Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-04-15
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 15 avril 1908 15 avril 1908
Description : 1908/04/15 (N13914). 1908/04/15 (N13914).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
TP13014. — 25 Germinal An 110 CINQ CENTlMEli XE IÏClUEBO
Mercredi 15 Avril 1908.-N 18914..
LE XIX* SIECLE
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TRIBUNE LIBRE
0 '1'
Le Cabinet Asquith
- -
1-, La crise ministérielle an-
i glaise ouverte par la démis-
sion de sir Henry Campbell
Bannerman a été dénouée
naturellement lors de l'in-
vestiture donnée ces jours-
ai a Biarritz par le roi bdouard vil a
M. Asquith QPendant son séjour sur
la plage d'hiver française, le nouveau
Premier Anglais a fait approuver par
le roi ses projets de remaniement mi-
nistériel et nous les connaissons au-
jourd'hui officiellement.
L'issue de la crise présente un inté-
rêt réel en l'état actuel de la nolitique
générale .Malgré que le parti libéral se
soit heurté à d'assez grosses difficultés
depuis son retour aux affaires, nul ne
peut dire qu'il soit diminué et il est
très évident que la coalition radicale,
libérale, ouvrière et irlandaise subsis-
te. Il est évident aussi que, malgré les
pessimistes, elle survivra et si elle de-
vait être menacée d'impuissance, les
mœurs parlementaires anglaises, par
l'usage normal de la dissolution, four-
nissent à M. Asquith un moyen d'action
dont il n'est point homme à se passer.
Si donc parfois chez nous les crises mi-
nistérielles se présentent omme des
crises de majorité, ce n'est point le cas
chez nos voisins : les majorités frap-
pées d'impuissance y sont détruites par
la dissolution ou renforcées et ravivées
par la consultation électorale.
Assurément la retraite de sir Henry
entraînera un changement dans l'orien-
tation de la politique anglaise. La per-
sonnalité du nouveau plremier diffère
trop de celle du précédent nour que
leurs méthodes et leurs volitions ne
diffèrent pas.
Sir Henry Campbell Bannermann, re-
nonçant, à soixante-douze ans, à la di-
rection de son parti, a bien des chan-
ces d'entraîner dans sa retraite la mé-
thodè noble et sereine du gladstonisme.
Avec lui disparaissent le respect rigide
des traditions du parti, les hauts de-
voirs de conscience, la considération
pour les services rendus, le culte de
l'avancement à l'ancienneté ; ajoutez
a cela un humanitarisme désintérressé,
une influence de haute culture mora-
le. Doux, bienveillant pacifique et paci-
fiste, sir Henry se retire et l'ombre du
« grand vieillard » elle-même s'efface
et disparaît définitivement. ,
Dans le même parti c'est un autre
homme, un autre type d'homme d'Etat
que celui qui surgit avec M. Asquith.
Point de pronostics ! Les espoirs de la
veille se (résolvent en déceptions 1
Point de pessimisme : les modestes ou-
vriers d'hier sont les bons chefs de de-
main. M. Asquith est un chef et cela
est certain ;.il l'a déjà prouvé dans la
période d'intérim qu'il vient de remplir.
Il a l'énergie de l'âge mûr, la limpidité
d'esprit du dialecticien formé à l'uni-
versité, le sens pratique du debater
rompu aux affaires. Depuis plusieurs
jours on se plaît à opposer son intelli-
gence pénétrante d'Anglo-saxon à la
bonhomie avisée du vieil Ecossais qui
le précéda.
Si M. Asquith est un chef il ne fut
pas toujours un soldat discipliné —
mais les natures fortes s'accommodent-
elles en tout temps de discipline ? Au
moment de la guerre sud-africaine, M.
Asquith abandonna son parti pour ap-
prouver la politique unioniste et voilà
oui nous met loin de sir Henrv. Darti-
san convaincu du Congrès de La Haye.
Les journaux nous diront demain les
déclarations du nouveau gouvernement,
mais la liste des attributions ministé-
rielles n'est déjà pas sans signification.
Si assurément il nous est impossible
d'y démêler tout ce qu'elle peut dire
pour les citoyens du royaume de Gran-
de-Bretagne et d'Irlande elle n'est pas
pour nous sans indications visibles et
précieuses. ,
Tout d'abord le maintien de la politi-
que intérieure précédente, dirigée dans
un sens ouvertement démocratique est
marquée par l'avancement dont sont fa-
vorisés MM. Lloyd Georges et Winston
Churchill. En laissant M. Gladstone,
pourtant combattu, au ministère de
l'intérieur et M. John Burns à la direc-
tion de l'administration locale, le nou-
veau Premier se prononce pour la poli-
tique du bloc libéral radical-ouvrier.
Le maintien de M. Birrel au* ministère
d'Irlande est un signe d'assentiment à
la politique nationaliste d'Erin. tem-
pérée par un contrôle du Parlement de
Londres.
En enlevant les colonies à lord Elgin
M. Asquith a sans doute voulu confier
une charge si lourde à des énmiles
moins voûtées par l'âge ; en enlevant
la marine à lord T':\'eedmouth, M. As-
quith et le roi Edouard VII ont sans
doute cédé à une malicieuse pensée qui
sera méditée sous le ciel bleu de Cor-
fou. Lord Tweedmouth reçoit une com-
pensation.
Sir Edouard Grey conserve la direc-
tion des affaires étrangères ; la nouvelle
apprendra aux chancelleries de l'Euro-
pe qu'il y a toujours une majorité dans
le Parlement anglais pour une réforme
pratique en Macédoine, contre la poli-
tique iéopoldienne au Congo, pour une
entente cordiale avec la France.
Tous les partis de gauche en France
souhaitent donc un long avenir au mi
nistère Asquith. Il ne peut nous déplaire
de voir chez nos voisins un gouverne-
ment résolument démocratique et fer-
mement attaché à des traditions libéra-
les de politique extérieure.
Albert MILHAUD.
LA POLITIQUE
L'OPINION DE M. POINCARÉ
En réponse à une enquête
de la Revue, M. Poincaré
vient de faire connaître son
opinion sur « l'impuissance du
Parlement à remplir son rôle
1 législatif ».
L'éminent sénateur s'exprime dans les
termes suivants :
« Vous voulez bien, mon cher confrè-
« re, me demander mon opinion, sur la
« faillite parlementaire ».
« Faillite parlementaire, voilà un bien
« gros mot. Qui dit faillite, dit cessa-
« tion de paiements, dettes en souffran-
« ce, promesses trahies. Je vois bien des
« députés, ou même des sénateurs, qui
(C font banqueroute à leurs engage-
« ments. Mais qu'il faille attribuer au
« régime parlementaire la responsabilité
« de ces défaillances individuelles ou
« collectives, c'est ce qui n'est, à mes
« yeux, ni démontré ni possible à dé-
« montrer. Il y a, par la faute des nom.
« mes, par la force des mauvaises habi-
« tudes, par l'absence de méthode et de
« discipline moirale, une crise parlemen-
« taire, qui dure, à vrai dire, depuis
« longtemps et qui n'a peut-être pas en-
« core atteint son paroxysme. Mais de
« la maladresse aes mécaniciens, ne con-
« cluons pas trop vite à l'imperfection
« du mécanisme.
« Les causes de cette crise sont mul-
« tiples. Le pays ne les distingue pas
« encore toutes; mais dans tous les par-
« tis politiques, les observateurs atten-
« tifs commencent à les démêler.
« L'une des plus importantes tient au
« système électoral. Le moins qu'on
« puisse demander à des représentants,
« c'est de représenter fidèlement la na-
« tion qui leur délègue, pour un temps,
« sa souveraineté. A l'heure présente, la
« Chambre n'est pas seulement, grâce au
« scrutin uninominal, le miroir brisé
« dont parlait Gambetta. Elle est un je
« ne sais quoi, où se rehetent trop sou-
« vent les volontés tyranniques de quel-
« ques comités provinciaux, interposés
« entre le peuple et ses élus.JLe scrutin
« de liste ne suffirait pas à libérer les
« députés des servitudes locales. On a
« bien vu, à l'expérience, qu'il était, lui
« aussi, faussé par les intérêts particur-
« liers et par les marchandages électo-
« raux. »
M. Poincaré, que l'on connut moins
pessimiste, déplore « la permanence des
sessions parlementaires, la manie de lé-
gislation continue, la confusion des pou-
voirs, l'absence d'autorité gouvernemen-
tale », et il constate que « cette incohé-
rence et cette anarchie ne datent pas
d'hier », ce qui réconforte certainement
M. le président du conseil.
L'honorable sénateur de la Meuse
conclut en préconisant le scrutin de liste
avec représentation proportionnelle et il
exprime la uainte que la France « ne se
dégoûte un jour des libertés parlemen-
taires » et ne sente « se réveiller les ins-
tincts césariens ».
Ce tableau, malgré la maestria habi-
tuelle, de son auteur, est vraiment trop
poussé au noir.
Après les prédictions de réaction
adressées par M. Clemenceau à M. Jau-
rès, lôrs d'une récente interpellation, voi-
là certes des paroles qui ne contribueront
pas à réconforter la démocratie anxieuse
de réformes.
Que le régime parlementaire, tel qu'il
est actuellement pratiqué, présente des
imperfections et des abus; nul ne le con-
teste. Mais quel est donc le régime par-
fait?
En réalité, l'impuissance 'du Parle-
ment tient beaucoup plus à l'absence de
méthode et à la politique d'inaction
du gouvernement qu'au mode de scrutin.
Même avec le scrutin d'arrondissement
Gambetta, Jules Ferry, Waldeck-Rous-
seau et Combes ont accompli des-réfor-
mes considérables, et provoqué un mou-
vement démocratique et un élan d'en-
thousiasme dont le pays républicain a
conservé le souvenir.
Et même avec le scrutin de liste ef la
représentation proportionnelle, un Par-
lement découragé, déconcerté, avachi par
l'inaction ne saurait aboutir qu'à une
œuvre stérile et décevante.
Les majorités, quelles qu'elles soient,
ont besoin d'être stimulées et entraînées
par une politique d'action précise.
Sans qu'il y ait « matière à législa-
tion continue », il y a suffisamment de
grandes et de petites réformes inscrites
au programme du parti républicain, et
dont la démocratie attend l'exécution,
pour occuper l'activité d'un Parlement et
d'un homme d'Etat de la valeur de M.
Poincaré, pendant de longues années.
Seulement, au lieu de se lamenter, il
faudrait agir!
1 *
LES ON-BIT
NOTRE AGENDA
Aujourd'hui mardi :
Lever du soleil à 5 h. 14 ; coucher à
6 h. 48.
Ouverture du Salon de la Société natio-
nale.
Courses : Enghien.
Promotions rapides
Léon Say est mort sans être t.--coré ;
et pourtant il fut pendant vingt-quatre
heures grand-croix de la Légion d'hon-
neur, simplement
En effet, en 1879, M. Grévy annonça
à Léon Say que pour reconnaître d'une
façon éclatante les services éminents
qu'il avait rendus lors de la libération
du territoire le gouvernement avait dé-
cidé de lui conférer le grand cordon de la
Légion d'honneur. Le président Gravy
ajouta qu'il avait signe le matin nnme
cinq décrets lui conférant successive-
ment les cinq grades de la Légion d'hon-
neur. Il remit les cinq décrets à Léon
Say en le chargeant de les faire tenir
lui-même au Journal officiel.
Mais Léon Say était le plus simple des
hommes et le moins épris d'honneurs et
de distinctions honorifiques que l'on
puisse imaginer. Il remercia ; mit les
décrets dans son portefeuille et les y
laissa.
A sa mort on les retrouva tous les
cinq dans ses papiers. Ils étaient signés
Jules Grévy et contresignés par le pré-
sident du conseil Waddington.
Un tel exemple de modestie est rare
et peut-être unique. Mais cette promo-
tion ultra-rapide a un précédent histo-
rique.
En 1815, lorsque le général Lecourbe,
alors dans sa retraite de Ruffey (Jura),
reçut un commandement de l'empereur,
celui-ci s'aperçut que le vainqueur de
Souvaroff n'était même pas chevalier de
la Légion d'honneur.
Le 20 mars Napoléon le nommait che-
valier ; le 21, officier ; le 23, comman-
deur,, et le 25 grand-officier. Le 3 avril,
il le créait comte de l'Empire ; le 15, il
l'appelait au commandement en chef de
l'armée du Jura, et le 2 juin il lui confé-
rait la dignité de pair de France.
AUTREFOIS
Rappel du 15 avril 1872. - jw. Emile Au-
gier vient de se marier, en Italie, avec Mlle
Laure Lambert, du théâtre du Palais-Royal.
Les bâtiments désignés nour conduire les
déportés en Nouvelle Calédonie, vont par-
tir : la Guerrière et la Danaé parlent le 15,
la Dordogne vers le 20 ; le Finistère et
l'Orne entrent en armement.
At. Borrelly. de l'observatoire de Long-
champt, à Marseille, vient de découvrir la
petite planète n° 119.
Il est très sérieusement question de sup-
primer le bagne de Toulon. A l'avenir, les
condamnés attendront dans les maisons
centrales, le moment d'être dirigés vers le
port d'embarquement.
Le conseil municipal de Marseille avait
accordé une bourse mi lycée, au fils de Gas-
ton Crémieux (fusillé pour faits relatifs à
l'insurrection de Marseille). M. de Kératry,
préfet des Bouches-du-Bhône, a annulé la
délibération.
Sainte Russh-
L'empereur de Russie doit être satis-
fait, cette fois, de la façon dont se con-
duisent les députés qui composent sa
troisième Douma. Ils font preuve d'une
servilité de caniches.
On annonce, en effet, qu'une déclara-
tion signée par 37 de ces représentants
domestiqués a été remise au. président
de la Douma. Ces signataires deman-
dent que la semaine avant Pâques la
Douma soit fermée, afin que les dépu-
tés puissent faire leurs dévotions*
Légende marocaine
Allah se promenait un jour dans la
« Chaouia », comme le général d'Ama-
de. Ils devisaient gravement de la mar-
che du monde et des insupportables tra-
cas que leur causait la pauvre Huma-
nité.
Tout à coup, aux abords d'un douar,
ils aperçurent vautrée dans le sable, au
soleil, une femme en haillons.
Elle était jeune et robuste. Mais ses
traits reflètaient l'ennui le plus pro-
fond,. et elle bâillait à décrocher les
mâchoires de l'âne à Samson.
Allah — à qui rien n'est caché —
comprit immédiatement que le mal dont
souffrait cette femme était l'oisiveté.
Il tira donc de sa grande poche une
poignée de puces qu'il jeta sur la jmm-
vresse en lui disant : « Femme, l'oisi-
veté engendre tous les vices, voilà de
quoi t'occuper désormais M:
Depuis ce jour-là, les femmes maro-
caines sont remplies de puces, et elles
passent des journées entières en se di-
vertissant à les chercher.
L'essentiel est qu'elles ne les passent
pas au corps expéditionnaire.
Dans la rue
Lu sur un immeuble du boulevard
Péreire, à Paris :
A LOUER DE SUITE
Grands et petits appartements fraîche-
ment décorés, ornés de glaces, eau, gaz et
pianos à tous les étages.
Le concierge est accordeur.
E11 passant.
Chaque jour la science me déconcerte par
ses découvertes mirobolantes. Voici qu'une
revue scientifique et musicale me révèle des
phénomènes tels, que la nécessité s'impose
au ministre des beaub-arts, de fusionner le
Conservatoire de musique avec le Jardin
d'acclimatation.
En effet, il résulte d'études patiemment
poursuivies et d'observations irréfutables,
qu'un certain nombre d'aninzaux sont tout
simplement de grands musiciens méconnus.
Le cheval possède, entre tous, une voix
des plus musicales; dans son hennissement,
il descend une gamme chromatique sans
omettre un seul demi-ton. L'âne lui-même,
si étonnant que cela paraisse, a une voix
musicale: îl brait en faisant des octaves
parfaits, et le grand compositeur Haydn
l'a positivement copié dans son soixante-
seizième quatuor. L'aboiement du chien
n'est pas un son naturel, c'est une voix
qu'il a acquise durant des siècles de domes-
ticité, et on prétend qu'il n'en restera pas
là et qu'au moyen d'une petite opération
chirurgicale, le chien pourra bientôt par-
ler !
C'est en prévoyant sans doute ce miracle
prochain que les comédiens, nés malins,
se sont, à l'avance, affublés du petit sur-
nom de « cabots ». ,
Quoi qu'il en soit, le moment semble pro-
che où le projet du compositeur Auber
pourra se réaliser.
Il avait reçu, un beau jour, la visite d'un
affreux vêtit, bonhomme qui lui demandait
une audi.'ion.
Par compassion, Auber accède à la de-
mande et accueille le pauvre avorton. A sa
stupéfaction profonde, il entend une voix
admirable sortir de ce corps diftorme, el les
phrases les plus mélodieuses exquisenient
psalmodiées par celte hideur.
Surprenant son étonnemenl, le vilain pe-
tit ténor s'interrompt et lui dit :
— N'est-ce pas, M. Auber, que j'ai une
voix de théâtre et que vous me ferez débu-
ter ?
Et le compositeur de grommeler: « Qui,
oui, certainement, seulement il faudrait
créer un opéra de singes ! »
Le Chemineau.
"«O1
L'embarras de Pie X
Pie X est en ce moment l.ns ses petites
mules. Le vieux sectaire qui a refusé jus-
que-là toutes les perches qu'on lui a ten-
dues pour "auver sa religion et son Eglise,
est en effet très embarrassé.
Il se trouve dans ra nécessité de déclarer
à son clergé s'il entend accepter ou refu-
ser que les mutualités ecclésiastiques se
trouvent placées sous l'application des lois
françaises qui régissent ces sortes d'asso-
ciations.
Les uns lui conseillent d'accepter, les au-
tres de refuser. L'âne de Buridan n'était
pas plus perplexe.
Les mutualités ecclésiastiques sont des
socit.-s de secours mutuels fondées par des
groupements de prêtres, en vertu de la loi
de 1898 sur les sociétés de secours mutuels,
laquelle reconnaît deux sortes de sociétés :
les mutualités libres ou non approuvées, et
les mutualités approuvées.
Sur une quarantaine de mutualités ecclé-
siastiques qui exislent en France, la ma-
jorité ne sont pas approuvées.
La question de l'approbation ou de la non
approbation se pose au Vatican parce que,
d'après la loi de dévolution des biens ec-
clésiastiques qui vient d'être votée par les
Chambres, seules les mutualités approu-
vées .pourront recevoir les biens des an-
ciennes caisses de secours diocésaines sup-
primées, et seules aussi elles pourront re-
cevoir les fondations ae messes, sous con-
dition d'acquitter les charges de ces fonda-
tions, qui sont de faire célébrer les dites
mess-es.
Avec la mutualité approuvée, l'emploi des
onds sociaux doit avoir lieu aans des con-
ditions déterminées. Les titres de revenus
doivent être déposés à la Laisse des dépôts
et consignations s'ils sont au porteur, et la
société ne peut conserver dans ses caisses
privées que les titres nominatifs. Avec la
mutualité libre, l'argent peut être placé et
employé selon le bon plaisir de la société.
En cas de dissolution, la société approu-
vée est soumise à des formalités adminis-
tratives auxquelles échappe la société libre.
Voilà bien de quoi déjà rendre perplexe
le chef de la religion cathouque, mais ce
qui, à ses yeux, complique surtout la situa-
tion, c'est l'amendement Lemire modifié,
qui interdit, dans les statuts des mutualités
ecclésiastiques, toute clause relative à la
discipline ecclésiastique.
Cette clause fait naître chez le pape la
crainte de voir un jour les mutualités ap
prouvées servir de véhicule à un schisme.
et c'est la raison pour laquelle Pie X hésite,
se tâte le pouls et fait appel aux lumières
de ses fidèles les plus qualifiés pour lui don-
ner un conseil.
.Quelle sera sa décision ? Nous né sau-
rons le préjuger, mais il y a des chances
pour qu'il sacrifie le pain des « vieux
jours » des prêtres affiliés aux mutualités
existantes, auxquels fait mine ae s'intéres-
ser la presse bien pensante, à la crainte
un amoindrissement de son autorité, car
c'est encore l'influence des jésuites qui dic-
tera la réponse qu'il doit faire au doyen
rtieâ cardinaux français. — P-. G.
LES SALONS DE 1908
La Société itiiale les Boani-Arls
LA PEINTURE
Cette exposition est une des meilleu-
res que nous ayons vues depuis long-
temps. Variée, abondante, d'une haute
tenue d'art, elle réunit des œuvres re-
marquables, et si les médiocres y sont
encore trop facilement admis, on n'y
accepte plus guère ces sujets unecdo-
tiques qui déshonoraient la peinture
française. Elle est homogène, et elle
indique l'évolution de certaines tendan-
ces dans les arts plastiques qu'il 'est
nécessaire de dégager.
Il semble que l'on abandonne peu à
peu le réalisme strict, que l'on prunait
comme une sorte de dogme, pour reve-
nir au style, aux compositions imagina-
tives, à un idéalisme qui permet à L'ar-
tiste d'exprimer sa sensibilité, ses émo-
tions, en dehors de la reproduction
étroite de. la réalité. On rechercne des
équilibres décoratifs, on laisse aller sa
fantaisie, on écrit en quelque sorte des
poèmes colorés. C'est la dominante de
ce Salon, et l'on doit à cette conception
de l'art les œuvres les plus neuves et
les plus savoureuses.
Parcourons les salles, et notons au
passage les toiles qui attirent l'attention.
Voici la Famille, de M. Pierre Lher-
mitte, paysage d'une noble ordonnance,
où les paysans, malgré le dur labeur de
la terre, respirent une joîe forte et pai-
sible. Une jeune mère 'offre le sein à
son enfant dans un beau geste naturel,
tandis qu'auprès d'elle, l'aïeule, sans
doute, semble rêver à des jours loin-
tains. La scène est d'un sentiment juste,
ni fadeur, ni outrance mélodramatique,
d'une couleur vibrante et chaude. Le
Nain, les Sorcières, Mlle Lucienne Bré.
val dans le second acte de « Carmen »,
de M. Zuloaga, sont d'un art tout diffé-
rent, sombre, puissant, d'un caractère
rude, en quelque sorte tragique. Les
masques des sorcières sont d'une inten-
sité émouvante dans leur laideur cruel-
le et mystérieuse. Les larges touches,
l'harmonie des couleurs maintenue dans
une gamme riche et lourde, forment
le propre du talent de M. Zuloaga qui
représente une manière large, appuyée
et comme austère. Les portraits de M.
La Gandara, Mlle Dolley, Mlle C. L.
Mme Renée Nagelmakers, plaisent par
leur séduisante élégance. C'est le peintre
des étoffes légères drapées sur des for-
mes raffinées, des visages clairs où se
reflètent tous les plaisirs mondains, des
chairs heureuses.
M. Jacques Blanche présente égale-
ment des portraits, les Enfants de M.
Saxton Noble, sir Colêridge Kennaïd.
Bart, mais je leur préfère celui de Mlle
G. L., si lumineux, d'une rare distinc-
tion, et traduit avec un parfait senti-
ment de la psychologie des jeunes DHeb,
SALLE III ,
Ici rayonne la délicieuse fantaisie de
Willette,* fantaisie qui se teinte de ten-
dre mélancolie : La vie n'est peut-être
qu'un songe, se demande l'ami de Pier-
rot. Et c'est une composition, non pas
désenchantée, mais d'une philosophie
qui regrette un peu, sans aoute, les
belles journées. Pierrot dans sa mansar-
de est couché, tout blême, et l'amant de
la lune voit s'avancer, en rêve, aux sons
de la flûte dont joue un jeune chèvre-
pieds, ses désirs, ses joies, ses tour-
ments, la Fortune, la Gloire et l'Amour.
Il n'y a rien de plus joliment moderne.
Dans la même salle des paysages de
Henri Duhem, le Retour du berger,
grave nocturne, Quai au soleil ; des as-
pects de la Bretagne, yigoureux et pitto-
resque de Piet ; un éclatement rosé de
Smith, Prinlernps, des arbres courbés
sous la tempête, Vieux ormeaux bre-
tons.
SALLE IV ET IV bis
A l'entrée, Matin de vendanges en
Dauphiné, de M. Jules Flandrin, une
page sobre et lumineuse, traitée simple-
'ment par masses et par plans d'où sont
bannis tous les détails inutiles. Passons
vite devant la grande machine de M.
Courtois, destinée à la mairie de Neuilly
arrêtons-nous devant les Harrisson sa-
vamment nuancés, - Harmonie jaune,
Coucher de Soleil. Dans la salle IV bis,
c'est le plaisir discret des Aman-Jean,
un portrait de jeune femme parmi des
verdures chatoyantes,un enveloppement
de la chair dans des lumières douces,
comme pailletées. Il faut aimer Aman-
Jean pour son goût d'une infinie délica-
tesse, couleur savante et fine qui sug-
gère plutôt qu'elle n'affirme, son sens
des harmonies et des équilibres décora-
tifs. Dans la même salle, un Intérteur
de M. Abel Faivre, une Cérémonie re-
ligieuse à Assise de M. Lucien Simon, la
Toilette et le Bain de M Gumery, Une
Plaine, de M. Lechat.
SALLE V
C'est le triomphe de M. Roll et 'de
M. Lévy-Dhurmer. Jamais M. Roll n'a-
vait été aussi bien inspiré que dans sa
vaste composition Vers la Nature pour
l'Humanité. Dans une lumière irréelle
qu'on a vue pourtant en rêve, des hom-
mes s'avancent, travailleurs, poètes et
savants, vers des clartés édéniques où
tout ne serait que joie et beauté. C'est
par la pénétration de la nature, dé ses
secrets, de son éternelle bonté, la libé-
ration de toutes nos chaînes matérielles
et morales, po.ur un communisme fra-
ternel. De M. noll aussi deux paysages
radieux, Journée d'été (numéros 4 et 5)
où dans un bain d'or s'élancent des for,
mes admirables de femmes nues. Quanl
aux Fondeurs, de M. Lévy-Dhurmer,
nous devons longuement les regarder.
Il y a là une des plus somptueuses pa-
ges lyriques qu'il nous fut donné de
voir. Devant cette scène forte et étince-
lante, je pense aux plus impeccables,
poèmes de Leconte de l'Isle et de José-
Maria de HeredIa. Dans des vapeurs mé-
tatliques allant des chromes vifs, aux
orangés puissants, des verts acides aux
pourpres et aux ors, des hommes domp..
lent les métaux en fusion, et de la ma-
tière informe tirent une Victoire écla-
tante que dresse un adolescent enthou-
siaste.
De M. Abel Truchet, Une liseuse cri-
blée de soleil, la place Clichy, où le
mouvement d'une rue de Paris est si
adroitement saisi et traduit dans une
belle pâte, deux natures mortes, les
Oranges et les Pommes, d'une maltière
grasse, onctueuse ; de M. Iwill, Venise
à l'aurore, la Ville des Papes, Canal de
la mer du Nora, toute une gamme df
teintes délicates.
SALLE VI
Quel adorable, et rare et frais déco-
rateur que M. Maurice -Denis. Je n'ai
pas toujours aimé les compositions de
cet artiste si personnel, mais on ne peut
.qu'admirer son Eternel Printemps.Dans
une tonalité claire, aux dominantes de
bleu et de blanc, c'est une théorie de
formes simplifiées aux attitudes d'uuft
grâce et d'un enarme infinis.
Les envois de M. J.-F. RalIaëlli ror.
ment comme une synthèse et sa m
trise qui s'empare avec une égale au-i
torité de tous les aspects du mond
Personne comme lui, n'a compris les
marques distinctives des individus, per..
sonne comme lui ne res a réduites à l'es-
sentiel pour donner des images fjÊt
resteront ainsi que des types définitifs
des contemporains. Regardez son Ap.
prentie, fillette rêveuse, encore gauche,
qui s'en va par les quais, en lambinant,
à la recherche d'une aventure. Ce n'est
ni fardé, ni grossi, c'est la réalité avec
du style ; regardez aussi le Boucher et
son chien, ces épaules affaissées de
l'homme qui a travaillé toute sa vie (Ju-
rant, cette face qui ne reflète aucune
pensée, lucide par habitude. Dans un
Bouquet de fleurs, c'est l'habileté dit
peintre qui éclate, sa science de la cou<
leur, et dans la Place de la Madeleine,
sa vision prompte à suivre dans une.
foule qui marche, la caractéristique de
chaque personne. La Banlieue de Puris
a la tristesse des approches d'une gran-
de ville, avec ses terrains dénudés, ses
masures, ses individus aux métiers va*
gues qui sont là, comme des rôdeurs.
J'aime la peinture de René Ménard
pour ce qu'elle a de fort, de 'profond, et
d'élevé. Je disais que M. Lévy-Dhurner
me faisait penser à José-Mària de Here-
dia, les passages de M. René Ménard
m'évoquent les sommets philosophiques
de M. Sully-Prudhomme. Ils sont paisi-,
blés, .grandioses, et il semble qu'il s'y
cache une secrète et noble pensée;
Voyez longuement Poestum, et vous au*
rez de ses temples, de sa campagne aus..
tère où paissent des troupeaux comme
une émotion religieuse. Il en est de mê-
me pour la Voie Apptenne (soleil cou-
chant et jour d'automne) et quant au
Cervin et au Mont-Rose, c'est la nature
fixée dans ce qu'elle a de grand, d'inac-
cessible et de fier.
Il convient encore, dans ces salles, de
s'arrêter aux portraits de M. Lebasque,.
au Pont de la Tournelle, de M. Gillot,
au Portrait de Bracquement, de Gaston
La Touche, aux études de Louis Legran"
et de M. Hopkins.
SALLE VII et SUIVANTES
M. Dinet se consacre à la terre d'Arri.
que dont il évoque les femmes avec
leur animalité souple, des chairs brQ.
lées par le soleil, des formes nerveuses,
tressaillantes de vie. M. Bellemy-Des-
fontaines donne un portrait de M.,
Enesco dans un ton discret et rare
compose des allégories, Sérénité, la
Fin du jour, avec un sentiment tendre
et élégiaque.
J'ai hâte d'arriver à la Guinguette, dé? •
M. Jean Veber, un panneau décoratif
destiné à l'Hôtel de Ville. Je ne connais
rien de plus farc que cette composition
où semblent s'être donné rendez-vous
tous les types connus de notre bon Pa-
ris. Figurez-vous un coin de banlieue,
un dimanche de soleil, avec ses ton-
nelles, ses pelouses ravagées, ses masu-
res où sautent les gibelottes et où se
fabrique le clairet d'Argenteuil, et là-
dedans toute une foule en liesse. M.,
Jean Veber déforme les silhoûëttes jus
te assez pour en accentuer le caractère
comique, mais pas trop, de façon à gar-
der l'essentiel des types qu'il veut re-
présenter. La Guinguette, de M. Jean
Veber rappelle Breughefetle Rubens de
la kermesse, mais aveê un accent tx
trêmement personnel, d'un modernisme
aigu. Il faudrait pouvoir énumérer lous
les détails d'une invention si spiritueilô
et souvent d'une si exacte oBservation,.
les bicyclistes, la balançoire, les
loueurs au bouchon, l'impayable boa*
Mercredi 15 Avril 1908.-N 18914..
LE XIX* SIECLE
ANNONCES
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TRIBUNE LIBRE
0 '1'
Le Cabinet Asquith
- -
1-, La crise ministérielle an-
i glaise ouverte par la démis-
sion de sir Henry Campbell
Bannerman a été dénouée
naturellement lors de l'in-
vestiture donnée ces jours-
ai a Biarritz par le roi bdouard vil a
M. Asquith QPendant son séjour sur
la plage d'hiver française, le nouveau
Premier Anglais a fait approuver par
le roi ses projets de remaniement mi-
nistériel et nous les connaissons au-
jourd'hui officiellement.
L'issue de la crise présente un inté-
rêt réel en l'état actuel de la nolitique
générale .Malgré que le parti libéral se
soit heurté à d'assez grosses difficultés
depuis son retour aux affaires, nul ne
peut dire qu'il soit diminué et il est
très évident que la coalition radicale,
libérale, ouvrière et irlandaise subsis-
te. Il est évident aussi que, malgré les
pessimistes, elle survivra et si elle de-
vait être menacée d'impuissance, les
mœurs parlementaires anglaises, par
l'usage normal de la dissolution, four-
nissent à M. Asquith un moyen d'action
dont il n'est point homme à se passer.
Si donc parfois chez nous les crises mi-
nistérielles se présentent omme des
crises de majorité, ce n'est point le cas
chez nos voisins : les majorités frap-
pées d'impuissance y sont détruites par
la dissolution ou renforcées et ravivées
par la consultation électorale.
Assurément la retraite de sir Henry
entraînera un changement dans l'orien-
tation de la politique anglaise. La per-
sonnalité du nouveau plremier diffère
trop de celle du précédent nour que
leurs méthodes et leurs volitions ne
diffèrent pas.
Sir Henry Campbell Bannermann, re-
nonçant, à soixante-douze ans, à la di-
rection de son parti, a bien des chan-
ces d'entraîner dans sa retraite la mé-
thodè noble et sereine du gladstonisme.
Avec lui disparaissent le respect rigide
des traditions du parti, les hauts de-
voirs de conscience, la considération
pour les services rendus, le culte de
l'avancement à l'ancienneté ; ajoutez
a cela un humanitarisme désintérressé,
une influence de haute culture mora-
le. Doux, bienveillant pacifique et paci-
fiste, sir Henry se retire et l'ombre du
« grand vieillard » elle-même s'efface
et disparaît définitivement. ,
Dans le même parti c'est un autre
homme, un autre type d'homme d'Etat
que celui qui surgit avec M. Asquith.
Point de pronostics ! Les espoirs de la
veille se (résolvent en déceptions 1
Point de pessimisme : les modestes ou-
vriers d'hier sont les bons chefs de de-
main. M. Asquith est un chef et cela
est certain ;.il l'a déjà prouvé dans la
période d'intérim qu'il vient de remplir.
Il a l'énergie de l'âge mûr, la limpidité
d'esprit du dialecticien formé à l'uni-
versité, le sens pratique du debater
rompu aux affaires. Depuis plusieurs
jours on se plaît à opposer son intelli-
gence pénétrante d'Anglo-saxon à la
bonhomie avisée du vieil Ecossais qui
le précéda.
Si M. Asquith est un chef il ne fut
pas toujours un soldat discipliné —
mais les natures fortes s'accommodent-
elles en tout temps de discipline ? Au
moment de la guerre sud-africaine, M.
Asquith abandonna son parti pour ap-
prouver la politique unioniste et voilà
oui nous met loin de sir Henrv. Darti-
san convaincu du Congrès de La Haye.
Les journaux nous diront demain les
déclarations du nouveau gouvernement,
mais la liste des attributions ministé-
rielles n'est déjà pas sans signification.
Si assurément il nous est impossible
d'y démêler tout ce qu'elle peut dire
pour les citoyens du royaume de Gran-
de-Bretagne et d'Irlande elle n'est pas
pour nous sans indications visibles et
précieuses. ,
Tout d'abord le maintien de la politi-
que intérieure précédente, dirigée dans
un sens ouvertement démocratique est
marquée par l'avancement dont sont fa-
vorisés MM. Lloyd Georges et Winston
Churchill. En laissant M. Gladstone,
pourtant combattu, au ministère de
l'intérieur et M. John Burns à la direc-
tion de l'administration locale, le nou-
veau Premier se prononce pour la poli-
tique du bloc libéral radical-ouvrier.
Le maintien de M. Birrel au* ministère
d'Irlande est un signe d'assentiment à
la politique nationaliste d'Erin. tem-
pérée par un contrôle du Parlement de
Londres.
En enlevant les colonies à lord Elgin
M. Asquith a sans doute voulu confier
une charge si lourde à des énmiles
moins voûtées par l'âge ; en enlevant
la marine à lord T':\'eedmouth, M. As-
quith et le roi Edouard VII ont sans
doute cédé à une malicieuse pensée qui
sera méditée sous le ciel bleu de Cor-
fou. Lord Tweedmouth reçoit une com-
pensation.
Sir Edouard Grey conserve la direc-
tion des affaires étrangères ; la nouvelle
apprendra aux chancelleries de l'Euro-
pe qu'il y a toujours une majorité dans
le Parlement anglais pour une réforme
pratique en Macédoine, contre la poli-
tique iéopoldienne au Congo, pour une
entente cordiale avec la France.
Tous les partis de gauche en France
souhaitent donc un long avenir au mi
nistère Asquith. Il ne peut nous déplaire
de voir chez nos voisins un gouverne-
ment résolument démocratique et fer-
mement attaché à des traditions libéra-
les de politique extérieure.
Albert MILHAUD.
LA POLITIQUE
L'OPINION DE M. POINCARÉ
En réponse à une enquête
de la Revue, M. Poincaré
vient de faire connaître son
opinion sur « l'impuissance du
Parlement à remplir son rôle
1 législatif ».
L'éminent sénateur s'exprime dans les
termes suivants :
« Vous voulez bien, mon cher confrè-
« re, me demander mon opinion, sur la
« faillite parlementaire ».
« Faillite parlementaire, voilà un bien
« gros mot. Qui dit faillite, dit cessa-
« tion de paiements, dettes en souffran-
« ce, promesses trahies. Je vois bien des
« députés, ou même des sénateurs, qui
(C font banqueroute à leurs engage-
« ments. Mais qu'il faille attribuer au
« régime parlementaire la responsabilité
« de ces défaillances individuelles ou
« collectives, c'est ce qui n'est, à mes
« yeux, ni démontré ni possible à dé-
« montrer. Il y a, par la faute des nom.
« mes, par la force des mauvaises habi-
« tudes, par l'absence de méthode et de
« discipline moirale, une crise parlemen-
« taire, qui dure, à vrai dire, depuis
« longtemps et qui n'a peut-être pas en-
« core atteint son paroxysme. Mais de
« la maladresse aes mécaniciens, ne con-
« cluons pas trop vite à l'imperfection
« du mécanisme.
« Les causes de cette crise sont mul-
« tiples. Le pays ne les distingue pas
« encore toutes; mais dans tous les par-
« tis politiques, les observateurs atten-
« tifs commencent à les démêler.
« L'une des plus importantes tient au
« système électoral. Le moins qu'on
« puisse demander à des représentants,
« c'est de représenter fidèlement la na-
« tion qui leur délègue, pour un temps,
« sa souveraineté. A l'heure présente, la
« Chambre n'est pas seulement, grâce au
« scrutin uninominal, le miroir brisé
« dont parlait Gambetta. Elle est un je
« ne sais quoi, où se rehetent trop sou-
« vent les volontés tyranniques de quel-
« ques comités provinciaux, interposés
« entre le peuple et ses élus.JLe scrutin
« de liste ne suffirait pas à libérer les
« députés des servitudes locales. On a
« bien vu, à l'expérience, qu'il était, lui
« aussi, faussé par les intérêts particur-
« liers et par les marchandages électo-
« raux. »
M. Poincaré, que l'on connut moins
pessimiste, déplore « la permanence des
sessions parlementaires, la manie de lé-
gislation continue, la confusion des pou-
voirs, l'absence d'autorité gouvernemen-
tale », et il constate que « cette incohé-
rence et cette anarchie ne datent pas
d'hier », ce qui réconforte certainement
M. le président du conseil.
L'honorable sénateur de la Meuse
conclut en préconisant le scrutin de liste
avec représentation proportionnelle et il
exprime la uainte que la France « ne se
dégoûte un jour des libertés parlemen-
taires » et ne sente « se réveiller les ins-
tincts césariens ».
Ce tableau, malgré la maestria habi-
tuelle, de son auteur, est vraiment trop
poussé au noir.
Après les prédictions de réaction
adressées par M. Clemenceau à M. Jau-
rès, lôrs d'une récente interpellation, voi-
là certes des paroles qui ne contribueront
pas à réconforter la démocratie anxieuse
de réformes.
Que le régime parlementaire, tel qu'il
est actuellement pratiqué, présente des
imperfections et des abus; nul ne le con-
teste. Mais quel est donc le régime par-
fait?
En réalité, l'impuissance 'du Parle-
ment tient beaucoup plus à l'absence de
méthode et à la politique d'inaction
du gouvernement qu'au mode de scrutin.
Même avec le scrutin d'arrondissement
Gambetta, Jules Ferry, Waldeck-Rous-
seau et Combes ont accompli des-réfor-
mes considérables, et provoqué un mou-
vement démocratique et un élan d'en-
thousiasme dont le pays républicain a
conservé le souvenir.
Et même avec le scrutin de liste ef la
représentation proportionnelle, un Par-
lement découragé, déconcerté, avachi par
l'inaction ne saurait aboutir qu'à une
œuvre stérile et décevante.
Les majorités, quelles qu'elles soient,
ont besoin d'être stimulées et entraînées
par une politique d'action précise.
Sans qu'il y ait « matière à législa-
tion continue », il y a suffisamment de
grandes et de petites réformes inscrites
au programme du parti républicain, et
dont la démocratie attend l'exécution,
pour occuper l'activité d'un Parlement et
d'un homme d'Etat de la valeur de M.
Poincaré, pendant de longues années.
Seulement, au lieu de se lamenter, il
faudrait agir!
1 *
LES ON-BIT
NOTRE AGENDA
Aujourd'hui mardi :
Lever du soleil à 5 h. 14 ; coucher à
6 h. 48.
Ouverture du Salon de la Société natio-
nale.
Courses : Enghien.
Promotions rapides
Léon Say est mort sans être t.--coré ;
et pourtant il fut pendant vingt-quatre
heures grand-croix de la Légion d'hon-
neur, simplement
En effet, en 1879, M. Grévy annonça
à Léon Say que pour reconnaître d'une
façon éclatante les services éminents
qu'il avait rendus lors de la libération
du territoire le gouvernement avait dé-
cidé de lui conférer le grand cordon de la
Légion d'honneur. Le président Gravy
ajouta qu'il avait signe le matin nnme
cinq décrets lui conférant successive-
ment les cinq grades de la Légion d'hon-
neur. Il remit les cinq décrets à Léon
Say en le chargeant de les faire tenir
lui-même au Journal officiel.
Mais Léon Say était le plus simple des
hommes et le moins épris d'honneurs et
de distinctions honorifiques que l'on
puisse imaginer. Il remercia ; mit les
décrets dans son portefeuille et les y
laissa.
A sa mort on les retrouva tous les
cinq dans ses papiers. Ils étaient signés
Jules Grévy et contresignés par le pré-
sident du conseil Waddington.
Un tel exemple de modestie est rare
et peut-être unique. Mais cette promo-
tion ultra-rapide a un précédent histo-
rique.
En 1815, lorsque le général Lecourbe,
alors dans sa retraite de Ruffey (Jura),
reçut un commandement de l'empereur,
celui-ci s'aperçut que le vainqueur de
Souvaroff n'était même pas chevalier de
la Légion d'honneur.
Le 20 mars Napoléon le nommait che-
valier ; le 21, officier ; le 23, comman-
deur,, et le 25 grand-officier. Le 3 avril,
il le créait comte de l'Empire ; le 15, il
l'appelait au commandement en chef de
l'armée du Jura, et le 2 juin il lui confé-
rait la dignité de pair de France.
AUTREFOIS
Rappel du 15 avril 1872. - jw. Emile Au-
gier vient de se marier, en Italie, avec Mlle
Laure Lambert, du théâtre du Palais-Royal.
Les bâtiments désignés nour conduire les
déportés en Nouvelle Calédonie, vont par-
tir : la Guerrière et la Danaé parlent le 15,
la Dordogne vers le 20 ; le Finistère et
l'Orne entrent en armement.
At. Borrelly. de l'observatoire de Long-
champt, à Marseille, vient de découvrir la
petite planète n° 119.
Il est très sérieusement question de sup-
primer le bagne de Toulon. A l'avenir, les
condamnés attendront dans les maisons
centrales, le moment d'être dirigés vers le
port d'embarquement.
Le conseil municipal de Marseille avait
accordé une bourse mi lycée, au fils de Gas-
ton Crémieux (fusillé pour faits relatifs à
l'insurrection de Marseille). M. de Kératry,
préfet des Bouches-du-Bhône, a annulé la
délibération.
Sainte Russh-
L'empereur de Russie doit être satis-
fait, cette fois, de la façon dont se con-
duisent les députés qui composent sa
troisième Douma. Ils font preuve d'une
servilité de caniches.
On annonce, en effet, qu'une déclara-
tion signée par 37 de ces représentants
domestiqués a été remise au. président
de la Douma. Ces signataires deman-
dent que la semaine avant Pâques la
Douma soit fermée, afin que les dépu-
tés puissent faire leurs dévotions*
Légende marocaine
Allah se promenait un jour dans la
« Chaouia », comme le général d'Ama-
de. Ils devisaient gravement de la mar-
che du monde et des insupportables tra-
cas que leur causait la pauvre Huma-
nité.
Tout à coup, aux abords d'un douar,
ils aperçurent vautrée dans le sable, au
soleil, une femme en haillons.
Elle était jeune et robuste. Mais ses
traits reflètaient l'ennui le plus pro-
fond,. et elle bâillait à décrocher les
mâchoires de l'âne à Samson.
Allah — à qui rien n'est caché —
comprit immédiatement que le mal dont
souffrait cette femme était l'oisiveté.
Il tira donc de sa grande poche une
poignée de puces qu'il jeta sur la jmm-
vresse en lui disant : « Femme, l'oisi-
veté engendre tous les vices, voilà de
quoi t'occuper désormais M:
Depuis ce jour-là, les femmes maro-
caines sont remplies de puces, et elles
passent des journées entières en se di-
vertissant à les chercher.
L'essentiel est qu'elles ne les passent
pas au corps expéditionnaire.
Dans la rue
Lu sur un immeuble du boulevard
Péreire, à Paris :
A LOUER DE SUITE
Grands et petits appartements fraîche-
ment décorés, ornés de glaces, eau, gaz et
pianos à tous les étages.
Le concierge est accordeur.
E11 passant.
Chaque jour la science me déconcerte par
ses découvertes mirobolantes. Voici qu'une
revue scientifique et musicale me révèle des
phénomènes tels, que la nécessité s'impose
au ministre des beaub-arts, de fusionner le
Conservatoire de musique avec le Jardin
d'acclimatation.
En effet, il résulte d'études patiemment
poursuivies et d'observations irréfutables,
qu'un certain nombre d'aninzaux sont tout
simplement de grands musiciens méconnus.
Le cheval possède, entre tous, une voix
des plus musicales; dans son hennissement,
il descend une gamme chromatique sans
omettre un seul demi-ton. L'âne lui-même,
si étonnant que cela paraisse, a une voix
musicale: îl brait en faisant des octaves
parfaits, et le grand compositeur Haydn
l'a positivement copié dans son soixante-
seizième quatuor. L'aboiement du chien
n'est pas un son naturel, c'est une voix
qu'il a acquise durant des siècles de domes-
ticité, et on prétend qu'il n'en restera pas
là et qu'au moyen d'une petite opération
chirurgicale, le chien pourra bientôt par-
ler !
C'est en prévoyant sans doute ce miracle
prochain que les comédiens, nés malins,
se sont, à l'avance, affublés du petit sur-
nom de « cabots ». ,
Quoi qu'il en soit, le moment semble pro-
che où le projet du compositeur Auber
pourra se réaliser.
Il avait reçu, un beau jour, la visite d'un
affreux vêtit, bonhomme qui lui demandait
une audi.'ion.
Par compassion, Auber accède à la de-
mande et accueille le pauvre avorton. A sa
stupéfaction profonde, il entend une voix
admirable sortir de ce corps diftorme, el les
phrases les plus mélodieuses exquisenient
psalmodiées par celte hideur.
Surprenant son étonnemenl, le vilain pe-
tit ténor s'interrompt et lui dit :
— N'est-ce pas, M. Auber, que j'ai une
voix de théâtre et que vous me ferez débu-
ter ?
Et le compositeur de grommeler: « Qui,
oui, certainement, seulement il faudrait
créer un opéra de singes ! »
Le Chemineau.
"«O1
L'embarras de Pie X
Pie X est en ce moment l.ns ses petites
mules. Le vieux sectaire qui a refusé jus-
que-là toutes les perches qu'on lui a ten-
dues pour "auver sa religion et son Eglise,
est en effet très embarrassé.
Il se trouve dans ra nécessité de déclarer
à son clergé s'il entend accepter ou refu-
ser que les mutualités ecclésiastiques se
trouvent placées sous l'application des lois
françaises qui régissent ces sortes d'asso-
ciations.
Les uns lui conseillent d'accepter, les au-
tres de refuser. L'âne de Buridan n'était
pas plus perplexe.
Les mutualités ecclésiastiques sont des
socit.-s de secours mutuels fondées par des
groupements de prêtres, en vertu de la loi
de 1898 sur les sociétés de secours mutuels,
laquelle reconnaît deux sortes de sociétés :
les mutualités libres ou non approuvées, et
les mutualités approuvées.
Sur une quarantaine de mutualités ecclé-
siastiques qui exislent en France, la ma-
jorité ne sont pas approuvées.
La question de l'approbation ou de la non
approbation se pose au Vatican parce que,
d'après la loi de dévolution des biens ec-
clésiastiques qui vient d'être votée par les
Chambres, seules les mutualités approu-
vées .pourront recevoir les biens des an-
ciennes caisses de secours diocésaines sup-
primées, et seules aussi elles pourront re-
cevoir les fondations ae messes, sous con-
dition d'acquitter les charges de ces fonda-
tions, qui sont de faire célébrer les dites
mess-es.
Avec la mutualité approuvée, l'emploi des
onds sociaux doit avoir lieu aans des con-
ditions déterminées. Les titres de revenus
doivent être déposés à la Laisse des dépôts
et consignations s'ils sont au porteur, et la
société ne peut conserver dans ses caisses
privées que les titres nominatifs. Avec la
mutualité libre, l'argent peut être placé et
employé selon le bon plaisir de la société.
En cas de dissolution, la société approu-
vée est soumise à des formalités adminis-
tratives auxquelles échappe la société libre.
Voilà bien de quoi déjà rendre perplexe
le chef de la religion cathouque, mais ce
qui, à ses yeux, complique surtout la situa-
tion, c'est l'amendement Lemire modifié,
qui interdit, dans les statuts des mutualités
ecclésiastiques, toute clause relative à la
discipline ecclésiastique.
Cette clause fait naître chez le pape la
crainte de voir un jour les mutualités ap
prouvées servir de véhicule à un schisme.
et c'est la raison pour laquelle Pie X hésite,
se tâte le pouls et fait appel aux lumières
de ses fidèles les plus qualifiés pour lui don-
ner un conseil.
.Quelle sera sa décision ? Nous né sau-
rons le préjuger, mais il y a des chances
pour qu'il sacrifie le pain des « vieux
jours » des prêtres affiliés aux mutualités
existantes, auxquels fait mine ae s'intéres-
ser la presse bien pensante, à la crainte
un amoindrissement de son autorité, car
c'est encore l'influence des jésuites qui dic-
tera la réponse qu'il doit faire au doyen
rtieâ cardinaux français. — P-. G.
LES SALONS DE 1908
La Société itiiale les Boani-Arls
LA PEINTURE
Cette exposition est une des meilleu-
res que nous ayons vues depuis long-
temps. Variée, abondante, d'une haute
tenue d'art, elle réunit des œuvres re-
marquables, et si les médiocres y sont
encore trop facilement admis, on n'y
accepte plus guère ces sujets unecdo-
tiques qui déshonoraient la peinture
française. Elle est homogène, et elle
indique l'évolution de certaines tendan-
ces dans les arts plastiques qu'il 'est
nécessaire de dégager.
Il semble que l'on abandonne peu à
peu le réalisme strict, que l'on prunait
comme une sorte de dogme, pour reve-
nir au style, aux compositions imagina-
tives, à un idéalisme qui permet à L'ar-
tiste d'exprimer sa sensibilité, ses émo-
tions, en dehors de la reproduction
étroite de. la réalité. On rechercne des
équilibres décoratifs, on laisse aller sa
fantaisie, on écrit en quelque sorte des
poèmes colorés. C'est la dominante de
ce Salon, et l'on doit à cette conception
de l'art les œuvres les plus neuves et
les plus savoureuses.
Parcourons les salles, et notons au
passage les toiles qui attirent l'attention.
Voici la Famille, de M. Pierre Lher-
mitte, paysage d'une noble ordonnance,
où les paysans, malgré le dur labeur de
la terre, respirent une joîe forte et pai-
sible. Une jeune mère 'offre le sein à
son enfant dans un beau geste naturel,
tandis qu'auprès d'elle, l'aïeule, sans
doute, semble rêver à des jours loin-
tains. La scène est d'un sentiment juste,
ni fadeur, ni outrance mélodramatique,
d'une couleur vibrante et chaude. Le
Nain, les Sorcières, Mlle Lucienne Bré.
val dans le second acte de « Carmen »,
de M. Zuloaga, sont d'un art tout diffé-
rent, sombre, puissant, d'un caractère
rude, en quelque sorte tragique. Les
masques des sorcières sont d'une inten-
sité émouvante dans leur laideur cruel-
le et mystérieuse. Les larges touches,
l'harmonie des couleurs maintenue dans
une gamme riche et lourde, forment
le propre du talent de M. Zuloaga qui
représente une manière large, appuyée
et comme austère. Les portraits de M.
La Gandara, Mlle Dolley, Mlle C. L.
Mme Renée Nagelmakers, plaisent par
leur séduisante élégance. C'est le peintre
des étoffes légères drapées sur des for-
mes raffinées, des visages clairs où se
reflètent tous les plaisirs mondains, des
chairs heureuses.
M. Jacques Blanche présente égale-
ment des portraits, les Enfants de M.
Saxton Noble, sir Colêridge Kennaïd.
Bart, mais je leur préfère celui de Mlle
G. L., si lumineux, d'une rare distinc-
tion, et traduit avec un parfait senti-
ment de la psychologie des jeunes DHeb,
SALLE III ,
Ici rayonne la délicieuse fantaisie de
Willette,* fantaisie qui se teinte de ten-
dre mélancolie : La vie n'est peut-être
qu'un songe, se demande l'ami de Pier-
rot. Et c'est une composition, non pas
désenchantée, mais d'une philosophie
qui regrette un peu, sans aoute, les
belles journées. Pierrot dans sa mansar-
de est couché, tout blême, et l'amant de
la lune voit s'avancer, en rêve, aux sons
de la flûte dont joue un jeune chèvre-
pieds, ses désirs, ses joies, ses tour-
ments, la Fortune, la Gloire et l'Amour.
Il n'y a rien de plus joliment moderne.
Dans la même salle des paysages de
Henri Duhem, le Retour du berger,
grave nocturne, Quai au soleil ; des as-
pects de la Bretagne, yigoureux et pitto-
resque de Piet ; un éclatement rosé de
Smith, Prinlernps, des arbres courbés
sous la tempête, Vieux ormeaux bre-
tons.
SALLE IV ET IV bis
A l'entrée, Matin de vendanges en
Dauphiné, de M. Jules Flandrin, une
page sobre et lumineuse, traitée simple-
'ment par masses et par plans d'où sont
bannis tous les détails inutiles. Passons
vite devant la grande machine de M.
Courtois, destinée à la mairie de Neuilly
arrêtons-nous devant les Harrisson sa-
vamment nuancés, - Harmonie jaune,
Coucher de Soleil. Dans la salle IV bis,
c'est le plaisir discret des Aman-Jean,
un portrait de jeune femme parmi des
verdures chatoyantes,un enveloppement
de la chair dans des lumières douces,
comme pailletées. Il faut aimer Aman-
Jean pour son goût d'une infinie délica-
tesse, couleur savante et fine qui sug-
gère plutôt qu'elle n'affirme, son sens
des harmonies et des équilibres décora-
tifs. Dans la même salle, un Intérteur
de M. Abel Faivre, une Cérémonie re-
ligieuse à Assise de M. Lucien Simon, la
Toilette et le Bain de M Gumery, Une
Plaine, de M. Lechat.
SALLE V
C'est le triomphe de M. Roll et 'de
M. Lévy-Dhurmer. Jamais M. Roll n'a-
vait été aussi bien inspiré que dans sa
vaste composition Vers la Nature pour
l'Humanité. Dans une lumière irréelle
qu'on a vue pourtant en rêve, des hom-
mes s'avancent, travailleurs, poètes et
savants, vers des clartés édéniques où
tout ne serait que joie et beauté. C'est
par la pénétration de la nature, dé ses
secrets, de son éternelle bonté, la libé-
ration de toutes nos chaînes matérielles
et morales, po.ur un communisme fra-
ternel. De M. noll aussi deux paysages
radieux, Journée d'été (numéros 4 et 5)
où dans un bain d'or s'élancent des for,
mes admirables de femmes nues. Quanl
aux Fondeurs, de M. Lévy-Dhurmer,
nous devons longuement les regarder.
Il y a là une des plus somptueuses pa-
ges lyriques qu'il nous fut donné de
voir. Devant cette scène forte et étince-
lante, je pense aux plus impeccables,
poèmes de Leconte de l'Isle et de José-
Maria de HeredIa. Dans des vapeurs mé-
tatliques allant des chromes vifs, aux
orangés puissants, des verts acides aux
pourpres et aux ors, des hommes domp..
lent les métaux en fusion, et de la ma-
tière informe tirent une Victoire écla-
tante que dresse un adolescent enthou-
siaste.
De M. Abel Truchet, Une liseuse cri-
blée de soleil, la place Clichy, où le
mouvement d'une rue de Paris est si
adroitement saisi et traduit dans une
belle pâte, deux natures mortes, les
Oranges et les Pommes, d'une maltière
grasse, onctueuse ; de M. Iwill, Venise
à l'aurore, la Ville des Papes, Canal de
la mer du Nora, toute une gamme df
teintes délicates.
SALLE VI
Quel adorable, et rare et frais déco-
rateur que M. Maurice -Denis. Je n'ai
pas toujours aimé les compositions de
cet artiste si personnel, mais on ne peut
.qu'admirer son Eternel Printemps.Dans
une tonalité claire, aux dominantes de
bleu et de blanc, c'est une théorie de
formes simplifiées aux attitudes d'uuft
grâce et d'un enarme infinis.
Les envois de M. J.-F. RalIaëlli ror.
ment comme une synthèse et sa m
trise qui s'empare avec une égale au-i
torité de tous les aspects du mond
Personne comme lui, n'a compris les
marques distinctives des individus, per..
sonne comme lui ne res a réduites à l'es-
sentiel pour donner des images fjÊt
resteront ainsi que des types définitifs
des contemporains. Regardez son Ap.
prentie, fillette rêveuse, encore gauche,
qui s'en va par les quais, en lambinant,
à la recherche d'une aventure. Ce n'est
ni fardé, ni grossi, c'est la réalité avec
du style ; regardez aussi le Boucher et
son chien, ces épaules affaissées de
l'homme qui a travaillé toute sa vie (Ju-
rant, cette face qui ne reflète aucune
pensée, lucide par habitude. Dans un
Bouquet de fleurs, c'est l'habileté dit
peintre qui éclate, sa science de la cou<
leur, et dans la Place de la Madeleine,
sa vision prompte à suivre dans une.
foule qui marche, la caractéristique de
chaque personne. La Banlieue de Puris
a la tristesse des approches d'une gran-
de ville, avec ses terrains dénudés, ses
masures, ses individus aux métiers va*
gues qui sont là, comme des rôdeurs.
J'aime la peinture de René Ménard
pour ce qu'elle a de fort, de 'profond, et
d'élevé. Je disais que M. Lévy-Dhurner
me faisait penser à José-Mària de Here-
dia, les passages de M. René Ménard
m'évoquent les sommets philosophiques
de M. Sully-Prudhomme. Ils sont paisi-,
blés, .grandioses, et il semble qu'il s'y
cache une secrète et noble pensée;
Voyez longuement Poestum, et vous au*
rez de ses temples, de sa campagne aus..
tère où paissent des troupeaux comme
une émotion religieuse. Il en est de mê-
me pour la Voie Apptenne (soleil cou-
chant et jour d'automne) et quant au
Cervin et au Mont-Rose, c'est la nature
fixée dans ce qu'elle a de grand, d'inac-
cessible et de fier.
Il convient encore, dans ces salles, de
s'arrêter aux portraits de M. Lebasque,.
au Pont de la Tournelle, de M. Gillot,
au Portrait de Bracquement, de Gaston
La Touche, aux études de Louis Legran"
et de M. Hopkins.
SALLE VII et SUIVANTES
M. Dinet se consacre à la terre d'Arri.
que dont il évoque les femmes avec
leur animalité souple, des chairs brQ.
lées par le soleil, des formes nerveuses,
tressaillantes de vie. M. Bellemy-Des-
fontaines donne un portrait de M.,
Enesco dans un ton discret et rare
compose des allégories, Sérénité, la
Fin du jour, avec un sentiment tendre
et élégiaque.
J'ai hâte d'arriver à la Guinguette, dé? •
M. Jean Veber, un panneau décoratif
destiné à l'Hôtel de Ville. Je ne connais
rien de plus farc que cette composition
où semblent s'être donné rendez-vous
tous les types connus de notre bon Pa-
ris. Figurez-vous un coin de banlieue,
un dimanche de soleil, avec ses ton-
nelles, ses pelouses ravagées, ses masu-
res où sautent les gibelottes et où se
fabrique le clairet d'Argenteuil, et là-
dedans toute une foule en liesse. M.,
Jean Veber déforme les silhoûëttes jus
te assez pour en accentuer le caractère
comique, mais pas trop, de façon à gar-
der l'essentiel des types qu'il veut re-
présenter. La Guinguette, de M. Jean
Veber rappelle Breughefetle Rubens de
la kermesse, mais aveê un accent tx
trêmement personnel, d'un modernisme
aigu. Il faudrait pouvoir énumérer lous
les détails d'une invention si spiritueilô
et souvent d'une si exacte oBservation,.
les bicyclistes, la balançoire, les
loueurs au bouchon, l'impayable boa*
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