Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-09-25
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 68249 Nombre total de vues : 68249
Description : 25 septembre 1883 25 septembre 1883
Description : 1883/09/25 (A13,N4283). 1883/09/25 (A13,N4283).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7567187q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/06/2013
Treizième année. -AB- N° 4283
Prix du numéro à Paris: 15 centimes - Départements: 20 centimes
Mardi 25 Septembre 1883
*
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR ;
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, r'U..e GadLet, ±€3
Zes Manuseits non insérés ne seront pas rendu:
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois 18 »»
Six mois. 32 »»
Un an. 6S n
PARIS
Trois mois. 43 »»
Six mois 25 »»
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
Régisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6 -
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
1B, rue Cadet, 10
-
Les Lettres non affranchies seront refuslea
1 ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS *
Trois mois. 16 »»
Six mois 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 ibi
Six mois. 25 M
Un an. SE -
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestu
Les Abonnem4* partent des 1" et 15 de chaque mois
Bégisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G1
6, Place de la Bqm-se) 6
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 23 SEPTEMBRE
Premier arrondissement de Paris
(Scrutin de ballottage)
Inscrits. i4,889
Votants. 8,389
MM. Forest) président du cou- „ „
seil municipal. 5,305 ELU
Despatys, réactionnaire.. 2,763
Bulletins blancs et nuls.. 215
SAONE-ET-LOIRE
Deuxièmejcireonscriplion de Chalon-s.-Saône
(Scrutin de ballottage)
Inscrits. g. fÕ,085
Votants S. ",;';. 11,459
.-..-------
MM. Lorancliet, rép. radical.. 4,666 ELU
L'abbé Sanvert, rép. ind. 4,018
Mathey, républicain. 2,775
PARIS, 24 SEPTEMBRE 1883
Elles sont vraiment curieuses, ces
dissertations sur la condamnation de
-- Galilée, que signalait hier notre colla-
borateur Bigot. Chicanes et puérilités,
oui, certainement; mais quelle amu-
sante comédie nous donnent aujourd'hui
les docteurs de l'Eglise infaillible, en
nous disant : « Cela ne regarde pas le
pape ! Ce n'est pas lui qui s'est trompé ;
ce-sont les congrégations de cardinaux,
c'est l'Inquisition et l'Index ; or l'In-
quisition et l'Index ne sont nullement
iiifaillibles. »
En lisant ces choses, nous pensions
que, si nous étions des catholiques et
des partisans convaincus de l'infailli-
bilité pontificale, nous serions vraiment
enchantés de voir ainsi l'Index et l'In-
quisition jetés par-dessus bord. Cela
suggère le, moyen, savez-vous, de ré-
parer quelques fortes bévues 1 Par
exemple, voici l'affaire des manuels ci-
viques, dont nous parlions tout juste-
ment hier encore. Lorsqu'ont paru les
décrets de condamnation, le clergé ca-
tholique français feignit de croire ou
crut réellement peut-être que ces ou-
vrages étaient condamnés au nom de
l'Eglise infaillible, et, partant de là, dé-
clara excommuniés tous les lecteurs de
Mme Gréville, de M. Compavré et de M.
Paul Bert. Vous avez vu ce qui en ré-
sulta : les suspensions de traitements
ecclésiastiques, les explications échan-
gées entre le pape et le président de la
République, enfin le rétablissement de
la bonne harmonie entre la République
française et le Saint-Siège, à preuve
que l'argent a été rendu.
J'imagine que Léon XIII et M. Grévy
sont préalablement tombés d'accord pour
reconnaître qu'il n'y a lieu d'attacher
aucune importance aux décrets de la
Congrégation de l'Index. « Allons 1 boni
aura dit le pape; c'est encore la sacrée
Congrégation qui a fait des siennes!
J'ai eu torl de ne pas la surveiller d'un
peu plus près. Mais cela n'a nulle va-
leur, dilecte fili, je n'y suis pour rien.
Comme dit le R. P. Grisar, si quel-
qu'un a prononcé, ce n'est pas celui qui
est investi de l'infaillibilité promise par
le Christ 1 »
Il n'est sans doute pas téméraire d'ex-
primer l'espoir qu'ainsi finira la bruyante
campagne des manuels. Quand nous
avons avec nous, un théologien de la
force du R. P. Grisar, nous n'éprouvons
plus aucun embarras pour rassurer les
consciences pieuses où les derniers dé-
crets de l'Index auraient porté le trou-
ble. Etre condamné par l'Index, qu'est-
ce que cela? L'Index en est-il à sa pre-
mière sottise? Il a condamné Galilée
pour avoir soutenu que la terre tour-
nait, et cependant la terre tourne et
l'Index est tourné en ridicule. Les con-
condamnations de l'Index? Elles font
hausser les épaules aux plus orthodoxes
de nos révérends pères jésuites!
« Qu'on nous montre au moins —
nous citons encore les propres expres-
sions du R. P. Grisar, — qu'on nous
montre donc, si l'on veut mêler l'Eglise
infaillible à cette affaire, le document
par lequel un concile ou même le pape,
en sa qualité de docteur universel de
l'Eglise, aurait approuvé les décisions
en question des congrégations romai-
nes 1 » Il s'agit ici, l'on s'en souvient,
des décisions concernant Galilée ; mais
appliquez la phrase aux décisions tou-
chant les manuels, et le raisonnement
aura la même force. Le pape ai l'infail-
libilité ne sont en cause. Avis aux ca-
tholiques ! Ils peuvent lire, désormais, les
fameux manuels et ne seront point
damnés pour cela.
EUG. LÉBFTRT.,
———————
TOJOURS LES GARANTIES
L'Univers répond vertement à ceux
qui s'irritent de le voir demander des
explications et des garanties au « chef
de la maison de France », avant de lui
apporter le concours du parti clérical.
Il leur rappelle qu'en d'autres temps ils
ont tenu un autre langage. Le chef de
la maison de France, le roi, s'appelait
alors M. le comte de Chambord. Son
titre et son nom ne suffisaient pas
cependant. On réclamait de lui un pro-
gramme et des déclarations : « Le
Français, journal de M. le duc de
Broglie et du Centre droit, écrivait le
27 octobre 1873: « Le comte de Cham-
» bord devra accepter un pacte nette-
» ment défini pour rentrer comme roi,
» et ce pacte sera la confirmation
» même des principes de 89; l'initia-
» tive royale ne sera rien de plus que
» le droit d'initiative reconnu aux dé-
» putés. »
Et Y Univers ajoute encore : « A la
même époque, Mgr Dupanloup écrivant
à M. de Pressensé, député protestant et
républicain, lui promettait que la royauté
dont on préparait la restauration serait
basée sur les immortels principes de 89,
et il ajoutait : « Je désire la monarchie,
» et cependant je n'engage pas absolu-
» ment mon vote. »
La vérité c'est que l'attitude de l'U-
nivers s'explique fort bien aujourd'hui et
qu'il y a dix ans l'attitude de ses ad-
versaires n'était pas moins naturelle. Il
n'y a pas d'amitiés en politique ; il
n'y a que des intérêts et c'est à qui dé-
fendra le mieux les siens. Personne n'i-
gnore qu'à moins de bons engagements
faits d'avance il risquerait fort le len-
demain de voir sa confiance trompée ;
et encore les meilleurs engagements
valent-ils parfois tout juste un billet de
La Châtre!
En 1873, le prétendant au trône était
manifestement absolutiste et ultramon-
tain ; c'étaient les parlementaires et les
catholiques libéraux qui exigeaint de lui
des garanties avant de se rallier. En
1883, le chef de la maison de France est
le petit-fils de Louis-Philippe dont la
monarchie voltairienne était, disait-on, la
meilleure des républiques ; ce sont, à leur
tour, les partisans du droit divin et les
ultramontains qui exigent des garan-
ties. W>. • y ***'
C'est là, quoi que l'on fasse, la diffi-
culté dont on ne sortira pas plus au-
jourd'hui qu'il y a dix ans. M. le comte
de Chambord a parlé d'intrigues, de
toiles d'araignées où l'on avait voulu
l'enlacer ; on pourra, si l'on veut, par-
ler également de toiles d'araignées et
d'intrigues. La réalité, c'est que de part
et d'autre on ne peut arriver à s'enten-
dre qu'à la condition de ne pas s'expli-
quer et qu'à un moment donné ceux-ci
ou ceux-là réclameront toujours des ex-
plications. Entre les deux partis, un
abîme est creusé qui s'appelle la Révo-
lution de 1789. Les légitimistes n'ont
plus qu'à s'effacer : le prétendant est
mort qui incarnait leur foi politique et
représentait leurs espérances obstinées.
Mais les cléricaux, eux, sont toujours
debout et le Vatican n'a pas cessé de
leur donner le mot d'ordre. Ce qu'il
leur faut en France, c'est une royauté
j ! qui fasse les affaires de l'Eglise d'abord
et avant tout ; une royauté qui combatte
résolument l'hérésie et la libre-pensée ;
une royauté qui protège la religion, qui
favorise les congrégations, qui remette
l'instruction de la jeunesse aux mains
du clergé comme au vieux temps. Ils
veulent celle-là et non pas une autre ;
et quelque soin que l'on mette à pra-
tiquer la devise : « Silence et mystère 1 »
il faudra que l'on se résigne à s'expli-
quer catégoriquement sur ce point et à
leur donner satisfaction ; ou bien ce si-
lence même deviendra pour eux la plus
claire des explications. N'est-il pas
écrit dans l'Evangile : « Celui qui n'est
pas pour moi est contre moi »?
CHARLES BIGOT.
L'AFFAIRE DÛ TONKIN
- Le Figaro annonçait hier que le mar-
quis Tseng avait « reçu de son gouverne-
ment les renseignements qu'il atten-
dait », et qu'une note avait été remise dès
samedi soir à M. Jules Ferry, en réponse
au mémorandum de la France.
Cette nouvelle est démentie par une
information officieuse, qui constate sim-
plement « qu'aucune note n'a été remise
à M. Jules Ferry par l'ambassadeur de
Chine », et que « la date de la seconde
entrevue du président du conseil avec
le marquis Tseng n'est pas encore fixée».
Mais le Figaro donne en outre des in-
dications sur la teneur des dépêches que
le gouvernement de Pékin auraitadressées
à M. le marquis Tseng.
Faut-il accepter comme vraie l'analyse
faite par ce journal des instructions de
la Chine?
Il y aurait peut-être quelque impru-
dence à cela. Mais il n'est pas sans intérêt
d'apprendre quelles sont pour l'heure les
exigences de l'ambassadeur des Chinois,
puisque aussi bien il n'est plus contesté
aujourd'hui que le marquis Tseng partage
ses communications à doses à peu près
égales entre le Times et le Figaro.
La Chine donc, ou mieux l'ambassa-
deur de Chine, pense que la véritable so-
lution du conflit franco-chinois est le par-
tage du Tonkin, « avec le fleuve Rouge
comme îrontiere commune ». C est, au
dire du marquis Tseng, la seule façon pra-
tique de nous épargner de grands « sa-
crifices d'hommes et d'argent » et de mé-
nager les intérêts du « commerce euro-
péen en Chine », qui souffre déjà « de la
proximité des hostilités se poursuivant
sur le fleuve Rouge ». Cette prétention
n'est pas nouvelle; nous savons déjà que
la Chine s'accommoderait aisément du
Tonkin, dont mieux que personne elle
commît la richesse, et qu'elle ne deman-
derait qu'à étendre sa frontière jusqu'à
la rive droite du fleuve Rouge, absorbant
Haïdzoung et Haïphong, en nous laissant
généreusement la rive gauche, c'est-à-dire
la partie la moins fertile.
La Chine, ou *du moins son agent, ne
se leurre pas de l'espoir que la France
accepte ce marché de dupes ; mais, pour
qu'il n'y ait point de doutes sur ses
intentions hostiles, l'ambassadeur de
Chine élève une autre prétention :
« Les instructions données au marquis
Tseng, dit le Figaro, contiennent quel-
que chose de plus grave :
» Elles l'invitent à demander au pre-
mier ministre, comme preuve de son
désir de conciliation, de suspendre l'en-
voi des renforts devant partir d'Alger,
ainsi que les hostilités contre Sontay,
jusqu'à ce qu'une entente sur la délimi-
tation du Tonkin puisse s'établir. »
Suspendre l'envoi des renforts et les
hostilités devant Sontay, cela revient à
accepter un armistice. Or, de quel droit
M. le marquis Tseng pourrait-il demander
à la France de consentir à une suspension
d'armes ? La Chine n'est pas belligérante,
au moins ofiiciellement. L'ambassadeur
de Chine se porterait-il garant que les
Pavillons-Noirs respecteraient la conven-
tion d'armistice, si nous avions la naï-
veté de souscrire à une pareille de-
mande t - , ":"F
Il ne le peut pas sans avouer alors
implicitement que les Pavillons-Noirs
sont à la solde de la Chine. C'est encore
un marché inacceptable qu'on nous pro-
pose, avec la parfaite assurance, d'ail-
leurs, que nous ne l'accepterons pas.
En elfet, le marquis Tseng se donne à
lui-même l'ordre de quitter Paris le jour
même où les troupes d'Afrique s'embar-
queront à Alger.
Pendant que quelques bons patriotes
soulèvent des questions de droit consti-
tutionnel à propos des renforts, le mar-
quis Tseng s'empare habilement des ar-
mes que les aigrefins de la politique
radicale lui fournissent généreusement.
Il exploite la situation : les agissements
de quelques turbulents de l'Extrême
Gauche ont porté leurs fruits. L'ambas-
sadeur de Chine s'enhardit presque à nous
faire signifier uue sorte d'ultimatum :
« Pas de renforts ou je tasse le détroit et
je m'en vais retrouver mes bons amis les
Anglais. »
Suit —toujours d'après le récit du con-
fident de M. le marquis Tseng - suit le
tableau habilementprésenté des avantages
que l'Angleterre doit trouver à laisser les
cartes s'embrouiller.
« Le point commercial écarté, l'Angle-
terre ne soutient pas la politique colo-
niale de la France. Qui s'en étonnera? Le
séjour parmi nous de M. Waddington en
est un indice suffisant. Il faut convenir
que l'adresse mise par la Chine à définir
ses prétentions ne peut les faire mal rece-
voir de l'Europe. L'Angleterre, notam-
ment, préfère avoir à traverser un terri-
toire chinois pour pénétrer dans le sud-
ouest de la Chine. Et ajoutons que tout
agrandissement de notre influence dans
l'extrême Orient n'est pas fait pour la ga-
gner à notre cause. »
Mais alors, où le diplomate chinois veut-
il en venir? A quoi entend-il nous con-
duire ?
A une reculade honteuse, ou à la
guerre ?
Nous ne voulons pas, quant à nous, lui
faire l'injure de croire qu'il a pu espérer
un seul instant amener la France à capi-
tuler devant les artifices de sa diplomatie.
Encore un coup, il ne faut prendre très
probablement les prétendues déclarations
de la Chine que pour ce qu'elles sont,
c'est-à-dire l'expression des sentiments
personnels du marquis Tseng, et il n'y a
pas apparence que le gouvernement de
Pékin s'avise de tenir le langage hautain
que lui prête son agent par l'organe de
journaux amis. - loge*,
Mais si telle devait être un jour son at-
titude à l'égard de la France, nous ai-
mons à penser que le gouvernement a sa
réponse toute prête.
Louis HENRIQUË.
NOUVELLES ET DÉPÊCHES
LA RÉPONSE DÉ LA CHINE
Contrairement aux Informations données
hier matin par le Figaro, aucune note n'a
encore été remise à M. Jules Ferry par l'am-
bassadeur de Chine, et la date de la seconde
entrevue du président du conseil avec le
marquis Tseng n'est pas encore fixée.
Ajoutons que le gouvervement français a
demandé une note écrite en réponse au mé-
morandum qu'il a adressé au gouvernement
de Pékin.
LES RENFORTS DE SAiGON
Nous avons annoncé, il y a quelques jours,
quele paquebot des Messageries maritimes
le Saigon, qui fait le service du courrier en-
tre Saigon et Haï-Phong, avait transporté
500 hommes d'infanterie et d'artillerie de
marine que le gouverneur de Cochinchine
envoyait au Tonkin. M. Thomson a, depuis
le commencemefltde l'expédition, constam-
ment mis à la dispôSttiondu commandant
du corps expéditionnaire îdliiQ§ les forces
dont il pouvait disposer sans âlgarnir la
Cochinchine. - - v~—
LE BLOCUS DES PORTS CHINOIS
Nous lisons dans le North China Daily
News une lettre de son correspondant de
Tien-Tsin au sujet du blocus éventuel des
ports chinois, en cas de rupture avecla Chine.
Nous en extrayons ce qui suit :
Les Chinois se montrent très émus de la
nouvelle d'après laquelle l'Angleterre, l'Al-
lemagne et l'Amérique auraient consenti au
blocus des ports chinois. Ces puissances ne
pouvant refuser leur consentement à l'éta-
blissement du blocus de ces ports par la
France en cas de guerre avec la Chine, nous
supposons que cela veut dire que la France
s'est arrangée avec ces puissances pour ne
pas gêner leur commerce pendant qu'elle
exercera le blocus. Nous avions prédit cette
solution depuis longtemps. Il en résultera
que la Chine perdra le revenu des douanes,
exactement comme si les ports étaient blo-
qués.
Nous imaginons que cela rendra la Chine
un peu plus traitable.
Les Chinois, ajoute le correspondant,
étaient convaincus que les puissances inter-
viendraient en faveur de la Chine. C'est là,
ainsi que nous l'avons dit, l'origine de leurs
fanfaronnades à l'égard de la France.
•— ——— w ■■ »■■■ I
LA FOLIE, CAUSE BE DIVORCE
Je vous ai exposé, l'autre jour, la
question qui s'est émue à l'Académie de
médecine, entre les deux célèbres alié-
nistes, M. Blanche et M. Luys. Au cas où
le divorce serait rétabli dans notre Code,
la folie de l'un des deux conjoints pour-
rait-elle jamais être invoquée par l'autre
comme cause de divorce?
Cette question se présentait sous deux
faces : l'une médicale. Il s'agissait de
savoir si en effet il y a des folies que
l'on peut assurément déclarer incura-
bles. Car il est trop évident qu'une fo-
lie qui permet l'espoir d'une guérison
ne saurait donner, non plus que toute au-
tre maladie, matière à une action en di-
vorce."
Sur ce point, nous avions reconnu
notre incompétence et passé.
L'autre côté de la question est tout
moral, et se peut résoudre par les seules
données du simple bons sens.
Un des deux conjoints est frappé
d aliénation mentale. Supposons, pour
la commodiié de la discussion, que c'est
le mari, afin de n'avoir pas à répéter
tout le long de l'article ce vilain mot de
eonjoint. Sa folie est irrémédiable.
C est un homme perdu.
# Perdu au figuré, bien entendu. Car
il vit toujours, et il peut vivre long-
temps encore, mais ce n'est plus qu'un
corps sans âme. Il est tombé plus bas
même que la brute. L'animal prend soin
de lui-même, s'inquiète de sa sûreté
suit son instinct, et aime. Chez l'aliéné,
ce n est pas seulement la lumière de la
raison qui s'est éteinte ; tout a péri, in-
telligence, sentiment, instinct ; ce n'est
plus qu'un cadavre vivant.
Eh bien ! disent certains moralistes,
sa femme n'en est pas que étroitement
tenue à le veiller, à le soigner, à entre-
tenir de son mieux cette pâle et triste
lueur de vie qui tremble encore dans ce
corps paralysé.
Quand on se marie, ce n'est pas seu.
lement pour mettre ensemble les gran-
deurs et les joies de la vie, c'est aussi
pour en associer les douleurs et les mi-
sères.
- Admettons que cet époux, au lieu de
tourner vers la folie, fût devenu un
homme illustre, qu'il eût conquis, à
force de génie ou de travail, la gloire et
.la richesse ; sa femme aurait pris sa part
de cette bonne fortune, et le mari aurait
été obligé OO tailler son lot de bon-
heur dans la prosu ménage.
C'est le contraire qui s'èStilfodUlt. Le
mari est tombé dans le dernier ëiOctJLbi
malheur. Est-ce une raison pour que la --
femme qu'il eût loyalement mis de
moitié dans ses bons succès l'abandonrae
et le trahisse? Son serment n'étail-il
valable que pour les temps heureux?
En est-elle déliée quand souffle le vent
de l'infortune? Faut-il lui appliquer le
fameurs vers du poète latin :
Tempora si fuerint nubila, solus cris t
Savez-vous qu'en poussant à bout
cette théorie on arriverait à des consé-
quences monstrueuses? Pourquoi la' fo-
lie aurait-elle seule le privilège de délier
les femmes de leurs promesses et de
leurs devoirs? Toute maladie réputée
incurable pourrait également autoriser
le conjoint à .rejeter le fardeau désormais
trop lourd de la vie commune.
Supposez un cancer, ou, si ce mot
éveille en votre esprit de vilaines ima-
ges , une paralysie de quelques-uns
des membres les plus essentiels à l'exer-
cice de la vie quotidienne. La femme
pourra invoquer en faveur du divorce
contre son mari perclus, les mêmes rai-
sons que contre son mari frappé d'alié-
nation mentale. Et ces raisons n'auront
pas moins de force 1
S'il est permis à une femme de quit
ter le foyer conjugal, où un mari idiot
bave et dort dans un fauteuil, pourquoi
lui serait-il ordonné d'y demeurer en
compagnie d'un paralytique qui geint
sur ce même fauteuil?
Le mariage est chose sérieuse.
Les deux époux, en se donnant la
main devant l'officier de l'état civil et de-
vant le prêtre, ont juré de rester, quoi
qu'il arrive, fidèles l'un à l'autre, de se
prêter mutuellement aide et appui. Ce
serment les oblige d'autant plus qu'il y
a pour eux une nécessité plus pressante
de le tenir.
Plus le mari est malheureux, plus la
femme lui doit le. secours de son affec-
tion et de son dévouement
Feuilleton du XIX. SIÈCLE
du 25 septembre 1883
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THÉÂTRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN : Frou-
frou, pièce en cinq actes, de MM. H. Meil-
hac et L. Halévy (reprise). — COMÉDIE-
FRANÇAISE : les Rantzau (reprise). —
OPÉRA-COMIQUE : le Pardon de Ploërmel
(reprise).
Bien que Froufrou, au théâtre de la
Porte-Saint-Martin, soit une reprise,
l'événement est considérable. Tout
d'abord, il rend à la littérature drama-
tique un théâtre que la féerie avait fait
si-en. Puis il nous montre Mme Sarah
Bernhardt dans le rôle créé par Des-
clée et sous un aspect assez nouveau.
Enfin il nous remet sous les yeux une
des meilleures comédies - drames de
moeurs du théâtre contemporain, l'œu-
vre la plus remarquable de MM. Meil-
hacet Halévy. Aussi la curiosité a-t-elle
été grande, et le succès retentissant. Et
pour Mme Sarah Bernhardt ce succès
s'est changé, aux derniers actes, en
ovation triomphale. Il y a bien eu, au
début, quelque résistance. Les Parisiens
du boulevard, qui composent en grande
part le public des premières représen-
talions, ne sont pas sans avoir quel-
ques griefs contre Mme Sarah Bern-
hardt. On trouve qu' « elle en fait trop ».
Les excentricités que racontent d'elles
des amis imprudents et indiscrets, le
sans-gêne avec lequel, récemment en-
core, elle manquait à un engagement
pris vis-à-vis du public, ont indisposé
quelque peu l'opinion. Mais il n'y a
rien qui puisse aller, chez des specta-
teurs aimant l'art, contre le talent : et
celui dont a fait montre Mme Sarah
Bernhard a été immense. Desclée avait,
dans ce rôle de Froufrou, un charme
particulier, tout à fait sui generis, qui
m'empêchera toujours d'y aimer quel-
que autre femme plus qu'elle : mais
Mme Sarah y a-apporté un éclat plus
grand que la créatrice elle-même. Dans
les premiers actes, pour exprimer la
jeunesse folle, la légèreté, la curiosité,
l'inconscience surtout de Froufrou,
Mme Sarah Bernhardt fait preuve d'une
merveilleuse habileté, mais que l'on
sent. Puis, à partir du moment où la
jalousie s'empare de Froufrou, jalousie
qui l'entraîne à une faute suivie bien-
tôt de mélancoliques regrets et de re-
mords passionnés, elle est tout à fait
admirable. C'est la belle flamme tra-
gique, à qui se mêle la note plus âpre
de la réalité contemporaine. Elle a fait,
littéralement, pleurer la salle, sans que
la critique la plus sévère puisse repro-
cher à son jeu un écart de goût. C'est
une soirée qui datera dans les souve-
nirs des amateurs de théâtre.
Mme Sarah Bernhardt avait pour
partner M. Marais, transfuge du Gym-
nase. Il a joué le rôle de Sartorys, créé
par Pujol. Celui-ci était un comédien
consciencieux, intelligent, doué d'une
belle voix, — il avait été chanteur, —
mais un peu froid. J'ajoute que cet ar-
tiste devenu riche, et qui a quitté le
théâtre en philosophe après y être en-
tré par un coup de vocation irrésistible,
gardait à la scène je ne sais quoi de
l'honnêteté et de la vaillance de carac-
tère qui étaient en lui, et qu'il montra
notamment pendant le siège où il reprit
sa vareuse et son fusil de marin de Cri-
mée. Mais Pujol, qui avait débuté par
jouer les grands premiers rôle de drame,
faisait de ses rôles, au Gymnase, sur-
tout des rôles de tenue. M. Marais est,
incontestablement, plus dramatique,
plus varié, plus souple que le créateur
du personnage de Sartorys. Qui sait s'il
n'a pas même un peu trop de charme,
s'il ne manque pas trop de cet aspect
sérieux jusqu'à la sévérité qui ef-
fraye Froufrou et, dans une certaine
mesure, atténue sa faute? Je ne dirai
rien de M. Angelo, le beau Valréas, ni
de Mlle Antonine, effacée dans le person-
nage effacé de Louise, encore que le rôle
comporte des nuances délicates que
Mlle Antonine n'a pas rendues toutes.
Quant à M. Lafontaine, qui jouait le
rôle de Brigard, le plus important
de la pièce à mon avis, il y a ap-
porté une grande habileté. Peut-être
n'y met-il pas assez de distinction au
premier acte. C'est assez le fait des
vieux viveurs parisiens de pousser la
correction à l'extrême et de , garder, au
milieu des compromissions où ils vi-
vent, une dignité de formes qui est un
élément de comique. Mais, cette ré-
serve faite, qu'on peut discuter, M. La-
fontaine a fait valoir son personnage et
les auteurs ont à raison ajouté pour lui
une scène importante au cinquième
acte. C'est maintenant Brigard qui ra-
mène Froufrou à Sartorys, et qui im-
plore le pardon du mari pour la faute
de Froufrou, qui est, pour beaucoup,
sa faute à lui-même. Ravel, qui créa
Brigard, y fut également très bon. Il
jouait, comme toujours,, pour lui tout
seul et avec * force grimaces. Mais
c'était bien le vieil enfant, de ces en-
fants terribles de soixante ans, qui sont
plus terribles que les gamins. Quelle
jolie série pour un Gavarni que « les en-
fants terribles » en cheveux blancs ou
en cheveux teints !
Je disais tantôt que le rôle de Brigard,
quoiqu'il ne serve pas à l'action, était le
plus important de la pièce. C'est qu'en
effet, parce rôle surtout, Froufrou s'af-
firme comme comédie de mœurs, ce qui
lui donne du coup une valeur à part dans
notre théâtre, où les comédies de mœurs
ne sont pas très nombreuses. Le canevas
de Froufrou est des plus simples : une
femme, d'un caractère léger, est séduite
par un bellâtre aimable, lequel est tué
par le mari., qui pardonne à sa femme
mourante. Cette donnée ne vaut pas
qu'on s'y arrête. Oui, mais la faute de
Froufrou est déterminée par la jalousie
qu'elle a de voir que son mari ne peut la
prendre au sérieux ni comme femme, ni
comme mère, et cette légèreté incurable
qu'elle a, contre qui elle ne peut réagir,
qu'elle ne mesure même pas, elle la doit
à qui? A son propre père, à un père qui
l'adore et qui est, au demeurant, un fort
brave homme, - mais tout au fond. —
Dès lors, la comédie n'est plus une comé-
die d'intrigue ou d'incidents : c'est une
étude de mœurs, une critique très pro-
fonde d'un certain système d'éducation
fort à la mode chez nous, et l'œuvre, en
même temps qu'elle nous amuse et nous
émeut, devrait nous instruire. Ainsi con-
çue, elle roule tout entière autour du
personnage de Brigard, qui explique
Froufrou et l'excuse, ce quïl était né-
cessaire de faire pour le théâtre, et ce
qui est justice après tout, car le père
qui sème au cœur de ses enfants la va-
nité: le mépris du devoir, l'insouciance
coupable, est le vrai responsable de leurs
fautes fatales et de leurs inévitables mal-
heurs. Et combien de Brigards dans la fa-
cile vie de Paris, qui sont d'autant plus
Brigards qu'ils aiment mieux leurs en-
fants t -:
Les auteurs de Froufrou ont eu cette
fortune qu'après nous avoir donné un
type, sans nous montrer un portrait, les
incidents de la vie de Paris nous ont
fait voir le père Brigard en chair et en
os, effroyablement ressemblant â la
conception de leur esprit. Et, comme
il arrive presque toujours, la réalité de
la vie dépassait de beaucoup en au-
dace la création de l'auteur dramati-
que. Le vrai Brigard, d'ailleurs, est du
domaine du roman, non du théâtre, et
le roman seul peut nous montrer en
son. plein le père de certaines Frou-
frous, de même qu'il peut nous dire
sans en rien atténuer le mari de Mme
Marneffe.
A la scène, on peut soulever le voile
qui cache certaines plaies sociales ; on
ne peut l'arracher et les mettre à nu.
On critique assez volontiers, dans
Froufrou, les deux derniers actes, qui
ont le ton du drame. Les trois premiers
sont si séduisants, d'une allure si vive,
si légère, qu'on regrette de voir la
pièce prendre un autre ton et se termi-
ner dans le sang et les larmes. La con-
clusion, cependant, — en négligeant
même les nécessités du théâtre, — est
d'une rigoureuse logique et les auteurs
ne font que nous donner la morale de
leur fable. Il peut se faire qu'ils aient, ça
et là, manqué un peu de sobriété, que le
duel de Sartorys et de Valréas soit inu-
tile. Mais ce qu'il fallait nous montrer,
c'est qu'entre gens qui s'aiment sincè-
rement, qui ne sont pas mauvais, ni
même foncièrement vicieux, il suffit
d'un travers d'esprit et de caractère,
d'une éducation irréfléchie, d'une mode
presque, pour 'amener des désastres. Si
nous nous regimbons contre le dénoue-
ment de Froufrou, c'est peut-être que
nous gardons trop de faiblesse pour
cette éducation libre qui fait les Frou-
frous, trop d'indulgence pour les vices
aimables, trop de goût pour ces agréa-
bles récidivistes du plaisir qui nous
font croire, en ne voulant pas vieillir,
que nous ne vieillissons pas nous-
mêmes. Mais, en vérité, je ne vois pas
comment les auteurs de Froufrou eus-
sentpufinirleur comédie autrement qu'ils
l'ont finie. Ils eussent pu, je le sais,
emprunter un autre dénouement à la
vie : Sartorys eût fait un faux ménage
avec Louise, et Froufrou, abandonnée
de son amant, eût vécu sous le toit pa-
ternel, dans une douce intimité avec les
demoiselles qui fréquentent chez son
père. Cette conclusion ignominieuse,
qui n'est pas sans exemples autour de
nous, eût été forcée, car les caractères
de Froufrou ne la comportent pas.
Froufrou n'est pas la comédie du vice,
mais celle de l'imprudence. Il fallait.
donc un retournement des personnages.
qui est à la fois moral et, ce qui m'im-.
porte davantage, logique et* dramatique*.
Des incidents plus neufs eussent, peut-
être, pu être mis en jeu. Mais dans
ces derniers actes mêmes, d'un effet ua
peu trop facile, quelle admirable note
que celle de l'ennui profond, de la m
lancolie poignante de la femme dé.
classée, que l'ivresse a abandonnée,
que la passion sincère n'a jamais en-
vahie et soutenue t Quel réveil que
ce réveil de Froufrou à VeniseJ, da.
Prix du numéro à Paris: 15 centimes - Départements: 20 centimes
Mardi 25 Septembre 1883
*
JOURNAL RÉPUBLICAIN CONSERVATEUR ;
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
de 2 heures à minuit
16, r'U..e GadLet, ±€3
Zes Manuseits non insérés ne seront pas rendu:
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois 18 »»
Six mois. 32 »»
Un an. 6S n
PARIS
Trois mois. 43 »»
Six mois 25 »»
Un an. 50 »»
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestre
Les abonnemts partent des 1er et 15 de chaque mois
Régisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G*
6, place de la Bourse, 6 -
ADMINISTRATION
Adresser les Lettres et Mandats à l'Administrateur
1B, rue Cadet, 10
-
Les Lettres non affranchies seront refuslea
1 ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS *
Trois mois. 16 »»
Six mois 32 »»
Un an. 62 »»
PARIS
Trois mois. 13 ibi
Six mois. 25 M
Un an. SE -
Supplément pr l'Étranger (Europe) 1 fr. par trimestu
Les Abonnem4* partent des 1" et 15 de chaque mois
Bégisseurs d'annonces : MM. LAGRANGE, CERF et G1
6, Place de la Bqm-se) 6
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 23 SEPTEMBRE
Premier arrondissement de Paris
(Scrutin de ballottage)
Inscrits. i4,889
Votants. 8,389
MM. Forest) président du cou- „ „
seil municipal. 5,305 ELU
Despatys, réactionnaire.. 2,763
Bulletins blancs et nuls.. 215
SAONE-ET-LOIRE
Deuxièmejcireonscriplion de Chalon-s.-Saône
(Scrutin de ballottage)
Inscrits. g. fÕ,085
Votants S. ",;';. 11,459
.-..-------
MM. Lorancliet, rép. radical.. 4,666 ELU
L'abbé Sanvert, rép. ind. 4,018
Mathey, républicain. 2,775
PARIS, 24 SEPTEMBRE 1883
Elles sont vraiment curieuses, ces
dissertations sur la condamnation de
-- Galilée, que signalait hier notre colla-
borateur Bigot. Chicanes et puérilités,
oui, certainement; mais quelle amu-
sante comédie nous donnent aujourd'hui
les docteurs de l'Eglise infaillible, en
nous disant : « Cela ne regarde pas le
pape ! Ce n'est pas lui qui s'est trompé ;
ce-sont les congrégations de cardinaux,
c'est l'Inquisition et l'Index ; or l'In-
quisition et l'Index ne sont nullement
iiifaillibles. »
En lisant ces choses, nous pensions
que, si nous étions des catholiques et
des partisans convaincus de l'infailli-
bilité pontificale, nous serions vraiment
enchantés de voir ainsi l'Index et l'In-
quisition jetés par-dessus bord. Cela
suggère le, moyen, savez-vous, de ré-
parer quelques fortes bévues 1 Par
exemple, voici l'affaire des manuels ci-
viques, dont nous parlions tout juste-
ment hier encore. Lorsqu'ont paru les
décrets de condamnation, le clergé ca-
tholique français feignit de croire ou
crut réellement peut-être que ces ou-
vrages étaient condamnés au nom de
l'Eglise infaillible, et, partant de là, dé-
clara excommuniés tous les lecteurs de
Mme Gréville, de M. Compavré et de M.
Paul Bert. Vous avez vu ce qui en ré-
sulta : les suspensions de traitements
ecclésiastiques, les explications échan-
gées entre le pape et le président de la
République, enfin le rétablissement de
la bonne harmonie entre la République
française et le Saint-Siège, à preuve
que l'argent a été rendu.
J'imagine que Léon XIII et M. Grévy
sont préalablement tombés d'accord pour
reconnaître qu'il n'y a lieu d'attacher
aucune importance aux décrets de la
Congrégation de l'Index. « Allons 1 boni
aura dit le pape; c'est encore la sacrée
Congrégation qui a fait des siennes!
J'ai eu torl de ne pas la surveiller d'un
peu plus près. Mais cela n'a nulle va-
leur, dilecte fili, je n'y suis pour rien.
Comme dit le R. P. Grisar, si quel-
qu'un a prononcé, ce n'est pas celui qui
est investi de l'infaillibilité promise par
le Christ 1 »
Il n'est sans doute pas téméraire d'ex-
primer l'espoir qu'ainsi finira la bruyante
campagne des manuels. Quand nous
avons avec nous, un théologien de la
force du R. P. Grisar, nous n'éprouvons
plus aucun embarras pour rassurer les
consciences pieuses où les derniers dé-
crets de l'Index auraient porté le trou-
ble. Etre condamné par l'Index, qu'est-
ce que cela? L'Index en est-il à sa pre-
mière sottise? Il a condamné Galilée
pour avoir soutenu que la terre tour-
nait, et cependant la terre tourne et
l'Index est tourné en ridicule. Les con-
condamnations de l'Index? Elles font
hausser les épaules aux plus orthodoxes
de nos révérends pères jésuites!
« Qu'on nous montre au moins —
nous citons encore les propres expres-
sions du R. P. Grisar, — qu'on nous
montre donc, si l'on veut mêler l'Eglise
infaillible à cette affaire, le document
par lequel un concile ou même le pape,
en sa qualité de docteur universel de
l'Eglise, aurait approuvé les décisions
en question des congrégations romai-
nes 1 » Il s'agit ici, l'on s'en souvient,
des décisions concernant Galilée ; mais
appliquez la phrase aux décisions tou-
chant les manuels, et le raisonnement
aura la même force. Le pape ai l'infail-
libilité ne sont en cause. Avis aux ca-
tholiques ! Ils peuvent lire, désormais, les
fameux manuels et ne seront point
damnés pour cela.
EUG. LÉBFTRT.,
———————
TOJOURS LES GARANTIES
L'Univers répond vertement à ceux
qui s'irritent de le voir demander des
explications et des garanties au « chef
de la maison de France », avant de lui
apporter le concours du parti clérical.
Il leur rappelle qu'en d'autres temps ils
ont tenu un autre langage. Le chef de
la maison de France, le roi, s'appelait
alors M. le comte de Chambord. Son
titre et son nom ne suffisaient pas
cependant. On réclamait de lui un pro-
gramme et des déclarations : « Le
Français, journal de M. le duc de
Broglie et du Centre droit, écrivait le
27 octobre 1873: « Le comte de Cham-
» bord devra accepter un pacte nette-
» ment défini pour rentrer comme roi,
» et ce pacte sera la confirmation
» même des principes de 89; l'initia-
» tive royale ne sera rien de plus que
» le droit d'initiative reconnu aux dé-
» putés. »
Et Y Univers ajoute encore : « A la
même époque, Mgr Dupanloup écrivant
à M. de Pressensé, député protestant et
républicain, lui promettait que la royauté
dont on préparait la restauration serait
basée sur les immortels principes de 89,
et il ajoutait : « Je désire la monarchie,
» et cependant je n'engage pas absolu-
» ment mon vote. »
La vérité c'est que l'attitude de l'U-
nivers s'explique fort bien aujourd'hui et
qu'il y a dix ans l'attitude de ses ad-
versaires n'était pas moins naturelle. Il
n'y a pas d'amitiés en politique ; il
n'y a que des intérêts et c'est à qui dé-
fendra le mieux les siens. Personne n'i-
gnore qu'à moins de bons engagements
faits d'avance il risquerait fort le len-
demain de voir sa confiance trompée ;
et encore les meilleurs engagements
valent-ils parfois tout juste un billet de
La Châtre!
En 1873, le prétendant au trône était
manifestement absolutiste et ultramon-
tain ; c'étaient les parlementaires et les
catholiques libéraux qui exigeaint de lui
des garanties avant de se rallier. En
1883, le chef de la maison de France est
le petit-fils de Louis-Philippe dont la
monarchie voltairienne était, disait-on, la
meilleure des républiques ; ce sont, à leur
tour, les partisans du droit divin et les
ultramontains qui exigent des garan-
ties. W>. • y ***'
C'est là, quoi que l'on fasse, la diffi-
culté dont on ne sortira pas plus au-
jourd'hui qu'il y a dix ans. M. le comte
de Chambord a parlé d'intrigues, de
toiles d'araignées où l'on avait voulu
l'enlacer ; on pourra, si l'on veut, par-
ler également de toiles d'araignées et
d'intrigues. La réalité, c'est que de part
et d'autre on ne peut arriver à s'enten-
dre qu'à la condition de ne pas s'expli-
quer et qu'à un moment donné ceux-ci
ou ceux-là réclameront toujours des ex-
plications. Entre les deux partis, un
abîme est creusé qui s'appelle la Révo-
lution de 1789. Les légitimistes n'ont
plus qu'à s'effacer : le prétendant est
mort qui incarnait leur foi politique et
représentait leurs espérances obstinées.
Mais les cléricaux, eux, sont toujours
debout et le Vatican n'a pas cessé de
leur donner le mot d'ordre. Ce qu'il
leur faut en France, c'est une royauté
j ! qui fasse les affaires de l'Eglise d'abord
et avant tout ; une royauté qui combatte
résolument l'hérésie et la libre-pensée ;
une royauté qui protège la religion, qui
favorise les congrégations, qui remette
l'instruction de la jeunesse aux mains
du clergé comme au vieux temps. Ils
veulent celle-là et non pas une autre ;
et quelque soin que l'on mette à pra-
tiquer la devise : « Silence et mystère 1 »
il faudra que l'on se résigne à s'expli-
quer catégoriquement sur ce point et à
leur donner satisfaction ; ou bien ce si-
lence même deviendra pour eux la plus
claire des explications. N'est-il pas
écrit dans l'Evangile : « Celui qui n'est
pas pour moi est contre moi »?
CHARLES BIGOT.
L'AFFAIRE DÛ TONKIN
- Le Figaro annonçait hier que le mar-
quis Tseng avait « reçu de son gouverne-
ment les renseignements qu'il atten-
dait », et qu'une note avait été remise dès
samedi soir à M. Jules Ferry, en réponse
au mémorandum de la France.
Cette nouvelle est démentie par une
information officieuse, qui constate sim-
plement « qu'aucune note n'a été remise
à M. Jules Ferry par l'ambassadeur de
Chine », et que « la date de la seconde
entrevue du président du conseil avec
le marquis Tseng n'est pas encore fixée».
Mais le Figaro donne en outre des in-
dications sur la teneur des dépêches que
le gouvernement de Pékin auraitadressées
à M. le marquis Tseng.
Faut-il accepter comme vraie l'analyse
faite par ce journal des instructions de
la Chine?
Il y aurait peut-être quelque impru-
dence à cela. Mais il n'est pas sans intérêt
d'apprendre quelles sont pour l'heure les
exigences de l'ambassadeur des Chinois,
puisque aussi bien il n'est plus contesté
aujourd'hui que le marquis Tseng partage
ses communications à doses à peu près
égales entre le Times et le Figaro.
La Chine donc, ou mieux l'ambassa-
deur de Chine, pense que la véritable so-
lution du conflit franco-chinois est le par-
tage du Tonkin, « avec le fleuve Rouge
comme îrontiere commune ». C est, au
dire du marquis Tseng, la seule façon pra-
tique de nous épargner de grands « sa-
crifices d'hommes et d'argent » et de mé-
nager les intérêts du « commerce euro-
péen en Chine », qui souffre déjà « de la
proximité des hostilités se poursuivant
sur le fleuve Rouge ». Cette prétention
n'est pas nouvelle; nous savons déjà que
la Chine s'accommoderait aisément du
Tonkin, dont mieux que personne elle
commît la richesse, et qu'elle ne deman-
derait qu'à étendre sa frontière jusqu'à
la rive droite du fleuve Rouge, absorbant
Haïdzoung et Haïphong, en nous laissant
généreusement la rive gauche, c'est-à-dire
la partie la moins fertile.
La Chine, ou *du moins son agent, ne
se leurre pas de l'espoir que la France
accepte ce marché de dupes ; mais, pour
qu'il n'y ait point de doutes sur ses
intentions hostiles, l'ambassadeur de
Chine élève une autre prétention :
« Les instructions données au marquis
Tseng, dit le Figaro, contiennent quel-
que chose de plus grave :
» Elles l'invitent à demander au pre-
mier ministre, comme preuve de son
désir de conciliation, de suspendre l'en-
voi des renforts devant partir d'Alger,
ainsi que les hostilités contre Sontay,
jusqu'à ce qu'une entente sur la délimi-
tation du Tonkin puisse s'établir. »
Suspendre l'envoi des renforts et les
hostilités devant Sontay, cela revient à
accepter un armistice. Or, de quel droit
M. le marquis Tseng pourrait-il demander
à la France de consentir à une suspension
d'armes ? La Chine n'est pas belligérante,
au moins ofiiciellement. L'ambassadeur
de Chine se porterait-il garant que les
Pavillons-Noirs respecteraient la conven-
tion d'armistice, si nous avions la naï-
veté de souscrire à une pareille de-
mande t - , ":"F
Il ne le peut pas sans avouer alors
implicitement que les Pavillons-Noirs
sont à la solde de la Chine. C'est encore
un marché inacceptable qu'on nous pro-
pose, avec la parfaite assurance, d'ail-
leurs, que nous ne l'accepterons pas.
En elfet, le marquis Tseng se donne à
lui-même l'ordre de quitter Paris le jour
même où les troupes d'Afrique s'embar-
queront à Alger.
Pendant que quelques bons patriotes
soulèvent des questions de droit consti-
tutionnel à propos des renforts, le mar-
quis Tseng s'empare habilement des ar-
mes que les aigrefins de la politique
radicale lui fournissent généreusement.
Il exploite la situation : les agissements
de quelques turbulents de l'Extrême
Gauche ont porté leurs fruits. L'ambas-
sadeur de Chine s'enhardit presque à nous
faire signifier uue sorte d'ultimatum :
« Pas de renforts ou je tasse le détroit et
je m'en vais retrouver mes bons amis les
Anglais. »
Suit —toujours d'après le récit du con-
fident de M. le marquis Tseng - suit le
tableau habilementprésenté des avantages
que l'Angleterre doit trouver à laisser les
cartes s'embrouiller.
« Le point commercial écarté, l'Angle-
terre ne soutient pas la politique colo-
niale de la France. Qui s'en étonnera? Le
séjour parmi nous de M. Waddington en
est un indice suffisant. Il faut convenir
que l'adresse mise par la Chine à définir
ses prétentions ne peut les faire mal rece-
voir de l'Europe. L'Angleterre, notam-
ment, préfère avoir à traverser un terri-
toire chinois pour pénétrer dans le sud-
ouest de la Chine. Et ajoutons que tout
agrandissement de notre influence dans
l'extrême Orient n'est pas fait pour la ga-
gner à notre cause. »
Mais alors, où le diplomate chinois veut-
il en venir? A quoi entend-il nous con-
duire ?
A une reculade honteuse, ou à la
guerre ?
Nous ne voulons pas, quant à nous, lui
faire l'injure de croire qu'il a pu espérer
un seul instant amener la France à capi-
tuler devant les artifices de sa diplomatie.
Encore un coup, il ne faut prendre très
probablement les prétendues déclarations
de la Chine que pour ce qu'elles sont,
c'est-à-dire l'expression des sentiments
personnels du marquis Tseng, et il n'y a
pas apparence que le gouvernement de
Pékin s'avise de tenir le langage hautain
que lui prête son agent par l'organe de
journaux amis. - loge*,
Mais si telle devait être un jour son at-
titude à l'égard de la France, nous ai-
mons à penser que le gouvernement a sa
réponse toute prête.
Louis HENRIQUË.
NOUVELLES ET DÉPÊCHES
LA RÉPONSE DÉ LA CHINE
Contrairement aux Informations données
hier matin par le Figaro, aucune note n'a
encore été remise à M. Jules Ferry par l'am-
bassadeur de Chine, et la date de la seconde
entrevue du président du conseil avec le
marquis Tseng n'est pas encore fixée.
Ajoutons que le gouvervement français a
demandé une note écrite en réponse au mé-
morandum qu'il a adressé au gouvernement
de Pékin.
LES RENFORTS DE SAiGON
Nous avons annoncé, il y a quelques jours,
quele paquebot des Messageries maritimes
le Saigon, qui fait le service du courrier en-
tre Saigon et Haï-Phong, avait transporté
500 hommes d'infanterie et d'artillerie de
marine que le gouverneur de Cochinchine
envoyait au Tonkin. M. Thomson a, depuis
le commencemefltde l'expédition, constam-
ment mis à la dispôSttiondu commandant
du corps expéditionnaire îdliiQ§ les forces
dont il pouvait disposer sans âlgarnir la
Cochinchine. - - v~—
LE BLOCUS DES PORTS CHINOIS
Nous lisons dans le North China Daily
News une lettre de son correspondant de
Tien-Tsin au sujet du blocus éventuel des
ports chinois, en cas de rupture avecla Chine.
Nous en extrayons ce qui suit :
Les Chinois se montrent très émus de la
nouvelle d'après laquelle l'Angleterre, l'Al-
lemagne et l'Amérique auraient consenti au
blocus des ports chinois. Ces puissances ne
pouvant refuser leur consentement à l'éta-
blissement du blocus de ces ports par la
France en cas de guerre avec la Chine, nous
supposons que cela veut dire que la France
s'est arrangée avec ces puissances pour ne
pas gêner leur commerce pendant qu'elle
exercera le blocus. Nous avions prédit cette
solution depuis longtemps. Il en résultera
que la Chine perdra le revenu des douanes,
exactement comme si les ports étaient blo-
qués.
Nous imaginons que cela rendra la Chine
un peu plus traitable.
Les Chinois, ajoute le correspondant,
étaient convaincus que les puissances inter-
viendraient en faveur de la Chine. C'est là,
ainsi que nous l'avons dit, l'origine de leurs
fanfaronnades à l'égard de la France.
•— ——— w ■■ »■■■ I
LA FOLIE, CAUSE BE DIVORCE
Je vous ai exposé, l'autre jour, la
question qui s'est émue à l'Académie de
médecine, entre les deux célèbres alié-
nistes, M. Blanche et M. Luys. Au cas où
le divorce serait rétabli dans notre Code,
la folie de l'un des deux conjoints pour-
rait-elle jamais être invoquée par l'autre
comme cause de divorce?
Cette question se présentait sous deux
faces : l'une médicale. Il s'agissait de
savoir si en effet il y a des folies que
l'on peut assurément déclarer incura-
bles. Car il est trop évident qu'une fo-
lie qui permet l'espoir d'une guérison
ne saurait donner, non plus que toute au-
tre maladie, matière à une action en di-
vorce."
Sur ce point, nous avions reconnu
notre incompétence et passé.
L'autre côté de la question est tout
moral, et se peut résoudre par les seules
données du simple bons sens.
Un des deux conjoints est frappé
d aliénation mentale. Supposons, pour
la commodiié de la discussion, que c'est
le mari, afin de n'avoir pas à répéter
tout le long de l'article ce vilain mot de
eonjoint. Sa folie est irrémédiable.
C est un homme perdu.
# Perdu au figuré, bien entendu. Car
il vit toujours, et il peut vivre long-
temps encore, mais ce n'est plus qu'un
corps sans âme. Il est tombé plus bas
même que la brute. L'animal prend soin
de lui-même, s'inquiète de sa sûreté
suit son instinct, et aime. Chez l'aliéné,
ce n est pas seulement la lumière de la
raison qui s'est éteinte ; tout a péri, in-
telligence, sentiment, instinct ; ce n'est
plus qu'un cadavre vivant.
Eh bien ! disent certains moralistes,
sa femme n'en est pas que étroitement
tenue à le veiller, à le soigner, à entre-
tenir de son mieux cette pâle et triste
lueur de vie qui tremble encore dans ce
corps paralysé.
Quand on se marie, ce n'est pas seu.
lement pour mettre ensemble les gran-
deurs et les joies de la vie, c'est aussi
pour en associer les douleurs et les mi-
sères.
- Admettons que cet époux, au lieu de
tourner vers la folie, fût devenu un
homme illustre, qu'il eût conquis, à
force de génie ou de travail, la gloire et
.la richesse ; sa femme aurait pris sa part
de cette bonne fortune, et le mari aurait
été obligé OO tailler son lot de bon-
heur dans la prosu ménage.
C'est le contraire qui s'èStilfodUlt. Le
mari est tombé dans le dernier ëiOctJLbi
malheur. Est-ce une raison pour que la --
femme qu'il eût loyalement mis de
moitié dans ses bons succès l'abandonrae
et le trahisse? Son serment n'étail-il
valable que pour les temps heureux?
En est-elle déliée quand souffle le vent
de l'infortune? Faut-il lui appliquer le
fameurs vers du poète latin :
Tempora si fuerint nubila, solus cris t
Savez-vous qu'en poussant à bout
cette théorie on arriverait à des consé-
quences monstrueuses? Pourquoi la' fo-
lie aurait-elle seule le privilège de délier
les femmes de leurs promesses et de
leurs devoirs? Toute maladie réputée
incurable pourrait également autoriser
le conjoint à .rejeter le fardeau désormais
trop lourd de la vie commune.
Supposez un cancer, ou, si ce mot
éveille en votre esprit de vilaines ima-
ges , une paralysie de quelques-uns
des membres les plus essentiels à l'exer-
cice de la vie quotidienne. La femme
pourra invoquer en faveur du divorce
contre son mari perclus, les mêmes rai-
sons que contre son mari frappé d'alié-
nation mentale. Et ces raisons n'auront
pas moins de force 1
S'il est permis à une femme de quit
ter le foyer conjugal, où un mari idiot
bave et dort dans un fauteuil, pourquoi
lui serait-il ordonné d'y demeurer en
compagnie d'un paralytique qui geint
sur ce même fauteuil?
Le mariage est chose sérieuse.
Les deux époux, en se donnant la
main devant l'officier de l'état civil et de-
vant le prêtre, ont juré de rester, quoi
qu'il arrive, fidèles l'un à l'autre, de se
prêter mutuellement aide et appui. Ce
serment les oblige d'autant plus qu'il y
a pour eux une nécessité plus pressante
de le tenir.
Plus le mari est malheureux, plus la
femme lui doit le. secours de son affec-
tion et de son dévouement
Feuilleton du XIX. SIÈCLE
du 25 septembre 1883
CAUSERIE
DRAMATIQUE
THÉÂTRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN : Frou-
frou, pièce en cinq actes, de MM. H. Meil-
hac et L. Halévy (reprise). — COMÉDIE-
FRANÇAISE : les Rantzau (reprise). —
OPÉRA-COMIQUE : le Pardon de Ploërmel
(reprise).
Bien que Froufrou, au théâtre de la
Porte-Saint-Martin, soit une reprise,
l'événement est considérable. Tout
d'abord, il rend à la littérature drama-
tique un théâtre que la féerie avait fait
si-en. Puis il nous montre Mme Sarah
Bernhardt dans le rôle créé par Des-
clée et sous un aspect assez nouveau.
Enfin il nous remet sous les yeux une
des meilleures comédies - drames de
moeurs du théâtre contemporain, l'œu-
vre la plus remarquable de MM. Meil-
hacet Halévy. Aussi la curiosité a-t-elle
été grande, et le succès retentissant. Et
pour Mme Sarah Bernhardt ce succès
s'est changé, aux derniers actes, en
ovation triomphale. Il y a bien eu, au
début, quelque résistance. Les Parisiens
du boulevard, qui composent en grande
part le public des premières représen-
talions, ne sont pas sans avoir quel-
ques griefs contre Mme Sarah Bern-
hardt. On trouve qu' « elle en fait trop ».
Les excentricités que racontent d'elles
des amis imprudents et indiscrets, le
sans-gêne avec lequel, récemment en-
core, elle manquait à un engagement
pris vis-à-vis du public, ont indisposé
quelque peu l'opinion. Mais il n'y a
rien qui puisse aller, chez des specta-
teurs aimant l'art, contre le talent : et
celui dont a fait montre Mme Sarah
Bernhard a été immense. Desclée avait,
dans ce rôle de Froufrou, un charme
particulier, tout à fait sui generis, qui
m'empêchera toujours d'y aimer quel-
que autre femme plus qu'elle : mais
Mme Sarah y a-apporté un éclat plus
grand que la créatrice elle-même. Dans
les premiers actes, pour exprimer la
jeunesse folle, la légèreté, la curiosité,
l'inconscience surtout de Froufrou,
Mme Sarah Bernhardt fait preuve d'une
merveilleuse habileté, mais que l'on
sent. Puis, à partir du moment où la
jalousie s'empare de Froufrou, jalousie
qui l'entraîne à une faute suivie bien-
tôt de mélancoliques regrets et de re-
mords passionnés, elle est tout à fait
admirable. C'est la belle flamme tra-
gique, à qui se mêle la note plus âpre
de la réalité contemporaine. Elle a fait,
littéralement, pleurer la salle, sans que
la critique la plus sévère puisse repro-
cher à son jeu un écart de goût. C'est
une soirée qui datera dans les souve-
nirs des amateurs de théâtre.
Mme Sarah Bernhardt avait pour
partner M. Marais, transfuge du Gym-
nase. Il a joué le rôle de Sartorys, créé
par Pujol. Celui-ci était un comédien
consciencieux, intelligent, doué d'une
belle voix, — il avait été chanteur, —
mais un peu froid. J'ajoute que cet ar-
tiste devenu riche, et qui a quitté le
théâtre en philosophe après y être en-
tré par un coup de vocation irrésistible,
gardait à la scène je ne sais quoi de
l'honnêteté et de la vaillance de carac-
tère qui étaient en lui, et qu'il montra
notamment pendant le siège où il reprit
sa vareuse et son fusil de marin de Cri-
mée. Mais Pujol, qui avait débuté par
jouer les grands premiers rôle de drame,
faisait de ses rôles, au Gymnase, sur-
tout des rôles de tenue. M. Marais est,
incontestablement, plus dramatique,
plus varié, plus souple que le créateur
du personnage de Sartorys. Qui sait s'il
n'a pas même un peu trop de charme,
s'il ne manque pas trop de cet aspect
sérieux jusqu'à la sévérité qui ef-
fraye Froufrou et, dans une certaine
mesure, atténue sa faute? Je ne dirai
rien de M. Angelo, le beau Valréas, ni
de Mlle Antonine, effacée dans le person-
nage effacé de Louise, encore que le rôle
comporte des nuances délicates que
Mlle Antonine n'a pas rendues toutes.
Quant à M. Lafontaine, qui jouait le
rôle de Brigard, le plus important
de la pièce à mon avis, il y a ap-
porté une grande habileté. Peut-être
n'y met-il pas assez de distinction au
premier acte. C'est assez le fait des
vieux viveurs parisiens de pousser la
correction à l'extrême et de , garder, au
milieu des compromissions où ils vi-
vent, une dignité de formes qui est un
élément de comique. Mais, cette ré-
serve faite, qu'on peut discuter, M. La-
fontaine a fait valoir son personnage et
les auteurs ont à raison ajouté pour lui
une scène importante au cinquième
acte. C'est maintenant Brigard qui ra-
mène Froufrou à Sartorys, et qui im-
plore le pardon du mari pour la faute
de Froufrou, qui est, pour beaucoup,
sa faute à lui-même. Ravel, qui créa
Brigard, y fut également très bon. Il
jouait, comme toujours,, pour lui tout
seul et avec * force grimaces. Mais
c'était bien le vieil enfant, de ces en-
fants terribles de soixante ans, qui sont
plus terribles que les gamins. Quelle
jolie série pour un Gavarni que « les en-
fants terribles » en cheveux blancs ou
en cheveux teints !
Je disais tantôt que le rôle de Brigard,
quoiqu'il ne serve pas à l'action, était le
plus important de la pièce. C'est qu'en
effet, parce rôle surtout, Froufrou s'af-
firme comme comédie de mœurs, ce qui
lui donne du coup une valeur à part dans
notre théâtre, où les comédies de mœurs
ne sont pas très nombreuses. Le canevas
de Froufrou est des plus simples : une
femme, d'un caractère léger, est séduite
par un bellâtre aimable, lequel est tué
par le mari., qui pardonne à sa femme
mourante. Cette donnée ne vaut pas
qu'on s'y arrête. Oui, mais la faute de
Froufrou est déterminée par la jalousie
qu'elle a de voir que son mari ne peut la
prendre au sérieux ni comme femme, ni
comme mère, et cette légèreté incurable
qu'elle a, contre qui elle ne peut réagir,
qu'elle ne mesure même pas, elle la doit
à qui? A son propre père, à un père qui
l'adore et qui est, au demeurant, un fort
brave homme, - mais tout au fond. —
Dès lors, la comédie n'est plus une comé-
die d'intrigue ou d'incidents : c'est une
étude de mœurs, une critique très pro-
fonde d'un certain système d'éducation
fort à la mode chez nous, et l'œuvre, en
même temps qu'elle nous amuse et nous
émeut, devrait nous instruire. Ainsi con-
çue, elle roule tout entière autour du
personnage de Brigard, qui explique
Froufrou et l'excuse, ce quïl était né-
cessaire de faire pour le théâtre, et ce
qui est justice après tout, car le père
qui sème au cœur de ses enfants la va-
nité: le mépris du devoir, l'insouciance
coupable, est le vrai responsable de leurs
fautes fatales et de leurs inévitables mal-
heurs. Et combien de Brigards dans la fa-
cile vie de Paris, qui sont d'autant plus
Brigards qu'ils aiment mieux leurs en-
fants t -:
Les auteurs de Froufrou ont eu cette
fortune qu'après nous avoir donné un
type, sans nous montrer un portrait, les
incidents de la vie de Paris nous ont
fait voir le père Brigard en chair et en
os, effroyablement ressemblant â la
conception de leur esprit. Et, comme
il arrive presque toujours, la réalité de
la vie dépassait de beaucoup en au-
dace la création de l'auteur dramati-
que. Le vrai Brigard, d'ailleurs, est du
domaine du roman, non du théâtre, et
le roman seul peut nous montrer en
son. plein le père de certaines Frou-
frous, de même qu'il peut nous dire
sans en rien atténuer le mari de Mme
Marneffe.
A la scène, on peut soulever le voile
qui cache certaines plaies sociales ; on
ne peut l'arracher et les mettre à nu.
On critique assez volontiers, dans
Froufrou, les deux derniers actes, qui
ont le ton du drame. Les trois premiers
sont si séduisants, d'une allure si vive,
si légère, qu'on regrette de voir la
pièce prendre un autre ton et se termi-
ner dans le sang et les larmes. La con-
clusion, cependant, — en négligeant
même les nécessités du théâtre, — est
d'une rigoureuse logique et les auteurs
ne font que nous donner la morale de
leur fable. Il peut se faire qu'ils aient, ça
et là, manqué un peu de sobriété, que le
duel de Sartorys et de Valréas soit inu-
tile. Mais ce qu'il fallait nous montrer,
c'est qu'entre gens qui s'aiment sincè-
rement, qui ne sont pas mauvais, ni
même foncièrement vicieux, il suffit
d'un travers d'esprit et de caractère,
d'une éducation irréfléchie, d'une mode
presque, pour 'amener des désastres. Si
nous nous regimbons contre le dénoue-
ment de Froufrou, c'est peut-être que
nous gardons trop de faiblesse pour
cette éducation libre qui fait les Frou-
frous, trop d'indulgence pour les vices
aimables, trop de goût pour ces agréa-
bles récidivistes du plaisir qui nous
font croire, en ne voulant pas vieillir,
que nous ne vieillissons pas nous-
mêmes. Mais, en vérité, je ne vois pas
comment les auteurs de Froufrou eus-
sentpufinirleur comédie autrement qu'ils
l'ont finie. Ils eussent pu, je le sais,
emprunter un autre dénouement à la
vie : Sartorys eût fait un faux ménage
avec Louise, et Froufrou, abandonnée
de son amant, eût vécu sous le toit pa-
ternel, dans une douce intimité avec les
demoiselles qui fréquentent chez son
père. Cette conclusion ignominieuse,
qui n'est pas sans exemples autour de
nous, eût été forcée, car les caractères
de Froufrou ne la comportent pas.
Froufrou n'est pas la comédie du vice,
mais celle de l'imprudence. Il fallait.
donc un retournement des personnages.
qui est à la fois moral et, ce qui m'im-.
porte davantage, logique et* dramatique*.
Des incidents plus neufs eussent, peut-
être, pu être mis en jeu. Mais dans
ces derniers actes mêmes, d'un effet ua
peu trop facile, quelle admirable note
que celle de l'ennui profond, de la m
lancolie poignante de la femme dé.
classée, que l'ivresse a abandonnée,
que la passion sincère n'a jamais en-
vahie et soutenue t Quel réveil que
ce réveil de Froufrou à VeniseJ, da.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.89%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.89%.
- Auteurs similaires Eusèbe de Verceil Eusèbe de Verceil /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Eusèbe de Verceil" or dc.contributor adj "Eusèbe de Verceil")Firmicus Maternus Julius Firmicus Maternus Julius /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Firmicus Maternus Julius" or dc.contributor adj "Firmicus Maternus Julius")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7567187q/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7567187q/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7567187q/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7567187q/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7567187q
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7567187q
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7567187q/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest