Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1908-03-15
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 15 mars 1908 15 mars 1908
Description : 1908/03/15 (N13883). 1908/03/15 (N13883).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7571135d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
N° 13833. - 84 VentaeeAn 118 ,',--,_. "-'--'-'-'-'-'CINQ CENTIMES LE "NCMtiuO Dimanche lBïfars 1906.-W13883
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TRIBUNE LIBRE
SOUS LE JOUG
La sollicitude de la presse
progressiste à l'égard des
radicaux est infinie.
Elle se manifeste toujours,
partout, sous les formes les
plus imprévues et les plus
variées. Tantôt grave et un peu sombre,
solennellement elle raisonne et triSte-
ment objurgue. Parfois, au contraire,
uriante, presque badine, elle prodigue
ses coquetteries, laisse espérer davan-
tage et mieux. Mais il est des moments
où sa passion pour nous devient si ar-
dente qu'un frisson divin la saisit, qu'un
génie sacré l'inspire et qu'elle révèle à
nos esprits consternés ce qui leur de-
meurait obscur d'un prochain avenir.
Le parti radical paraisait vigoureux
et résistant. Or, un sort lamentable et
humiliant le guette. Nos prophètes nous
l'ont annoncé. Il est mûr pour la servi-
tude et déjà l'on invoque devant nous
ce spectacle pittoresque mais honteux :
3aurès, bouvier trapu et magnifique, de
son aiguillon enveloppant et rude, fait
rentrer sous le joug les radicaux1 déjà
las d'une expérience de deux années de
liberté.
Pauvre parti radical ! Il avait, il y a
deux ans,remporté une victoire dont l'é-
clat faisait pâlir toutes celtes qu'il
'avait auparavant gagnées. L'immense
majorité du pays avait acclamé son
programme d'action démocratique gé-
néreuse et méthodique. Elle lui deman-
dait de le réaliser dans la paix par la
loi. Mais un fait particulièrement sai-
sissant s'était produit en !906 : nous
avions vu venir à nos idées, plutôt qu'à
nous-mêmes, en masses compactes et
résolues, les jeunes générations qui ont
iau cœur le même enthousiasme que leurs
aînés, mais dont l'école laïque a ouvert
et affranchi l'intelligence, discipliné et
fortifié la volonté.
Cette jeunesse saine, alerte et réflé-
chie se préoccupait assez peu de la di-
versité des groupes ou des partis. Peu
lui importaient les cocardes bigarrées,
les étiquettes compliquées dont se pa-
raient les candidats. Elle allait d'ins-
tinct à. ceux qu'elle jugeait capables de
triompher des résistances les plus vio-
lentes comme des inerties les plus sour-
noises pour assurer les progrès les plus
décisifs. Ce qu'elle demandait au parti
victorieux ce n'était point de réaliser
instantanément les multiples détails
d'un programme systématique, de faire
descendre dans la réalité toutes les par-
ties de quelque vaste et prétentieuse
conception dogmatique. Non. La démo-
cratie a manifesté clairement, en IQftfi.
sa volonté de ne pas se repaître de for-
mules prestigieuses et sonores et d'ob-
tenir, au contraire, par un labeur inces-
sant et positif, des améliorations conti-
nues dans les conditions de la vie écono-
mique, intellectuelle et sociale. Les ré-
sultats acquis pendant la précédente lé-
gislature avaient inspiré au suffrage
universel une pleine confiance dans les
hommes qui avaient su les obtenir grâce
à une méthode de loyales collaborations.
Pendant près de deux ans, les répu-
blicains, comme fatigués de leurs pro-
pres succès, ont paru prendre plaisir à
exagérer les différends, à aggraver les
malentendus. Les polémiques les plus
absurdes se sont engagées. Les socialis-
tes ont paru scandalisés de constater
que les radicaux ne votaient pas tou-
jours comme eux et les radicaux ont
éprouvé une légitime colère en voyant
nvec quelle désinvolture et quel dédain
on les englobait avec les progressistes
et les réactionnaires dans la réprobation
dont sont l'objet, au même titre, tous les
« partis bourgeois ».
L'effet de ces querelles injustes et de
ces discussions byzantines on le con-
naît : les éléments anarchistes se sont
installés impérieux et déshonorants au
sein du parti socialiste. Les progressis-
tes ont tourné leurs bras vers les radi-
caux et leur ont laissé entendre qu'ils
pourraient trouver parmi Les modérés
quelques-uns des suffrages dont les pri-
verait l'excommunication socialiste. Les
extravagants du syndicalisme, les théo-
ries monstrueuses du sabotage et de
1 antipatriotisme ne justifiaient-elles pas
cette nouvelle concentration ?
Tandis que ces tentatives se produi-
saient et que ces rapprochements s'es-
quissaient, le temps s'écoulait. Les so-
cialistes se consacraient tout entiers à
un rôle d'opposition et par le libre cours
de leur verve indignée retapaient leur
réputation d'intransigeance et de pureté
endommagées pai* quelques années de
collaboration utile avec les partis bour-
geois. Les progressistes, à la faveur de
la panique provoquée par certaines ex-
centricités, apportaient à la majorité
républicaine le concours de leur timi-
dité. C'était peu pour mener à bien
l'œuvre promise.
Aussi, n'est-elle pas très avancée. Le
pays commence -à s'en émouvoir et la
Chambre à s'en effrayer. L'inquiétude
et l'énervement que l'on dénonce comme
l'effet d'intrigues obscures, de manœu-
vres et de complots ne sont que l'écho
lointain et très adouci du trouble pro-
fond qui lentement gagne le cœur du
pays républicain. L'explication lui pa-
raîtrait insuffisante et l'excuse médiocre
si les divers partis ne trouvaient à lui
apporter en fin de législature que des
accusations réciproques de surenchère
ou de timidité. Il ne servira pas plus aux
radicaux de dénoncer l'intransigeance
des socialistes qu'aux socialistes de
stigmatiser la modération des radicaux.
Toutes ces récriminations seraient
vaines. La déception éprouvée n'attein-
drait pas tel ou tel groupe, elle enlève-
rait à la démocratie toute confiance
dans l'efficacité d'une action pacifique
et légale sous un régime de libre dis-
cussion. Radicaux et socialistes s"en
aperçoivent, aussi paraissent-ils dispo-
sés à se mettre sous le même joug pour
tirer fort et creuser profond.
T. STEEG
Député de Paris.
<———————————— ————————————.
LA POLITIQUE
'L'EQUIVOQUE
Avec beaucoup de crânerîe
et de vigueur, M. Berteaux a
interpellé hier le -gouverne-
ment et fa mis au pied du
mur, en demandant à M. Cle-
menceau si le vote de la
Chambre, en laveur de la réintégration
des fonctionnaires lévogués serait res-
pecte et obéi.
M. Clemenceau a répondu en promet-
tant une amnistie restreinte et en priant
la Chambre de se désavouer.
La majorité n'a pas eu la fSTïieté de
résister à cette mise en demeure brutale.
Mais la séance cî hier ne fait que confir-
mer la leçon d'incohérence qui ressort de
celle de mardi.
Après le président du conseil, le mr-
nistre des travaux publics et des postes
est monté à la tribune.
Ainsi que nous l'avions pressenti et
annoncé avant-hier, M. Barthou n'a pas
accepté et ne pouvait pas accepter la
proposition adoptée à son insu et en
son absence, par la Chambre, relative-
ment âla réintégration des fonctionnai-
res.
L'honorable ministre des travaux pu-
blics est lié par un engagement tellement
catégorique, solennellement pris à la
tribune, qu'il lui est évidemment impos-
sible d'accepter aujourd'hui ce qu'il a
repoussé il y a quelques mois en posant
la question de confiance.
Le gouvernement, en ne supposant pas
à la motion de MM. Constant et Ber-
teaux, a donc laissé se créer cette même
équivoque que M. Barthou dénonçait
avec une louable vigueur.
C'est dans ces conditions singulières
que la proposition votée par la Chambre
va venir devant le Sénat. à moins que
M. Clemenceau ne pousse la désinvol-
ture jusqu'à ne fenir aucun compte du
vote 3e mardi.
Or, une note, d'allure officieuse, nous
informe « que legouveTnement combat-
tra énergiquement devant le Sénat la
proposition votée par la Chambre et
s'opposera à son adoption, allant même
si cela est nécessaire jusqu'à engager sa
responsabilité »'. -
Il est étrange, en vérité, que le gouver-
nement songe à repousser devant le Sé-
nat seulement une proposition qu'il a dé-
libérément laissé voter par la Chambre.
Ce système, qui tend visiblement à
laisser ou à faire mettre en échec au
Luxembourg les projets de loi ou les
motions votés au Palais-Bourbon, appa-
raît aux yeux de certains comme le com-
ble de l'habileté. Aux nôtres, ce n'est
que le triomphe de l'équivoque.
LES ON-DIT
NOTRE AGENDA
14 mars 1475. — Les Espagnols sont
chassés de Perpignan.
Aujourd'hui samedi :
Lever du soleil à 6 h. 18, coucher à 6 h. 2
Matinées-conférences : théâtre Sarah-
Bernhardt, Gymnase et CIunv.
Premières : théâtre Réjane : Qui per(J
gagne. — Olympia : La Revue Joyeuse.
Courses à Maisons-Laffitte.
Les « Chimères »
Dans notre numéro du 10 mars der-
nier, nous avons publié une note sur la
revue littéraire Les Chimères, et nous
l'avons qualifiée de revue « décadente ».
Très courtoisement, son rédacteur en
chef, M. Adrien Bertrand, nous prie de
constater que cette jeune revue est « lit-
téraire, éclectique, et non pas symbo-
liste ».
Il nous fait observer que s'il a donné
cet aspect éclectique aux Chimères,
c'est qu'il y a de « la beauté dans toutes
les écoles littéraires, chez Racine com-
me chez Hugo, comme chez NIallarmé.»
D'accord, cher confrère.
Il ne nous reste qu'à souhaiter très
sincèrement aux Chimères de nous ré-
véler un Hugo, un Racine ou un Mallar-
mé.
L'origine de la mode
Ce fut rinitiative royale qui, à partir
de Charles V, régla la mode. Les fem-
mes portaient alors une tunique descen-
dant jusqu'aux talons, serrée par une
ceinture et fermée au poignet.
Louis XI et François Ier, pour favori-
ser l'essor de la mode, permirent à des
ouvriers italiens de ne pas PAYOP .,.
tains impôts. Ces ouvriers s'établirent à
Lyon, et ce fut là le commencement de
l'industrie lyonnaise de la soie.
Sous Charles IX, les étoffes em-
ployées pour les robes furent d'une ri-
chesse inouïe ; on les rehaussa de per-
les, de pierreries et de fourrures.
Louis XIV imposa l'étiquette de sa cour
aux femmes. Les étoffes étaient classées
par saisons ; les dentelles elles-mêmes
variaient suivant les époques. Les four-
rures ne pouvaient pas paraître avant 1
le jour de la Toussaint. On les quittait
à Pâques, quelque temps qu'il fît.
Est-il utile de parler des merveilles
de goût qui ont été réalisées par les cou-
turières, au XVIIIe siècle ? Peu de gens
savent qu'il était strictement défendu
aux couturières de vendre des étoffes
il fallait s'adresser, pour les étoffes, aux
marchands qui payaient patente.
Combien fut lourd le costume fémi
nin sous l'Empire et sous la Restaura-
tion 1
D'où viennent les robes longues
D'un fait bizarre qui ne date que d(
1840. La reine Victoria se blessa le pic
en descendant de voiture. Le lende
main, elle reçut avec le pied étendu sur
un fauteuil et caché par la jupe. Il n'er
fallut pas plus pour que les dames de 1?
cour en fissent autant. La robe longue
était née.
'AUTREFOIS
Rappel du 15 mars 1872. — On distribue
aux d'éputés le rapport de M. Robert de
Massy sur le projet de restitution des biens
de la famille d'Orléans.
Les princes d'Orléans sont réintégrés
dans leurs grades militaires.
MAI. Paul Morin, Naquet et Scheurer-
Kestner proposent de créer une monnaie en
aluminium.
La dette consolidée de la Ville de Paris
s'élève à 1.443.822.315 francs, motivant une
annuité de 80 millions et demi.
La commission chargée d'étudner l'éta-
blissement d'un chemin de fer sous Paris,
a 47 projets à examiner ; elle en a retenu 7
Où II pleut le plus
Nous gémissons de plus en plus par-
ce que chaque jour vient nous appor-
ter son contingent d'orage ou de pluie.
Ii y a cependant, sur la surface du glo-
be, des endroits où il pleut davantage.
Le pays où il pleut le plus est. le ter-
ritoire de Cberrapunji, dans la provin-
ce d'Assam (Inde anglaise). Alors qu'à
Paris, la moyenne d'eau tombée ices
derniers temps arrivera, au bout de
l'année, au chiffre de 378 millimètres
d'eau, la hauteur moyenne de la pluie
tombée à Cherrapunji est de 11 mètres
223 paoe année.
Dans le Cameroun, massif monta-
gneux de la Guinée, en face de l'île
Fernando-Po se trouve la vie de De-
bundsohat ; elle peut presque disputer
à la région ci-dessus, le record de l'hu-
midité ; la quantité d'eau qui tombe
pendant l'été, saison des pluies, arri-
ve à 10 mètres 454.
Mais ce sont là des moyennes éta-
blies chaque année. Ces moyennes sup-
posent des maxima assez élevés. En ef-
fet, en 1851, à Cherrapunji, il est tom-
bé 14 mètres 785 d'eau et, en 1902, il en
est tombé 14 mètres 133. Matis dans une
seule journée; dans ce même pays, on
a pu compter 456 millimètres, autre-
ment dit, un demi-mètre.
Et nous nous plaignons quand, à Pa-
ris, il tombe le tiers d'un mètre pendant
une année !
Les cris de Paris
Ils disparaissent peu à ipeu. ces cris
de Paris.
Ils dataient du moyen âge et ils
avaient conservé à travers les siècles
la mélancolie de leurs mélopées.
Il y avait alors peu de boutiques et
les maj-chainés allaient offrir de porte
en porte leurs marchandises.
Dès le point du jour, un valet de l e-
tuviste annonçait l'ouverture des bains ;
Allez tost, les bains sont prêtz.
Venait ensuite la laitière avec un ba-
quet plein de beurre :
Beurre de Vanve en petites mottes,
Beurre de Vanve, c'est du meilleur
Qui onc entra dedans Paris.
Achetez-le, dames d'honneur,
Et, le salez pour vos maris.
Le charbonnier clamait :
Charbon le sac por un dénier
Et la fruitière :
A mes beaux poireaux
Qui se cuyssent en eaux 1
C'est un bon potage
Avec du laictage.
Et puis, c'est le marchand. 3e tban-
delles : .:
Chandelle ae coton, chandoile
Qui plus art clerc que nule estoile.
Des crieurs faisaient goûter aux pas-
sants le vin dont ils vantaient les mé-
rites -2
L'on crie vin nouveau et vieulx.
Duquel on donne à tatter.
HÚla ! disparus, le marchand de
« poussier de mottes -» et le marchand
de « cerneaux ■», et tant d'autres qui
égavèrent notre enfance, ainsi que le
marchand de robinets qui s'annonçait
aux ménagères sur l'air vieillot du j
Roi Dagobert ?
Mener par le bout du nez C',":'
Cette expression vient des Grecs, qui
l'ont tirée des buffles conduits au
moyen d'un anneau passé dans 'eurs
narines.
Le sens figuré nous a été fourni par
l'Angleterre. -
Au moment où il régnait au-delà de
la Manche, Charles Ier était d'une fai-
Miaao oxfcraordinaire.-
Il ne s'occupait que Ue plaisirs 'e!
abandonnait les affaires de l'Etat au duc
d'York, ce qui faisait dire à M. Rille-
grew, son fou, qu'il devait avoir mal
au nez.
— Pourquoi cela ? lui demanda un
jour le roi.
- Sire, parce qu'il y a longtemps
Tue Votre Majesté se laisse mener par
là..,
Le petit jeu des définitions
Imbécile. — Personne qui ne partage
pas nos opinions.
Poète. — Homme dont tout le mon-
de connaît le talent. par ouï dire.
Mer. — Grande masse d'eau dont le
mouvement de va et vient, appelé ma-
rée, sert à faire tourner des petits che-
vaux de plomb.
Commission parlementaire. - Le
tombeau des promesses aux électeurs.
Pot de vin. — La clé des consciences.
TM!——W—— !■ !■ ■ Il ■ I1 U ■■ ■ III»
Ey passan 1.
— Adolphe, cria impérieusement M, le
président du Conseil.
— Voilà, monsieur, voilà.
- Dépêchez-vous donc, N. 3. D.,
quand je vous sonne. Il fait beau, je veux
me ballader. Allez me chercher un taxi-
auto. Et au trot, n'est-ce pas !
Cinq minutes après, Maujan revenait
tout essoufflé, et tendait à M. le président
un numéro de fiacre automobile.
— C'est bon : ma canne, mon pardessus,
et tilons. Montez à côté du chauffeur, je
vous emmène. J'ai envie de voir les fous
de votre circonscription. Allons, hop I à
Charenton.
Lorsque M. le président du Conseil, sui-
vi de son fidèle Roustan-Maujan, se présen-
ta à la direction de la maison de Charen-
ton, il y eut naturellement un grand émoi
dans tout le personnel.
M. le directeur, M. l'économe, MAI. les
chefs de service, précipitamment réunis
s'empressèrent, faisant des ronds de jam-
be, saluant jusqu'à terre.
— « Merci, messieurs ; merci, charmé de
vous rencontrer, dit d'un ton bref, M. le
président du Conseil.
« Mais ce n'est pas vous que je viens
voir ; c'est les fous. Montrez-moi des Jous.»
La visite commença aussitôt-
Les variétés de fous sont infimes. On les
passa toutes en revue.
M. le président du Conseil fil l'admiration
de tout le monde par sa culture scientifi-
que, ses diagnostics impeccables, ses dé-
ductions savantes, ses boutades pleines
d'esprit.
Roustan-Maujan ne quittait pas ses ta-
lons ; il faisait un succès à tous les mots
du président, tantôt hochant la tête d'un
air entendu, tantôt s'esclaffant de rire. Tel
« Gugusse » au cirque, en présence de M.
Loyal.
Finalement, le cortège pénétra dans un
grand préau, où des fous inoffensifs déam-
bulaient au hasard de leurs chimères.
L'un d'eux vint droit aux visiteurs.
— « Nous l'appelons le « neveu à héri-
tage », murmura le directeur. »
Le fou contempla longuement les person-
nages otticiels, et soudain — avant flue les
gardiens aient pu intervenir — il sauta
d'un bond au cou d'Adolphe et se mit à
l'embrasser à pleines lèvres : (4 Tiens,
c'est mon petit oncle Tonton I. v'là Ton-
ton! brasse-moi donc, criait le pauvre
aliéné, en redoublant d'embrassades J. »
On eut toutes les peines du monde à met-
tre fin à ces touchantes effusions-
Rottstan-Mauian se remettait à peine de
sa stupeur, lorsqu'à pas lents et solen-.
nels un autre fou vint se planter devant
le groupe des visiteurs.
— « Nous l'appelons l'astrologue. dit le
directeur ». -
« L'astrologue tira un journal de sa po-
che, le roula en lorme de télescope et gra-
vement se mit à lorgner l'assistance.
« Puis il se prosterna maiestueusement
devant M .le président du Conseil : « Sa-
lut, dit-il, monseigneur le Soleil ».
Et se tournant avec un air dédaigneux
vers Maujan : Il Et toi, bonjour. la Lu-
ne. »
Fou rire, si j'ose m'exprimer ainsi.
En sortant, M. le président du Conseil,
mis en gaîté, badinait comme une petite
folle !
- Eh bien ! Adolphe, encore une bonne
journée, mon vieux ; je me suis bien amu-
sé. Et vous ?
- Oh ! moi aussi. Seulement !
- Seulement, Quoi ?
- Eh bien. Je ne comprends pas en-
core pourquoi cet idiot-là m'a pris pour la
lune.
— Fallait lui demander, répondit judi-
cieusement le président, et puis. vous au-
riez tort de vous plaindre : « Il vaut encore
mieux être pris pour la lune. que pour
celui, "ui fait des trous dedans !. „
Le Chemineau.
LEVEE DE GOUPILLONS
II s'est tenu, durant quelques jours, à
Lyon, un congrès diocésain qui vient de
clore ses travaux.
La ville qui semble ramper, dans l'humi-
lité de sa foi archaïque au pied de la colli-
ne de Fourvière que couronne la fameuse
basilique plantée là comme un défi porté à
la science et à la raison ; la ville qui s'il-
lumine tout entière, certain soir de novem-
bre consacré par les catholiques à la Pré-
sentation de la Vierge, pour attester l'ar-
deur de ses croyances ; la ville où ponti-
fie le primat des Gaules, ce fougueux car-
dinal Coullié, dont il a été si souvent parlé
au temps où la République et l'Eglise al-
laient encore ensemble à Lesbos ; la ville
des riches soyeux qui alimentent largement
le denier de Saint-Pierre était tout indi-
quée pour la tenue d'un congrès catholique,
apostolique et romain.
Ce que la République a dû, en ces assi-
ses du clergé lyonnais, être vilipendée,
griffée, mordue, torturée, nul ne l'a su,
mais on se doute bien que cardinaux, ar-
chevêques, évêques, chanoines, moines plus
ou moins déchaussés et simples curés de
village n'ont guère eu de ménagements
pour la « Gueuse ».
Il paraît que ces réunions nombreuses de
soutanes de toutes couleurs avaient pour
but de mettre sur pied — sur le pied de
guerre, bien entendu — l'organisation des
catholiques, et c'est à l'évêque Dadolle, de
Dijon "u'cst échue, in fine, la tàche de ré-
sumer les travaux élaborés par le congrès.
Cet épiscope éminentissime a « félicité
tous les catholiques qui ont senti que la
lutte allait être particulièrement chaude et
qui ont considéré que si l'école devait être
libre, il fallait la soutenir, -et neutre, h
surveiller.
« Ils ont compris, a-t-il dit, que la pro
pagande devait s'exercer par la paroie, CÛJ
de plus en plus les chaires sacrées ont bo:
soin d'être suppléées ou complétées par It
tribune ou l'estrade du conférencier, pui £
sur le terrain de la presse, cette institution
des temps nouveaux, qui opère avec tant de
puissance les ruines ou les résurrectione; >
l'unité de combat existera.
« Le comité paroissial aura en outre et
enfin l'avantage de mettre en œuvre l'acti-
vité et la personnalité catholiques tout en-
tières.
« Le comité paroissial vous incorporera
dans un apostolat ; vous dépenserez tous
vos efforts pour votre diocèse. Mais ne l'ou-
bliez pas, à quoi sert à l'homme de con-
quérir l'univers s'il vient à perdre son
âme ?
Il Il y a une vérité qu'il Importe que vous
fassiez vôtre : le soleil de votre existence
personnelle doit devenir le soleil de kt vio
elle-même.
« Et c'est bien là le but du congrès. Il
s agissait de rappeler aux catholiques leur
devoir, de préciser pour eux le moyen d'ê-
tre. »
Ces paroles précisent, en effet: la lutte
qu entend engager le clergé au moyen de la
chaire, de la tribune, de l'estrade du con-
férencier, de la presse, sans parler des
mille autres moyens dont disposent les
gens d'église pour s'infiltrer au sein des
familles.
Cette levée de verges cléricales n'est
point faite pour nous déplaire. Nous allons
donc enfin nous trouver face à face dans
les réunions publiques avec les éternels en-
nemis de l'esprit laïque. Le spectacle sera
amusant et j'imagine que les rieurs ne se-
ront nas souvent du côté des norteurs de
goupillons.
P. C.
LA JOURNÉE PARLEMENTAIRE
M. Brtanl interpelle 1 Gnvrnemnl
lA Réintégration des fonctionnaires. — M. Clemenceau de.
mande à la Chambre de revenir sur son vote de mardi
- Une défaillance parlementaire. — Violents
incidents. — Le Sénat et les œuvres
laïques en Orient.
Comme il arrive quelquefois, la séance
de la Chambre, ouverte, sous la présidence
<4e M. Henri Brisson, officiellement à deux
heures et quart, a commencé, en réalité, à
près de cinq heures. Nous voulons dire
qu'à Ce moment seulement, après avoir li-
quidé par l'ordre du jour pur et simple une
interpellation d'ordre militaire de M. Rai-
barti, on a abordé la grosse discussion po-
litique que tout le monde attendait.
C'est notm ami 'Berteaux qui a soulevé
cet important débat en déposant une in-
terpellation au gouvernement » sur la suite
qu il comptait donner au vote de la Cham-
bre concernant la réintégration des fonc-
tionnaires révoqués ». En d'autres termes,
il s'agissait de savoir si la Chambre exige-
rait du gouvernement le respect de la vo-
lonté qu'elle avait exprimée mardi à une
très grosse majorité, ou si l'arbitraire du
ministère serait désormais seul souverain.
Le président du conseil s'est mis d'assez
mauvaise grâce à la disposition de la
Chambre.
AI. Clemenceau. — Je ne sais s'il est correct
de demander compte au gouvernement des
opinions qu'il doit développer devant le Sénat
(Bruit à gadct.) ; néanmoins, je suis aux or-
dres de la Chambre.
Le gouvernement croit rrue cette discussion
pourrait être jointe au nrojet d'amnistie res-
treinte qui sera prochainemen déposé sur le
bureau de la Chambre.
On a discuté l'autre jour la question de réin-
tégrer des fonctionnaires à propos de la réin-
tégration d'un officier. On peut bien discuter
de nouveau cette question à propos d'une am-
nistie à d'autres citoyens.
Nous dirons alors jusqu'où nous admettons
la réintégration des fonctionnaires et où nous
l'arrêtons.
M. Berteaux renouvelle, en termes éner-
giques, sa demande de discussion immé-
diate.
M. Berteaux. — Je demande & la Chambre
la discussion immédiate.
Au lendemain de la séance de mardi, dans
laquelle la Chambre avait décidé une large
mesure de bienveillance, des notes ont paru
dans tes journaux.
1W. Clemenceau. — Le gouvernement y est
étranger.
M. Berteaux. — Ces notes indiquaient que le
gouvernement se refuserait à une réintégration
générale et poserait à ce sujet la question de
confiance devant le Sénat.
La Chambre comprendra que sa dignité est
engagée ; êlle s'est prononcée sur .Je fond de la
question. Est-H vrai que le gouvernement veut
faire obstacle à sa volonté ? (Applaudissements
à gauche et à J'extrême-gauche.)
DISCOURS DE M. CLEMENCEAU
Le président du conseil répond en abor-
dant le fond du débat :
A/. Clemenceau. — Je jugeais incompatible
avec notre dignité de refuser la discussion. Il
eût mieux valu que cette discussion se produi-
sit avec ampleur. Mais je répondrai nettement
à la question qui m'est .posée.
J'ai dit que je demanderais aue cette question
lût jointe au projet d'amnistie que nous dé-
poserons. Comment entendons-nous cette am-
nistie ? Quelles résolutions prendrons-nous en
ce qui concerne la réintégration des fonction-
naires ?
M. Simyan a parlé à la tribune. J'assume
la responsabilité de ses paroles. Je donnerai
satisfaction à M. Berteaux en me prononçant
nettement contre sa thèse.
On ne peut toutefois engager 4e r!l>.Dat sur des
notes de presse : vous savez commeai elles
sont rédigées. (Bruit.)
Nous avons pensé, que le moment était venu
.e faire la pleine amnistie pour les troubles du
Midi, et qu'il convenait de faire rentrer dans
cette amnistie un certain nombre de délits po-
litiques, (Interruptions.)
Vous voterez contre le gouvernement. Ne
soyez pas impatients, pour l'amour de Dieu !
(Rires et exclamations.)
Amnistie pour les troubles du Midi et pour
les faits politiques. Pas d'amnistie pour les
anRpatriotes 1 C'est net. (Vïïs applaudisse-
ments sur un grand nombre de bancs.)
Pour ce qui est des fonctionnaires, nous n'a-
vons pas adopté une résolution moins claire.
Nous refuserons de réintégrer les fonctionnaires
qui se sont mis en révolte. Si vous voulez li-
vrer le gouvernement à" des organisations -
responsables de fonctionnaires
mes par les républicains de cette politique (Ap-
plaudissements sur les mêmes bancs.)
UNE SCENE DANS LA SALLE
A ce moment, se produit un incident 1 qui
soulève ui, certain tumulte:
M. Janvion, ancien rédacteur à YAurort
et fonctionnaire révoqué de la Préfecture
de la Seine, a pris place dans la tribune de
la presse étrangère. Il interrompt M. Cle-
menceau en s écriant :
— Vous avez été le collabÕrateur des
fonctionnaires dont vous parlez. V Otis leu.,
avez donné de l'argent.
Les huissiers se précipitent pour expul-
ser M. Janvion, avant même que M. Bris-
sont ait poussé le sacramentel :
- Veuilez faire sortir l'interrupteur
Cet incident clos, la discussion reprend.
M. CLEMENCEAU CONTINUE -..1
SON DISCOURS
M. Clemenceau. - La Chambre est sous le
contrôle du suffrage universel, le gouvernement
sous le contrôle de la Charubre ; mais ni Je
contrôle des fonctionnaires.
gouvernenient ni la Chambre ne sont sous Je
On est venu nous reprocher, l'autre jour àè
n'avoir pas encore su faire venir en discus-
sion le projet de statut des fonctionnaires. Noua
ne sommes pas de œux qui reçoivent œs ins-
pirati-ons subites du ciel. Mais, wus sommes -4
peu près d'accord aved" la commission d'adnii-
nistration et le projet de statut viendra bientôl
en discussion.
Al. Allard. — Oui, toujours demain pour des
réfermes qui ne viennent jamais.
M. Clemenceau. "7 Je comprends votre im-
patience. Mais attendez, pour que je m'en anle,
que vous m'ayez renvoyé J"' ~~SM-,
Une voix à gauche. - Vous avez été renvnvé
l'autre jour et vous n'êtes pas parti..
M. Clemenceau. - Il y a, en ce moment une
dangereuse anarchie dans l'administration Iran-
une autocratie îrresponsabie. La République est
au suffrage universel, et non pas aux fonc-
normandes. (Vifs applaudissement au centre.)
Si vous voulez renverser les termes du pro-
bleme, ayez le courage de le dire et. <~e voter
pour l'anarchie. (Nouveaux enplaadissementa
sur les mêmes bancs. Bruit à gauche.)
M. Berteaux. — Je demande à réponïirelà
AI, Brisson. — Alors fixons la date ae la diS4
cussion.
M. Clemenceau. Ma réponse indique que le
gouvernement accepte la discussion immédiate.
Le président — La Cûambre décide la discus-
sion immédiate.
M. Berteaux remonte à la tribune, et pro-
nonce le beau discours suivant :
M. Berteaux — Nous nous sommes suffisam-
ment expliqués l'autre jour sur la réintégra-
tion des fonctionnaires pour que personne ne se
soit mépris sur le vote qui a clos la discus-
sion. A deux cents voix de riiajorité la Cham-
bre s'est prononcée pour une mesure de bien-
veillance, de pardon, d'oubli.
Vous aviez le droit, monsieur Clemenceau de
tenir l'autre jour le langage que vous venez de
tenir ; mais vous avez assisté à tout le débat
et vous êtes resté muet 8 votre banc.
Et c'est après être resté très volontairement
muet l'autre jour que vous venez aujourd'hui'
demander à la Chambre de se déjuger.
Quelle opinion vous faites-vous donc de nous,
de notre dignité ? (Applaudissements il gauche.)
M. Varenne. — Oui, il faudrait. tout de même
avoir un peu plus de considération pour nous.
M. Berteaux. — Vous dites, vous faites dire
que vous ne voulez pas passer l'éponge sur les
théories antimilitaristes professées par certains
des fonctionnaires qui ont été frappés. La Cham-
bre, en émettant son vote, n'a pas pris parti
pour les théaries antimilitaristes, pas plus
qu'elle n'a ratifié les injures adressées au chef
de l'Etat par certains des officiers réintégrés.
Êlle a voulu, je le répète, faire l'oubli.
D'ailleurs, n'avez-vous pas déclaré vous-mê-
me que les mesures de sévérité prises contre
les fonctionnaires no seraient pas définitives y
M. Barthou. — Je demande la parole.
M. Berteaux. — Maintenant vous voulez
ajourner le débat, soit à l'amnistie du Midi, soit-
au statut des fonctionnaires ; vous n'êtes pas
très fixé. nuloz une amnistié trè-c;
Mais. puisque vous voulez une amnistie très
large nour tes faits du Midi, pourquoi donc
otes-vous si dur aux fonctionnaires 2 Ceux-ci
ANNONCES
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TRIBUNE LIBRE
SOUS LE JOUG
La sollicitude de la presse
progressiste à l'égard des
radicaux est infinie.
Elle se manifeste toujours,
partout, sous les formes les
plus imprévues et les plus
variées. Tantôt grave et un peu sombre,
solennellement elle raisonne et triSte-
ment objurgue. Parfois, au contraire,
uriante, presque badine, elle prodigue
ses coquetteries, laisse espérer davan-
tage et mieux. Mais il est des moments
où sa passion pour nous devient si ar-
dente qu'un frisson divin la saisit, qu'un
génie sacré l'inspire et qu'elle révèle à
nos esprits consternés ce qui leur de-
meurait obscur d'un prochain avenir.
Le parti radical paraisait vigoureux
et résistant. Or, un sort lamentable et
humiliant le guette. Nos prophètes nous
l'ont annoncé. Il est mûr pour la servi-
tude et déjà l'on invoque devant nous
ce spectacle pittoresque mais honteux :
3aurès, bouvier trapu et magnifique, de
son aiguillon enveloppant et rude, fait
rentrer sous le joug les radicaux1 déjà
las d'une expérience de deux années de
liberté.
Pauvre parti radical ! Il avait, il y a
deux ans,remporté une victoire dont l'é-
clat faisait pâlir toutes celtes qu'il
'avait auparavant gagnées. L'immense
majorité du pays avait acclamé son
programme d'action démocratique gé-
néreuse et méthodique. Elle lui deman-
dait de le réaliser dans la paix par la
loi. Mais un fait particulièrement sai-
sissant s'était produit en !906 : nous
avions vu venir à nos idées, plutôt qu'à
nous-mêmes, en masses compactes et
résolues, les jeunes générations qui ont
iau cœur le même enthousiasme que leurs
aînés, mais dont l'école laïque a ouvert
et affranchi l'intelligence, discipliné et
fortifié la volonté.
Cette jeunesse saine, alerte et réflé-
chie se préoccupait assez peu de la di-
versité des groupes ou des partis. Peu
lui importaient les cocardes bigarrées,
les étiquettes compliquées dont se pa-
raient les candidats. Elle allait d'ins-
tinct à. ceux qu'elle jugeait capables de
triompher des résistances les plus vio-
lentes comme des inerties les plus sour-
noises pour assurer les progrès les plus
décisifs. Ce qu'elle demandait au parti
victorieux ce n'était point de réaliser
instantanément les multiples détails
d'un programme systématique, de faire
descendre dans la réalité toutes les par-
ties de quelque vaste et prétentieuse
conception dogmatique. Non. La démo-
cratie a manifesté clairement, en IQftfi.
sa volonté de ne pas se repaître de for-
mules prestigieuses et sonores et d'ob-
tenir, au contraire, par un labeur inces-
sant et positif, des améliorations conti-
nues dans les conditions de la vie écono-
mique, intellectuelle et sociale. Les ré-
sultats acquis pendant la précédente lé-
gislature avaient inspiré au suffrage
universel une pleine confiance dans les
hommes qui avaient su les obtenir grâce
à une méthode de loyales collaborations.
Pendant près de deux ans, les répu-
blicains, comme fatigués de leurs pro-
pres succès, ont paru prendre plaisir à
exagérer les différends, à aggraver les
malentendus. Les polémiques les plus
absurdes se sont engagées. Les socialis-
tes ont paru scandalisés de constater
que les radicaux ne votaient pas tou-
jours comme eux et les radicaux ont
éprouvé une légitime colère en voyant
nvec quelle désinvolture et quel dédain
on les englobait avec les progressistes
et les réactionnaires dans la réprobation
dont sont l'objet, au même titre, tous les
« partis bourgeois ».
L'effet de ces querelles injustes et de
ces discussions byzantines on le con-
naît : les éléments anarchistes se sont
installés impérieux et déshonorants au
sein du parti socialiste. Les progressis-
tes ont tourné leurs bras vers les radi-
caux et leur ont laissé entendre qu'ils
pourraient trouver parmi Les modérés
quelques-uns des suffrages dont les pri-
verait l'excommunication socialiste. Les
extravagants du syndicalisme, les théo-
ries monstrueuses du sabotage et de
1 antipatriotisme ne justifiaient-elles pas
cette nouvelle concentration ?
Tandis que ces tentatives se produi-
saient et que ces rapprochements s'es-
quissaient, le temps s'écoulait. Les so-
cialistes se consacraient tout entiers à
un rôle d'opposition et par le libre cours
de leur verve indignée retapaient leur
réputation d'intransigeance et de pureté
endommagées pai* quelques années de
collaboration utile avec les partis bour-
geois. Les progressistes, à la faveur de
la panique provoquée par certaines ex-
centricités, apportaient à la majorité
républicaine le concours de leur timi-
dité. C'était peu pour mener à bien
l'œuvre promise.
Aussi, n'est-elle pas très avancée. Le
pays commence -à s'en émouvoir et la
Chambre à s'en effrayer. L'inquiétude
et l'énervement que l'on dénonce comme
l'effet d'intrigues obscures, de manœu-
vres et de complots ne sont que l'écho
lointain et très adouci du trouble pro-
fond qui lentement gagne le cœur du
pays républicain. L'explication lui pa-
raîtrait insuffisante et l'excuse médiocre
si les divers partis ne trouvaient à lui
apporter en fin de législature que des
accusations réciproques de surenchère
ou de timidité. Il ne servira pas plus aux
radicaux de dénoncer l'intransigeance
des socialistes qu'aux socialistes de
stigmatiser la modération des radicaux.
Toutes ces récriminations seraient
vaines. La déception éprouvée n'attein-
drait pas tel ou tel groupe, elle enlève-
rait à la démocratie toute confiance
dans l'efficacité d'une action pacifique
et légale sous un régime de libre dis-
cussion. Radicaux et socialistes s"en
aperçoivent, aussi paraissent-ils dispo-
sés à se mettre sous le même joug pour
tirer fort et creuser profond.
T. STEEG
Député de Paris.
<———————————— ————————————.
LA POLITIQUE
'L'EQUIVOQUE
Avec beaucoup de crânerîe
et de vigueur, M. Berteaux a
interpellé hier le -gouverne-
ment et fa mis au pied du
mur, en demandant à M. Cle-
menceau si le vote de la
Chambre, en laveur de la réintégration
des fonctionnaires lévogués serait res-
pecte et obéi.
M. Clemenceau a répondu en promet-
tant une amnistie restreinte et en priant
la Chambre de se désavouer.
La majorité n'a pas eu la fSTïieté de
résister à cette mise en demeure brutale.
Mais la séance cî hier ne fait que confir-
mer la leçon d'incohérence qui ressort de
celle de mardi.
Après le président du conseil, le mr-
nistre des travaux publics et des postes
est monté à la tribune.
Ainsi que nous l'avions pressenti et
annoncé avant-hier, M. Barthou n'a pas
accepté et ne pouvait pas accepter la
proposition adoptée à son insu et en
son absence, par la Chambre, relative-
ment âla réintégration des fonctionnai-
res.
L'honorable ministre des travaux pu-
blics est lié par un engagement tellement
catégorique, solennellement pris à la
tribune, qu'il lui est évidemment impos-
sible d'accepter aujourd'hui ce qu'il a
repoussé il y a quelques mois en posant
la question de confiance.
Le gouvernement, en ne supposant pas
à la motion de MM. Constant et Ber-
teaux, a donc laissé se créer cette même
équivoque que M. Barthou dénonçait
avec une louable vigueur.
C'est dans ces conditions singulières
que la proposition votée par la Chambre
va venir devant le Sénat. à moins que
M. Clemenceau ne pousse la désinvol-
ture jusqu'à ne fenir aucun compte du
vote 3e mardi.
Or, une note, d'allure officieuse, nous
informe « que legouveTnement combat-
tra énergiquement devant le Sénat la
proposition votée par la Chambre et
s'opposera à son adoption, allant même
si cela est nécessaire jusqu'à engager sa
responsabilité »'. -
Il est étrange, en vérité, que le gouver-
nement songe à repousser devant le Sé-
nat seulement une proposition qu'il a dé-
libérément laissé voter par la Chambre.
Ce système, qui tend visiblement à
laisser ou à faire mettre en échec au
Luxembourg les projets de loi ou les
motions votés au Palais-Bourbon, appa-
raît aux yeux de certains comme le com-
ble de l'habileté. Aux nôtres, ce n'est
que le triomphe de l'équivoque.
LES ON-DIT
NOTRE AGENDA
14 mars 1475. — Les Espagnols sont
chassés de Perpignan.
Aujourd'hui samedi :
Lever du soleil à 6 h. 18, coucher à 6 h. 2
Matinées-conférences : théâtre Sarah-
Bernhardt, Gymnase et CIunv.
Premières : théâtre Réjane : Qui per(J
gagne. — Olympia : La Revue Joyeuse.
Courses à Maisons-Laffitte.
Les « Chimères »
Dans notre numéro du 10 mars der-
nier, nous avons publié une note sur la
revue littéraire Les Chimères, et nous
l'avons qualifiée de revue « décadente ».
Très courtoisement, son rédacteur en
chef, M. Adrien Bertrand, nous prie de
constater que cette jeune revue est « lit-
téraire, éclectique, et non pas symbo-
liste ».
Il nous fait observer que s'il a donné
cet aspect éclectique aux Chimères,
c'est qu'il y a de « la beauté dans toutes
les écoles littéraires, chez Racine com-
me chez Hugo, comme chez NIallarmé.»
D'accord, cher confrère.
Il ne nous reste qu'à souhaiter très
sincèrement aux Chimères de nous ré-
véler un Hugo, un Racine ou un Mallar-
mé.
L'origine de la mode
Ce fut rinitiative royale qui, à partir
de Charles V, régla la mode. Les fem-
mes portaient alors une tunique descen-
dant jusqu'aux talons, serrée par une
ceinture et fermée au poignet.
Louis XI et François Ier, pour favori-
ser l'essor de la mode, permirent à des
ouvriers italiens de ne pas PAYOP .,.
tains impôts. Ces ouvriers s'établirent à
Lyon, et ce fut là le commencement de
l'industrie lyonnaise de la soie.
Sous Charles IX, les étoffes em-
ployées pour les robes furent d'une ri-
chesse inouïe ; on les rehaussa de per-
les, de pierreries et de fourrures.
Louis XIV imposa l'étiquette de sa cour
aux femmes. Les étoffes étaient classées
par saisons ; les dentelles elles-mêmes
variaient suivant les époques. Les four-
rures ne pouvaient pas paraître avant 1
le jour de la Toussaint. On les quittait
à Pâques, quelque temps qu'il fît.
Est-il utile de parler des merveilles
de goût qui ont été réalisées par les cou-
turières, au XVIIIe siècle ? Peu de gens
savent qu'il était strictement défendu
aux couturières de vendre des étoffes
il fallait s'adresser, pour les étoffes, aux
marchands qui payaient patente.
Combien fut lourd le costume fémi
nin sous l'Empire et sous la Restaura-
tion 1
D'où viennent les robes longues
D'un fait bizarre qui ne date que d(
1840. La reine Victoria se blessa le pic
en descendant de voiture. Le lende
main, elle reçut avec le pied étendu sur
un fauteuil et caché par la jupe. Il n'er
fallut pas plus pour que les dames de 1?
cour en fissent autant. La robe longue
était née.
'AUTREFOIS
Rappel du 15 mars 1872. — On distribue
aux d'éputés le rapport de M. Robert de
Massy sur le projet de restitution des biens
de la famille d'Orléans.
Les princes d'Orléans sont réintégrés
dans leurs grades militaires.
MAI. Paul Morin, Naquet et Scheurer-
Kestner proposent de créer une monnaie en
aluminium.
La dette consolidée de la Ville de Paris
s'élève à 1.443.822.315 francs, motivant une
annuité de 80 millions et demi.
La commission chargée d'étudner l'éta-
blissement d'un chemin de fer sous Paris,
a 47 projets à examiner ; elle en a retenu 7
Où II pleut le plus
Nous gémissons de plus en plus par-
ce que chaque jour vient nous appor-
ter son contingent d'orage ou de pluie.
Ii y a cependant, sur la surface du glo-
be, des endroits où il pleut davantage.
Le pays où il pleut le plus est. le ter-
ritoire de Cberrapunji, dans la provin-
ce d'Assam (Inde anglaise). Alors qu'à
Paris, la moyenne d'eau tombée ices
derniers temps arrivera, au bout de
l'année, au chiffre de 378 millimètres
d'eau, la hauteur moyenne de la pluie
tombée à Cherrapunji est de 11 mètres
223 paoe année.
Dans le Cameroun, massif monta-
gneux de la Guinée, en face de l'île
Fernando-Po se trouve la vie de De-
bundsohat ; elle peut presque disputer
à la région ci-dessus, le record de l'hu-
midité ; la quantité d'eau qui tombe
pendant l'été, saison des pluies, arri-
ve à 10 mètres 454.
Mais ce sont là des moyennes éta-
blies chaque année. Ces moyennes sup-
posent des maxima assez élevés. En ef-
fet, en 1851, à Cherrapunji, il est tom-
bé 14 mètres 785 d'eau et, en 1902, il en
est tombé 14 mètres 133. Matis dans une
seule journée; dans ce même pays, on
a pu compter 456 millimètres, autre-
ment dit, un demi-mètre.
Et nous nous plaignons quand, à Pa-
ris, il tombe le tiers d'un mètre pendant
une année !
Les cris de Paris
Ils disparaissent peu à ipeu. ces cris
de Paris.
Ils dataient du moyen âge et ils
avaient conservé à travers les siècles
la mélancolie de leurs mélopées.
Il y avait alors peu de boutiques et
les maj-chainés allaient offrir de porte
en porte leurs marchandises.
Dès le point du jour, un valet de l e-
tuviste annonçait l'ouverture des bains ;
Allez tost, les bains sont prêtz.
Venait ensuite la laitière avec un ba-
quet plein de beurre :
Beurre de Vanve en petites mottes,
Beurre de Vanve, c'est du meilleur
Qui onc entra dedans Paris.
Achetez-le, dames d'honneur,
Et, le salez pour vos maris.
Le charbonnier clamait :
Charbon le sac por un dénier
Et la fruitière :
A mes beaux poireaux
Qui se cuyssent en eaux 1
C'est un bon potage
Avec du laictage.
Et puis, c'est le marchand. 3e tban-
delles : .:
Chandelle ae coton, chandoile
Qui plus art clerc que nule estoile.
Des crieurs faisaient goûter aux pas-
sants le vin dont ils vantaient les mé-
rites -2
L'on crie vin nouveau et vieulx.
Duquel on donne à tatter.
HÚla ! disparus, le marchand de
« poussier de mottes -» et le marchand
de « cerneaux ■», et tant d'autres qui
égavèrent notre enfance, ainsi que le
marchand de robinets qui s'annonçait
aux ménagères sur l'air vieillot du j
Roi Dagobert ?
Mener par le bout du nez C',":'
Cette expression vient des Grecs, qui
l'ont tirée des buffles conduits au
moyen d'un anneau passé dans 'eurs
narines.
Le sens figuré nous a été fourni par
l'Angleterre. -
Au moment où il régnait au-delà de
la Manche, Charles Ier était d'une fai-
Miaao oxfcraordinaire.-
Il ne s'occupait que Ue plaisirs 'e!
abandonnait les affaires de l'Etat au duc
d'York, ce qui faisait dire à M. Rille-
grew, son fou, qu'il devait avoir mal
au nez.
— Pourquoi cela ? lui demanda un
jour le roi.
- Sire, parce qu'il y a longtemps
Tue Votre Majesté se laisse mener par
là..,
Le petit jeu des définitions
Imbécile. — Personne qui ne partage
pas nos opinions.
Poète. — Homme dont tout le mon-
de connaît le talent. par ouï dire.
Mer. — Grande masse d'eau dont le
mouvement de va et vient, appelé ma-
rée, sert à faire tourner des petits che-
vaux de plomb.
Commission parlementaire. - Le
tombeau des promesses aux électeurs.
Pot de vin. — La clé des consciences.
TM!——W—— !■ !■ ■ Il ■ I1 U ■■ ■ III»
Ey passan 1.
— Adolphe, cria impérieusement M, le
président du Conseil.
— Voilà, monsieur, voilà.
- Dépêchez-vous donc, N. 3. D.,
quand je vous sonne. Il fait beau, je veux
me ballader. Allez me chercher un taxi-
auto. Et au trot, n'est-ce pas !
Cinq minutes après, Maujan revenait
tout essoufflé, et tendait à M. le président
un numéro de fiacre automobile.
— C'est bon : ma canne, mon pardessus,
et tilons. Montez à côté du chauffeur, je
vous emmène. J'ai envie de voir les fous
de votre circonscription. Allons, hop I à
Charenton.
Lorsque M. le président du Conseil, sui-
vi de son fidèle Roustan-Maujan, se présen-
ta à la direction de la maison de Charen-
ton, il y eut naturellement un grand émoi
dans tout le personnel.
M. le directeur, M. l'économe, MAI. les
chefs de service, précipitamment réunis
s'empressèrent, faisant des ronds de jam-
be, saluant jusqu'à terre.
— « Merci, messieurs ; merci, charmé de
vous rencontrer, dit d'un ton bref, M. le
président du Conseil.
« Mais ce n'est pas vous que je viens
voir ; c'est les fous. Montrez-moi des Jous.»
La visite commença aussitôt-
Les variétés de fous sont infimes. On les
passa toutes en revue.
M. le président du Conseil fil l'admiration
de tout le monde par sa culture scientifi-
que, ses diagnostics impeccables, ses dé-
ductions savantes, ses boutades pleines
d'esprit.
Roustan-Maujan ne quittait pas ses ta-
lons ; il faisait un succès à tous les mots
du président, tantôt hochant la tête d'un
air entendu, tantôt s'esclaffant de rire. Tel
« Gugusse » au cirque, en présence de M.
Loyal.
Finalement, le cortège pénétra dans un
grand préau, où des fous inoffensifs déam-
bulaient au hasard de leurs chimères.
L'un d'eux vint droit aux visiteurs.
— « Nous l'appelons le « neveu à héri-
tage », murmura le directeur. »
Le fou contempla longuement les person-
nages otticiels, et soudain — avant flue les
gardiens aient pu intervenir — il sauta
d'un bond au cou d'Adolphe et se mit à
l'embrasser à pleines lèvres : (4 Tiens,
c'est mon petit oncle Tonton I. v'là Ton-
ton! brasse-moi donc, criait le pauvre
aliéné, en redoublant d'embrassades J. »
On eut toutes les peines du monde à met-
tre fin à ces touchantes effusions-
Rottstan-Mauian se remettait à peine de
sa stupeur, lorsqu'à pas lents et solen-.
nels un autre fou vint se planter devant
le groupe des visiteurs.
— « Nous l'appelons l'astrologue. dit le
directeur ». -
« L'astrologue tira un journal de sa po-
che, le roula en lorme de télescope et gra-
vement se mit à lorgner l'assistance.
« Puis il se prosterna maiestueusement
devant M .le président du Conseil : « Sa-
lut, dit-il, monseigneur le Soleil ».
Et se tournant avec un air dédaigneux
vers Maujan : Il Et toi, bonjour. la Lu-
ne. »
Fou rire, si j'ose m'exprimer ainsi.
En sortant, M. le président du Conseil,
mis en gaîté, badinait comme une petite
folle !
- Eh bien ! Adolphe, encore une bonne
journée, mon vieux ; je me suis bien amu-
sé. Et vous ?
- Oh ! moi aussi. Seulement !
- Seulement, Quoi ?
- Eh bien. Je ne comprends pas en-
core pourquoi cet idiot-là m'a pris pour la
lune.
— Fallait lui demander, répondit judi-
cieusement le président, et puis. vous au-
riez tort de vous plaindre : « Il vaut encore
mieux être pris pour la lune. que pour
celui, "ui fait des trous dedans !. „
Le Chemineau.
LEVEE DE GOUPILLONS
II s'est tenu, durant quelques jours, à
Lyon, un congrès diocésain qui vient de
clore ses travaux.
La ville qui semble ramper, dans l'humi-
lité de sa foi archaïque au pied de la colli-
ne de Fourvière que couronne la fameuse
basilique plantée là comme un défi porté à
la science et à la raison ; la ville qui s'il-
lumine tout entière, certain soir de novem-
bre consacré par les catholiques à la Pré-
sentation de la Vierge, pour attester l'ar-
deur de ses croyances ; la ville où ponti-
fie le primat des Gaules, ce fougueux car-
dinal Coullié, dont il a été si souvent parlé
au temps où la République et l'Eglise al-
laient encore ensemble à Lesbos ; la ville
des riches soyeux qui alimentent largement
le denier de Saint-Pierre était tout indi-
quée pour la tenue d'un congrès catholique,
apostolique et romain.
Ce que la République a dû, en ces assi-
ses du clergé lyonnais, être vilipendée,
griffée, mordue, torturée, nul ne l'a su,
mais on se doute bien que cardinaux, ar-
chevêques, évêques, chanoines, moines plus
ou moins déchaussés et simples curés de
village n'ont guère eu de ménagements
pour la « Gueuse ».
Il paraît que ces réunions nombreuses de
soutanes de toutes couleurs avaient pour
but de mettre sur pied — sur le pied de
guerre, bien entendu — l'organisation des
catholiques, et c'est à l'évêque Dadolle, de
Dijon "u'cst échue, in fine, la tàche de ré-
sumer les travaux élaborés par le congrès.
Cet épiscope éminentissime a « félicité
tous les catholiques qui ont senti que la
lutte allait être particulièrement chaude et
qui ont considéré que si l'école devait être
libre, il fallait la soutenir, -et neutre, h
surveiller.
« Ils ont compris, a-t-il dit, que la pro
pagande devait s'exercer par la paroie, CÛJ
de plus en plus les chaires sacrées ont bo:
soin d'être suppléées ou complétées par It
tribune ou l'estrade du conférencier, pui £
sur le terrain de la presse, cette institution
des temps nouveaux, qui opère avec tant de
puissance les ruines ou les résurrectione; >
l'unité de combat existera.
« Le comité paroissial aura en outre et
enfin l'avantage de mettre en œuvre l'acti-
vité et la personnalité catholiques tout en-
tières.
« Le comité paroissial vous incorporera
dans un apostolat ; vous dépenserez tous
vos efforts pour votre diocèse. Mais ne l'ou-
bliez pas, à quoi sert à l'homme de con-
quérir l'univers s'il vient à perdre son
âme ?
Il Il y a une vérité qu'il Importe que vous
fassiez vôtre : le soleil de votre existence
personnelle doit devenir le soleil de kt vio
elle-même.
« Et c'est bien là le but du congrès. Il
s agissait de rappeler aux catholiques leur
devoir, de préciser pour eux le moyen d'ê-
tre. »
Ces paroles précisent, en effet: la lutte
qu entend engager le clergé au moyen de la
chaire, de la tribune, de l'estrade du con-
férencier, de la presse, sans parler des
mille autres moyens dont disposent les
gens d'église pour s'infiltrer au sein des
familles.
Cette levée de verges cléricales n'est
point faite pour nous déplaire. Nous allons
donc enfin nous trouver face à face dans
les réunions publiques avec les éternels en-
nemis de l'esprit laïque. Le spectacle sera
amusant et j'imagine que les rieurs ne se-
ront nas souvent du côté des norteurs de
goupillons.
P. C.
LA JOURNÉE PARLEMENTAIRE
M. Brtanl interpelle 1 Gnvrnemnl
lA Réintégration des fonctionnaires. — M. Clemenceau de.
mande à la Chambre de revenir sur son vote de mardi
- Une défaillance parlementaire. — Violents
incidents. — Le Sénat et les œuvres
laïques en Orient.
Comme il arrive quelquefois, la séance
de la Chambre, ouverte, sous la présidence
<4e M. Henri Brisson, officiellement à deux
heures et quart, a commencé, en réalité, à
près de cinq heures. Nous voulons dire
qu'à Ce moment seulement, après avoir li-
quidé par l'ordre du jour pur et simple une
interpellation d'ordre militaire de M. Rai-
barti, on a abordé la grosse discussion po-
litique que tout le monde attendait.
C'est notm ami 'Berteaux qui a soulevé
cet important débat en déposant une in-
terpellation au gouvernement » sur la suite
qu il comptait donner au vote de la Cham-
bre concernant la réintégration des fonc-
tionnaires révoqués ». En d'autres termes,
il s'agissait de savoir si la Chambre exige-
rait du gouvernement le respect de la vo-
lonté qu'elle avait exprimée mardi à une
très grosse majorité, ou si l'arbitraire du
ministère serait désormais seul souverain.
Le président du conseil s'est mis d'assez
mauvaise grâce à la disposition de la
Chambre.
AI. Clemenceau. — Je ne sais s'il est correct
de demander compte au gouvernement des
opinions qu'il doit développer devant le Sénat
(Bruit à gadct.) ; néanmoins, je suis aux or-
dres de la Chambre.
Le gouvernement croit rrue cette discussion
pourrait être jointe au nrojet d'amnistie res-
treinte qui sera prochainemen déposé sur le
bureau de la Chambre.
On a discuté l'autre jour la question de réin-
tégrer des fonctionnaires à propos de la réin-
tégration d'un officier. On peut bien discuter
de nouveau cette question à propos d'une am-
nistie à d'autres citoyens.
Nous dirons alors jusqu'où nous admettons
la réintégration des fonctionnaires et où nous
l'arrêtons.
M. Berteaux renouvelle, en termes éner-
giques, sa demande de discussion immé-
diate.
M. Berteaux. — Je demande & la Chambre
la discussion immédiate.
Au lendemain de la séance de mardi, dans
laquelle la Chambre avait décidé une large
mesure de bienveillance, des notes ont paru
dans tes journaux.
1W. Clemenceau. — Le gouvernement y est
étranger.
M. Berteaux. — Ces notes indiquaient que le
gouvernement se refuserait à une réintégration
générale et poserait à ce sujet la question de
confiance devant le Sénat.
La Chambre comprendra que sa dignité est
engagée ; êlle s'est prononcée sur .Je fond de la
question. Est-H vrai que le gouvernement veut
faire obstacle à sa volonté ? (Applaudissements
à gauche et à J'extrême-gauche.)
DISCOURS DE M. CLEMENCEAU
Le président du conseil répond en abor-
dant le fond du débat :
A/. Clemenceau. — Je jugeais incompatible
avec notre dignité de refuser la discussion. Il
eût mieux valu que cette discussion se produi-
sit avec ampleur. Mais je répondrai nettement
à la question qui m'est .posée.
J'ai dit que je demanderais aue cette question
lût jointe au projet d'amnistie que nous dé-
poserons. Comment entendons-nous cette am-
nistie ? Quelles résolutions prendrons-nous en
ce qui concerne la réintégration des fonction-
naires ?
M. Simyan a parlé à la tribune. J'assume
la responsabilité de ses paroles. Je donnerai
satisfaction à M. Berteaux en me prononçant
nettement contre sa thèse.
On ne peut toutefois engager 4e r!l>.Dat sur des
notes de presse : vous savez commeai elles
sont rédigées. (Bruit.)
Nous avons pensé, que le moment était venu
.e faire la pleine amnistie pour les troubles du
Midi, et qu'il convenait de faire rentrer dans
cette amnistie un certain nombre de délits po-
litiques, (Interruptions.)
Vous voterez contre le gouvernement. Ne
soyez pas impatients, pour l'amour de Dieu !
(Rires et exclamations.)
Amnistie pour les troubles du Midi et pour
les faits politiques. Pas d'amnistie pour les
anRpatriotes 1 C'est net. (Vïïs applaudisse-
ments sur un grand nombre de bancs.)
Pour ce qui est des fonctionnaires, nous n'a-
vons pas adopté une résolution moins claire.
Nous refuserons de réintégrer les fonctionnaires
qui se sont mis en révolte. Si vous voulez li-
vrer le gouvernement à" des organisations -
responsables de fonctionnaires
mes par les républicains de cette politique (Ap-
plaudissements sur les mêmes bancs.)
UNE SCENE DANS LA SALLE
A ce moment, se produit un incident 1 qui
soulève ui, certain tumulte:
M. Janvion, ancien rédacteur à YAurort
et fonctionnaire révoqué de la Préfecture
de la Seine, a pris place dans la tribune de
la presse étrangère. Il interrompt M. Cle-
menceau en s écriant :
— Vous avez été le collabÕrateur des
fonctionnaires dont vous parlez. V Otis leu.,
avez donné de l'argent.
Les huissiers se précipitent pour expul-
ser M. Janvion, avant même que M. Bris-
sont ait poussé le sacramentel :
- Veuilez faire sortir l'interrupteur
Cet incident clos, la discussion reprend.
M. CLEMENCEAU CONTINUE -..1
SON DISCOURS
M. Clemenceau. - La Chambre est sous le
contrôle du suffrage universel, le gouvernement
sous le contrôle de la Charubre ; mais ni Je
contrôle des fonctionnaires.
gouvernenient ni la Chambre ne sont sous Je
On est venu nous reprocher, l'autre jour àè
n'avoir pas encore su faire venir en discus-
sion le projet de statut des fonctionnaires. Noua
ne sommes pas de œux qui reçoivent œs ins-
pirati-ons subites du ciel. Mais, wus sommes -4
peu près d'accord aved" la commission d'adnii-
nistration et le projet de statut viendra bientôl
en discussion.
Al. Allard. — Oui, toujours demain pour des
réfermes qui ne viennent jamais.
M. Clemenceau. "7 Je comprends votre im-
patience. Mais attendez, pour que je m'en anle,
que vous m'ayez renvoyé J"' ~~SM-,
Une voix à gauche. - Vous avez été renvnvé
l'autre jour et vous n'êtes pas parti..
M. Clemenceau. - Il y a, en ce moment une
dangereuse anarchie dans l'administration Iran-
une autocratie îrresponsabie. La République est
au suffrage universel, et non pas aux fonc-
normandes. (Vifs applaudissement au centre.)
Si vous voulez renverser les termes du pro-
bleme, ayez le courage de le dire et. <~e voter
pour l'anarchie. (Nouveaux enplaadissementa
sur les mêmes bancs. Bruit à gauche.)
M. Berteaux. — Je demande à réponïirelà
AI, Brisson. — Alors fixons la date ae la diS4
cussion.
M. Clemenceau. Ma réponse indique que le
gouvernement accepte la discussion immédiate.
Le président — La Cûambre décide la discus-
sion immédiate.
M. Berteaux remonte à la tribune, et pro-
nonce le beau discours suivant :
M. Berteaux — Nous nous sommes suffisam-
ment expliqués l'autre jour sur la réintégra-
tion des fonctionnaires pour que personne ne se
soit mépris sur le vote qui a clos la discus-
sion. A deux cents voix de riiajorité la Cham-
bre s'est prononcée pour une mesure de bien-
veillance, de pardon, d'oubli.
Vous aviez le droit, monsieur Clemenceau de
tenir l'autre jour le langage que vous venez de
tenir ; mais vous avez assisté à tout le débat
et vous êtes resté muet 8 votre banc.
Et c'est après être resté très volontairement
muet l'autre jour que vous venez aujourd'hui'
demander à la Chambre de se déjuger.
Quelle opinion vous faites-vous donc de nous,
de notre dignité ? (Applaudissements il gauche.)
M. Varenne. — Oui, il faudrait. tout de même
avoir un peu plus de considération pour nous.
M. Berteaux. — Vous dites, vous faites dire
que vous ne voulez pas passer l'éponge sur les
théories antimilitaristes professées par certains
des fonctionnaires qui ont été frappés. La Cham-
bre, en émettant son vote, n'a pas pris parti
pour les théaries antimilitaristes, pas plus
qu'elle n'a ratifié les injures adressées au chef
de l'Etat par certains des officiers réintégrés.
Êlle a voulu, je le répète, faire l'oubli.
D'ailleurs, n'avez-vous pas déclaré vous-mê-
me que les mesures de sévérité prises contre
les fonctionnaires no seraient pas définitives y
M. Barthou. — Je demande la parole.
M. Berteaux. — Maintenant vous voulez
ajourner le débat, soit à l'amnistie du Midi, soit-
au statut des fonctionnaires ; vous n'êtes pas
très fixé. nuloz une amnistié trè-c;
Mais. puisque vous voulez une amnistie très
large nour tes faits du Midi, pourquoi donc
otes-vous si dur aux fonctionnaires 2 Ceux-ci
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