Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-11-11
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 11 novembre 1883 11 novembre 1883
Description : 1883/11/11 (A13,N4330). 1883/11/11 (A13,N4330).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
Treizième année.-AB-N" 4330 Prix du numéro à Paris: 15 centimes - DéparlOOlents: 20 centimes Dimanche » Novembre 1883 }
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Phénix. 437, 438.
Foncier 1,830.
PARIS, 10 NOVEMBRE 1883
Si la métaphysique gouvernait le
monde, nous ne demanderions pas
mieux que de voir donner satisfaction
à M. Sigismond Lacroix et à ceux qui,
comme lui, rêvent l'autonomie commu-
nale de Paris. Le raisonnement de M.
Sigismond Lacroix a la franchise et la
simplicité d'un syllogisme des vieux
temps. «Toutes les communes ont un
maire. — Or Paris est une commune. —
Donc Paris doit avoir un maire». Au
point de vue de la logique, rien à dire
à cet argument. Par malheur, ce n'est
pas la métaphysique qui gouverne le
monde et les meilleurs logiciens sont
rarement les politiques sages.
Oui, Paris est une commune, mais il
n'est pas une commune semblable à
toutes les autres. La majorité, la très
grande majorité de nos communes n'ont
pas mille habitants ; Paris à lui seul en
compte plus de deux millions. M. le
maire de Paris, si nous en possédions
un, ne se considérerait pas assurément
comme le collègue et l'égal du maire de
Fouilly-les-Oies ou de Bouzy-le-Têtu.
On peut même estimer qu'il considére-
rait comme un médiocre personnage,
en comparaison de lui-même, le préfet
du Rhône, des Bouches-du-Rhône ou de
la Gironde. Un maire de Paris qui com-
manderait à une armée de dix-huit mille
fonctionnaires, de plus de dix mille em-
ployés, de plus de sept mille gardiens
de la paix, serait un peu plus qu'un
homme s'il n'était pas grisé plus qu'à
demi par une telle autorité et n'esti-
mait pas qu'au lieu de recevoir des
ordres du gouvernement, c'est à lui de
lui donner des leçons.
Mais, si considérable que soit cette
différence entre la commune de Paris et
les autres communes de France, il en
est une plus importante encore : c'est
que Paris est la capitale de notre pays.
C'est là que se réunissent les sénateurs
et les députés, représentants de la na-
tion entière ; c'est là qu'est le siège du
gouvernement. Les « droits » de Paris
sont fort respectables à coup sûr, mais
il en est toutefois qui nous semblent
devoir garder le pas sur ceux-ci : ce
sont les droits du pays. Si notre capi-
tale politique se trouvait, comme la ca-
pitale des Etats-Unis par exemple, si-
tuée dans quelque petite ville, il nQus
serait fort indifférent que cette ville eût
à sa tête un maire élu par le conseil
municipal. La fantaisie ne lui viendrait
jamais de se poser en maître du Parle-
ment ni du ministère. Mais les événe-
ments historiques ont fait de Paris tout
à la fois la plus grande ville de la
France et sa capitale. Personne ne songe
à la faire déchoir de son rang, et elle-
même à coup sûr n'en veut pas déchoir.
L'expérience du gouvernement de Ver-
sailles a suffi à tout le monde.
Eh bien! tant que Paris restera la
capitale de la France , il importe que
les représentants de la France et le
gouvernement y soient chez eux, non
pas simplement en hôtes, mais les vrais
maîtres de la maison. Oh 1 M. Sigis-
mond Lacroix a fait de la courtoisie pa-
risienne un tableau tout aimable 1 De
conflits, de froissements même entre les
habitants de Paris commandés par leur
maire et le gouvernement qui représente
la France, il n'en voit pas l'ombre de
possibles. Paris manquer d'égards pour
la souveraineté nationale! Qui pourrait
s'arrêter seulement à cette pensée? Et
de fait tout irait adorablement pendant
six mois au moins. On serait de part
et d'autre toute tendresse, tout miel.
Seulement imaginez un beau jour que
tel vote de la Chambre ou telles élec-
tions générales déplussent h la bonne
ville de Paris , - j'entends à celui qui
se trouverait à sa tête, — vous verriez
en un tour de main ce que pèserait le
respect de la volonté nationale. Parle-
ment et ministère auraient le choix ou
de devenir les prisonniers de la com-
mune de Paris ou de passer lestement
l'enceinte des fortifications.
Louis XI alla une fois - à Péronne,
mais il s'en souvint toute sa vie. L'ex-
périence de la mairie centrale a été faite
une fois sous la première Révolution,
et celle-là suffit. M. Flouuet doit venir
aujourd'hui même apporter à la thèse
soutenue par M. Sigismond Lacroix le
renfort de son éloquence ; nous nous
bornerions volontiers à lui demander
s'il souhaiterait voir se renouveler, en
quelque jour d'émotion populaire, les:
scènes tragiques de la Convention en-
vahie. La représentation nationale est à
Paris à titre de'souveraine; elle ne con-
sentira jamais plus, nous en sommes
convaincus, à s'y voir traitée en pri-
sonnière.
Ce que nous ajouterons, le voici : c'est
que cette question de la mairie centrale
laisse les Parisiens fort indifférents; ils
se contentent fort bien de leurs maires
d'arrondissement, ils ne se sentent nulle-
ment humiliés de voir un préfet de la
Seine chargé de l'administration de la
grande ville, et un préfet de police
chargé de la sécurité des rues; ils vou-
draient seulement que l'administration
fût moins tracassière et la police plus
nombreuse ; ils savent gré à nos con-
seillers municipaux du zèle avec lequel
ils surveillent la gestion de nos finan-
ces, de leurs efforts en faveur de l'ins-
truction primaire; ils seraient tout à fait
satisfaits d'eux s'ils faisaient quelque
chose pour l'enseignement secondaire
des fiiles et s'ils ne perdaient pas de
trop longues séances à discuter des
questions politiques qui ne sont pas de
leur ressort.
CHARLES BIGOT*
-
Nouvelles parlementaires
L'Union démocratique a tenu séance, à qua-
tre heures, au Palais-Bourbon.
Son président,, M. Roger, a tendu compte
de l'entrevue qu'il a eue avec le ministre de
l'intérieur.
La réunion a discuté la question de sec-
tionnement. La majorité du groupe est op-
posée au projet présenté.
Sur la question de l'ajournement des dis-
positions transitoires jusqu'à la discussion
d'une loi spéciale relative à l'organisation
municipale de Paris, le groupe est d'avis de
ne prendre aucune initiative.
MM. Devès, Duval, Graux et Langlois ont
pris part à la discussion. -
* i
* *
L'Union démocratique et l'Union républi-
caine avaient délégué leurs présidents au-
près de M. le ministre de l'intérieur pour le
prier de ne pas poser la question de con-
fiance à propos du projet de sectiennement
électoral de la Ville de Paris.
M. Waldeck-Rousseau a répondu qu'il était
bien décidé à laisser la Chambre se pronon-
cer en toute liberté et à ne pas faire de l'a-
doption du sectionnement une question per-
sonnelle, attendu que ce projet ne lui est
pas propre, mais a été élaboré par M. Hé-
rold et qu'il l'avait repris seulement parce
que M. Hérold ayant toujours eu la confiance
du conseil municipal, il avait cru ce projet
conforme aux vues de ce conseil.
*
* *
La commission nommée pour examiner le
projet de loi voté par le Sénat ayant pour
objet la protection des enfants abandonnés,
délaissés ou maltraités, s'est réunie hier
matin.
Elle a nommé président M. Rameau et se-
crétaire M. Pelisse.
La commission a examiné et approuvé les
titres 2, 3 et 5 du projet ; mais elle a décidé
qu'elle ajournait toute décision en ce qui con-
cerne les dépenses jusqu'à ce qu'elle ait en-
tendu les ministres de l'intérieur et des
finances.
*
* *
La commission relative aux conseils de
prud'hommes a examiné les propositions de
MM. Giard et Pierre Legrand, sans prendre
de décision.
Elle a chargé son président, M. Esnault,
de voir le ministre du commerce, pour lui
demander s'il compte déposer prochaine-
ment son projet annoncé depuis longtemps
sur la même question.
«
» »
La commission des ouvriers mineurs s'est
réunie hier à trois heures.
Son président, M. Maigne, a demandé si la
commission veut ouvrir une enquête, et ce
qu'elle désire faire en présence des nouvel-
les propositions relatives aux conseils des
prud'hommes en général et de la discussion
qui va s'engager à la Chambre, sur les so-
ciétés de secours mutuels.
M. Girard soutient la nécessité de mainte-
nir le projet déposé, qui accorde des pru-
d'hommes aux mineurs, et d'en réclamer la
discussion prochaine. Adopté.
11 ajoute que les ouvriers ne paraissent
pas accepter toutes les dispositions du projet
relatif aux délégués mineurs pour la consta-
tation des accidents ; il croit l'enquête in-
dispensable.
M. Emile Brousse demande que les inté-
ressés soient entendus aussi sur les caisses
de retraites et de secours, et que l'examen
de cette question soit séparé de celui de la
caisse de retraites de l'Etat.
M. Brossard croit que des renseignements
sont indispensables sur ces deux questions.
Sur la proposition de M. Marius Chavan-
nes, la commission décide qu'elle entendra
les intéressés qui le désireront, dans une
réunion spéciale qui se tiendra le mercredi
5 décembre, à neuf heures du matin, à la
Chambre.
Le ministre des travaux publics sera ap-
pelé au sein de la commission, ainsi que M.
Waldeck-Rousseau, auteur de l'une des pro-
positions. La commission s'ajourne à mer-
credi pour aborder l'étude des propositions
concernant l'organisation des caisses de
prévoyance.
* *
Hier, réunion plénière du groupe républi-
cain du Sénat.
Sur la proposition faite par le Centre gau-
che, les trois groupes ont accepté la candi-
dature de M. de Pressensé au siège de séna-
teur inamovible, laissé vacant par la mort
de M. Victor Lefranc.
L'élection sera faite par le Sénat en séance
publique, le 17 novembre.
*
Le sixième bureau du Sénat a élu membre
de la commission des récidivistes, M. Gou-
tey, favorable au projet, par 11 voix con-
tre 7.
*
* *
Une délégation des électeurs sénatoriaux
de la Seine s'est rendue au Sénat à l'effet de
pressentir les sénateurs de es département
sur leurs intentions au sujet du compte
qu'ils doivent rendre de leur mandat devant
le collège électoral sénatorial.
M. Labordère a donné une réponse favo-
rable à la délégation, tout en faisant remar-
quer que rien ne l'obligeait à le faire.
Quant à MM. de Frevcinet, Tolain et Pey-
rat, ils ont répondu qu'avant de faire con-
naître leur réponse, ils avaient besoin de se
concerter ensemble.
La réunion publique devant laquelle se-
raient appelés à comparaître les sénateurs
de la Seine, si elle a lieu, serait convoquée
vers la fin de novembre ou dans les pre-
miers jours de décembre.
M. M
La commission des livrets d'ouvriers -^g
réunie avant-hier, à deux heure^ 3ous j
présidence de M - g. Boxt"
-.., -1 11,
La commission a maintenu l'adoption de
l'article premier du projet de M. Gustave
Denis, en y ajoutant une disposition de J~-
Dauphinot.
Il en résulte, qu'à l'avenir, le livret sera
purement facultatif.
Le maire délivrera à chaque ouvrier qui
en fera la demande, un livret indiquant son
état civil et sa profession; le patron sera
tenu de viser régulièrement ce livret ; il va
de soi, du reste, que ce livret est purement
conventionnel; il équivaudrait, en quelque
sorte, à un brevet professionnel.
A. L.
DE PONTOISE A STAMBOUL
FÉERIE AUTHENTIQUE (i)
V
En effet, nous étions à l'entrée du
Bosphore. La prudence du gouverne-
ment turc en interdit l'accès même aux
bâtiments de commerce depuis le cré-
puscule jusqu'au lever du soleil. Mais
le soleil s'était levé avant moi, les for-
malités de police et de santé étaient
remplies ; déjà notre aimable Missak-
Efïendi s'était fait débarquer sur la côte
de Thrace où sa famille l'attendait pour
quatre jours après quatre ans d'absence.
Déjà nous avions embarqué le drogman
et un conseiller de la légation belge,
ainsi que M. Weil, inspecteur général
des agences de la Compagnie Nagelmac-
kers. Ce jeune Français, décoré comme
officier en 1871, s'était chargé obli-
geamment de préparer notre séjour,
d'organiser nos promenades, d'obtenir
les firmans, de faire les logements à
l'hôtel. Et il s'était acquitté de sa tâche
avec tant de zèle et d'esprit, que nous
n'eûmes, pour ainsi dire, qu'à nous
laisser vivre, car les spectacles et les
plaisirs vinrent spontanément à nous,
sans nous donner le temps de désirer la
moindre chose.
Nous trouvons maintenant que YEspero
marche trop vite : ce ne serait pas trop
d'une demi-journée pour détailler les
deux panoramas qui se déroulent simul-
tanément sous nos yeux. Ce profond et
rapide canal d'eau presque douce qui
emporte à la mer de Marmara le large
tribut du Danube" du Don, du Dniester,
du Dnieper et des cinq ou six autres
fleuves de la mer Noire, tient une place
énorme dans l'histoire du genre humain.
Il a eu pour marraine une maîtresse de
Jupiter, la belle Europe, qui le traversa
à cheval, ou pour parler correctement
à taureau, sur ta croupe du maître des
dieux. Que d'autres aventures depuis
celle-là, jusqu'à la fanfaronnade de lord
Byron nageant vers la tour de Léandre 1
Ici, l'histoire est aussi merveilleuse que
la légende : rappelez-vous le passage
de Darius, le pont de bateaux de Xerxès,
la mer fouettée de verges par ce grand
fou qui tomba amoureux d'un platane
et lui donna plus de bijoux que jamais
financier n'en promit à une danseuse
de l'Opéra. Les barbares, les demi-bar-
bares et les civilisés, les païens et les
chrétiens, les orthodoxes, les schisma-
tiques, les musulmans, se sont donnés
rendez-vous dans ce champ-clos pen-
dant plus de deux mille ans pour disputer
l'empire du monde. Et tout n'est pas
fini, puisque Constantinople est le centre
autour duquel gravite depuis un siècle
au moins la politique européenne.
Quoique la ville ne compte pas, selon
toute apparence, un million d'habitants,
elle s'étend par ses faubourgs depuis
l'entrée'de la mer Noire jusqu'à la mer
de Marmara, sur toute la rive d'Europe,
sans parler de Scutari et de cette ban-
lieue asiatique qui s'étend de Béicos à
Kadikeui. Il est vrai d'ajouter que les
magnificences de ces bords enchantés
sont presque toutes en façade. Les pa-
lais, les villas, les kiosques, s'étalent à
nos yeux comme un décor de théâtre
derrière lequel on ne trouve souvent
que des montagnes et des ravins. Des
bâtiments de grande apparence ne sont
que des chalets peints en pierre, comme
l'ambassade de France à Thérapia. Le
sultan qui en fit largesse a Napoléon 1er
n'avait certes pas lésiné sur la dépende;
mais l'humidité du détroit est si péné-
trante en hiver qu'elle démolirait les
murailles les plus solides ; les cloisons
lui résistent mieux. Cependant le bois
peint se désagrège avec le temps. Nous
remarquons beaucoup d'habitations en
ruines que l'on ne songe pas à réparer,
soit que le propriétaire ait éprouvé des
revers de fortune, soit qu'il ait eu la
fantaisie de porter ses pénates ailleurs.
Les lieux communs qui se débitent en-
core de temps en temps sur les Turcs
campés en Europe prennent ici une ap-
parence de vérité. Les Arméniens, les
Grecs, les Francs, les Turcs surtout,
lorsqu'ils étaient maîtres de l'Orient,
ont fait ici, pour leur plaisir ou pour
leur vanité, des dépenses incalculables.
Un seul kiosque, construit sur la rive
d'Asie et offert au sultan par Méhémet-
Ali, a coûté six millions de francs ; il
est abandonné depuis longtemps et
tombe en ruines. Le khédive Ismaïl-
Pacha s'est fait bâtir ici une résidence
-- l'ovale, entourée de iardins comme on
n'en voit que dans les 1!!iile et une Nuits
n'en voit que - et une Nuits
ou dans le service de M. Alphand à
Paris; rançon sultan Mourad est confiné
à rch:ragan dans un palais immense,
et .-empereur régnant Abd-ui-Hamid lo-
i gerait aisément dix mille hommes
(i). Voir Jes numéros des 2i, 26, 31 octobre e
8 novembre 1683.
derrière les façades marmoréennes et les
énormes grilles dorées de Dolma-Bagt-
cRe. Hé bien 1 faut-il vous l'avouer? ce
que j'ai aperçu de plus beau sur la rive
d'Europe, c'est un ouvrage militaire du
quinzième siècle, Rouméli-Hissar, élevé
par Mahomet Il.
Un jeune passager arménien qui a
appris le français à Constantinople, et
qui par conséquent le parle bien, nous
a fait les honneurs du Bosphore depuis
Bujukdéré jusqu'à Top-Hané. Nous
avons mesuré en passant la profondeur
du canal, grâce à un paquebot des Mes-
sageries françaises, la Provence, qui a
été coulé à pic et qui élève hors de
l'eau juste la pointe de son grand mât.
UEspero stoppe, les embarcations nous
abordent, les interprètes nous envahis-
sent ; il ne nous reste plus qu'à des-
cendre, mais nous ne sommes pas pres-
sés, car ce qu'il y a de plus beau dans
celte ville, je le sais par expérience,
c'est le premier coup d'œil, le profil des
collines, la découpure des dômes et des
minarets sur le ciel, la couleur chaude
et variée des édifices petits et grands,
le va-et-vient des navires et des Caïques
sur le Bosphore et dans la Corne-d'Or,
la merveilleuse diversité des types et
des costumes. Le voyageur assez heu-
reux ou assez courageux pour s'en te-
nir à la première impression, s'extasier
franchement un quart d'heure et retour-
ner chez lui sans demander son reste,
ne ferait pas un mauvais calcul. Mais la
Mouche du Lloyd qu'on a mise obli-
geamment à notre service est déjà les-
tée des bagages. Eveillons-nous d'un
trop beau rêve ; allons perdre nos illu-
sions.
Grâce à la qualité officielle de M. Olin,
qui doit nous attirer des faveurs de toute
sorte, nous débarquons à la grille de Top-
Hané, qui est la fonderie impériale des
canons. Huit ou dix landaus de grande re-
mise, à cochers galonnés, nous atten-
dent avec les interprètes sur le siège ;
nos bagages suivront sur le dos des
hammals ou portefaix turcs, qui sont
les plus honnêtes gens du monde. Et
nous voilà galopant en file indienne sur
le pavé capricieux et dans la boue
gluante de Galata, le long des bouche-
ries, des cafés, des gargotes, des épi-
ceries ou baccals, dont la seule odeur
fournirait douze chapitres a M. Zola,
des boutiques de fruitiers admirables où
resplendit l'or des raisins, le corail des
piments, la pourpre des tomates, le
grenat des jujubes, l'améthyste épisco-
pale des aubergines. Je me sens rajeu-
nir de trente ans aux cris de la rue, en
entendant brailler un gamin grec qui
vend des radis rouges : « hokkina rapa-
nakia! », et un jeune Turc qui col-
porte presque aussi bruyamment le lait
caillé ou -yaourt. Nous sommes arrêtés
un moment par la rencontre de quatre
Turcs superbes qui portent, suspendu
à des arceaux de bois, un tonneau
presque aussi monumental et aussi
lourd que le foudre de Heidelberg. Les
mendiants profitent de l'occasion pour
s'abattre sur nous. Toujours les mêmes,
ces gaillards-là l J'ai bien cru en recon-
naître un ; ce serait pourtant grand mi-
racle si jen trente ans il n'avait pas
vieilli. Les chiens pullulent toujours
dans les rues, et ils sont plus laids, plus
crottés, plus galeux et plus bruyants
que jamais. Mais voici du nouveau, de
l'inconnu, de l'inédit. Devinez quoi? Je
vous le donne en mille : un tramway,
mais un tramway assurément comme
vous n'en avez pas vu : les rails po-
sés sur une rampe de sept centimètres
par mètre, une vieille voiture qui doit
avoir été dans son temps diligence
en Auvergne ou coucou dans quelque
banlieue, deux chevaux qui descendent
la montagne au grand galop, et un
sais qui dégringole plus vite encore, car
son métier consiste à précéder la voi-
ture et à repousser les passants qui vou-
draient se fàire écraser. Je dois dire
que toutes les lignes ne sont pas éga-
lement vertigineuses et qu'on y voit
rouler par-ci par-là du matériel presque
neuf. Les fiacres sont encore assez
rares, faute de rues suffisamment car-
rossables, et les chevaux de selle à la
disposition du public stationnent com-
me autrefois dans les carrefours, chaque
animal flanqué de son propriétaire, qui
suit à pied le cavalier au galop et le
devance quelquefois. Peu ou point de
charrettes en ville, mais force caravanes
de baudets, de chevaux de bâts et même
de chameaux chargés de briques, de
pierres, de planches, et autres maté-
riaux de construction. Car on bâtit
beaucoup de maisons neuves àJPéra, et
même de fort belles, au milieu des bara-
ques de bois qui s'effondrent et des rui-
nes qu'on abandonne à leur destin.
Quelques masures de Péra, les plus
vieilles et les plus déjetées, ont con-
servé l'aspect mystérieux des habita-
tions turques ; mais ce sont de très
rares exceptions, de même que les mai-
sons chrétiennes à Stamboul : la popu-
lation de la ville tend à se cantonner
de plus en plus par affinités-électives,
selon les cultes et les nationalités.
L hôtel du Luxembourg, appelé aussi
Grand Hôtel, qui doit nous héberger
presque tous, est établi en bonne place
et en bon air dans la grande rue de
Péra. C'est une vaste maison presque
neuve et très propre, bâtie économi-
quement par des spéculateurs qui en
tirent un bon loyer. Notre hofelier, M.
Flament-Belon, est un Français actil et
1 | intelligent qui a passé sa vie en Orient,
fait et défait plusieurs fois sa fortune
et honorablement élevé une famille de
sept enfants. Hélas ! l'aubergiste fran-
çais est un type qui tend à disparaître.
Il sera bientôt remplacé, même en
France, par une espèce de diplomate
allemand qui porte la cravate blanche
et les mains sales et dont la politesse,
insolente et rapace, fait tourner le lait
dans les tasses et aigrit le vin dans les
bouteilles. Les braves gens qui ont hé-
bergé ma jeunesse voyageuse nous lo-
geaient moins confortablement, à coup
sûr, ne nous alimentaient peut-être pas
beaucoup mieux et ne nous donnaient
pas pour rien ce qu'on vend très
cher aujourd'hui ; mais leur usage
nous servait, dès l'arrivée, un plat de
bonne mine. Ils avaient une façon de
souhaiter la bienvenue qui disait :
Vous êtes chez vous. Ils reconnais-
saient un client au bout de dix années
et lui demandaient des nouvelles de
sa famille: S'ils vous voyaient pour la
première fois, ils s'excusaient, ou peu
s'en faut, de ne pas vous connaître en-
core et vous posaient assez de ques-
tions pour vous connaître à fond dans
un instant. Bref, on était chez eux un
peu moins qu'un ami, mais beaucoup
plus qu'un numéro, et, la note acquit-
tée, on ne dérogeait pas en les remer-
ciant des attentions qu'ils nous avaient
données par-dessus le marché. Voilà ce
qu'on ne rencontre plus guère à Cau-
terets, à Nice ou à Trouvilie ; voilà ce
que nous avons trouvé avec un peu de
surprise et beaucoup de plaisir chez ces
bonnes gens du Grand Hôtel de Péra.
Ils avaient fait l'impossible pour nous
loger convenablement aux deux pre-
miers étages de la maison, et les voya-
geurs arrivés avant nous les y avaient
aidés avec une bonne grâce vraiment
rare : par exemple, j'ai su que ma cham-
bre avait été cédée obligeamment par
le jeune prince Grégoire Soutzo, fils de
l'ancien ministre des affaires étrangères
Athénien de naissance, Roumain par na-
turalisation et licencié ès lettres de la
Faculté de Paris. Après une heure d'a-
blutions qui m'eût semblé délicieuse si
l'eau de Constantinople était moins sale,
un déjeuner passable réunit à la table
d'hôte toute la bande joyeuse des wa-
gons-lits ; puis, sans perdre un moment,
dociles et disciplinés comme les clients
anglais de l'agence Cook, nous nous
mettons en devoir d'épuiser l'ordre du
jour tel que M. Weil l'a rédigé.;
Notre guide est un aide de camp du
sultan, le général Ahmed, qui a terminé
ses études à Paris, non pas, comme on
pourrait le croire, à l'Ecole d'état-major,
mais dans l'atelier de Gérome. Il était
peintre, et même assez bon peintre pour
que Courbet lui demandât un de ses
paysages et que le jury du Salon lui
décernât une mention honorable. C'est
que la spécialité ne sévit pas aussi des-
potiquement chez les unentaux que
chez nous. Fuad-Pacha, le grand Fuad,
était médecin militaire avant de devenir
le second personnage de l'Etat. J'ai re-
trouvé à Bucarest un grand garçon fort
intelligent, M. Obedenare, que j'avais
connu étudiant en médecine. Quand je
lui demandai ce qu'il était devenu depuis
le temps, cet excellent docteur me ré-
pondit qu'il était premier secrétaire à la
légation de Rome. Le général Ahmed
fait monter le ministre du roi des Belges
dans une magnifique voiture à la livrée
du sultan; nous retrouvons les landaus
qui nous ont amenés à l'hôtel et nous
partons en troupe pour le palais de
Dolma-Bagtché. Ce qui caractérise au-
jourd'hui le luxe oriental, c'est qu'il est
fabriqué de toutes pièces à Paris, à Au-
busson, à Saint-Gobain, à Baccarat, dans
toutes les manufactures de France. Tan-
dis que nous nous disputons à l'hôtel
Drouot les tapis de la Perse, de l'Inde et
de la Turquie, on n'apprécie ici que nos
moquettes; les meubles fabriqués au
faubourg Saint-Antoine sont tendus in-
variablement en soieries de Lyon. Rien
de plus riche que ces intérieurs où l'on
n'a regardé à la dépense que pour la
pousser au maximum ; mais la moindre
vieillerie originale et nationale ferait
beaucoup mieux notre aftaire. Les glaces
de trente mètres carrés, les candélabres
de cristal à deux cent cinquante bou-
gies, les cheminées revêtues de mala-
chite ou enrichies des porcelaines les
plus élégantes de la rue Paradis-Poisson-
nière, ne valent pas pour nous une lampe
de mosquée ou même un seul carreau
de belle majolique. Plusieurs choses
m'ont intéressé dans ce palais immense
et ruineux, par exemple les salles de
bain construites en albâtre oriental et
une petite galerie de tableaux modernes
où l'on est tout heureux de retrouver
le Gynécée de Gérome (est-ce bien ainsi
qu'on l'appelle ?) et quelques-unes des
meilleures toiles de Fromentin, de Ber-
chère et de Pasini.Mais la salle des fêtes
où l'on posait une petite bande de
carpette extrêmement simple pour la
réception du Courbam-Beirmu m'a seule
émerveillé par la hardiesse de sa cons-
truction et la noblesse de ses lignes.
Lorsqu'une œuvre d'architecture a été
conçue grandement, les incorrections
de détail sont noyées dans la beauté
de l'ensemble. Témoin l'effet de Saint-
Pierre de Rome, où le détail est souvent
des plus défectueux.
Nous n'avons vu de Dolma-Bagtché
que le selmnlik, c'est-à-dire les bâti-
ments à l'usage du maître. Un autre pa-
lais aussi grand, peut-être plus grand,
et renfermé dans la même enceinte, es!
occupé par le harem du sultan, qui est
tout un monde, et un monde soigneuse-
ment fermé, comme on sait. Mais nous
avons pu effleurer sans indiscrétion les
délices et les splendeurs de la vie de fa-
mille chez un musulman couronné, car
au sortir de Dolma-Bagtché Ahmed-Pa-
cha nous a conduits au kiosque de Bey-
lerbey dont les fenêtres étroitement
grillées prouvent qu'Abd-ul-Azis n'y ha-
itait pas seul. Un petit vapeur du sul-
tan et quatre caïques impériaux enle-
vés (c'est le mot) par des rameurs vêtus
de blanc nous transportent à la rive
d'Asie et nous déposent sur l'escalier
déjà quelque peu délabré de ce joli pa-
lais. C'est là que l'impératrice Eugénie
a reçu l'hospitalité en 1869, dans la der-
nière année de sa gloire et de son bon-
heur. La prise de possession d'un tel
nid par la princesse la plus gracieuse
de l'Europe et sa petite cour" en belle
humeur fut assurément une fête comme
le Bosphore en avait peu vu. Figurez-
vous les étonnements et les curiosités,
les cris d'admiration et les éclats de rire
de quelque fine Parisienne introduite
dans cette sorte de cloître conjugal qui
s'appelle un harem. Il devait être déli-
cieux, le kiosque de Beylerbey; il l'est
encore, et beaucoup, puisque nous en
sortons enchantés sous un ciel noir,
pour aller visiter ses jardins sous une
pluie battante.
Deux mots sans plus à l'adresse des
poètes et'des jardiniers. Les uns, par
leurs descriptions plus brillantes que
véridiques, ont abusé les autres sur le
climat et la végétation de ce pays. La
géographie elle-même a pu accréditer
beaucoup d'erreurs en* nous montrant
Constantinople sur le même degré de
latitude que Naples. Hélas ! Constanti-
nople n'a pas le climat de Naples, il s'en
faut 1 Le ciel y est très dur au pauvre
monde; il y vente à force, il y neige à
profusion et il y gèle à pierre fendre.
Aussi la nature y est-elle assez exacte-
ment ce qu'elle est à Paris. La Grèce a
de beaux orangers, voire des palmiers
assez grands qui vont jusqu'à promettre
des dattes.: ici, vous ne rencontrerez
pas même un olivier. Aussi les jardins
d'agrément, fût-ce autour des palais
impériaux, ont les mêmes massifs et
les mêmes corbeilles que nos squares ;
troènes et fusains par-ci, coleus, anthé-
mis, fuchsias et géraniums par là, et
rosiers de Bengale à profusion. Je n'en
ai pas aperçu beaucoup d'autres. Mais
un * vrai sage se peut contenter à ce
prix ; je ne suis pas venu ici pour voir;
mûrir les ananas en pleine terre, et ce
n'est pas sans un secret contentement
que je retrouve si loin de chez nous
mon modeste jardin de Pontoise. Pour.
couronner dignement cette excursion
en Asie, nous gravissons deux ou trois
étages de terrasses et nous allons dé-
ranger deux malheureux couples de
tigres fort beaux d'ailleurs et bien nour-
ris derrière leurs barreaux de fer. Ce
sont les derniers survivants de la mé-
nagerie d'Abd-ul-Azis.
Nous nous rembarquons pour l'Eur
rope et l'on nous met à terre à la
pointe du vieux sérail. C'est tout ce
qu'il y a de plus curieux dans Stamboul,
le beau du beau, le fin du fin, la quin-
tessence, quoique le vieux sérail (ou pa-
lais) soit brûlé, comme presque tous les
monuments qui datent de la conquête)
Ahmed-Pacha qui n'a point mandat de
nous épargner les émotions, au con-
traire, nous introduit d'abord dans le
trésor des sultans, dont la clef seule est
un morceau qui mériterait le voyage.)
Elle n'a pas encore tourné dans la ser-
rure que le joyeux représentant du
Times nous propose un coup analogue,
à celui que les Anglais ont exécuté en
Egypte : « Messieurs, dit-il, nous som-
mes trente et les gardiens ne sont
que quatre. Egorgeons-les et prenons
tout». Comme il disait ces mots, trente
ou quarante jeunes Turcs semblent sor-
tir de terre et prennent position de-
vant les vitrines, non certes pour les
défendre, mais plutôt pour nous en faire
les honneurs. Ce trésor est surtout pré-
cieux comme musée. Je ferais assez bon
marché des métaux précieux et des
pierreries qu'il contient, sans excepter
le trône d'or massif tout incrusté de
joyaux, et les coussins brodés de perles,
et les boisseaux de diamants, de saphirs,
d'émeraudes et de rubis. Tout cela vaut
bon nombre de millions, j'en conviens ;
mais parlez-moi des armes, des armu-
res, des étoffes, des broderies, de cette
collection fabuleuse qui contient les
costumes d'apparat de tous les sultans
depuis Mahomet II, avec tous leurs poi-
gnards et leurs aigrettes impériales .j
evant cet amoncellement de belles
choses, on est pris d'une certaine re-
connaissance pour les despotes qui les
ont conservées religieusement au milieu
de nécessités quelquefois très urgentes.
Abd-ul-Azis est le seul, dit-on, qui ait
puisé parfois dans les boisseaux de dia-
mants pour donner des parures à ses
femmes ; mais à l'époque où il l'a fait
n'était-il pas déjà irresponsable ?
On dit que la mosquée d'Irène ren-
ferme un précieux dépôt d'antiquités
musulmanes et des armes du temps des
croisades ; mais les simples giaours
comme nous ne sont point admis à les
voir. Par compensation, l'on nous a ré-
galés d'une visite au kiosque de Bagdad.
C'est la seule fantaisie archéologique
qui soit jamais éclose dans l'esprit d'un
sultan ; mais quelle heureuse idée d'em-
ployer à la décoration d'un édifice du
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Phénix. 437, 438.
Foncier 1,830.
PARIS, 10 NOVEMBRE 1883
Si la métaphysique gouvernait le
monde, nous ne demanderions pas
mieux que de voir donner satisfaction
à M. Sigismond Lacroix et à ceux qui,
comme lui, rêvent l'autonomie commu-
nale de Paris. Le raisonnement de M.
Sigismond Lacroix a la franchise et la
simplicité d'un syllogisme des vieux
temps. «Toutes les communes ont un
maire. — Or Paris est une commune. —
Donc Paris doit avoir un maire». Au
point de vue de la logique, rien à dire
à cet argument. Par malheur, ce n'est
pas la métaphysique qui gouverne le
monde et les meilleurs logiciens sont
rarement les politiques sages.
Oui, Paris est une commune, mais il
n'est pas une commune semblable à
toutes les autres. La majorité, la très
grande majorité de nos communes n'ont
pas mille habitants ; Paris à lui seul en
compte plus de deux millions. M. le
maire de Paris, si nous en possédions
un, ne se considérerait pas assurément
comme le collègue et l'égal du maire de
Fouilly-les-Oies ou de Bouzy-le-Têtu.
On peut même estimer qu'il considére-
rait comme un médiocre personnage,
en comparaison de lui-même, le préfet
du Rhône, des Bouches-du-Rhône ou de
la Gironde. Un maire de Paris qui com-
manderait à une armée de dix-huit mille
fonctionnaires, de plus de dix mille em-
ployés, de plus de sept mille gardiens
de la paix, serait un peu plus qu'un
homme s'il n'était pas grisé plus qu'à
demi par une telle autorité et n'esti-
mait pas qu'au lieu de recevoir des
ordres du gouvernement, c'est à lui de
lui donner des leçons.
Mais, si considérable que soit cette
différence entre la commune de Paris et
les autres communes de France, il en
est une plus importante encore : c'est
que Paris est la capitale de notre pays.
C'est là que se réunissent les sénateurs
et les députés, représentants de la na-
tion entière ; c'est là qu'est le siège du
gouvernement. Les « droits » de Paris
sont fort respectables à coup sûr, mais
il en est toutefois qui nous semblent
devoir garder le pas sur ceux-ci : ce
sont les droits du pays. Si notre capi-
tale politique se trouvait, comme la ca-
pitale des Etats-Unis par exemple, si-
tuée dans quelque petite ville, il nQus
serait fort indifférent que cette ville eût
à sa tête un maire élu par le conseil
municipal. La fantaisie ne lui viendrait
jamais de se poser en maître du Parle-
ment ni du ministère. Mais les événe-
ments historiques ont fait de Paris tout
à la fois la plus grande ville de la
France et sa capitale. Personne ne songe
à la faire déchoir de son rang, et elle-
même à coup sûr n'en veut pas déchoir.
L'expérience du gouvernement de Ver-
sailles a suffi à tout le monde.
Eh bien! tant que Paris restera la
capitale de la France , il importe que
les représentants de la France et le
gouvernement y soient chez eux, non
pas simplement en hôtes, mais les vrais
maîtres de la maison. Oh 1 M. Sigis-
mond Lacroix a fait de la courtoisie pa-
risienne un tableau tout aimable 1 De
conflits, de froissements même entre les
habitants de Paris commandés par leur
maire et le gouvernement qui représente
la France, il n'en voit pas l'ombre de
possibles. Paris manquer d'égards pour
la souveraineté nationale! Qui pourrait
s'arrêter seulement à cette pensée? Et
de fait tout irait adorablement pendant
six mois au moins. On serait de part
et d'autre toute tendresse, tout miel.
Seulement imaginez un beau jour que
tel vote de la Chambre ou telles élec-
tions générales déplussent h la bonne
ville de Paris , - j'entends à celui qui
se trouverait à sa tête, — vous verriez
en un tour de main ce que pèserait le
respect de la volonté nationale. Parle-
ment et ministère auraient le choix ou
de devenir les prisonniers de la com-
mune de Paris ou de passer lestement
l'enceinte des fortifications.
Louis XI alla une fois - à Péronne,
mais il s'en souvint toute sa vie. L'ex-
périence de la mairie centrale a été faite
une fois sous la première Révolution,
et celle-là suffit. M. Flouuet doit venir
aujourd'hui même apporter à la thèse
soutenue par M. Sigismond Lacroix le
renfort de son éloquence ; nous nous
bornerions volontiers à lui demander
s'il souhaiterait voir se renouveler, en
quelque jour d'émotion populaire, les:
scènes tragiques de la Convention en-
vahie. La représentation nationale est à
Paris à titre de'souveraine; elle ne con-
sentira jamais plus, nous en sommes
convaincus, à s'y voir traitée en pri-
sonnière.
Ce que nous ajouterons, le voici : c'est
que cette question de la mairie centrale
laisse les Parisiens fort indifférents; ils
se contentent fort bien de leurs maires
d'arrondissement, ils ne se sentent nulle-
ment humiliés de voir un préfet de la
Seine chargé de l'administration de la
grande ville, et un préfet de police
chargé de la sécurité des rues; ils vou-
draient seulement que l'administration
fût moins tracassière et la police plus
nombreuse ; ils savent gré à nos con-
seillers municipaux du zèle avec lequel
ils surveillent la gestion de nos finan-
ces, de leurs efforts en faveur de l'ins-
truction primaire; ils seraient tout à fait
satisfaits d'eux s'ils faisaient quelque
chose pour l'enseignement secondaire
des fiiles et s'ils ne perdaient pas de
trop longues séances à discuter des
questions politiques qui ne sont pas de
leur ressort.
CHARLES BIGOT*
-
Nouvelles parlementaires
L'Union démocratique a tenu séance, à qua-
tre heures, au Palais-Bourbon.
Son président,, M. Roger, a tendu compte
de l'entrevue qu'il a eue avec le ministre de
l'intérieur.
La réunion a discuté la question de sec-
tionnement. La majorité du groupe est op-
posée au projet présenté.
Sur la question de l'ajournement des dis-
positions transitoires jusqu'à la discussion
d'une loi spéciale relative à l'organisation
municipale de Paris, le groupe est d'avis de
ne prendre aucune initiative.
MM. Devès, Duval, Graux et Langlois ont
pris part à la discussion. -
* i
* *
L'Union démocratique et l'Union républi-
caine avaient délégué leurs présidents au-
près de M. le ministre de l'intérieur pour le
prier de ne pas poser la question de con-
fiance à propos du projet de sectiennement
électoral de la Ville de Paris.
M. Waldeck-Rousseau a répondu qu'il était
bien décidé à laisser la Chambre se pronon-
cer en toute liberté et à ne pas faire de l'a-
doption du sectionnement une question per-
sonnelle, attendu que ce projet ne lui est
pas propre, mais a été élaboré par M. Hé-
rold et qu'il l'avait repris seulement parce
que M. Hérold ayant toujours eu la confiance
du conseil municipal, il avait cru ce projet
conforme aux vues de ce conseil.
*
* *
La commission nommée pour examiner le
projet de loi voté par le Sénat ayant pour
objet la protection des enfants abandonnés,
délaissés ou maltraités, s'est réunie hier
matin.
Elle a nommé président M. Rameau et se-
crétaire M. Pelisse.
La commission a examiné et approuvé les
titres 2, 3 et 5 du projet ; mais elle a décidé
qu'elle ajournait toute décision en ce qui con-
cerne les dépenses jusqu'à ce qu'elle ait en-
tendu les ministres de l'intérieur et des
finances.
*
* *
La commission relative aux conseils de
prud'hommes a examiné les propositions de
MM. Giard et Pierre Legrand, sans prendre
de décision.
Elle a chargé son président, M. Esnault,
de voir le ministre du commerce, pour lui
demander s'il compte déposer prochaine-
ment son projet annoncé depuis longtemps
sur la même question.
«
» »
La commission des ouvriers mineurs s'est
réunie hier à trois heures.
Son président, M. Maigne, a demandé si la
commission veut ouvrir une enquête, et ce
qu'elle désire faire en présence des nouvel-
les propositions relatives aux conseils des
prud'hommes en général et de la discussion
qui va s'engager à la Chambre, sur les so-
ciétés de secours mutuels.
M. Girard soutient la nécessité de mainte-
nir le projet déposé, qui accorde des pru-
d'hommes aux mineurs, et d'en réclamer la
discussion prochaine. Adopté.
11 ajoute que les ouvriers ne paraissent
pas accepter toutes les dispositions du projet
relatif aux délégués mineurs pour la consta-
tation des accidents ; il croit l'enquête in-
dispensable.
M. Emile Brousse demande que les inté-
ressés soient entendus aussi sur les caisses
de retraites et de secours, et que l'examen
de cette question soit séparé de celui de la
caisse de retraites de l'Etat.
M. Brossard croit que des renseignements
sont indispensables sur ces deux questions.
Sur la proposition de M. Marius Chavan-
nes, la commission décide qu'elle entendra
les intéressés qui le désireront, dans une
réunion spéciale qui se tiendra le mercredi
5 décembre, à neuf heures du matin, à la
Chambre.
Le ministre des travaux publics sera ap-
pelé au sein de la commission, ainsi que M.
Waldeck-Rousseau, auteur de l'une des pro-
positions. La commission s'ajourne à mer-
credi pour aborder l'étude des propositions
concernant l'organisation des caisses de
prévoyance.
* *
Hier, réunion plénière du groupe républi-
cain du Sénat.
Sur la proposition faite par le Centre gau-
che, les trois groupes ont accepté la candi-
dature de M. de Pressensé au siège de séna-
teur inamovible, laissé vacant par la mort
de M. Victor Lefranc.
L'élection sera faite par le Sénat en séance
publique, le 17 novembre.
*
Le sixième bureau du Sénat a élu membre
de la commission des récidivistes, M. Gou-
tey, favorable au projet, par 11 voix con-
tre 7.
*
* *
Une délégation des électeurs sénatoriaux
de la Seine s'est rendue au Sénat à l'effet de
pressentir les sénateurs de es département
sur leurs intentions au sujet du compte
qu'ils doivent rendre de leur mandat devant
le collège électoral sénatorial.
M. Labordère a donné une réponse favo-
rable à la délégation, tout en faisant remar-
quer que rien ne l'obligeait à le faire.
Quant à MM. de Frevcinet, Tolain et Pey-
rat, ils ont répondu qu'avant de faire con-
naître leur réponse, ils avaient besoin de se
concerter ensemble.
La réunion publique devant laquelle se-
raient appelés à comparaître les sénateurs
de la Seine, si elle a lieu, serait convoquée
vers la fin de novembre ou dans les pre-
miers jours de décembre.
M. M
La commission des livrets d'ouvriers -^g
réunie avant-hier, à deux heure^ 3ous j
présidence de M - g. Boxt"
-.., -1 11,
La commission a maintenu l'adoption de
l'article premier du projet de M. Gustave
Denis, en y ajoutant une disposition de J~-
Dauphinot.
Il en résulte, qu'à l'avenir, le livret sera
purement facultatif.
Le maire délivrera à chaque ouvrier qui
en fera la demande, un livret indiquant son
état civil et sa profession; le patron sera
tenu de viser régulièrement ce livret ; il va
de soi, du reste, que ce livret est purement
conventionnel; il équivaudrait, en quelque
sorte, à un brevet professionnel.
A. L.
DE PONTOISE A STAMBOUL
FÉERIE AUTHENTIQUE (i)
V
En effet, nous étions à l'entrée du
Bosphore. La prudence du gouverne-
ment turc en interdit l'accès même aux
bâtiments de commerce depuis le cré-
puscule jusqu'au lever du soleil. Mais
le soleil s'était levé avant moi, les for-
malités de police et de santé étaient
remplies ; déjà notre aimable Missak-
Efïendi s'était fait débarquer sur la côte
de Thrace où sa famille l'attendait pour
quatre jours après quatre ans d'absence.
Déjà nous avions embarqué le drogman
et un conseiller de la légation belge,
ainsi que M. Weil, inspecteur général
des agences de la Compagnie Nagelmac-
kers. Ce jeune Français, décoré comme
officier en 1871, s'était chargé obli-
geamment de préparer notre séjour,
d'organiser nos promenades, d'obtenir
les firmans, de faire les logements à
l'hôtel. Et il s'était acquitté de sa tâche
avec tant de zèle et d'esprit, que nous
n'eûmes, pour ainsi dire, qu'à nous
laisser vivre, car les spectacles et les
plaisirs vinrent spontanément à nous,
sans nous donner le temps de désirer la
moindre chose.
Nous trouvons maintenant que YEspero
marche trop vite : ce ne serait pas trop
d'une demi-journée pour détailler les
deux panoramas qui se déroulent simul-
tanément sous nos yeux. Ce profond et
rapide canal d'eau presque douce qui
emporte à la mer de Marmara le large
tribut du Danube" du Don, du Dniester,
du Dnieper et des cinq ou six autres
fleuves de la mer Noire, tient une place
énorme dans l'histoire du genre humain.
Il a eu pour marraine une maîtresse de
Jupiter, la belle Europe, qui le traversa
à cheval, ou pour parler correctement
à taureau, sur ta croupe du maître des
dieux. Que d'autres aventures depuis
celle-là, jusqu'à la fanfaronnade de lord
Byron nageant vers la tour de Léandre 1
Ici, l'histoire est aussi merveilleuse que
la légende : rappelez-vous le passage
de Darius, le pont de bateaux de Xerxès,
la mer fouettée de verges par ce grand
fou qui tomba amoureux d'un platane
et lui donna plus de bijoux que jamais
financier n'en promit à une danseuse
de l'Opéra. Les barbares, les demi-bar-
bares et les civilisés, les païens et les
chrétiens, les orthodoxes, les schisma-
tiques, les musulmans, se sont donnés
rendez-vous dans ce champ-clos pen-
dant plus de deux mille ans pour disputer
l'empire du monde. Et tout n'est pas
fini, puisque Constantinople est le centre
autour duquel gravite depuis un siècle
au moins la politique européenne.
Quoique la ville ne compte pas, selon
toute apparence, un million d'habitants,
elle s'étend par ses faubourgs depuis
l'entrée'de la mer Noire jusqu'à la mer
de Marmara, sur toute la rive d'Europe,
sans parler de Scutari et de cette ban-
lieue asiatique qui s'étend de Béicos à
Kadikeui. Il est vrai d'ajouter que les
magnificences de ces bords enchantés
sont presque toutes en façade. Les pa-
lais, les villas, les kiosques, s'étalent à
nos yeux comme un décor de théâtre
derrière lequel on ne trouve souvent
que des montagnes et des ravins. Des
bâtiments de grande apparence ne sont
que des chalets peints en pierre, comme
l'ambassade de France à Thérapia. Le
sultan qui en fit largesse a Napoléon 1er
n'avait certes pas lésiné sur la dépende;
mais l'humidité du détroit est si péné-
trante en hiver qu'elle démolirait les
murailles les plus solides ; les cloisons
lui résistent mieux. Cependant le bois
peint se désagrège avec le temps. Nous
remarquons beaucoup d'habitations en
ruines que l'on ne songe pas à réparer,
soit que le propriétaire ait éprouvé des
revers de fortune, soit qu'il ait eu la
fantaisie de porter ses pénates ailleurs.
Les lieux communs qui se débitent en-
core de temps en temps sur les Turcs
campés en Europe prennent ici une ap-
parence de vérité. Les Arméniens, les
Grecs, les Francs, les Turcs surtout,
lorsqu'ils étaient maîtres de l'Orient,
ont fait ici, pour leur plaisir ou pour
leur vanité, des dépenses incalculables.
Un seul kiosque, construit sur la rive
d'Asie et offert au sultan par Méhémet-
Ali, a coûté six millions de francs ; il
est abandonné depuis longtemps et
tombe en ruines. Le khédive Ismaïl-
Pacha s'est fait bâtir ici une résidence
-- l'ovale, entourée de iardins comme on
n'en voit que dans les 1!!iile et une Nuits
n'en voit que - et une Nuits
ou dans le service de M. Alphand à
Paris; rançon sultan Mourad est confiné
à rch:ragan dans un palais immense,
et .-empereur régnant Abd-ui-Hamid lo-
i gerait aisément dix mille hommes
(i). Voir Jes numéros des 2i, 26, 31 octobre e
8 novembre 1683.
derrière les façades marmoréennes et les
énormes grilles dorées de Dolma-Bagt-
cRe. Hé bien 1 faut-il vous l'avouer? ce
que j'ai aperçu de plus beau sur la rive
d'Europe, c'est un ouvrage militaire du
quinzième siècle, Rouméli-Hissar, élevé
par Mahomet Il.
Un jeune passager arménien qui a
appris le français à Constantinople, et
qui par conséquent le parle bien, nous
a fait les honneurs du Bosphore depuis
Bujukdéré jusqu'à Top-Hané. Nous
avons mesuré en passant la profondeur
du canal, grâce à un paquebot des Mes-
sageries françaises, la Provence, qui a
été coulé à pic et qui élève hors de
l'eau juste la pointe de son grand mât.
UEspero stoppe, les embarcations nous
abordent, les interprètes nous envahis-
sent ; il ne nous reste plus qu'à des-
cendre, mais nous ne sommes pas pres-
sés, car ce qu'il y a de plus beau dans
celte ville, je le sais par expérience,
c'est le premier coup d'œil, le profil des
collines, la découpure des dômes et des
minarets sur le ciel, la couleur chaude
et variée des édifices petits et grands,
le va-et-vient des navires et des Caïques
sur le Bosphore et dans la Corne-d'Or,
la merveilleuse diversité des types et
des costumes. Le voyageur assez heu-
reux ou assez courageux pour s'en te-
nir à la première impression, s'extasier
franchement un quart d'heure et retour-
ner chez lui sans demander son reste,
ne ferait pas un mauvais calcul. Mais la
Mouche du Lloyd qu'on a mise obli-
geamment à notre service est déjà les-
tée des bagages. Eveillons-nous d'un
trop beau rêve ; allons perdre nos illu-
sions.
Grâce à la qualité officielle de M. Olin,
qui doit nous attirer des faveurs de toute
sorte, nous débarquons à la grille de Top-
Hané, qui est la fonderie impériale des
canons. Huit ou dix landaus de grande re-
mise, à cochers galonnés, nous atten-
dent avec les interprètes sur le siège ;
nos bagages suivront sur le dos des
hammals ou portefaix turcs, qui sont
les plus honnêtes gens du monde. Et
nous voilà galopant en file indienne sur
le pavé capricieux et dans la boue
gluante de Galata, le long des bouche-
ries, des cafés, des gargotes, des épi-
ceries ou baccals, dont la seule odeur
fournirait douze chapitres a M. Zola,
des boutiques de fruitiers admirables où
resplendit l'or des raisins, le corail des
piments, la pourpre des tomates, le
grenat des jujubes, l'améthyste épisco-
pale des aubergines. Je me sens rajeu-
nir de trente ans aux cris de la rue, en
entendant brailler un gamin grec qui
vend des radis rouges : « hokkina rapa-
nakia! », et un jeune Turc qui col-
porte presque aussi bruyamment le lait
caillé ou -yaourt. Nous sommes arrêtés
un moment par la rencontre de quatre
Turcs superbes qui portent, suspendu
à des arceaux de bois, un tonneau
presque aussi monumental et aussi
lourd que le foudre de Heidelberg. Les
mendiants profitent de l'occasion pour
s'abattre sur nous. Toujours les mêmes,
ces gaillards-là l J'ai bien cru en recon-
naître un ; ce serait pourtant grand mi-
racle si jen trente ans il n'avait pas
vieilli. Les chiens pullulent toujours
dans les rues, et ils sont plus laids, plus
crottés, plus galeux et plus bruyants
que jamais. Mais voici du nouveau, de
l'inconnu, de l'inédit. Devinez quoi? Je
vous le donne en mille : un tramway,
mais un tramway assurément comme
vous n'en avez pas vu : les rails po-
sés sur une rampe de sept centimètres
par mètre, une vieille voiture qui doit
avoir été dans son temps diligence
en Auvergne ou coucou dans quelque
banlieue, deux chevaux qui descendent
la montagne au grand galop, et un
sais qui dégringole plus vite encore, car
son métier consiste à précéder la voi-
ture et à repousser les passants qui vou-
draient se fàire écraser. Je dois dire
que toutes les lignes ne sont pas éga-
lement vertigineuses et qu'on y voit
rouler par-ci par-là du matériel presque
neuf. Les fiacres sont encore assez
rares, faute de rues suffisamment car-
rossables, et les chevaux de selle à la
disposition du public stationnent com-
me autrefois dans les carrefours, chaque
animal flanqué de son propriétaire, qui
suit à pied le cavalier au galop et le
devance quelquefois. Peu ou point de
charrettes en ville, mais force caravanes
de baudets, de chevaux de bâts et même
de chameaux chargés de briques, de
pierres, de planches, et autres maté-
riaux de construction. Car on bâtit
beaucoup de maisons neuves àJPéra, et
même de fort belles, au milieu des bara-
ques de bois qui s'effondrent et des rui-
nes qu'on abandonne à leur destin.
Quelques masures de Péra, les plus
vieilles et les plus déjetées, ont con-
servé l'aspect mystérieux des habita-
tions turques ; mais ce sont de très
rares exceptions, de même que les mai-
sons chrétiennes à Stamboul : la popu-
lation de la ville tend à se cantonner
de plus en plus par affinités-électives,
selon les cultes et les nationalités.
L hôtel du Luxembourg, appelé aussi
Grand Hôtel, qui doit nous héberger
presque tous, est établi en bonne place
et en bon air dans la grande rue de
Péra. C'est une vaste maison presque
neuve et très propre, bâtie économi-
quement par des spéculateurs qui en
tirent un bon loyer. Notre hofelier, M.
Flament-Belon, est un Français actil et
1 | intelligent qui a passé sa vie en Orient,
fait et défait plusieurs fois sa fortune
et honorablement élevé une famille de
sept enfants. Hélas ! l'aubergiste fran-
çais est un type qui tend à disparaître.
Il sera bientôt remplacé, même en
France, par une espèce de diplomate
allemand qui porte la cravate blanche
et les mains sales et dont la politesse,
insolente et rapace, fait tourner le lait
dans les tasses et aigrit le vin dans les
bouteilles. Les braves gens qui ont hé-
bergé ma jeunesse voyageuse nous lo-
geaient moins confortablement, à coup
sûr, ne nous alimentaient peut-être pas
beaucoup mieux et ne nous donnaient
pas pour rien ce qu'on vend très
cher aujourd'hui ; mais leur usage
nous servait, dès l'arrivée, un plat de
bonne mine. Ils avaient une façon de
souhaiter la bienvenue qui disait :
Vous êtes chez vous. Ils reconnais-
saient un client au bout de dix années
et lui demandaient des nouvelles de
sa famille: S'ils vous voyaient pour la
première fois, ils s'excusaient, ou peu
s'en faut, de ne pas vous connaître en-
core et vous posaient assez de ques-
tions pour vous connaître à fond dans
un instant. Bref, on était chez eux un
peu moins qu'un ami, mais beaucoup
plus qu'un numéro, et, la note acquit-
tée, on ne dérogeait pas en les remer-
ciant des attentions qu'ils nous avaient
données par-dessus le marché. Voilà ce
qu'on ne rencontre plus guère à Cau-
terets, à Nice ou à Trouvilie ; voilà ce
que nous avons trouvé avec un peu de
surprise et beaucoup de plaisir chez ces
bonnes gens du Grand Hôtel de Péra.
Ils avaient fait l'impossible pour nous
loger convenablement aux deux pre-
miers étages de la maison, et les voya-
geurs arrivés avant nous les y avaient
aidés avec une bonne grâce vraiment
rare : par exemple, j'ai su que ma cham-
bre avait été cédée obligeamment par
le jeune prince Grégoire Soutzo, fils de
l'ancien ministre des affaires étrangères
Athénien de naissance, Roumain par na-
turalisation et licencié ès lettres de la
Faculté de Paris. Après une heure d'a-
blutions qui m'eût semblé délicieuse si
l'eau de Constantinople était moins sale,
un déjeuner passable réunit à la table
d'hôte toute la bande joyeuse des wa-
gons-lits ; puis, sans perdre un moment,
dociles et disciplinés comme les clients
anglais de l'agence Cook, nous nous
mettons en devoir d'épuiser l'ordre du
jour tel que M. Weil l'a rédigé.;
Notre guide est un aide de camp du
sultan, le général Ahmed, qui a terminé
ses études à Paris, non pas, comme on
pourrait le croire, à l'Ecole d'état-major,
mais dans l'atelier de Gérome. Il était
peintre, et même assez bon peintre pour
que Courbet lui demandât un de ses
paysages et que le jury du Salon lui
décernât une mention honorable. C'est
que la spécialité ne sévit pas aussi des-
potiquement chez les unentaux que
chez nous. Fuad-Pacha, le grand Fuad,
était médecin militaire avant de devenir
le second personnage de l'Etat. J'ai re-
trouvé à Bucarest un grand garçon fort
intelligent, M. Obedenare, que j'avais
connu étudiant en médecine. Quand je
lui demandai ce qu'il était devenu depuis
le temps, cet excellent docteur me ré-
pondit qu'il était premier secrétaire à la
légation de Rome. Le général Ahmed
fait monter le ministre du roi des Belges
dans une magnifique voiture à la livrée
du sultan; nous retrouvons les landaus
qui nous ont amenés à l'hôtel et nous
partons en troupe pour le palais de
Dolma-Bagtché. Ce qui caractérise au-
jourd'hui le luxe oriental, c'est qu'il est
fabriqué de toutes pièces à Paris, à Au-
busson, à Saint-Gobain, à Baccarat, dans
toutes les manufactures de France. Tan-
dis que nous nous disputons à l'hôtel
Drouot les tapis de la Perse, de l'Inde et
de la Turquie, on n'apprécie ici que nos
moquettes; les meubles fabriqués au
faubourg Saint-Antoine sont tendus in-
variablement en soieries de Lyon. Rien
de plus riche que ces intérieurs où l'on
n'a regardé à la dépense que pour la
pousser au maximum ; mais la moindre
vieillerie originale et nationale ferait
beaucoup mieux notre aftaire. Les glaces
de trente mètres carrés, les candélabres
de cristal à deux cent cinquante bou-
gies, les cheminées revêtues de mala-
chite ou enrichies des porcelaines les
plus élégantes de la rue Paradis-Poisson-
nière, ne valent pas pour nous une lampe
de mosquée ou même un seul carreau
de belle majolique. Plusieurs choses
m'ont intéressé dans ce palais immense
et ruineux, par exemple les salles de
bain construites en albâtre oriental et
une petite galerie de tableaux modernes
où l'on est tout heureux de retrouver
le Gynécée de Gérome (est-ce bien ainsi
qu'on l'appelle ?) et quelques-unes des
meilleures toiles de Fromentin, de Ber-
chère et de Pasini.Mais la salle des fêtes
où l'on posait une petite bande de
carpette extrêmement simple pour la
réception du Courbam-Beirmu m'a seule
émerveillé par la hardiesse de sa cons-
truction et la noblesse de ses lignes.
Lorsqu'une œuvre d'architecture a été
conçue grandement, les incorrections
de détail sont noyées dans la beauté
de l'ensemble. Témoin l'effet de Saint-
Pierre de Rome, où le détail est souvent
des plus défectueux.
Nous n'avons vu de Dolma-Bagtché
que le selmnlik, c'est-à-dire les bâti-
ments à l'usage du maître. Un autre pa-
lais aussi grand, peut-être plus grand,
et renfermé dans la même enceinte, es!
occupé par le harem du sultan, qui est
tout un monde, et un monde soigneuse-
ment fermé, comme on sait. Mais nous
avons pu effleurer sans indiscrétion les
délices et les splendeurs de la vie de fa-
mille chez un musulman couronné, car
au sortir de Dolma-Bagtché Ahmed-Pa-
cha nous a conduits au kiosque de Bey-
lerbey dont les fenêtres étroitement
grillées prouvent qu'Abd-ul-Azis n'y ha-
itait pas seul. Un petit vapeur du sul-
tan et quatre caïques impériaux enle-
vés (c'est le mot) par des rameurs vêtus
de blanc nous transportent à la rive
d'Asie et nous déposent sur l'escalier
déjà quelque peu délabré de ce joli pa-
lais. C'est là que l'impératrice Eugénie
a reçu l'hospitalité en 1869, dans la der-
nière année de sa gloire et de son bon-
heur. La prise de possession d'un tel
nid par la princesse la plus gracieuse
de l'Europe et sa petite cour" en belle
humeur fut assurément une fête comme
le Bosphore en avait peu vu. Figurez-
vous les étonnements et les curiosités,
les cris d'admiration et les éclats de rire
de quelque fine Parisienne introduite
dans cette sorte de cloître conjugal qui
s'appelle un harem. Il devait être déli-
cieux, le kiosque de Beylerbey; il l'est
encore, et beaucoup, puisque nous en
sortons enchantés sous un ciel noir,
pour aller visiter ses jardins sous une
pluie battante.
Deux mots sans plus à l'adresse des
poètes et'des jardiniers. Les uns, par
leurs descriptions plus brillantes que
véridiques, ont abusé les autres sur le
climat et la végétation de ce pays. La
géographie elle-même a pu accréditer
beaucoup d'erreurs en* nous montrant
Constantinople sur le même degré de
latitude que Naples. Hélas ! Constanti-
nople n'a pas le climat de Naples, il s'en
faut 1 Le ciel y est très dur au pauvre
monde; il y vente à force, il y neige à
profusion et il y gèle à pierre fendre.
Aussi la nature y est-elle assez exacte-
ment ce qu'elle est à Paris. La Grèce a
de beaux orangers, voire des palmiers
assez grands qui vont jusqu'à promettre
des dattes.: ici, vous ne rencontrerez
pas même un olivier. Aussi les jardins
d'agrément, fût-ce autour des palais
impériaux, ont les mêmes massifs et
les mêmes corbeilles que nos squares ;
troènes et fusains par-ci, coleus, anthé-
mis, fuchsias et géraniums par là, et
rosiers de Bengale à profusion. Je n'en
ai pas aperçu beaucoup d'autres. Mais
un * vrai sage se peut contenter à ce
prix ; je ne suis pas venu ici pour voir;
mûrir les ananas en pleine terre, et ce
n'est pas sans un secret contentement
que je retrouve si loin de chez nous
mon modeste jardin de Pontoise. Pour.
couronner dignement cette excursion
en Asie, nous gravissons deux ou trois
étages de terrasses et nous allons dé-
ranger deux malheureux couples de
tigres fort beaux d'ailleurs et bien nour-
ris derrière leurs barreaux de fer. Ce
sont les derniers survivants de la mé-
nagerie d'Abd-ul-Azis.
Nous nous rembarquons pour l'Eur
rope et l'on nous met à terre à la
pointe du vieux sérail. C'est tout ce
qu'il y a de plus curieux dans Stamboul,
le beau du beau, le fin du fin, la quin-
tessence, quoique le vieux sérail (ou pa-
lais) soit brûlé, comme presque tous les
monuments qui datent de la conquête)
Ahmed-Pacha qui n'a point mandat de
nous épargner les émotions, au con-
traire, nous introduit d'abord dans le
trésor des sultans, dont la clef seule est
un morceau qui mériterait le voyage.)
Elle n'a pas encore tourné dans la ser-
rure que le joyeux représentant du
Times nous propose un coup analogue,
à celui que les Anglais ont exécuté en
Egypte : « Messieurs, dit-il, nous som-
mes trente et les gardiens ne sont
que quatre. Egorgeons-les et prenons
tout». Comme il disait ces mots, trente
ou quarante jeunes Turcs semblent sor-
tir de terre et prennent position de-
vant les vitrines, non certes pour les
défendre, mais plutôt pour nous en faire
les honneurs. Ce trésor est surtout pré-
cieux comme musée. Je ferais assez bon
marché des métaux précieux et des
pierreries qu'il contient, sans excepter
le trône d'or massif tout incrusté de
joyaux, et les coussins brodés de perles,
et les boisseaux de diamants, de saphirs,
d'émeraudes et de rubis. Tout cela vaut
bon nombre de millions, j'en conviens ;
mais parlez-moi des armes, des armu-
res, des étoffes, des broderies, de cette
collection fabuleuse qui contient les
costumes d'apparat de tous les sultans
depuis Mahomet II, avec tous leurs poi-
gnards et leurs aigrettes impériales .j
evant cet amoncellement de belles
choses, on est pris d'une certaine re-
connaissance pour les despotes qui les
ont conservées religieusement au milieu
de nécessités quelquefois très urgentes.
Abd-ul-Azis est le seul, dit-on, qui ait
puisé parfois dans les boisseaux de dia-
mants pour donner des parures à ses
femmes ; mais à l'époque où il l'a fait
n'était-il pas déjà irresponsable ?
On dit que la mosquée d'Irène ren-
ferme un précieux dépôt d'antiquités
musulmanes et des armes du temps des
croisades ; mais les simples giaours
comme nous ne sont point admis à les
voir. Par compensation, l'on nous a ré-
galés d'une visite au kiosque de Bagdad.
C'est la seule fantaisie archéologique
qui soit jamais éclose dans l'esprit d'un
sultan ; mais quelle heureuse idée d'em-
ployer à la décoration d'un édifice du
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