi vivre et
subvenir à ses besoins sans faire appel aux
fidèles rien qu'avec les intérêts de la fortune
léguée par Léon XIII ; je ne compte point les
capitaux que le Saint-Siège amasse depuis de
longs siècles.
150 millions placés à 3 pour 100, je mets les
choses au pis, rapportent annuellement 4 mil
lions 500.000 francs. C'est un joli denier. Ajou-
tez à cela que la liste civile, établie par la loi
des garanties en 1870, accorde au pape une
somme de 3.250-000 francs par an sur le bud-
get italien. Et vous verrez que le pape est un
des mieux partagés de tous les souverains.
Il est vrai que depuis trente ans, le Saint-
Siège a toujours refusé les trois millions que
lui offre le gouvernement italien. Mais il les a
refusés, oarce qu'il jugeait de son intérêt de le
faire. S'il acceptait en effet l'annuité offerte,
il ne pourrait plus se prétendre dénué de tout,
les revenus diminueraient de jour en jour, et
la source des aumônes serait bientôt tarie.
Ainsi ce n'est point un sentiment de délica-
tesse ou de fierté qui empêche le pape d'accep-
ter les présents de l'Italie, c'est la simple cupi-
dité. Après tout, les avertissements ne man-
quent point à ceux qui croient, envers et con-
tre tous, à la pauvreté du souverain pontife,
s'ils se laissent duper, c'est qu'ils le veulent
bien. Tant pis pour eux. — Ch. Darcy.
———————————— ————————————
UN ANARCHISTE AMI DES SPORTS
Le square du Pôre-Lachaise, longue bande
de terrains accidentés qui s'étendent entre
l'avenue Gambetta et l'une des murailles laté-
rales de la grande nécropole parisienne,
semble un endroit de prédilection pour notre
confrère, M. Sébastien Faure. L'anarchiste,
qui demeure aux environs, vient y rêver et
songer à ses articles. En outre, le voisinage
des jeunes enfants, dont il raffole, lui cause
une réelle satisfaction.
Dans la matinée d'hier, comme il achevait
un article pour un journal libertaire auquel il
collabore, un groupe de bambins et de fillettes
s'amassa curieusement autour de lui. Une
brusque idée illumina la physionomie du com-
pagnon. Cette idée, il la mit aussitôt à exécu-
tion. Il s'agissait d'organiser un match de
course pédestre parmi ce petit monde. Le ga-
gnant devait se voir attribuer une modique
prime de cinq centimes.
Ce fut une effervescence de joie. Plusieurs
épreuves venaient d'être courues, quand l'or-
ganisateur de cette fête enfantine fut brutale-
ment saisi par deux agents et par le garde du
square et conduit au commissariat de police
du Père-Lachaise, escorté par la troupe des
précoces coureurs.
Là, on s'expliqua. Un policier amateur — il
s'en trouve, hélas ! trop souvent à Paris ! —
avait jugé à propos, peut-être par vengeance
personnelle, de dénoncer notre confrère comme
coupable de faits d'une nature toute spéciale.
M. Sébastien Faure n'eut pas grand mal à se
défendre contre cette accusation à la fois
odieuse et stupide. L'équipe des coureurs était
là, d'ailleurs, pour protester et réclamer l'orga-
nisateur de leurs matches, qu'ils avaient grande
hâte de voir se poursuivre.
Notre confrère fut donc aussitôt rendu à sa
liberté, arbitrairement troublée, et le garde du
square vertement tancé par le commissaire de
police de son zèle assez intempestif, alors qu'il
n'avait pas hésité à faire procéder à l'arresta-
tion de notre confrère, sur une simple dénon-
ciation anonyme et rien moins que motivée.
——————————— ————————————
PARTI RADICAL-SOCIALISTE
Dans l'Yonne
Les comités radicaux et radicaux-socialistes
de l'Yonne se sont réunis en congrès départe-
mental à Auxerre ainsi que nous l'avons an-
,noncé.
Le délégué du comité exécutif du parti, Mi-
chel, député des Bouches-du-Rhône, présidait
la séance. Il a prononcé un discours fort ap-
plaudi sur la politique générale.
M. Philippe, conseiller général, a soutenu la
nécessité de supprimer toutes les congrégations
et de réaliser la séparation des Egiise3 et de
l'Etat. M. Silvy, secrétaire du comité exécutif f
a montré la nécessité de rappeler tous les fonc
tionnaires (armée, clergé, magistrature, etc.),
au devoir républicain.
L'assemblée a adopté ces deux motions, ainsi
qu'une résolution pour réclamer l'impôt pro-
gressif ; elle a borné là ses vœux estimant qu'ils
constituent un programme suffisant pour l'an-
née 1904.
Les délégués qui ont été ensuite nommés sont
chargés de défendre ce programme au congrès
de Marseille.
Il est décidé que le prochain congrès dépar-
temental aura lieu en 1904 à Laroche.
GRANDES MANŒUVRES AUX INDES
(De notre correspondant particulier)
Bombay, 10 septembre.
Popr la première fois, l'armée anglo-in-
dienne aura des grandes manœuvres, dans le
genre de celle des armées européennes. La date
en est fixée aux premiers jours de décembre.
Les opérations auront lieu dans la région de
l'indus et dans le Poundjab du Nord.
Environ 40,000 hommes seront mobilisés à
cette occasion.
Lord Kitchener a donné, comme thème des.
manœuvres, la défense contre une armée d'in-
vasion, venant du côté de l'Afghanistan.
LA DEFENSE DE LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
(De notre correspondant particulier)
Buenos-Aires, 10 septembre.
La Chambre des députés a voté un crédit de
cinq millions de francs pour la construction
d'un port militaire à Bahia Blanca. Les tra-
vaux commenceront prochainement,
LE CRIME ETLE DROIT11
Manuel du Musulman révolutionnaire
Ni solde, ni traitement. — Le vol orga"
nisé. — Misère et infection. — Le
sultan responsable. — Voyoucratie;
orientale. — La police veille. - ,'
Justice et liberté, — Devoir,.
vouloir, pouvoir. "-
A Bagdad, où mon père fut directeur de la
Dette publique, les troupes, les fonctionnaire
civils et militaires ne touchent pas un sou ré1
gulièreiiient. Les arriérés de ces derniers mon-
tent parfois à des milliers de francs. Sans.l.
vol et la concussion omnipotents en Turquie,
je ne sais comment ils pourraient vivre. Les
soldats font peine à voir. Les malheureux
plient l'échiné sous leur uniforme usé. Leur
capote est trouée, dechirée, rapiécée partout;
Le pantalon, déhraillé, laisse échapper la che-
mise. Les chaussures sont de toutes formes;:
Vous n'en verrez pas dix habillés de même.
Il y en a qui ont des capotes, d'autres des tu-
niques ou des vestes, des culottés ou des pan;
talons, des bottes, des espadrilles ou des sa-s
vates. La ville présente un aspect répugnant)
Les rues ne sont qu'une mer de boue et d'exi
créments. ¡
Aux quartiers indigènes, la population
grouille comme des animaux immondes et vé-:
gète dans les caves A part quelques levantine
d'origine étrangère, le peuple vit dans une mi-
sère noire et meurt dans l'infection. Cela n'em.
pêche pas Abdul-Hamid de prélever 33 millions
qui reviennent de droit à cette malheureuse
province de Bagdad.
Le vrai coupable
C'est le sultan qui a désorganisé l'adminis-
tration de l'empire, c'est lui qui a violé la
Constitution, qui a exilé ou fait assassiner les
hommes du gouvernement ayant quelque va-
leur pour s'entourer de gredins dociles el
capables des plus basses besognes.
C'est le sultan. qui, après la guerre turco-
russe, au.lieu de travailler à la reconstitution
de l'armée, l'a laissée croupir dans l'ignorance
et la misère, obligeant ses soldats à voler et
piller pour se nourrir, et ne payant pas ti uis
mois de solde par an à ses officiers.
Qu'on demande aux officiers allemands sf
jamais il leur a été possible de réaliser Jat
moindre réforme et d'obtenir qu'on fasse fairai
aux troupes de Constantinople, je ne pa
même pas de celles de l'intérieur, la moindftj
manœuvre autre que celle de la parade da,
Sélamlik.
C'est ce traître avéré seul qui a voulu quel
les quelques bateaux de guerre dont disposait)
le gouvernement ottoman fussent ancrés pour-
n'en jamais sortir à la Corne d'Or.
Depuis son règne, ils croupissent dans l'é--
gout, leurs armatures pourries et éventrées
L'amirauté sommeille près d'un golfe célèbre
prolongé d'une rivière et dont le tout forme un
égout à ciel ouvert. Au pied d3 cette infection,
dont les émanations putrides tuent les mouches
à cent pas, grouille la voyoucratie orientale.
Celui qui se risque dans ce quartier la nuit,
sans une trique, tombe infailliblement entre les
mains des bandits et n'est jamais sûr de sortir
vivant.
Les horreurs de la capitale
Du reste, l'état de la capitale ferait rougir
un faubourg de Bagdad. En dehors de Péra,ha-
bité par la colonie étrangère, le reste de la
ville n'est que ruelles tortueuses.
Vous ne pouvez faire quelques pas sans bu-
ter contre des pavés pointus, et heureux encore
si vous ne tombez pas sur des tas d'ordures et
de charognes. La vermine et les guenilles cô-
toyent la boue ot les immondices. Au milieu
de ces fumiers, on voit des cimetières quin'ins-
pirent aucun recueillement, et parfois des os- *
sements isent au hasard ; des chiens galeux,
des prostituées, des mendiants se promènent
au milieu de tout cela. Ainsi, à Constantino-
ple, il y a partout des tombeaux, dans les jar-
dins, au coin des rues, sans clôture, n'importe
comment.
Autour des fosses les femmes publiques
font des parties de plaisir et même, à cer-
taines époques, les corbeaux se jettent sur cette
proie.
Disséminées dans les centres populeux de la
capitale, entassées dans des maisons en bois,
aux portes et fenêtres ouvertes, des milliers de
prostituées en chemise, ou avec un jupon qui
vient aux genoux, une cigarette entre les
doigts, crient et gesticulent devant les pas-
sants.
D'autres, en pantalon, à cheval sur des chai-
ses au milieu de la chaussée, se collètent ave.,
des individus à mine patibulaire.
D'autres, en nymphes, ivres, roulent parmi
les ordures et les relavures des ruisseaux.
Parfois ces saturnales occasionnent de terri-
bles incendies. On voit alors, dans cet entasso-
ment de masures, aux planches disjointes, des
drames horribles. Pendant que des ruelles sont
en feu et que des malheureux sont la proie
d'une épouvantable flamme, les légendaires
bachi-bouzouks, pompiers pour la circons-
tance, s'abattent sur ce brasier et ne s'occupent
qu'à saccager, piller et outrager des femmes
et des enfants. Ce n'est pas tout : ils ne se
contentent pas de voler, piller et saccager,
il faut que les habitants donnent encore de
l'argent pour la paye de l'équipe.
Quant aux agents de la police, ils sommeil-
lent dans leur guérite ou se promènent avec
une lourde matraque, non pour se défendre,
mais pour protéger les voleurs.
Mais ce qui frappe surtout un observateur
c'est le défi jeté. à la face de cette ville dépo-
toir, par le palais du sultan.
Au sommet d'une colline, sur un plateau
qui domine Constantinople, l'immense Udû
est resplendissant ; on dirait une fleur qui a
poussé sur un monceau de fumier.
Un acte de justice
Après cela, si vous venez prétendre que la
disparition d'un tel monstre ne produira aucun
bon effet, c'est se moquer tout simplement du
principe même de la justice.
Selon quelques temporisateurs, c'est à une
action commune des puissances agissant col-
lectivement pour mettre un terme aux atroci-
tés commises par le sultan qu'il faut recourir.
Jamais nous ne serons partisans de ce sys
tème d'immixtion.
Pour conquérir la justice, la liberté, il nou:
faut une grande révolution.
Il faut que le sultan réponde des crimes et
des trahisons qu'il a commis.
Les dettes du sultan
Devant une assemblée nationale, il faut qui*
comparaisse pour entendre son acte d'accusa-
tion et alors il payera pour la Bulgarie morce
lée, tant et tant pour Ecrivân, Echmiadzin,
Chypre, Crète, etc.
Il payera pour Mouch, Sassoun, le Cairer
pour le Hedjaz, l'Assyr, le Iémen, etc.
11 payera J pour Midhat étouff, à TaIt, et
dont la tête est conservée au Palais dans un
coffret en ivoire; pour Mourad V, son frère et
son souverain, enfermé depuis 25 ans dans un
- 41) Voir les auméros des i" et 5 septembre»
ANNONCES
AUX BUREAUX DU JOURNAL
14, rue du Mail, Paris.
Et chez MM. LAGRANGE, CERF et M
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Aâretee Télégraphique; XIX SIÈCIJt - PAlUS,
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- , SIx mois 11 f. un an 20^
SfJ T - 12 f. - 24*1
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REDACTION: 14, rue du Mail, Paris
2lei à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à 1 heure du mattn
3ST» 12237. — Samedi 12 Septembre 1903
26 FRUCTIDOR AN 111
-.
ADMINISTIRATION ; 14, rue clu -
Adresser lettres et mandais X l'Ai ni Ustraieur
NOS LEADERS
La Proriété littéraire
Je viens de lire avec un grand in-
térêt le rapport « sur les moyens pra-
tiques d'organiser le domaine public
payant en matière de propriété litté-
raire et artistique » que va présenter
au congrès de l'Association littéraire
et artistique internationale, qui doit
se tenir à Weimar, ce mois-ci, M. Ed.
Mack, avocat à la cour d'appel, délé-
gué de la Société des gens de lettres.
C'est une heureuse inspiration qu'a
eue le journal la Loi de publier "à
l'avance ce document ; cela nous per-
met de le discuter ; et nul doute que,
dans cette discussion, que nous vou-
drions voir s'ouvrir dans tous les jour-
naux, M. Mack ne puise des arguments
pour celle qu'il aura à soutenir de-
vant le congrès.
Je ne prétends point, je me hâte de
[le dire, traiter la question au point de
vue juridique ; pour cela, les connais-
sances techniques me feraient défaut.
}Mais au point de vue professionnel -.
set c'est sur ce terrain que j'entends
me cantonner — tous nous pouvons et
nous devons avoir notre avis.
Nous autres, les gens de lettres,
dont c'est le métier d'habiller en mots
et en phrases nos idées et de ranger
grammaticalement ces mots et ces
phrases sur le papier, et qui avons
l'ambition légitime et modeste de ga-
gner notre vie par l'exercice de cette
profession, nous avons deux ennemis
terribles : les amateurs et les morts,
c'est-à-dire : le domaine public.
L'amateur c'est ce monsieur ou cette
dame qui, ayant d'autres moyens
d'existence, donne sa copie pour rien,
ou même paie pour se faire imprimer.
Les messieurs et dames de cette caté-
gorie sont des êtres malfaisants au pre-
mier chef.
Leurs productions étant à peu près
toujours au-dessous de l'ineptie, ils dé-
• considèrent la littérature, conduisent
à la faillite les journaux et les éditeurs
assez malavisés pour donner asile à
leurs œuvres et empêchent de vivre les
vrais gens de lettres. Pour nous défen-
dre contre eux, nous avons nos asso-
ciations professionnelles qui les ex-
cluent impitoyablement, mais ce sont
des adversaires redoutables, étant for-
cément sans scrupules et sans pudeur.
J'en pourrais nommer qui ont été de
maison en maison portant sous unbras
Seur manuscrit et dans leur poche quel-
ques billets de banque. Repoussés dédai-
gneusement par certains éditeurs hon-
nêtes qui savaient bien qu'ils aviliraient
irrémédiablement leur marque de fa-
brique s'ils se prêtaient à ce trafic, ils
ont trouvé refuge chez d'autres et ont
fini par donner à ceux qui ne savent
pas l'illusion qu'ils font de la littéra-
ture.
Pendant ce temps ceux qui, écri-
vains, ont besoin de vivre, ne savent
où placer leur copie et claquent des
dents. Ils se trouvent moralement as-
• sez vengés, cela est vrai, par la sottise
des amateurs et amatrices, mais cela
ne les empêche pas de claquer des
-dents.
L'amateurisme, en littérature, est
une plaie. Le domaine public en est
une autre.
On sait quel estle régime actuel.Cin-
quante ans après la mort d'un auteur,
ses œuvres appartiennent à tout le
monde; ses héritiers n'ont plus rien à
prétendre; peut les publier qui veut,
sans avoir à payer de redevance à
personne. Cela est exhorbitant et pro-
fondément injuste.
La propriété artistique et littéraire
est une propriété. Je ne vois pas pour-
quoi les héritiers se trouvent dépossé-
dés des revenus de cette propriété. Je
dis : des revenus, parce qu'il y a la
une nuance nécessaire à faire obser-
ver. Si la propriété littéraire était une
propriété absolument comme les au-
tres, les héritiers auraient le droit de
la confisquer, voire de l'anéantir,
D'est-à-dire de s'opposer à toute réim-
pression, à toute reproduction. C'est
évidemment ce qu'il ne faut pas.
Une œuvre littéraire fait partie du
patrimoine intégral de l'humanité ;
nul ne peut avoir le droit de l'accapa-
rer. Mais il ne s'ensuit pas que tout
le monde doive avoir licence d'en user
sans comptes à rendre à personne. Le
domaine public est un abus dont souf-
frent cruellement les professionnels de
la littérature.
Ne voit-on pas, en effet, directeurs
de journaux et éditeurs puiser large-
ment dans le domaine public, ce qur
leur permet d'offrir à leurs lecteurs:
des chefs-d'œuvre, sans bourse délier,
tandis que, toute la place étant occu-.
pee, les vivants attendent, maigres,
derrière les portes clones ?
Assurément, il ne saurait être ques-
tion d'interdire ou même de limiter le
droit de reproduction des chefs-d'œu-
vre, mais ne serait-il pas équitable
que ceux qui tirent profit de cette
reproduction abandonnent une part de
leurs bénéfices à la collectivité litté-
raire ?
Dès 1861, la Société des gens delet-
itres proposait la reconnaissance du
Idroit de propriété perpétuel des héri-
tiers en ligne directe ; dans ce sys-
tème, pour les collatéraux et les ces-
tionnaires, le droit de propriété eût
'comporté l'obligation à faire une édi-
tion tous les dix ans, faute de quoi
chacun devait pouvoir publier l'œu-
vre, moyennant une redevance ; à dé-
faut d'héritiers, la redevance devait
être attribuée à une société d'auteurs
avec une destination précise.
Ce projet n'a pu aboutir. La Société
des auteurs dramatiques, qui avait pris
les devants, a été, on le sait, plus heu-
reuse; elle impose aux théâtres une
rétribution pour les pièces du domaine
public comme pour celles des auteurs
vivants; elle verse ce produit dans sa
caisse, et quand un descendant de la
famille d'un auteur est dans une situa-
tion pénible, la commission lui offre,
comme une sorte de restitution, le de-
nier qu'elle a récolté sur le produit
-pécuniaire de l'œuvre.
1. Le projet que les délégués de la So-
.ciété des gens de lettres vont soutenir
à Weimar est inspiré par ce précédent.
Il établit le domaine public payant
après l'expiration du droit exclusif de
l'auteur et de ses héritiers ou ayants-
cause, et fixe à 5 0[0 sur le prix fort
indiqué pour chaque exemplaire ou
5 010 sur le produit brut de l'ex-
.ploitation de l'œuvre la redevance à,
payer, redevance qui, perçue par les
sociétés reconnues d'utilité publique et
investies du mandat légal de représen-
ter le domaine public payant, sera af-
fectée par elles à des œuvresde bienfai-
sance ou d'encouragement.
Tout homme de lettres doit, à notre
avis, approuver ce projet; et nous for-
mons le vœu que le vote unanime du
congrès de Weimar l'impose enfin à
l'attention des pouvoirs publics. Il im-i
porte de faire cesser une iniquité et uni
abus. Il faut défendre les vivants con-
tre les morts.
'; ¡
Lucien Victor-Meunier.
ENTRE AMIRAL ET MINISTRE
M~. "faillirai Maréchal vient de
rentrer en France ; il est en dis-
grâce ; il a été relevé du com-
mandement de l'escadre de l'Ex-
trême-Orient ; et on publie la
lettre de lui qui a motivé son
déplacement.
L'amiral avait pris le parti d'un lieute-
nant de vaisseau sous ses ordres, blâmé
.par le ministre ; jusque-là, il semble qu'il
n'y ait rien à objecter, et il est bien proba-'
ble que l'affaire en fût restée là, si le com-
mandant de l'escadre de l'escadre de l'Ex-
trême-Orient s'était borné à déclarer que
son subordonné avait agi d'après ses ins-
tructions et ne pouvait, par conséquent,
encourir aucune responsabilité ; mais il est
sans doute plusieurs façons de dire une
chose, et, pour savoir de quelle façon s'y
était pris l'amiral, il suffit de s'en référer à
la nouvelle lettre qu'il a adressée au minis-
tre et que voici :
J'ai reçu votre lettre du Il avril 1903, ainsi
que ma propre lettre du 10 février 1903, que
vous me renvoyez en m'informant que vous ne.
pouvez pas la recevoir, parce qu'elle n'est pas,
de nature à entrer dans les archives du dépar-
tement. Permettez-moi de vous faire remar-
quer, monsieur le ministre, que cette lettre fait
déjà partie des archives de l'escadre de l'Ex-
trême-Orient, au même titre que la lettre du
ministre de la marine, datée de décembre 1902,
à laquelle elle répond. « La lettre du vice-ami-"
ral commandant en chef l'escadre de l'Extrême-
Orient ne peut disparaître des documents offi-
ciels que si celle du ministre disparaît aussi.;
Je renvoie donc de nouveau ma lettre du 10 fé-
'vrier 1903 au ministre de la marine, et s'il veut
bien m'autoriser officiellement à détruire celle
qu'il m'a écrite, datée de décembre 1902, ma
réponse du 10 février 1903, n'ayant plus de
raison d'être, pourra également être détruite. »
Je ne suis pas d'un âge où l'on agit pour re-
chercher le bruit ou enfreindre la discipline,
mais j'ai le droit et le devoir de défendre mon
honneur militaire et mon honneur privé contre
toutes les attaques, et le chef de la marine
française se diminuerait lui-même s'il avait
pour objectif de commander à des officiers de
marine assez lâches pour accepter l'outrage
sans sourciller.
Ainsi c'est l'amiral lui-même qui nous
fait savoir que, répondant une première
fois au ministre, il l'a fait en de tels ter-'
mes que le ministre lui a renvoyé sa lettre,
en l'avertissant « qu'elle n'était pas d.e na-
ture à entrer dans les archives du départe-
ment )). On ne pouvait agir plus délicate-
ment ni d'une façon plus vraiment Ibon-
;homme que ne le faisait ici M. Pelletan,
puisqu'il donnait à son subordonné la pos-
sibilité de retirer honorablement un écrit
qui ne figurerait pas dans les dossiers du
personnel, et de leremplacer par une mis-
sive administrativement acceptable. Mais
nous vivons dans un temps ou certains
chefs de l'armée nous enseignent le respect
de la discipline, en discutant avec leurs su-
périeurs, et en leur posant, -:. comme c'est
le cas ici— leurs conditions. Le ministre.
pouvait,en classant la première lettre, infliger
une punition grave à son signataire ; il ne l'a
pas fait; et tout aussitôt il en est récom-
pensé par une seconde lettre où le subor-
donné traite avec son chef; dans les fonc-
tions simplement civiles, une telle attitude
entraînerait la révocation du fonction-
naire; dans la vie militaire, on en est quitte,
parfois pour un changement qui n'empê-
che nullement l'officier général de poursui-
vre sa carrière. S'il s'agissait d'un simple
matelot ce serait peut-être une autre af-
faire.}
Actuellement, on doit se demander ce;
que l'amiral veut prouver par sa lettre,
sinon que le ministre lui a offert de passer
l'éponge sur un acte qu'il pouvait réprimer
sans autre discussion.
LA QUESTION JUIVE
AVANT ET APRÈS 1789
Une thèse intéressante. — La condi-
tion des juifs. — L'ancien régime
et les persécutions. — Les bien-
- faits de l'émancipation. —
Ses résultats actuels.
Ce fut comme une révélation, la thèse au-
dacieuse et si bien documentée que soutint il
y a quelques semaines sur la question juive en
France en 1789, un jeune docteur en droit dont
'le nom était jusqu'à ce jour inconnu du grand
public et qui, sans avoir recours aux applau-
dissements de commande des camarades con-
viés à l'audition de la soutenance tradition-
nelle, s'est signalé de façon émérite à l'atten-
tion des juristes et des lettrés.
, M. Mamfroy Maignal, dont les qualités pro-
fessionnelles d'avocat au barrreau toulousain
n'ont pas eu jusqu'à ce jour l'occasion de se
mettre en valeur autremtlnt que dans de me-
nues causes où il se trouva désigné d'office, a
,su, au cours de sa thèse,dessiner très nettement
l'esprit de déduction et de logique auquel ses
études fortement nourries et trempées au con-
tact des classiques l'ont formé en l'aidant ainsi
à dégager des textes de lois le côté attrayant.
Peut-être retrouve-t-on dans ses pageslestra-
ces d'une docilité bien pardonnable à l'inexpé-
rience d3 la vie pratique, et trop respectueuse
des traditions surannées du Midi bien pensant
dont les superstitions maintiennent encore des
milliers d'êtres sous le joug rétrograde des
classes dirigeantes et du sectarisme religieux.
Mais la sincérité de ses observations ne saurait
être mise en doute, puisqu'elle trouve ses bases
dans une documentation rigoureusement his-
torique, et puisqu'elle nous permet de décou-
vrir les éléments d'un intéressant plaidoyer en
faveur de la liberté morale et religieuse des
enfants de Judas.
Ce n'est pas an effet d'aujourd'hui que date
cet ostracisme dont les israélites sont l'objet
dans nombre de pays et que la Révolution
française n'a pas réussi à lever entièrement
chez nous. Il est le résultat d'une haine sécu-
laire et que seul l'examen raisonné de l'histoire
du peuple juif on France peut expliquer,sans le
justifier.
L'établissement des juifs en France
Dès l'an 222, nous les trouvons installés $i
Metz, puis, lors des invasions barbares, en
Aquitaine, à Narbonne et dans tout le Midi.
Astreints à vivre en communauté dans unia,
ambiance hostile, leur solidarité n'en est que
plus étroite et s'affirme en raison directe du
travail de pénétration ot de fusion natio-
nale qui va s'opérer sur le territoire.
Tant que l'isolement judaïque correspondais
à l'isolement des autres races, les chrétiens et
les juifs vécurent en assez bonnes relations, ut
l'on cite plus d'un pasteur qui, à l'exemple de
saint Ferréol, évêque d'Uzès, accueillit soas
son toit des israélites de marque. Mais quand,
vers le Xe siècle, la sentiment national se fit
jour, l'isolement d'une portion aussi minime
d'individus, résolus à se régir sous des lois et
des rites spéciaux, apparut comme dau/fe-
reux.
De tout temps en effet, les solitaires ont été
l'objet de la jalousie et de la haine des foules
ignorantes auxquelles ils ne se sont pas mêlés
f et qui ne les ont respectés que lorsqu'elles y
étaient forcées. Ici la haine populaire prit sa
source non seulement dans le préjugé religieux
qui s'ancrait dans les esprits avec toute la force
de persuasion dont usèrent les premiers chré-
tiens, mais encore dans les conflits économi-
ques qui devaient résulter d'une concurrence
commerciale dans laquelle les aptitudes toutes
particulières des juifs devaient leur assurer la
supérioriié. Ils étaient parvenus à détenir une
belle part de la fortune privée. Ils possédaient
au 9e siècle des quartiers entiers à Lyon, en
Champagne, en Bourgogne et même à Paris.
Experts dans le négoce des matières précieuses,
ils étaient devenus les argentiers et les collec-
teurs d'impôts des rois Carlovingiens qui les
entouraient d'une cerlaine protection. Et comme
d'autre part l'Eglise prohibait le prêt à intérêt,
les juifs seuls en conservaient le monopole.
Lorsqu'ils furent ainsi devenus les plus
gros propriétaires, pa" le système du prêt sur
gages, on chercha tous les moyens de les dé-
: posséder, et les rois eux-mêmes trouvant en
eux un obstacle de nature à gêner leur puis-
sance, puisqu'ils avaient en outre recours à
¡leurs bons offices pour meubler leur cassette'
personnelle, favorisèrent le mouvement d'hos-
tilité qui bientôt se devait inaugurer par les
persécutions.
L'influence des Croisades
Jusqu'à l'époque des Croisades, l'anarchie
féodale, intéressant le seigneur à maintenir ses
sujets attachés à la glèbe, continua le crédit
des trafiquants et des juifs voyageurs accoutu-
mes à risquer le danger des déplacements.
Mais les Croisades, en ouvrant aux Français
un horizon lointain, substituèrent à l'inertie
'du vilain, l'idée du commerce et de l'échange
collectif. Les foires et les lendits où le Lom-
bard luttait de ruse avec le marchand français
et avec l'israélite, chassèrent peu à peu ce der-
nier du terrain économique, et le réduisirent
aux trafics secrets d'où naquirent les légendes
de complots sacrilèges, de sophistications des
fprodt.its, d'empoisonnement des fontaines et
sde meurtres d'enfants dont le peuple entoura
cette caste qui lui demeurait impénétrable.
Les Capétiens, dans leur avarice, usèrent
d'une tactique intéressée à leur égard. Les pe-
tits-enfants des protégés de Charlemagne,
chassés par Philippe Ier, furent rappelés sous
Louis VI pour se voir dépouiller de leurs biens
en 1182, quelque temps après l'avènement de
Philippe-Auguste. Celui-ci, à court d'argent,
Iseize ans plus tard, les fit revenir, et depuis ce
temps jusqu'à l'expulsion décidée par l'édit de
Charles VI, en 1394, la tactique royale consista
à les tolérer pendant tout le temps qu'ils met-
taient à s'enrichir pour faire main basse sur
leurs biens en les payant de soufflets et de sup-
plices.
Plus avisé, le bon roi Saint-Louis, qui ren-
dait la justice sous le chêne de Vincennes les!
enleva à la juridiction seigneuriale pour con
server sur eux sa main-mise et le monopole de
ces déprédations, qui toujours trouvèrent l'as-
sentiment populaire.
Plus tard, rentrés en France vers 1850, par
Bordeaux et Bayonne, les juifs chassés de
nouveau par un édit de Louis XIII sur la de-
mande des marchands qui toujours craignaient
en eux des rivaux contre lesquels la lutte était
impossible, se virent tolérés sous Louis XIV,
qui avait besoin d'alimenter son trésor et n'hé-
sitait pas à emprunter au banquier Salomon
Bernard pour payer les frais de la dure expé-
dition de la succession d'Espagne. Payés
comme autrefois de mépris.on les vit, sous le
régent, relever de la juridiction de la police
spéciale chargée de la surveillance connexe
des escrocs et des juifs et autres gens sans
aveu.
Le décret d'émancipation
Et les perquisitions nocturnes employées
pour déjouer leur habileté, durèrent jusqu'à la
veille de la Révolution, ainsi qu'en témoignent
des procès-verbaux du 21 janvier 1789. Cepen-
dant le peu d'action exercée pendant le 18e siè-
cle par rEglise,ne pouvait que devenir favora-
ble à cettè derrière.
l , S'il y avait encore antagonisme, c'est dans
^l'hostilité sourde et envieuse du peuple qu'il
fallait le - chercher. -
« Ils n'ont jamais été à la mode depuis que
[ « Dieu les a abandonnés, écrivait le prince de
« Ligne.C'est pour cela que les chrétiens ne se
« sont jamais occupés d'eux, et d'un autre
■ « côté, les philosophes n'y ont pas pensé parce
« que leur figure ne leur revenait pas. »
; Et nous en sommes toujours là. Les princi-
pas de liberté civique sur lesquels nous avons
institué notre liberté sociale, n'ont pas banni
l'antipathie de race. Ce ne sont pas les israé-
lites que nous combattons, disent certains po-
liticiens acharnés à leur perte, mais le juif qui
est pour nous un étranger.
L'éloquence convainquante de Mirabeau, et,
chose curieuse,de quelques prêtres tels que les
abbés Grégoire, Fauchet et Talleyrand, nour-
rie par l'étude des textes de Mendelssohn et
de Dohm, des appels chaleureux de Diderot et
de Montesquieu, devait assurer en 1791 leur
émancipation par un décret de la Consti-
tuante. Et si Voltaire sentait jadis le côté diffi-
cile de leur assimilation en déclarant que leurs
usages étaient précisément le contraire des
usages sociables,ce qui conduisait à les traiter
comme une nation en tout opposée aux autres,
Robespierre, du moins, n'hésitait pas à affir-
mer que leurs vices naissaient de l'avilissement
où ils étaient plongés.
Le sémitisme contemporain
En vérité,ce serait bien mal préjuger de notre
force morale que de supposer impossible la
fusion do cent mille êtres dans un ensemble
de trente-huit millions de Français régis par
les mêmes lois et les même^ mœurs. Le jeune
sociologue, estimant que la Constituante eut
tort de comprendre tous les juifs dans une
même mesure d'assimilation civique, aurait
préféré une méthode de sélection. Ce n'est pas
notre av-is. D'abord c'eût été contraire au prin
cipe même d'égalité et de fraternité.
Et puis, si, au lendemain de la Révolution,
les sympathies d'origine ont ramené un courant
de solidarité entre les disciples d'un même rite,
nul ne s'en doit formaliser. Parce que, sur les
ceut mille juifs français, il se trouve une élite
suffisamment régénérée par un siècle d'éman-
cipalion pour figurer au premier rang de l'in-
tellectualité artiste, scientifique ou littéraire,
outre la financière et la politique, ce n'est pas
à une nation libre qu'il appartient d'en pren-
dre ombrage, et les campagnes funestes et dis-
solvantes menées par quelques ambitieux han-
tés par l'arrivisme, ne sauraient trouver leur
excuse dans la seule répulsion du chrétien à
l'égard du sémite. -
Lorsque la puissance matérielle d'une asso-
ciation fait échec à l'Etat, il est toujours temps
de la réduire par des moyens radicaux basés
sur le principo même de la souveraineté na-
tionale et de sa conservation. La liberté des'
uns ne doit pas gêner celle des autres.
Le peuple tout entier aussi bien que les
juifs manquait de préparation à l'œuvre do
durable libération qui clôtura l'ancien régime.
Et ce sont peut-être ces derniers qui en ont
tiré le parti le plus sage. Pendant que le
tiers s'est scindé en deux éléments si distincts,
la bourgeoisie et le prolétariat, la race d'Israël
n'a pas eu besoin d'un siècle entier pour tirer
les meilleur parti de sa condition nouvelle, et
participer largement à la régénération et à la
prospérité de la France républicaine. Ce n'est
peut-être pas ce que M. Maignial a voulu dé-
montrer, mais cela ressort clairement de l'en-
semble de son très intéressant ouvrage.
ALCANTER DE BRAHM.
—
UNE RÉPONSE
J'ai là, sur mon bureau, deux lettres aux-
quelles je m'excuse de n'avoir pas déjà ré-
pondu. Elles sont relatives à mon article paru
ici le 2 septembre sous ce titre : Les Frères de
Launay,
La première est signée de M. Le Provost de
Launay, sénateur des Côtes-du-Nord.
Avec une haute courtoisie, M. le Provost de
Launay m'écrit : — « Je crois être certain que
si vous aviez connu la question telle qu'elle
s'est posée ainsi que l'origine de l'affaire et
ses causes, votre solution eût été toute diffé-
rente. »
Je me permettrai do faire observer à M. Le
Provost de Launay que, dans l'article en ques-
tion, je me suis bien gardé de toucher le fond
de l'affaire. J'ai toujours trop présentes à la
mémoire les admirables pages écrites par Di-
derot sous ce titre : « De l'inconséquence du
jugement public dans nos affaires particuliè-
res » pour ne pas me refuser énergiquement
à émettre un avis sur aucun différend d'ordre
privé. M. Le Provost de Launay voudra bien
reconnaître que, ne connaissant pas en effet et
n'ayant pas à connaitre l'origine de l'affaire
et ses causes, je n'ai émis sur cette affai re en
elle-même aucune opinion. J'ai uniquement
traité la question professionnelle soulevée en
me plaçant au point de vue de la responsabi-
lité du directeur du journal mis en cause.
Précisément, l'autre lettre que j'ai là, qui
émane d'un des témoins de M. de Kerguézec,
précise ce fait que c'est à ce dernier que les
témoins de M. Le Provost de Launay ont con-
tinué de s'adresser, après que M. Pierre Le
Provost de Launay eut revendiqué la respon-
sabilité des articles incriminés. Eh bien ! je ne
puis pas ne pas persister à croire et à dire que
cette déclaration mettait hors de cause absolu-
ment le directeur du journal. Il y a là une
question de dignité professionnelle. Tous les
journalistes doivent être d'accord pour refuser
absolument à un directeur le droit de se subs-
tituer au signataire d'un article, à moins, bien
entendu, que ce signataire ne soit notoirement
disqualifié.
Dans sa lettre, M. Le Provost de Launay
s'adresse à ma loyauté en une phrase où je lis
ceci : - « Si j'ai le chagrin d'avoir eu des
dissentiments d'ordre privé avec un frère, j'ai
la consolation d'être entouré et soutenu par
toute ma famille. » Je donne acte bien volon-
tiers à M. Le Provost de Launay de cette dé- -
claration ; et je n'hésite pas à lui exprimer
mes sincères regrets si, en traitant ici, je le
répète, une question professionnelle, j'ai avivé
en lui la souffrance de ces chagrins de famille
qui creusent dans les cœurs de si profondes
blessures. — L. Y,-M.
Une croisade contre law-tori
(De notre correspondant particulier)
New-York, 10 septembre.
Des croisés d'un nouveau genre se propo-
sent d'attaquer la ville de New-York. Le D'
Dowie, fondateur d'une nouvelle religion et
d'une cité appelée Nouvelle Sion, annonce
qu'il marchera, avec trois mille fidèles, vers.
New-York, « pour renverser le veau d'Or ».
Le nouveau Pierre l'Hermite se mettra lui-
même à la tête de la croisade. Au lieu du
« Dieu le veult » le cri de ralliement sera : à
New-York ! Exterminons les Bidls and Bears 1
(Boursicotiers). Ils ont déjà loué un local dans
la Waiistreet en face de la Bourse. La ôam-
pagne peut amener de graves complications,
car, en même temps que les notiveaisés
arriveront, il y aura à New-York une grande
affluence des Salutistes. Armée du Salut et
Nouvelle Sion sont des ennemies irréconci-
liables, le D' Dowie ayant converti à sa doc-
trine deux fils du maréchal Booih.
Voir à la 3° page
les Dernières Dépêches
do la nuit
et la Revue des. J ournaux
du matin
LISTE CIVILE
Dire qu'il y a des gens qui se laissent tou-
jours apitoyer sur les malheurs et la misère
; du prisonnier du Vatican. Que de petits sous
sont journellement drainés dans l'univers pour
grossir ce famoux denier de Saint-Pierre l Et
pourtant le pape n'est pas à plaindre.
Léon XIII a laissé à son successeur la jolie
somme de 150 millions, résultat de ses écono-
mies, 60 millions ont été récoltés dans son
seul jubilé. Après cela, il convient bien de
pleurer misère et de crier la faim.
Le pape aurait amplement do quoi vivre et
subvenir à ses besoins sans faire appel aux
fidèles rien qu'avec les intérêts de la fortune
léguée par Léon XIII ; je ne compte point les
capitaux que le Saint-Siège amasse depuis de
longs siècles.
150 millions placés à 3 pour 100, je mets les
choses au pis, rapportent annuellement 4 mil
lions 500.000 francs. C'est un joli denier. Ajou-
tez à cela que la liste civile, établie par la loi
des garanties en 1870, accorde au pape une
somme de 3.250-000 francs par an sur le bud-
get italien. Et vous verrez que le pape est un
des mieux partagés de tous les souverains.
Il est vrai que depuis trente ans, le Saint-
Siège a toujours refusé les trois millions que
lui offre le gouvernement italien. Mais il les a
refusés, oarce qu'il jugeait de son intérêt de le
faire. S'il acceptait en effet l'annuité offerte,
il ne pourrait plus se prétendre dénué de tout,
les revenus diminueraient de jour en jour, et
la source des aumônes serait bientôt tarie.
Ainsi ce n'est point un sentiment de délica-
tesse ou de fierté qui empêche le pape d'accep-
ter les présents de l'Italie, c'est la simple cupi-
dité. Après tout, les avertissements ne man-
quent point à ceux qui croient, envers et con-
tre tous, à la pauvreté du souverain pontife,
s'ils se laissent duper, c'est qu'ils le veulent
bien. Tant pis pour eux. — Ch. Darcy.
———————————— ————————————
UN ANARCHISTE AMI DES SPORTS
Le square du Pôre-Lachaise, longue bande
de terrains accidentés qui s'étendent entre
l'avenue Gambetta et l'une des murailles laté-
rales de la grande nécropole parisienne,
semble un endroit de prédilection pour notre
confrère, M. Sébastien Faure. L'anarchiste,
qui demeure aux environs, vient y rêver et
songer à ses articles. En outre, le voisinage
des jeunes enfants, dont il raffole, lui cause
une réelle satisfaction.
Dans la matinée d'hier, comme il achevait
un article pour un journal libertaire auquel il
collabore, un groupe de bambins et de fillettes
s'amassa curieusement autour de lui. Une
brusque idée illumina la physionomie du com-
pagnon. Cette idée, il la mit aussitôt à exécu-
tion. Il s'agissait d'organiser un match de
course pédestre parmi ce petit monde. Le ga-
gnant devait se voir attribuer une modique
prime de cinq centimes.
Ce fut une effervescence de joie. Plusieurs
épreuves venaient d'être courues, quand l'or-
ganisateur de cette fête enfantine fut brutale-
ment saisi par deux agents et par le garde du
square et conduit au commissariat de police
du Père-Lachaise, escorté par la troupe des
précoces coureurs.
Là, on s'expliqua. Un policier amateur — il
s'en trouve, hélas ! trop souvent à Paris ! —
avait jugé à propos, peut-être par vengeance
personnelle, de dénoncer notre confrère comme
coupable de faits d'une nature toute spéciale.
M. Sébastien Faure n'eut pas grand mal à se
défendre contre cette accusation à la fois
odieuse et stupide. L'équipe des coureurs était
là, d'ailleurs, pour protester et réclamer l'orga-
nisateur de leurs matches, qu'ils avaient grande
hâte de voir se poursuivre.
Notre confrère fut donc aussitôt rendu à sa
liberté, arbitrairement troublée, et le garde du
square vertement tancé par le commissaire de
police de son zèle assez intempestif, alors qu'il
n'avait pas hésité à faire procéder à l'arresta-
tion de notre confrère, sur une simple dénon-
ciation anonyme et rien moins que motivée.
——————————— ————————————
PARTI RADICAL-SOCIALISTE
Dans l'Yonne
Les comités radicaux et radicaux-socialistes
de l'Yonne se sont réunis en congrès départe-
mental à Auxerre ainsi que nous l'avons an-
,noncé.
Le délégué du comité exécutif du parti, Mi-
chel, député des Bouches-du-Rhône, présidait
la séance. Il a prononcé un discours fort ap-
plaudi sur la politique générale.
M. Philippe, conseiller général, a soutenu la
nécessité de supprimer toutes les congrégations
et de réaliser la séparation des Egiise3 et de
l'Etat. M. Silvy, secrétaire du comité exécutif f
a montré la nécessité de rappeler tous les fonc
tionnaires (armée, clergé, magistrature, etc.),
au devoir républicain.
L'assemblée a adopté ces deux motions, ainsi
qu'une résolution pour réclamer l'impôt pro-
gressif ; elle a borné là ses vœux estimant qu'ils
constituent un programme suffisant pour l'an-
née 1904.
Les délégués qui ont été ensuite nommés sont
chargés de défendre ce programme au congrès
de Marseille.
Il est décidé que le prochain congrès dépar-
temental aura lieu en 1904 à Laroche.
GRANDES MANŒUVRES AUX INDES
(De notre correspondant particulier)
Bombay, 10 septembre.
Popr la première fois, l'armée anglo-in-
dienne aura des grandes manœuvres, dans le
genre de celle des armées européennes. La date
en est fixée aux premiers jours de décembre.
Les opérations auront lieu dans la région de
l'indus et dans le Poundjab du Nord.
Environ 40,000 hommes seront mobilisés à
cette occasion.
Lord Kitchener a donné, comme thème des.
manœuvres, la défense contre une armée d'in-
vasion, venant du côté de l'Afghanistan.
LA DEFENSE DE LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE
(De notre correspondant particulier)
Buenos-Aires, 10 septembre.
La Chambre des députés a voté un crédit de
cinq millions de francs pour la construction
d'un port militaire à Bahia Blanca. Les tra-
vaux commenceront prochainement,
LE CRIME ETLE DROIT11
Manuel du Musulman révolutionnaire
Ni solde, ni traitement. — Le vol orga"
nisé. — Misère et infection. — Le
sultan responsable. — Voyoucratie;
orientale. — La police veille. - ,'
Justice et liberté, — Devoir,.
vouloir, pouvoir. "-
A Bagdad, où mon père fut directeur de la
Dette publique, les troupes, les fonctionnaire
civils et militaires ne touchent pas un sou ré1
gulièreiiient. Les arriérés de ces derniers mon-
tent parfois à des milliers de francs. Sans.l.
vol et la concussion omnipotents en Turquie,
je ne sais comment ils pourraient vivre. Les
soldats font peine à voir. Les malheureux
plient l'échiné sous leur uniforme usé. Leur
capote est trouée, dechirée, rapiécée partout;
Le pantalon, déhraillé, laisse échapper la che-
mise. Les chaussures sont de toutes formes;:
Vous n'en verrez pas dix habillés de même.
Il y en a qui ont des capotes, d'autres des tu-
niques ou des vestes, des culottés ou des pan;
talons, des bottes, des espadrilles ou des sa-s
vates. La ville présente un aspect répugnant)
Les rues ne sont qu'une mer de boue et d'exi
créments. ¡
Aux quartiers indigènes, la population
grouille comme des animaux immondes et vé-:
gète dans les caves A part quelques levantine
d'origine étrangère, le peuple vit dans une mi-
sère noire et meurt dans l'infection. Cela n'em.
pêche pas Abdul-Hamid de prélever 33 millions
qui reviennent de droit à cette malheureuse
province de Bagdad.
Le vrai coupable
C'est le sultan qui a désorganisé l'adminis-
tration de l'empire, c'est lui qui a violé la
Constitution, qui a exilé ou fait assassiner les
hommes du gouvernement ayant quelque va-
leur pour s'entourer de gredins dociles el
capables des plus basses besognes.
C'est le sultan. qui, après la guerre turco-
russe, au.lieu de travailler à la reconstitution
de l'armée, l'a laissée croupir dans l'ignorance
et la misère, obligeant ses soldats à voler et
piller pour se nourrir, et ne payant pas ti uis
mois de solde par an à ses officiers.
Qu'on demande aux officiers allemands sf
jamais il leur a été possible de réaliser Jat
moindre réforme et d'obtenir qu'on fasse fairai
aux troupes de Constantinople, je ne pa
même pas de celles de l'intérieur, la moindftj
manœuvre autre que celle de la parade da,
Sélamlik.
C'est ce traître avéré seul qui a voulu quel
les quelques bateaux de guerre dont disposait)
le gouvernement ottoman fussent ancrés pour-
n'en jamais sortir à la Corne d'Or.
Depuis son règne, ils croupissent dans l'é--
gout, leurs armatures pourries et éventrées
L'amirauté sommeille près d'un golfe célèbre
prolongé d'une rivière et dont le tout forme un
égout à ciel ouvert. Au pied d3 cette infection,
dont les émanations putrides tuent les mouches
à cent pas, grouille la voyoucratie orientale.
Celui qui se risque dans ce quartier la nuit,
sans une trique, tombe infailliblement entre les
mains des bandits et n'est jamais sûr de sortir
vivant.
Les horreurs de la capitale
Du reste, l'état de la capitale ferait rougir
un faubourg de Bagdad. En dehors de Péra,ha-
bité par la colonie étrangère, le reste de la
ville n'est que ruelles tortueuses.
Vous ne pouvez faire quelques pas sans bu-
ter contre des pavés pointus, et heureux encore
si vous ne tombez pas sur des tas d'ordures et
de charognes. La vermine et les guenilles cô-
toyent la boue ot les immondices. Au milieu
de ces fumiers, on voit des cimetières quin'ins-
pirent aucun recueillement, et parfois des os- *
sements isent au hasard ; des chiens galeux,
des prostituées, des mendiants se promènent
au milieu de tout cela. Ainsi, à Constantino-
ple, il y a partout des tombeaux, dans les jar-
dins, au coin des rues, sans clôture, n'importe
comment.
Autour des fosses les femmes publiques
font des parties de plaisir et même, à cer-
taines époques, les corbeaux se jettent sur cette
proie.
Disséminées dans les centres populeux de la
capitale, entassées dans des maisons en bois,
aux portes et fenêtres ouvertes, des milliers de
prostituées en chemise, ou avec un jupon qui
vient aux genoux, une cigarette entre les
doigts, crient et gesticulent devant les pas-
sants.
D'autres, en pantalon, à cheval sur des chai-
ses au milieu de la chaussée, se collètent ave.,
des individus à mine patibulaire.
D'autres, en nymphes, ivres, roulent parmi
les ordures et les relavures des ruisseaux.
Parfois ces saturnales occasionnent de terri-
bles incendies. On voit alors, dans cet entasso-
ment de masures, aux planches disjointes, des
drames horribles. Pendant que des ruelles sont
en feu et que des malheureux sont la proie
d'une épouvantable flamme, les légendaires
bachi-bouzouks, pompiers pour la circons-
tance, s'abattent sur ce brasier et ne s'occupent
qu'à saccager, piller et outrager des femmes
et des enfants. Ce n'est pas tout : ils ne se
contentent pas de voler, piller et saccager,
il faut que les habitants donnent encore de
l'argent pour la paye de l'équipe.
Quant aux agents de la police, ils sommeil-
lent dans leur guérite ou se promènent avec
une lourde matraque, non pour se défendre,
mais pour protéger les voleurs.
Mais ce qui frappe surtout un observateur
c'est le défi jeté. à la face de cette ville dépo-
toir, par le palais du sultan.
Au sommet d'une colline, sur un plateau
qui domine Constantinople, l'immense Udû
est resplendissant ; on dirait une fleur qui a
poussé sur un monceau de fumier.
Un acte de justice
Après cela, si vous venez prétendre que la
disparition d'un tel monstre ne produira aucun
bon effet, c'est se moquer tout simplement du
principe même de la justice.
Selon quelques temporisateurs, c'est à une
action commune des puissances agissant col-
lectivement pour mettre un terme aux atroci-
tés commises par le sultan qu'il faut recourir.
Jamais nous ne serons partisans de ce sys
tème d'immixtion.
Pour conquérir la justice, la liberté, il nou:
faut une grande révolution.
Il faut que le sultan réponde des crimes et
des trahisons qu'il a commis.
Les dettes du sultan
Devant une assemblée nationale, il faut qui*
comparaisse pour entendre son acte d'accusa-
tion et alors il payera pour la Bulgarie morce
lée, tant et tant pour Ecrivân, Echmiadzin,
Chypre, Crète, etc.
Il payera pour Mouch, Sassoun, le Cairer
pour le Hedjaz, l'Assyr, le Iémen, etc.
11 payera J pour Midhat étouff, à TaIt, et
dont la tête est conservée au Palais dans un
coffret en ivoire; pour Mourad V, son frère et
son souverain, enfermé depuis 25 ans dans un
- 41) Voir les auméros des i" et 5 septembre»
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