Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1892-04-28
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 avril 1892 28 avril 1892
Description : 1892/04/28 (A22,N7409). 1892/04/28 (A22,N7409).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7565946x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2013
Vingt-deuxième année. - N° 7Jt09
CINO Centimes Fàrfà et DépartemexifS war CINQ Centimes
JEUDI 28 AVRIL 1892
-
RtOACTIOII ET IDIIINISTRATIOI
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PARIS
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: A1.<,RESTATION J:)ES J:)YN.A:M:ITJ3.rUIIRS:
3ME ÉDITION
Æ Pril anaœhist
Après l'arrestation de Ravachol,
Paris avait respiré. On avait cru qu'il
n'y aurait plus d'explosions. C'était,
:hélas! une erreur. Il y avait d'autres
Ravachol que celui que le jury de la
Seine a condamne hier, et, quand on
aura pris ces autres Ravachol, il y en
aura peut-être encore. Qui oserait
maintenant jurer du contraire?
Sans recourir aux clichés aussi exa-
gérés que démodés auxquels la nou-
velle explosion du boulevard Magenta
vient de donner l'essor, il faut bien
dire que cette série d'attentats est un
fait à la fois terrifiant et déconcer-
tant. Il est invraisemblable que les
dynamiteurs obéissent au mot d'ordre
de quelque Sainte-Vehme poursuivant
on ne sait quel but de réaction et de
dictature. Mais alors que veulent-ils ?
où vont-ils ? combien sont-ils ? Au-
trefois, les attentats se commettaient
contre la personne des monarques;
aujourd'hui, ils sont dirigés contre les
propriétés, contre les maisons, contre
les signes extérieurs de l'organisation
de la société actuelle, et contre ceux
qui, par devoir professionnel ou pour
leur satisfaction personnelle, prennent
ouvertement la défense de cette orga-
nisation.
Les anarchistes, s'ils étaient autre
chose que des criminels poursuivant
la destruction pour la destruction, la
vengeance pour la vengeance, de-
vraient cependant se rappeler que la
bombe d'Orsini n'a pas renversé l'em-
pire et que les) bombes nihilistes
n'ont pas un seul instant ébranlé l'au-
tocratie des tsars.
Certes, nous ne disons pas, et au-
cun penseur n'oserait dire que l'hu-
manité, qui a vu déjà disparaître tant
d'institutions réputées nécessaires et
éternelles, telles que l'esclavage, le
servage, le droit d'aînesse, etc., etc.,
n'assistera pas, dans un avenir plus
ou moins éloigné, à d'autres transfor-
mations au moins aussi inattendues
et aussi profondes ; mais ce que nous
savons, c'est que ces transformations,
si elles viennent à se produire, ne se-
ront que la conséquence de la force
des choses et peut-éire de l'effort des
hommes. Quant à l'odieuse propa-
gande par le fait, elle mérite d'autant
plus d'être maudite qu'elle ne peut
que consolider les abus et retarder la
marche du monde vers un avenir
meilleur.
Si on reste atterré devant la cri-
minelle sottise des anarchistes, on
éprouvé d'autre part un sentiment
d'inexprimable malaise et d'inquié-
tude, pour peu qu'on réfléchisse aux
circonstances dans lesquelles s'est
produit le dernier attentat. La maison
du restaurant Véry était notoirement
désignée pour l'explosion. Son mal-
heureux propriétaire, obéissant à un
sinistre pressentiment, était allé sup-
plier le président du conseil de lui
prêter aide et assistance. Elle était
jour et nuit, de la part de la police,
l'objet d'une surveillance spéciale.
Cette surveillance n'a pas empêché
les anarchistes de la faire sauter. Cela
n'est pas rassurant.
Ce n'est pas chose facile, assuré-
ment, dans une grande agglomération
comme Paris, de garantir la sécurité
et de prévenir les attentats. Mais en
voyant ce qui se passe, on est en
droit de se demander et tout le monde
se demande si M. Lozé est bien
l'homme de la situation. Il est possi-
ble qu'entre certaines mains il soit un
assez bon instrumentât qu'abandonné
à lui-même ou entre des mains novi-
ces, il soit complètement au-dessous
de sa tâche. Alors il n'y a pas à hési-
ter : il faut le changer. C'est, en tous
cas, la seule question qui puisse être
en ce moment utilement examinée.
Quant à demander, comme le font
certains de nos confrères, la procla-
mation de l'état de siège, c'est plus
que de l'affolement, c'est de la folie.
L'état de siège n'a en somme d'autre
résultat pratique que de substituer la
juridiction militaire à la juridiction
civile. Par quel miracle cette substi-
tution pourrait-elle suffire à rendre
les anarchistes moins audacieux, la
police plus perspicace ou le gouverne-
ment plus heureux dans le choix de
ses Drincipaux fonctionnaires ?
M. SAUTON, A M- LOUBET
M. Sauton, président du conseil munici-
pal, vient d'écrire à M. Loubet, ministre de.
lintérieàr et à M. Lozé, préfet de police,
pour leur demander « quelles mesures ils
somotent prendre on vue d'assurer la sé-
curité dans Paris". Il a en outre informé
le préfet que, pendant l'intersession du
conseil, le bureau se tenait à sa disposi-
tion pour lui prêter son concours.
Il est piquant d'ajouter à cette informa-
tion que M. Poubelle, préfet de la Saine,
est toujours en villégiature dans les pro-
priétés de son beau-père, M. le sénateur de
l'Aude Lades-Gout, et ne s'inquiète pas
outre-mesure des attentats dynamitardset
de l'approche du 1er mai.
De même qu'à la Chambre où M. Lavy
soulèvera un débat à propos de l'arresta-
tion des anarchistes, le conseil 'municipal
aura son petit incident dès l'ouverture de
ia prochaine session.
C'est M. Lozé et la brigade des recher-
ches dirigée par l'officier de paix Bois qui
feront au conseil les frais do la discussion.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
« Chronique », par Francisque Sarcey.
LES DYNAMITEURS DE VÉRY
Nous apprenons à la dernière heure que
les auteurs de l'attend commis au restau-
rant Véry sont arrêtés.
Sur une indication parvenue aux briga-
des des recherches, M. Fedée, officier de
paix, assiié de nombreux agents, a mis en
état d'arrestation, vers six heures du soir,
dans un bar situé au coin du boulevard
Saint-Denisct du boulevard de Sébastopol,
trois anarchistes, les nommés François dit
Francis, Lapeyre et Juliot.
François était depuis longtemps recher-
ché par la police, qui prétend que s'il n'est
pas l'auteur principal de l'attentat il en est
certainement le complice.
Pendant l'après-midi,ces trois anarchistes
avaient été filés par un agent de la sûreté
qui avait perdu leurs traces aux environs
de la gare de l'Eit.
Elle a été retrouvée là où l'on sait.
Tous trois ont refusé de faire connaître
leur domicile.
Ils ont été écroués au Dépôt à une heure
du matin.
A la préfecture de police, on se montre
enchanté de cette triple arrestation et on
s'y dit certain de posséder les vrais auteurs
de l'attentat. r
LE COLONEL
DES TiBâiLLEUBS SÉNÉGALAIS
Le régiment de tirailleurs sénégalais dont
le décret de formation a paru il ya. deux:
jours au Journal officiel aura pour chef
ivl. le lieutenant-colonel Lambinet du 7e ré-
giment d'infanterie de marine, qui com-
mande à Paris les bataillons détachés de
cette arme.
Il est remplacé à Paris par M. Bouinais,
lieutenant-colonel du 86 régiment à Tou-
lon.
M. le lieutenaut-colonel Monségur, du
7e régiment d'infanterie de marine à Ro-
chefort, est désigné pour remplacer ea In-
do-Chine le colunel Terrillon qui rentrera
en France.
ojo
L'AFFAIRE DEACON
L'affaire Parker-Deacon viendra le SO mai
prochain devant la cour d'assises.
On se rappelle que M. Deacon a tué M. Emile
Abeille, qu'il avait trouvé en compagnie de sa
femme daus une chambre d'hôtel à Cannes.
MORT D'UN MILLIARDAIRE
M. William Astor, le richissime Américain
bien connu, est mort hier à l'hôtel de Livér-
pool, des suites d'une maladie de cœur.
M. Astor était depuis quelque temps à Paris,
en compagnie de sa femme.
La fortune de M. Astor atteint sept à huit
cents millions. -
BBM—M——HCB—KL
CONSEILLER GÉNERAL DÉCHU
DE SON MANDAT
Montluçon, 26 avril.
Le conseil général de l'Allier a déclaré dé-
chu de son mandat le nommé Fréjac, conseil-
ler général du canton de Commentry, condam-
né a deux ans de prison pour faux en écritu-
es publiques. _mmm~
r r"-
M. ZOLA CANDIDAT
M. Camille Doucet a donné lecture hierf à
l'Académie, d'une lettre de M. Emile Zola po-
saut, sa candidature au fauteuil devenu vacant
par le décès de l'amiral Jurien de la Gravière.
SUICIDE D'EDGARD LA SELVE
Au moment même où nous apprenions
le suicide de l'explorateur Duveyrier, au-
quel notre collaborateur Henry Fouquier
consacre aujourd'hui sa « Vie à Paris ,, on
nous annonçait le suicide d'Edgard La Selve,
un écrivain qui a beaucoup voyagé, qui a
publié une foule de nouvelles et de romans,
retraçant des scènes de la vie des contrées
lointaines qu'il avait traversées.
Edgard La Selve s'est suicidé hier, a
trois heures de l'après-midi, dans e local
de la Société des gens de lettres, rue de la
,Chausséè-d'Antiu, h7, en se tirant deux
coups de revolver dans la tête.
Sur lui on a retrouvé une lettre adressée
à M. Edouard Montagne, le délégué de la
Société, à qui il disait : * Je me tue parce
je sens baisser mes facultés intellectuelles. »
La Selve, qui était âgé de quarante-trois
ans, habitait à Courbevoie, avec sa femme
et ses deux enfants, une coquette villa
appelée Pavillon des Palmiers.
Il avait fondé il y a trois ans l'Aca-
démie des palmiers, qui publiait une revue
et mettait au concours des poésies et des
nouvelles traitant de sujets exotiques. M.
Lecomte de Lisle en était le président d'hon-
neur.
L'académie donnait un dîner annuel, sur
le menu duquel figuraient des bosses de
bisons, des pattes d'ours, des trompes d'é-
léphants et des langues de tigres.
Le cadavre de La Selve a été transporté
au poste de l'Opéra, ou sa famille est venu
le réclamer.
La Selve était né à la Luide (Dôrdogne),
en 18h9. Il avait été professeur de rhétori-
que au lycée dé Pôrt-au-Prince (Haïti).
Lire à la seconde page la « Vie de
Paris n, par Henry FouÇ(,uier,
RAVACHOL
DEVANT lE JURY
LES ATTENTATS PAR LA DYNAMITE
LES RÉFORMATEURS DE LA
SOCIÉTÉ
Les consignes du commandant. - Rava.
chol et les crimes de la Loire. — De
l'utilité du Bottin. — Témoigna-
ges de MM. Benoist et Bulot.
M. Girard estime les dé-
gâts. — Leboucher,
rentier, à Mazas.
Jamais les consignes n'avaient été aussi
sévères; c'est le triomphe du personnel
spécial du commandant Lunel : il faut of-
frir un visage connu au Palais pour fran-
chir les portes triplement gardées. La salle
est vide quand nous y pénétrons ; mais
bientôt nous voyons se glisser dans le fond,
sans bruit, surgissant comme des ombres,
une soixantaine d'individus, pour la plu-
part coiffés de chapeaux haute-forme,appe-
lés à composer ce que, sans hésiter, on
peut qualifier la public « choisi M. Puis les
avocats envahissent l'enceinte réservée, les
journalistes s'entassent à leurs bancs, et
les témoins, parmi lesquels M. le conseiller
Benoist et M. le substitut du procureur gé-
néral Bulot, sont là, s'apprêtant à répondre
à l'appel du leurs noms.
A onze heures exactement, la cour effec-
tue la fausse entrée qui est le début de
toute affaire un peu importante. M. le pro-
cureur général Quesnay de Beaurepaire
s'empare du banc de quart du ministère
public et requiert l'adjonction à la cour
d'un troisième assesseur et la nomination
d'un treizième juré.
11 est procédé dans la coulisse à cette
double opération,ainsi qu'au tirage au sort
du jury. Pendent ce temps,on introduit les
cinq accusés: qui prennent place dans l'or-
dre suivant :
Ravachol,Simon, Chaumartin au premier
banc, et derrière eux, Jas-Bala et la fille
Soubère, sa maîtresse. Nous comptons
combien de gardes de Paris composent
ilescorte : ils sont au nombre de seize, en-
cadrant à ce point les accusés, que ceux-ci
disparaissent presque dans une forêt de
shakos.
Mais bientôt voici de nouveau la cour :
M. le conseiller Guès, président, précédant
ses collègues, MM. Mercier, Berr et Poul-
tier.
M. l'avocat général Cruppi, en habits ci-
vils,se tient assis à quelque distance du chef
du parquet générai, prêt à l'assister ou à le
suppléer. L'audience durera ce qu'elle du-
rera, mais on ira d'une traite jusqu'au ver-
dict ou du moins on l'espère. Ceux qui
avaient prévu le renvoi d u procès,en raison
de la nouvelle explosion d'hier, en sont
pour leur prophétie.
RAVACHOL
Le président constate l'identité des cinq
accusés, après avoir fait prêter serment
aux douze jurés. L'un de ces derniers doit
répéter un second : Je le jure ! ayant for-
mulé son serment une première fois la
main gantée, ce qui n'est pas légal.
C'est d'une voix très nette que Ravachol
répond aux premières questions du ma-
gistrat?
— Votre domicile? lui demande ce der-
nier.
— Saint-Mandé, répond Ravachol.
Simon, dit Biscuit, proclame ses dix-huit
ans avec une voix de gavroche voyoutant.
il est né à Saint-Jean-le-Blanc, dans le
Loiret, le 11 mai 1873. Chaumartin, qui se
trouve le doyen des accusés, déclare qu'il
est forgeron de son état. Beala est l'homme
distingué de la troupe; quant à la femme
Mariette Soubert, la « plieuse de rubans »,
elle cache son visage rougi par les pleurs
sous une mantille noire des plus épaisses.
Ravachol ne s'éloigne pas du type de
l'anarchiste que, depuis quelques années,
nous voyons s'asseoir sur le banc des as-
sises, type hybride d'ouvrier ne travaillant
pas et de « monsieur » assez mal endiman-
ché dans une même redingote noire pour
noce, enterrement ou réunion publique.
Les mains du dynamiteur sont exemptes
des stigmates particuliers à son état de
teinturier ; il est coiffé avec soin et il fe-
rait plutôt l'effet du garçon d'honneur de
son complice Beala qui, plus élégant, joue-
rait le rôle du marié. La vue de l'un ni de
l'autre n'évoque l'idée des bombes des-
tructives dont les effets nous sont indiqués
par l'étalage composite des pièces de con-
viction, débris de poutres, morceaux de
rampes, baguettes tordues de tapis d'esca-
lier, bocaux, fourneaux, balance, revolver,
cartouches, méli-mélo synthétique.
Ravachol, évidemment, se croit un per-
sonnage. La vue du jury ne l'intimide pas;
il est à l'aise, et son interrogatoire le prou-
vera.
— Vous vous appelez Kceningsten, lui dit le
président, mais vous êtes plus connu sous le
nom de Ravachol, le nom de votre mère. Je
vous appellerai donc ainsi. Vous êtes âgé de
trente-deux ans et êtes né à Saint-Chamond.
Vous êtes ouvrier teinturier. Vous n'ayez ja-
mais été condamné?
— Jamais.
— Mais, dans la Loire, les renseignements
fournis sur vous sont déplorables. Je ne lirai
que la conclusion d'un rapport rédigé sur
votre compte par la police : faux-monnayeur,
contrebandier, malfaiteur des plus dangereux.
-La police ne me connaît que depuis 1891.
— Oui, mais vous avez reconnu l'exactitude
de ses conclusions.
Le président indique alors aux jurés ce
que la justice a saisi aux deux derniers
domiciles de l'accusé, notamment un ther-
momètre à 200 degrés, une fausse barbe,
un rat-de-cave, des cartouches, deux re-
volvers, des flacons d'acide, des pièces de
fausse-monnaie, etc.
LE PASSÉ D'UN ANARCHISTE
— Les deux faits qui vous seront repro-
chés ici, vous les avez d'abord niés, puis
avoués. Quand vous avez etc arrêté, vous avez
résisté avec la dernière violence ; mais ceci
est votre affaire. -
A ce moment, M0 Lagasse fait observer au
k présj,dejut que Ravachol est un - peu dap
d'oreilles. M. le conseiller Guès ordonne
aux gardes de conduire l'accusé en face de
lui, et l'interrogatoire se poursuit alors
dans une sorte d'intimité, le magistrat
ponctuant ses interrogations par le jeu
d'un couteau à papier. Ravachol, debout,
flanqué de deux gardes, parle à droite et
à gauche par-dessus la tête de ceux-ci.
Le président fait allusion à l'assassinat
de l'ermite de Chambles :
— Je m'abstiendrai de répondre sur ls faits
pour lesquels je ne suis pas poursuivi, dit
Ravachol ; mais je ne me refuse pas à m'ex-
pliquer sur les raisons qui m'ont poussé à
agir.
— Ce sont les mobiles, et, pour l'instant, il
n'en est pas question. Il faut que MM. les ju-
rés sacheut ceci : Vous avez tué, pour le vo-
ler, un vieillard habitant un ermitage isolé
à Chambles, près Saint-Etienue.
Vous vous êtes introduit chez lui ; vous l'a-
vez trouvé dans son lit et vous avez étouffé ce
vieillard de quatre-vingt douze ans, malgré
ses supplications. Vous vous êtes emparé de
trente ou trente-cinq mille francs, montant
des économies de votre victime ; on vous a
arrêté, vous vous êtes échappé. Votre com-
plice, une femme mariée avec qui vous. aviez
des relations, a été condamnée par la; cour
d'assises do la Loire ; ion a trouvé dans sa cave
cinq ou six mille fràiics qu'elle recélait. ,Voilà
un des crimes dont vous n'avez pas à répon-
dre ici, mais qu'on vous reproche et qu'en
somme vous avouez.
Au mois de mai 1891, vous apprenez qu'on
vient d'ensevelir dans le cimetière de Saint-
Jean-Bonnefond une dame très riche, la com-
tesse de Rochetaillée. Dans la nuit du 12 ou IA
vous avez, accompagné d'uu complice, esca-
ladé le mur du cimetière; avec une pince,
vous avez soulevé la pierre tombale, et, espé-
rant trouver des bijoux sur le corps de la
morte, vous avez violé sa sépulture, n'hési-
tant pas à chercher sur sa main glacée l'an-
neau qu'elle pouvait avoir au doigt. A Paris,
après votre arrestation, vous n'avez pas hé-
sité à déclarer que vous vous étiez adonné au
vol et à l'assassinat. Aujourd'hui, vous vous
taisez; mais,moi, magistrat, je suis bien obligé
de dévoiler votre passéaux jurés.
— Je puis dire les motifs de mes actes.
- Je me borne pour l'instant à dire à MM.
les jurés quels ont été ces actes.
Les faits de l'accusation
Le président aborde les faits mêmes de
l'accusation :
— A Saint-Etienne, vous aviez connu Beala,
et de Saint-Denis, vous avez envoyé Chaumar-
tin lui demander une somme de trois mille
francs.
— C'est faux.
Comme Ravachol estime qu'il est mal
placé pour se faire entendre, il réprend
pour ainsi dire de lui-même, le chemin de
son banc, et insiste pour y être maintenu.
Le président finit par y consentir.
— D'où provenait l'argent que vous possé-
diez 7
— Cet argent venait de Notre-Dame-de-Grâce
(l'ermitage de Chambles).
— Pourquoi vous êtes-vous fait appeler
Léon Léger ?
— Puisque j'étais poursuivi, cela m'a paru
naturel.
— Vous vous êtes présenté chez Chaumar-
tin dès votre arrivée. Pourquoi?
— Parce que c'était un camarade. J'en avais
entendu parler comme faisant partie de la
chambre syndicale des hommes de peine de
Saint-Etienne.
— Quelqu'un vous avait donné son adresse ?
- Saris doute, puisque je l'avais {rires);
mais je ne dirai pas qui.
— Vous avez donc fréquenté les époux Chau-
martin ?
— Beaucoup.
— On vous y appelait le cousin Léon. Vous
appreniez à lire à la petite fille. Vous avez ré-
vélé à Chaumartin qui vous étiez.
— Mais non.
— Il l'a su, en tout cas.
Avez-vous connu Simon, Gustave Mathieu
et Beala chez Chaumartin ?
— Pour Simon, je ue saurais dire. Gustave
Mathieu, je l'y ai vu quelquefois, et aussi
Beala et sa maîtresse.
— De quoi causait-on? Parlait-on de com-
mettre quelque attentat?
— Jamais.
— Vous avez eu connaissance du procès de
Decamps, Dardare et Leveillé?
— Oui, par les journaux surtout.
— Quels sentiments les comptes rendus vous
ont-ils insDirés ?
— Des sentiments d'indignation avant tout.
J'ai trouvé que le président Benoist avait été
très partial.
— Les journaux pourtant ont dit unanime-
ment qu'il s'était montré très impartial.
— Ce n'était pas l'avis des amis qui avaient
assisté aux débats.
— Et M. Bulot?
— M. Bulot également: il a requis la peine
capitale contre Decamps, ce père de famille
dont les deux eufants ont dû. être recueillis
par un des nôtres.
— Parce qu'un homme est père de famille, le
ministère public pourtant ne peut être privé
du droit de requérir contre lui la peine capi-
tale, si elle est méritée.
— Le jury n'a pas partagé cette théorie.
MM. Bulot et Benoistn'onttenu aucun compte
des mauvais traitements exercés contre nos
camarades; ils n'ont pas même eu d'eau pen-
dant trois jours pour laver leurs plaies.
— Je na vous parlerai pas du procès De-
camps, que je ne connais pas; mais vos ap-
préciations, Ravachol, me sont suspectes.
— Comment en aurais-je voulu plus spécia-
le .nent à MM. Benoist et Bulot., si ce n'était pas?
— Alors, vous aviez voué à ces magistrats
des sentiments de haine?
- Parfaitement, je le répète.
LES ATTENTATS
Le président interroge Ravachol au sujet
du vol de dynamite commis à Soisy-sous-
Etiolies en février dernier :
— Je ne veux pas vous en parler. Je ne con-
nais pas ce vol, répond l'accusé.
— Vous n'y avez pas pris part?
— Non.
— A l'instruction, vous avez déclaré que
vous refusiez de répondre; mais vous avez ra-
conté à Chaumartin les circonstances de ce
vol. n'est pas exact.
- Ce n'est pas exact.
- Alors Chaumartin ment?
- Sans doute.
- Vous, Simon et Beala, qui arrivait à cette
époque de Saint-Etienne avec sa maîtresse,
avez essayé de faire sauter le commissariat de
Clichy. Vous en vouliez au commissaire ?
— Assurément : il avait laissé frapper De-
camps, Dardare et les autres, après leur arres-
tation.
— Vous le dites. Est-ce vrai ?
— Il faut bien peu s'occuper de la vie des
ouvriers pour ignorer ça. Je peux parler sa-
vamment de la façon dont peuvent se compor-
ter les gardiens de la paix.
— Vous n'avez pas donné suite à cet atten-
tat?
— J'ai pensé qu'il fallait frapper plus haut.
— N'csLce pas plutôt la présence d'un agent
oui vous a empêché d'aller jusoulaii bout 1"
— Ce peut être une des causes.
.— Ne vouliez-vous pas, vous, tuer cet agent ?
- OUI. C'est Beala et Simon qui m'en ont
empêché.
BOULEVARD SAINT-GERMAIN
— Arrivons à l'attentat du boulevard Saint-
Germain. Vous avez connu un nommé Viard,
qui était membre de la Commune et qui est
mort à cette heure. N'est-ce pas lui qui vous
a donné l'adresse de M. le conseiller Be-
noist ?
— Je ne sais pas.
— C'est bien Viard; mais cette adresse avait
été perdue, et c'est Simon qui s'est chargé de
la retrouver dans le Bottin. Vous avez, le ven-
dredi 11 mars, apporté chez Beala la marmite
toute préparée.
— C'est vrai.
— Qu'avez-vous fait ?
— J'ai pris le tramway dans la direction de
chez M. Benoist. Je suis monté au deuxième,
j'ai déposé l'engin et je l'ai allumé.
— Vous étiez armé ?
— J'avais deux revolvers.
— Vous étiez bien habillé ?
— J'étais habillé comme je suis là, avec uu
pardessus en plus.
-Vous aviez un chapeau haute forme?
- Pour ne pas éveiller l'attention.
- Et l'explosion a eu lieu?.
- J'étais à peine dehors, prés de la porte;
si la maison était tombée, elle tombait sur
moi.
- Qu'avez-v.ous fait ensuite?
- Je m'en suis allé.
— Vous étiez seul?
- J'étais seul.
— A l'instruction vous avez dit : c'est à eux
(Beala et Simon) à s'expliquer. Il faut recon-
naître que vous aimez mieux vous accuser
vous-même que les autres. Votre première ré-
ponse était plus compromettante pour eux.
— Ils n'y étaient pas.
— Vous en vouliez tellement à M. le con-
seiller Benoist, que vous ne connaissiez pas,
que vous avez môme dit que vous vouliez le
tuer, soit avec un pistolet, soit.avec un mar-
teau, votre instrument favori. Avant l'explo-
sion du Il mars, vous aviez déjà l'intention
de le tuer. Je vous demande maintenant si,
après l'explosion, vous avez revu Simon et
Beala?
Ravachol ne répond pas.
— Mais dis donc la vérité; c'est pas la peine
de la cacher, interrompt Simon.
— Tout à l'heure, dit le président à ce der-
nier, vous rafraîchirez la mémoire de Ra-
vachol.
A Ravachol. - Mais ne vous rapplez-vous
pas avoir dit qu'après l'explosion du bou-
levard Saint-Germain, vous aviez échangé vos
coiffures? Vous étiez, tous les trois, rentrés
gais, contents et riauts.
- J'ai pu le dire, je ne le nie pas.
— Le dimanche 13, que faisiez-vous avec
Simon?
- La mémoire me fait souvent défaut.
— Eh bien, je vais vous le dire : Vous fabri-
quiez tous les deux, quai de la Marine, 2, à
Saint-Denis, de la nitro-glycérine.
— Je ne me rappelle pas.
— C'est extraordinaire. Chaumartin, Beala
sont venus sur ces entrefaites.
— Je ne m'en souviens pas.
— Comment avez-vous eu connaissance de
l'adresse de M. Bulot ?
— Sur le Bottin.
— Ce n'est pas Mathieu qui vous l'a donnée?
- Non, non.
— Vous aviez dit : On ne peut plus recom-
mencer le soir. J'irai maintenant à neuf heu-
res, le matin.
Après l'arrestation de Chaumartin et Si-
mou, vous avez jugé prudent de changer de
domicile, et vous avez loué une chambre, 68,
rue de la République, à St-Mandé, sous le faux
nom de Laureut. Qui vous a aidé à déména-
ger ?
— Je ne le dirai pas, non, non.
RUE DE CLICHY
— Revenons au second attentat briève-
ment.
— J'ai déjeuné et, vers six heures vingt, je
suis parti de Saint-Mandé, emportant ma va-
lise.
— Qu'y avait-il dans cette valise?
— Da ia dynamite, de lasébastine, des amor-
ces.
— C'était un engin formidable.
Ravachol, d'un air de doute : — Oh ! oh 1
— Oui, formidable, vous vous y connaissez.
Vous êtes arrivé rue de Clichy, n'est-ce pas?
- oui; j'ai ouvert, sur le trottoir, avec la
clé, ma valise; je l'ai prise par les deux poi-
gnées, je suis entré au 39, je suis monté au
deuxième, j'ai mis une mèche. Des cartouches
s'étaient déplacées-et, comme il y avait de la
poudre de mine, je risquais beaucoup en met-
tant le feu. Mais je n'étais pas venu là pour
m'en aller ainsi.
— Quelle longueur avait la mèche?
— Environ quatre-vingt-dix centimètres.
— Elle s'est trouvée un peu longue, puisque
vous avez été surpris du retard dans l'explo-
sion ; mais cette longueur de la mèche devait
vous permettre de vous éloigner.
— Naturellement.
— Avez-vous connu le résultat de l'explo-
sion : que cinq personnes avaieut été blessées,
que l'escalier s'était effondré, etc.?
— J'ai su tout cela, mais par les journaux.
— Qu'avez-vous fait après l'explosion?
- Je suis descendu (sic) la rue de Clichy.
J'ai monté sur l'omnibus du Jardin des Plan-
tes, mais la voiture a passé derrière et je u'ai
rien vu.
— Vous êtes allé au restaurant Véry, devenu
célèbre à cause de vous, et vous avez engagé
la conversation avec qui ?
— Avec un domestique, un jeune homme
qui se plaignait du service à l'armée.
— Vous avez été bien imprudent là.
— Nous croyons propager la justice, et nous
avons peine à nous contenir devant des gens
qui se plaignent et qui ne savent pas les cau-
ses de leurs souffrances.
— Vous l'avez converti à vos idées, ce jeune
homme?
— Il faut croire que non. (Hilarité.)
— Pour moi, je ne discuterai pas vos théo-
ries. Et d'abord, je ne vous convertirais pas
et vous ne me convertiriez pas. Mais je ne
limiterai pas votre défense.
— Je ne dirai pas grand'chose, car je ne suis
pas orateur.
— Vous êtes un homme d'action plutôt,
n'est-ce pas? Mais, pour vos théories, il est
fâcheux qu'elles soient défendues par un hom-
me qui a le passé dont j'ai parlé tantôt. Chau-
martin, c'est vrai, parle de vous comme d'un
homme sensible. Or, quand on songe à ce pau-
vre vieillard que vous étouffiez dans vos bras.
— Monsieur le président, vous ne savez pas
ce que ce vieillard m'a dit. (Rires.)
PROFESSION DE FOI ANARCHISTE
— Terminons pour l'instant cet interroga-
toire. Qu'avez-vous à dire?
— J'ai à dire pourquoi j'ai voulu frapper
MM. Benoist et Bulot, et ce sera court.
J'ai voulu frapper, premièrement, parce que
M. Benoist a été trop partial dans la condam-
nation du procès de Clichy, et, deuxièmement,
parce qu'il n'a prêté aucune attention aux
mauvais traitements exercés par les gardiens
de la paix sur Decamps et ses amis. (Avec in-
dignation) : On leur a refusé de l'eau pour laver
leurs plaies. Quant à M. Bulot, il a requis la
oftîDQ caoitale contre Decamps, un père de
famille. J'ai voulu faire comprendre à ceux
qui doivent appliquer des peines, qu'ils de-
vaient être plus doux envers nous.
Je regrette les victimes innocentes que j'ai
pu faire, mais les auteurs d'un état de choses
dout nous ne voulons plus en font bien aussi,
de ces victimes innocentes. J'en ai rencontra
beaucoup dans cette vie, dont je ne connais
que les amertumes. En ce moment, n'ai-je pas
la douleur de voir sur ces bancs des personnes
qui ne sont pas coupables, qui n'ont eu qu'ua
tort: de croire en moi, à ce que je leur disais.
(Cherchant sss mois) L'anarchie, c'est h mise
en commun de tous les biens de la terre. Gui,.
l'anarchie serait une grande famille où le plus
faible serait protégé par le fort, où chacun
mangerait suivant sa faim, sans regarder si
sou voisin ne le jalouse pas. Si nous nous
sommes décidés à terroriser, c'est pour por-
ter à la rdlexlOn, à la méditation. Si ou nous
connaissait mieux, au lieu de nous considérer
comme des criminels, on nous prendrait pour
ce que.nous sommes, pour les vrais défen-
seurs des opprimés. J'ai dit !
Le président.— Je ne conteste pas vos théo-
ries, mais je vous poserai une dernière ques-
tion : Quand vous avez été arrêté, vous avez.
dit que vous aviez encore 270 à 300 cartouches
de dynamite à votre dispositioa. ,Voulez~vous
dire où sont ces cartouches?
— Non, je ne le dirai pas.
M. le procureur général Quesnay de
Beaurepaire désirerait savoir pourquoi Ra-
vachol possédait chez lui de la strychnine.
— J'avais ce poison par hasard, répond
l'accusé.
— Comme encas, une réserve, alors?
— C'était une réserve, si vous voulez bien.
(Hilarité.)
SIMON DIT BISCUIT
« Parfaitement" est le mot préféré de
Simon dit Biscuit. Lui aussi n'entend paî
bien et le déclare plus volontiers que Ra-
vachol ; car c'est un garçon sans façon&,saji9
prétentions.
— Vous avez été condamné à deux mois-
pour vol ? lui dit le président.
- J'ai z'été victime d'une infamie. Je vais
vous dire. Dans les usines, vous savez, on em-
porte un peu de tout, et c'est pour quelques
bricoles qu'on m'a traduit devant les juges.
— En ce moment, vous êtes renvoyé en
police correctionnelle pour un nouveau vol-
Vous serez peut-être aCtluiltc, mais votre si-
Luation est celle-là. Les renseignements sur
votre compte sont très mauvais. Le commis-
saire de police de Saint-Oaen vous présenta
comme un individu très dangereux.
— Je ne suis pas dangereux du tou.t.
— Quand on vous a arrêté, vous habitiez 59*
rue Montmartre, à Saint-Ouea, avec Gustavô
Mathieu. On a trouvé. chez vous un modèle de
bombe, qui est là, d'ailleurs. ",
- C'est une farco à la p..o-HCe,. qui mettait
tout en l'air quand' elle Venait. J'ai trouvé
cette bombe en bois dans la rue et j'y ai mis.
des cartouches pour que les agents la pren-
nent et l'apportent au laboratoire. (Rires.)
— Et la fausse barbe trouvée chez vous ?
— Elle n'est pas à moi. Ou uous avait saisis..
pour l'affaire Viard, et quaud on nous a rendu.
nos effets, il y avait deux barbes.
— Vous avez écrit à votre ami Louis B^rnay-
une lettre bien compromettante, renfermant
un aveu bien formel de votre participation à
l'attentat du boulevard Saint-Germaiu.
— Parfaitement, j'ai ecrit la lettre.
— Mais il y a autre chose que cette lettre.
Vous étiez lié avec Viard, l'ancien mem-
bre de la Commune. Vous étiez logé chez lui.
Il est mort le 18 janvier, et après sa mort,
vous vous êtes mis en relations avec Chau..
martin?
—Parfaitement.
— Il vous affectionnait beaucoup, Viard ?
— Parce qu'il m'estimait beaucoup.
— Il vous avait adressé à Chaumartin, che
qui vous avez connu Ravachol et d'autres com-
pagnons.
— Parfaitement, Ravachol.
— Et d'autres?
— J'ai la mémoire très courte, M. le prési-
dent.
— Comme Ravachol. (Rires). Viard était allé
chez M. Benoist, voulant défendre à la barra
son ami Decamps. C'est ainsi qu'il a connu
l'adresse de ce magistrat. Voilà un point ac-
quis. Vous faisiez partie de l'expédition con-
tre le commissariat de Clichy ?
— Oui. Il y avait bien un agent à la porte;
ça, c'est vrai ; mais la bombe était tellement
grosse que j'ai eu crainte que les ouvriers qu"
étaient là à côté ne fussent massacrés.
— Et si ç'avait été des bourgeois ?
— Peut-être ç'eût été 'tout de même.
— Votre explication est nouvelle. Et d'ail-
leurs je dois dire que, de caractère très mé-
fiant, vous avez toujours refusé vos interro-
gatoires. Ravachol n'a-t-il pas voulu tuer l'a-
gent qui était de faction devant le commis-
sariat ?
— Ah! ça ne me revient pas 1 Je ne me rap-
pelle pas!
— Passons à l'attentat du boulevard Saint.
Germain.
ENTRE AMIS
— Nous causions entre amis du président
qui avait mené les débats de l'affaire de De-
camps et nous avons eu comme ça l'idée d'al-
ler poser une bombe chez lui.
— Poser une bombe chez lui?
— Parfaitement.
- Y êtes-vous allé?
- Parfaitement; je suis allé d'abord pren-
dre des renseignements chez le concierge :
« Puisque tu vas à Paris, m'avait dit Ravachol,.
tu prendras en passant des renseignements: »
J'ai cherché a quel étage demeurait l\I..Benolst
sans trouver, comme dans les maisons dqr
commerce, de noms sur les portes. Il n'y
avait pas de plaques, j'ai interrogé la concierge
sur le pas de la rue; elle n'a pas voulu me ré-
pondre.
- Vous êtes parti le 11 mars de Saint-Denis.
Avec qui ?
— Avec Ravachol, naturellement, et Beala,
et puis cette demoiselle qui est là, Marietta
Soubert.
C'est elle qui portait la marmite, sans sa-
voir ce que c'était.
— Vraiment?
— Mais oui. Cette femme, elle était malade,
et c'est par obligeance qu'elle, nous a accom-
pagnés jusqu'à la barrière pour dissimuler
ça.
- Ça? la bombe?
— Elle savait pas. Après la barrière, elW
nous a quittés, et moi, boulevard Magenta
j'ai laissé le tramway et je suis rentré me cou-
cher. Ravachol m'avait dit qu'il était bon ,
pour faire la besogne tout seul. t
— Cela peut être, mais cela n'est pas vrai-
semblable.
— Je ne suis pas allé boulevard Saint-Ger-
main: j'étais couché à neuf heures, monsieur.
J'ai revu Ravachol dimanche, le surlendemain.
— Ravachol et Chaumartin ne sont pas d'ac-
cord avec vous. Quant à votre complicité dans
le second attentat, elle résulte de votre parti-
cipation à la fabrication de nitro-glycérine, a
laquelle se livrait Ravachol.
— Ravachol m'a demandé de l'aider dans
ses expériences. Je lui ai dit : ParfaitemeoL.
— Et il ne vous a pas dit que c'était pour
faire sauter des maisons ?
— Ah 1 mais non. Il m'a dit que c'était PQUJf
essayer.
- Essayer quoi?
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JEUDI 28 AVRIL 1892
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RA VL\CHOL A-UX TBA VAUX FORCES-
, jaL. V .1 jeL
,
: A1.<,RESTATION J:)ES J:)YN.A:M:ITJ3.rUIIRS:
3ME ÉDITION
Æ Pril anaœhist
Après l'arrestation de Ravachol,
Paris avait respiré. On avait cru qu'il
n'y aurait plus d'explosions. C'était,
:hélas! une erreur. Il y avait d'autres
Ravachol que celui que le jury de la
Seine a condamne hier, et, quand on
aura pris ces autres Ravachol, il y en
aura peut-être encore. Qui oserait
maintenant jurer du contraire?
Sans recourir aux clichés aussi exa-
gérés que démodés auxquels la nou-
velle explosion du boulevard Magenta
vient de donner l'essor, il faut bien
dire que cette série d'attentats est un
fait à la fois terrifiant et déconcer-
tant. Il est invraisemblable que les
dynamiteurs obéissent au mot d'ordre
de quelque Sainte-Vehme poursuivant
on ne sait quel but de réaction et de
dictature. Mais alors que veulent-ils ?
où vont-ils ? combien sont-ils ? Au-
trefois, les attentats se commettaient
contre la personne des monarques;
aujourd'hui, ils sont dirigés contre les
propriétés, contre les maisons, contre
les signes extérieurs de l'organisation
de la société actuelle, et contre ceux
qui, par devoir professionnel ou pour
leur satisfaction personnelle, prennent
ouvertement la défense de cette orga-
nisation.
Les anarchistes, s'ils étaient autre
chose que des criminels poursuivant
la destruction pour la destruction, la
vengeance pour la vengeance, de-
vraient cependant se rappeler que la
bombe d'Orsini n'a pas renversé l'em-
pire et que les) bombes nihilistes
n'ont pas un seul instant ébranlé l'au-
tocratie des tsars.
Certes, nous ne disons pas, et au-
cun penseur n'oserait dire que l'hu-
manité, qui a vu déjà disparaître tant
d'institutions réputées nécessaires et
éternelles, telles que l'esclavage, le
servage, le droit d'aînesse, etc., etc.,
n'assistera pas, dans un avenir plus
ou moins éloigné, à d'autres transfor-
mations au moins aussi inattendues
et aussi profondes ; mais ce que nous
savons, c'est que ces transformations,
si elles viennent à se produire, ne se-
ront que la conséquence de la force
des choses et peut-éire de l'effort des
hommes. Quant à l'odieuse propa-
gande par le fait, elle mérite d'autant
plus d'être maudite qu'elle ne peut
que consolider les abus et retarder la
marche du monde vers un avenir
meilleur.
Si on reste atterré devant la cri-
minelle sottise des anarchistes, on
éprouvé d'autre part un sentiment
d'inexprimable malaise et d'inquié-
tude, pour peu qu'on réfléchisse aux
circonstances dans lesquelles s'est
produit le dernier attentat. La maison
du restaurant Véry était notoirement
désignée pour l'explosion. Son mal-
heureux propriétaire, obéissant à un
sinistre pressentiment, était allé sup-
plier le président du conseil de lui
prêter aide et assistance. Elle était
jour et nuit, de la part de la police,
l'objet d'une surveillance spéciale.
Cette surveillance n'a pas empêché
les anarchistes de la faire sauter. Cela
n'est pas rassurant.
Ce n'est pas chose facile, assuré-
ment, dans une grande agglomération
comme Paris, de garantir la sécurité
et de prévenir les attentats. Mais en
voyant ce qui se passe, on est en
droit de se demander et tout le monde
se demande si M. Lozé est bien
l'homme de la situation. Il est possi-
ble qu'entre certaines mains il soit un
assez bon instrumentât qu'abandonné
à lui-même ou entre des mains novi-
ces, il soit complètement au-dessous
de sa tâche. Alors il n'y a pas à hési-
ter : il faut le changer. C'est, en tous
cas, la seule question qui puisse être
en ce moment utilement examinée.
Quant à demander, comme le font
certains de nos confrères, la procla-
mation de l'état de siège, c'est plus
que de l'affolement, c'est de la folie.
L'état de siège n'a en somme d'autre
résultat pratique que de substituer la
juridiction militaire à la juridiction
civile. Par quel miracle cette substi-
tution pourrait-elle suffire à rendre
les anarchistes moins audacieux, la
police plus perspicace ou le gouverne-
ment plus heureux dans le choix de
ses Drincipaux fonctionnaires ?
M. SAUTON, A M- LOUBET
M. Sauton, président du conseil munici-
pal, vient d'écrire à M. Loubet, ministre de.
lintérieàr et à M. Lozé, préfet de police,
pour leur demander « quelles mesures ils
somotent prendre on vue d'assurer la sé-
curité dans Paris". Il a en outre informé
le préfet que, pendant l'intersession du
conseil, le bureau se tenait à sa disposi-
tion pour lui prêter son concours.
Il est piquant d'ajouter à cette informa-
tion que M. Poubelle, préfet de la Saine,
est toujours en villégiature dans les pro-
priétés de son beau-père, M. le sénateur de
l'Aude Lades-Gout, et ne s'inquiète pas
outre-mesure des attentats dynamitardset
de l'approche du 1er mai.
De même qu'à la Chambre où M. Lavy
soulèvera un débat à propos de l'arresta-
tion des anarchistes, le conseil 'municipal
aura son petit incident dès l'ouverture de
ia prochaine session.
C'est M. Lozé et la brigade des recher-
ches dirigée par l'officier de paix Bois qui
feront au conseil les frais do la discussion.
Le XIXe SIÈCLE publiera demain la
« Chronique », par Francisque Sarcey.
LES DYNAMITEURS DE VÉRY
Nous apprenons à la dernière heure que
les auteurs de l'attend commis au restau-
rant Véry sont arrêtés.
Sur une indication parvenue aux briga-
des des recherches, M. Fedée, officier de
paix, assiié de nombreux agents, a mis en
état d'arrestation, vers six heures du soir,
dans un bar situé au coin du boulevard
Saint-Denisct du boulevard de Sébastopol,
trois anarchistes, les nommés François dit
Francis, Lapeyre et Juliot.
François était depuis longtemps recher-
ché par la police, qui prétend que s'il n'est
pas l'auteur principal de l'attentat il en est
certainement le complice.
Pendant l'après-midi,ces trois anarchistes
avaient été filés par un agent de la sûreté
qui avait perdu leurs traces aux environs
de la gare de l'Eit.
Elle a été retrouvée là où l'on sait.
Tous trois ont refusé de faire connaître
leur domicile.
Ils ont été écroués au Dépôt à une heure
du matin.
A la préfecture de police, on se montre
enchanté de cette triple arrestation et on
s'y dit certain de posséder les vrais auteurs
de l'attentat. r
LE COLONEL
DES TiBâiLLEUBS SÉNÉGALAIS
Le régiment de tirailleurs sénégalais dont
le décret de formation a paru il ya. deux:
jours au Journal officiel aura pour chef
ivl. le lieutenant-colonel Lambinet du 7e ré-
giment d'infanterie de marine, qui com-
mande à Paris les bataillons détachés de
cette arme.
Il est remplacé à Paris par M. Bouinais,
lieutenant-colonel du 86 régiment à Tou-
lon.
M. le lieutenaut-colonel Monségur, du
7e régiment d'infanterie de marine à Ro-
chefort, est désigné pour remplacer ea In-
do-Chine le colunel Terrillon qui rentrera
en France.
ojo
L'AFFAIRE DEACON
L'affaire Parker-Deacon viendra le SO mai
prochain devant la cour d'assises.
On se rappelle que M. Deacon a tué M. Emile
Abeille, qu'il avait trouvé en compagnie de sa
femme daus une chambre d'hôtel à Cannes.
MORT D'UN MILLIARDAIRE
M. William Astor, le richissime Américain
bien connu, est mort hier à l'hôtel de Livér-
pool, des suites d'une maladie de cœur.
M. Astor était depuis quelque temps à Paris,
en compagnie de sa femme.
La fortune de M. Astor atteint sept à huit
cents millions. -
BBM—M——HCB—KL
CONSEILLER GÉNERAL DÉCHU
DE SON MANDAT
Montluçon, 26 avril.
Le conseil général de l'Allier a déclaré dé-
chu de son mandat le nommé Fréjac, conseil-
ler général du canton de Commentry, condam-
né a deux ans de prison pour faux en écritu-
es publiques. _mmm~
r r"-
M. ZOLA CANDIDAT
M. Camille Doucet a donné lecture hierf à
l'Académie, d'une lettre de M. Emile Zola po-
saut, sa candidature au fauteuil devenu vacant
par le décès de l'amiral Jurien de la Gravière.
SUICIDE D'EDGARD LA SELVE
Au moment même où nous apprenions
le suicide de l'explorateur Duveyrier, au-
quel notre collaborateur Henry Fouquier
consacre aujourd'hui sa « Vie à Paris ,, on
nous annonçait le suicide d'Edgard La Selve,
un écrivain qui a beaucoup voyagé, qui a
publié une foule de nouvelles et de romans,
retraçant des scènes de la vie des contrées
lointaines qu'il avait traversées.
Edgard La Selve s'est suicidé hier, a
trois heures de l'après-midi, dans e local
de la Société des gens de lettres, rue de la
,Chausséè-d'Antiu, h7, en se tirant deux
coups de revolver dans la tête.
Sur lui on a retrouvé une lettre adressée
à M. Edouard Montagne, le délégué de la
Société, à qui il disait : * Je me tue parce
je sens baisser mes facultés intellectuelles. »
La Selve, qui était âgé de quarante-trois
ans, habitait à Courbevoie, avec sa femme
et ses deux enfants, une coquette villa
appelée Pavillon des Palmiers.
Il avait fondé il y a trois ans l'Aca-
démie des palmiers, qui publiait une revue
et mettait au concours des poésies et des
nouvelles traitant de sujets exotiques. M.
Lecomte de Lisle en était le président d'hon-
neur.
L'académie donnait un dîner annuel, sur
le menu duquel figuraient des bosses de
bisons, des pattes d'ours, des trompes d'é-
léphants et des langues de tigres.
Le cadavre de La Selve a été transporté
au poste de l'Opéra, ou sa famille est venu
le réclamer.
La Selve était né à la Luide (Dôrdogne),
en 18h9. Il avait été professeur de rhétori-
que au lycée dé Pôrt-au-Prince (Haïti).
Lire à la seconde page la « Vie de
Paris n, par Henry FouÇ(,uier,
RAVACHOL
DEVANT lE JURY
LES ATTENTATS PAR LA DYNAMITE
LES RÉFORMATEURS DE LA
SOCIÉTÉ
Les consignes du commandant. - Rava.
chol et les crimes de la Loire. — De
l'utilité du Bottin. — Témoigna-
ges de MM. Benoist et Bulot.
M. Girard estime les dé-
gâts. — Leboucher,
rentier, à Mazas.
Jamais les consignes n'avaient été aussi
sévères; c'est le triomphe du personnel
spécial du commandant Lunel : il faut of-
frir un visage connu au Palais pour fran-
chir les portes triplement gardées. La salle
est vide quand nous y pénétrons ; mais
bientôt nous voyons se glisser dans le fond,
sans bruit, surgissant comme des ombres,
une soixantaine d'individus, pour la plu-
part coiffés de chapeaux haute-forme,appe-
lés à composer ce que, sans hésiter, on
peut qualifier la public « choisi M. Puis les
avocats envahissent l'enceinte réservée, les
journalistes s'entassent à leurs bancs, et
les témoins, parmi lesquels M. le conseiller
Benoist et M. le substitut du procureur gé-
néral Bulot, sont là, s'apprêtant à répondre
à l'appel du leurs noms.
A onze heures exactement, la cour effec-
tue la fausse entrée qui est le début de
toute affaire un peu importante. M. le pro-
cureur général Quesnay de Beaurepaire
s'empare du banc de quart du ministère
public et requiert l'adjonction à la cour
d'un troisième assesseur et la nomination
d'un treizième juré.
11 est procédé dans la coulisse à cette
double opération,ainsi qu'au tirage au sort
du jury. Pendent ce temps,on introduit les
cinq accusés: qui prennent place dans l'or-
dre suivant :
Ravachol,Simon, Chaumartin au premier
banc, et derrière eux, Jas-Bala et la fille
Soubère, sa maîtresse. Nous comptons
combien de gardes de Paris composent
ilescorte : ils sont au nombre de seize, en-
cadrant à ce point les accusés, que ceux-ci
disparaissent presque dans une forêt de
shakos.
Mais bientôt voici de nouveau la cour :
M. le conseiller Guès, président, précédant
ses collègues, MM. Mercier, Berr et Poul-
tier.
M. l'avocat général Cruppi, en habits ci-
vils,se tient assis à quelque distance du chef
du parquet générai, prêt à l'assister ou à le
suppléer. L'audience durera ce qu'elle du-
rera, mais on ira d'une traite jusqu'au ver-
dict ou du moins on l'espère. Ceux qui
avaient prévu le renvoi d u procès,en raison
de la nouvelle explosion d'hier, en sont
pour leur prophétie.
RAVACHOL
Le président constate l'identité des cinq
accusés, après avoir fait prêter serment
aux douze jurés. L'un de ces derniers doit
répéter un second : Je le jure ! ayant for-
mulé son serment une première fois la
main gantée, ce qui n'est pas légal.
C'est d'une voix très nette que Ravachol
répond aux premières questions du ma-
gistrat?
— Votre domicile? lui demande ce der-
nier.
— Saint-Mandé, répond Ravachol.
Simon, dit Biscuit, proclame ses dix-huit
ans avec une voix de gavroche voyoutant.
il est né à Saint-Jean-le-Blanc, dans le
Loiret, le 11 mai 1873. Chaumartin, qui se
trouve le doyen des accusés, déclare qu'il
est forgeron de son état. Beala est l'homme
distingué de la troupe; quant à la femme
Mariette Soubert, la « plieuse de rubans »,
elle cache son visage rougi par les pleurs
sous une mantille noire des plus épaisses.
Ravachol ne s'éloigne pas du type de
l'anarchiste que, depuis quelques années,
nous voyons s'asseoir sur le banc des as-
sises, type hybride d'ouvrier ne travaillant
pas et de « monsieur » assez mal endiman-
ché dans une même redingote noire pour
noce, enterrement ou réunion publique.
Les mains du dynamiteur sont exemptes
des stigmates particuliers à son état de
teinturier ; il est coiffé avec soin et il fe-
rait plutôt l'effet du garçon d'honneur de
son complice Beala qui, plus élégant, joue-
rait le rôle du marié. La vue de l'un ni de
l'autre n'évoque l'idée des bombes des-
tructives dont les effets nous sont indiqués
par l'étalage composite des pièces de con-
viction, débris de poutres, morceaux de
rampes, baguettes tordues de tapis d'esca-
lier, bocaux, fourneaux, balance, revolver,
cartouches, méli-mélo synthétique.
Ravachol, évidemment, se croit un per-
sonnage. La vue du jury ne l'intimide pas;
il est à l'aise, et son interrogatoire le prou-
vera.
— Vous vous appelez Kceningsten, lui dit le
président, mais vous êtes plus connu sous le
nom de Ravachol, le nom de votre mère. Je
vous appellerai donc ainsi. Vous êtes âgé de
trente-deux ans et êtes né à Saint-Chamond.
Vous êtes ouvrier teinturier. Vous n'ayez ja-
mais été condamné?
— Jamais.
— Mais, dans la Loire, les renseignements
fournis sur vous sont déplorables. Je ne lirai
que la conclusion d'un rapport rédigé sur
votre compte par la police : faux-monnayeur,
contrebandier, malfaiteur des plus dangereux.
-La police ne me connaît que depuis 1891.
— Oui, mais vous avez reconnu l'exactitude
de ses conclusions.
Le président indique alors aux jurés ce
que la justice a saisi aux deux derniers
domiciles de l'accusé, notamment un ther-
momètre à 200 degrés, une fausse barbe,
un rat-de-cave, des cartouches, deux re-
volvers, des flacons d'acide, des pièces de
fausse-monnaie, etc.
LE PASSÉ D'UN ANARCHISTE
— Les deux faits qui vous seront repro-
chés ici, vous les avez d'abord niés, puis
avoués. Quand vous avez etc arrêté, vous avez
résisté avec la dernière violence ; mais ceci
est votre affaire. -
A ce moment, M0 Lagasse fait observer au
k présj,dejut que Ravachol est un - peu dap
d'oreilles. M. le conseiller Guès ordonne
aux gardes de conduire l'accusé en face de
lui, et l'interrogatoire se poursuit alors
dans une sorte d'intimité, le magistrat
ponctuant ses interrogations par le jeu
d'un couteau à papier. Ravachol, debout,
flanqué de deux gardes, parle à droite et
à gauche par-dessus la tête de ceux-ci.
Le président fait allusion à l'assassinat
de l'ermite de Chambles :
— Je m'abstiendrai de répondre sur ls faits
pour lesquels je ne suis pas poursuivi, dit
Ravachol ; mais je ne me refuse pas à m'ex-
pliquer sur les raisons qui m'ont poussé à
agir.
— Ce sont les mobiles, et, pour l'instant, il
n'en est pas question. Il faut que MM. les ju-
rés sacheut ceci : Vous avez tué, pour le vo-
ler, un vieillard habitant un ermitage isolé
à Chambles, près Saint-Etienue.
Vous vous êtes introduit chez lui ; vous l'a-
vez trouvé dans son lit et vous avez étouffé ce
vieillard de quatre-vingt douze ans, malgré
ses supplications. Vous vous êtes emparé de
trente ou trente-cinq mille francs, montant
des économies de votre victime ; on vous a
arrêté, vous vous êtes échappé. Votre com-
plice, une femme mariée avec qui vous. aviez
des relations, a été condamnée par la; cour
d'assises do la Loire ; ion a trouvé dans sa cave
cinq ou six mille fràiics qu'elle recélait. ,Voilà
un des crimes dont vous n'avez pas à répon-
dre ici, mais qu'on vous reproche et qu'en
somme vous avouez.
Au mois de mai 1891, vous apprenez qu'on
vient d'ensevelir dans le cimetière de Saint-
Jean-Bonnefond une dame très riche, la com-
tesse de Rochetaillée. Dans la nuit du 12 ou IA
vous avez, accompagné d'uu complice, esca-
ladé le mur du cimetière; avec une pince,
vous avez soulevé la pierre tombale, et, espé-
rant trouver des bijoux sur le corps de la
morte, vous avez violé sa sépulture, n'hési-
tant pas à chercher sur sa main glacée l'an-
neau qu'elle pouvait avoir au doigt. A Paris,
après votre arrestation, vous n'avez pas hé-
sité à déclarer que vous vous étiez adonné au
vol et à l'assassinat. Aujourd'hui, vous vous
taisez; mais,moi, magistrat, je suis bien obligé
de dévoiler votre passéaux jurés.
— Je puis dire les motifs de mes actes.
- Je me borne pour l'instant à dire à MM.
les jurés quels ont été ces actes.
Les faits de l'accusation
Le président aborde les faits mêmes de
l'accusation :
— A Saint-Etienne, vous aviez connu Beala,
et de Saint-Denis, vous avez envoyé Chaumar-
tin lui demander une somme de trois mille
francs.
— C'est faux.
Comme Ravachol estime qu'il est mal
placé pour se faire entendre, il réprend
pour ainsi dire de lui-même, le chemin de
son banc, et insiste pour y être maintenu.
Le président finit par y consentir.
— D'où provenait l'argent que vous possé-
diez 7
— Cet argent venait de Notre-Dame-de-Grâce
(l'ermitage de Chambles).
— Pourquoi vous êtes-vous fait appeler
Léon Léger ?
— Puisque j'étais poursuivi, cela m'a paru
naturel.
— Vous vous êtes présenté chez Chaumar-
tin dès votre arrivée. Pourquoi?
— Parce que c'était un camarade. J'en avais
entendu parler comme faisant partie de la
chambre syndicale des hommes de peine de
Saint-Etienne.
— Quelqu'un vous avait donné son adresse ?
- Saris doute, puisque je l'avais {rires);
mais je ne dirai pas qui.
— Vous avez donc fréquenté les époux Chau-
martin ?
— Beaucoup.
— On vous y appelait le cousin Léon. Vous
appreniez à lire à la petite fille. Vous avez ré-
vélé à Chaumartin qui vous étiez.
— Mais non.
— Il l'a su, en tout cas.
Avez-vous connu Simon, Gustave Mathieu
et Beala chez Chaumartin ?
— Pour Simon, je ue saurais dire. Gustave
Mathieu, je l'y ai vu quelquefois, et aussi
Beala et sa maîtresse.
— De quoi causait-on? Parlait-on de com-
mettre quelque attentat?
— Jamais.
— Vous avez eu connaissance du procès de
Decamps, Dardare et Leveillé?
— Oui, par les journaux surtout.
— Quels sentiments les comptes rendus vous
ont-ils insDirés ?
— Des sentiments d'indignation avant tout.
J'ai trouvé que le président Benoist avait été
très partial.
— Les journaux pourtant ont dit unanime-
ment qu'il s'était montré très impartial.
— Ce n'était pas l'avis des amis qui avaient
assisté aux débats.
— Et M. Bulot?
— M. Bulot également: il a requis la peine
capitale contre Decamps, ce père de famille
dont les deux eufants ont dû. être recueillis
par un des nôtres.
— Parce qu'un homme est père de famille, le
ministère public pourtant ne peut être privé
du droit de requérir contre lui la peine capi-
tale, si elle est méritée.
— Le jury n'a pas partagé cette théorie.
MM. Bulot et Benoistn'onttenu aucun compte
des mauvais traitements exercés contre nos
camarades; ils n'ont pas même eu d'eau pen-
dant trois jours pour laver leurs plaies.
— Je na vous parlerai pas du procès De-
camps, que je ne connais pas; mais vos ap-
préciations, Ravachol, me sont suspectes.
— Comment en aurais-je voulu plus spécia-
le .nent à MM. Benoist et Bulot., si ce n'était pas?
— Alors, vous aviez voué à ces magistrats
des sentiments de haine?
- Parfaitement, je le répète.
LES ATTENTATS
Le président interroge Ravachol au sujet
du vol de dynamite commis à Soisy-sous-
Etiolies en février dernier :
— Je ne veux pas vous en parler. Je ne con-
nais pas ce vol, répond l'accusé.
— Vous n'y avez pas pris part?
— Non.
— A l'instruction, vous avez déclaré que
vous refusiez de répondre; mais vous avez ra-
conté à Chaumartin les circonstances de ce
vol. n'est pas exact.
- Ce n'est pas exact.
- Alors Chaumartin ment?
- Sans doute.
- Vous, Simon et Beala, qui arrivait à cette
époque de Saint-Etienne avec sa maîtresse,
avez essayé de faire sauter le commissariat de
Clichy. Vous en vouliez au commissaire ?
— Assurément : il avait laissé frapper De-
camps, Dardare et les autres, après leur arres-
tation.
— Vous le dites. Est-ce vrai ?
— Il faut bien peu s'occuper de la vie des
ouvriers pour ignorer ça. Je peux parler sa-
vamment de la façon dont peuvent se compor-
ter les gardiens de la paix.
— Vous n'avez pas donné suite à cet atten-
tat?
— J'ai pensé qu'il fallait frapper plus haut.
— N'csLce pas plutôt la présence d'un agent
oui vous a empêché d'aller jusoulaii bout 1"
— Ce peut être une des causes.
.— Ne vouliez-vous pas, vous, tuer cet agent ?
- OUI. C'est Beala et Simon qui m'en ont
empêché.
BOULEVARD SAINT-GERMAIN
— Arrivons à l'attentat du boulevard Saint-
Germain. Vous avez connu un nommé Viard,
qui était membre de la Commune et qui est
mort à cette heure. N'est-ce pas lui qui vous
a donné l'adresse de M. le conseiller Be-
noist ?
— Je ne sais pas.
— C'est bien Viard; mais cette adresse avait
été perdue, et c'est Simon qui s'est chargé de
la retrouver dans le Bottin. Vous avez, le ven-
dredi 11 mars, apporté chez Beala la marmite
toute préparée.
— C'est vrai.
— Qu'avez-vous fait ?
— J'ai pris le tramway dans la direction de
chez M. Benoist. Je suis monté au deuxième,
j'ai déposé l'engin et je l'ai allumé.
— Vous étiez armé ?
— J'avais deux revolvers.
— Vous étiez bien habillé ?
— J'étais habillé comme je suis là, avec uu
pardessus en plus.
-Vous aviez un chapeau haute forme?
- Pour ne pas éveiller l'attention.
- Et l'explosion a eu lieu?.
- J'étais à peine dehors, prés de la porte;
si la maison était tombée, elle tombait sur
moi.
- Qu'avez-v.ous fait ensuite?
- Je m'en suis allé.
— Vous étiez seul?
- J'étais seul.
— A l'instruction vous avez dit : c'est à eux
(Beala et Simon) à s'expliquer. Il faut recon-
naître que vous aimez mieux vous accuser
vous-même que les autres. Votre première ré-
ponse était plus compromettante pour eux.
— Ils n'y étaient pas.
— Vous en vouliez tellement à M. le con-
seiller Benoist, que vous ne connaissiez pas,
que vous avez môme dit que vous vouliez le
tuer, soit avec un pistolet, soit.avec un mar-
teau, votre instrument favori. Avant l'explo-
sion du Il mars, vous aviez déjà l'intention
de le tuer. Je vous demande maintenant si,
après l'explosion, vous avez revu Simon et
Beala?
Ravachol ne répond pas.
— Mais dis donc la vérité; c'est pas la peine
de la cacher, interrompt Simon.
— Tout à l'heure, dit le président à ce der-
nier, vous rafraîchirez la mémoire de Ra-
vachol.
A Ravachol. - Mais ne vous rapplez-vous
pas avoir dit qu'après l'explosion du bou-
levard Saint-Germain, vous aviez échangé vos
coiffures? Vous étiez, tous les trois, rentrés
gais, contents et riauts.
- J'ai pu le dire, je ne le nie pas.
— Le dimanche 13, que faisiez-vous avec
Simon?
- La mémoire me fait souvent défaut.
— Eh bien, je vais vous le dire : Vous fabri-
quiez tous les deux, quai de la Marine, 2, à
Saint-Denis, de la nitro-glycérine.
— Je ne me rappelle pas.
— C'est extraordinaire. Chaumartin, Beala
sont venus sur ces entrefaites.
— Je ne m'en souviens pas.
— Comment avez-vous eu connaissance de
l'adresse de M. Bulot ?
— Sur le Bottin.
— Ce n'est pas Mathieu qui vous l'a donnée?
- Non, non.
— Vous aviez dit : On ne peut plus recom-
mencer le soir. J'irai maintenant à neuf heu-
res, le matin.
Après l'arrestation de Chaumartin et Si-
mou, vous avez jugé prudent de changer de
domicile, et vous avez loué une chambre, 68,
rue de la République, à St-Mandé, sous le faux
nom de Laureut. Qui vous a aidé à déména-
ger ?
— Je ne le dirai pas, non, non.
RUE DE CLICHY
— Revenons au second attentat briève-
ment.
— J'ai déjeuné et, vers six heures vingt, je
suis parti de Saint-Mandé, emportant ma va-
lise.
— Qu'y avait-il dans cette valise?
— Da ia dynamite, de lasébastine, des amor-
ces.
— C'était un engin formidable.
Ravachol, d'un air de doute : — Oh ! oh 1
— Oui, formidable, vous vous y connaissez.
Vous êtes arrivé rue de Clichy, n'est-ce pas?
- oui; j'ai ouvert, sur le trottoir, avec la
clé, ma valise; je l'ai prise par les deux poi-
gnées, je suis entré au 39, je suis monté au
deuxième, j'ai mis une mèche. Des cartouches
s'étaient déplacées-et, comme il y avait de la
poudre de mine, je risquais beaucoup en met-
tant le feu. Mais je n'étais pas venu là pour
m'en aller ainsi.
— Quelle longueur avait la mèche?
— Environ quatre-vingt-dix centimètres.
— Elle s'est trouvée un peu longue, puisque
vous avez été surpris du retard dans l'explo-
sion ; mais cette longueur de la mèche devait
vous permettre de vous éloigner.
— Naturellement.
— Avez-vous connu le résultat de l'explo-
sion : que cinq personnes avaieut été blessées,
que l'escalier s'était effondré, etc.?
— J'ai su tout cela, mais par les journaux.
— Qu'avez-vous fait après l'explosion?
- Je suis descendu (sic) la rue de Clichy.
J'ai monté sur l'omnibus du Jardin des Plan-
tes, mais la voiture a passé derrière et je u'ai
rien vu.
— Vous êtes allé au restaurant Véry, devenu
célèbre à cause de vous, et vous avez engagé
la conversation avec qui ?
— Avec un domestique, un jeune homme
qui se plaignait du service à l'armée.
— Vous avez été bien imprudent là.
— Nous croyons propager la justice, et nous
avons peine à nous contenir devant des gens
qui se plaignent et qui ne savent pas les cau-
ses de leurs souffrances.
— Vous l'avez converti à vos idées, ce jeune
homme?
— Il faut croire que non. (Hilarité.)
— Pour moi, je ne discuterai pas vos théo-
ries. Et d'abord, je ne vous convertirais pas
et vous ne me convertiriez pas. Mais je ne
limiterai pas votre défense.
— Je ne dirai pas grand'chose, car je ne suis
pas orateur.
— Vous êtes un homme d'action plutôt,
n'est-ce pas? Mais, pour vos théories, il est
fâcheux qu'elles soient défendues par un hom-
me qui a le passé dont j'ai parlé tantôt. Chau-
martin, c'est vrai, parle de vous comme d'un
homme sensible. Or, quand on songe à ce pau-
vre vieillard que vous étouffiez dans vos bras.
— Monsieur le président, vous ne savez pas
ce que ce vieillard m'a dit. (Rires.)
PROFESSION DE FOI ANARCHISTE
— Terminons pour l'instant cet interroga-
toire. Qu'avez-vous à dire?
— J'ai à dire pourquoi j'ai voulu frapper
MM. Benoist et Bulot, et ce sera court.
J'ai voulu frapper, premièrement, parce que
M. Benoist a été trop partial dans la condam-
nation du procès de Clichy, et, deuxièmement,
parce qu'il n'a prêté aucune attention aux
mauvais traitements exercés par les gardiens
de la paix sur Decamps et ses amis. (Avec in-
dignation) : On leur a refusé de l'eau pour laver
leurs plaies. Quant à M. Bulot, il a requis la
oftîDQ caoitale contre Decamps, un père de
famille. J'ai voulu faire comprendre à ceux
qui doivent appliquer des peines, qu'ils de-
vaient être plus doux envers nous.
Je regrette les victimes innocentes que j'ai
pu faire, mais les auteurs d'un état de choses
dout nous ne voulons plus en font bien aussi,
de ces victimes innocentes. J'en ai rencontra
beaucoup dans cette vie, dont je ne connais
que les amertumes. En ce moment, n'ai-je pas
la douleur de voir sur ces bancs des personnes
qui ne sont pas coupables, qui n'ont eu qu'ua
tort: de croire en moi, à ce que je leur disais.
(Cherchant sss mois) L'anarchie, c'est h mise
en commun de tous les biens de la terre. Gui,.
l'anarchie serait une grande famille où le plus
faible serait protégé par le fort, où chacun
mangerait suivant sa faim, sans regarder si
sou voisin ne le jalouse pas. Si nous nous
sommes décidés à terroriser, c'est pour por-
ter à la rdlexlOn, à la méditation. Si ou nous
connaissait mieux, au lieu de nous considérer
comme des criminels, on nous prendrait pour
ce que.nous sommes, pour les vrais défen-
seurs des opprimés. J'ai dit !
Le président.— Je ne conteste pas vos théo-
ries, mais je vous poserai une dernière ques-
tion : Quand vous avez été arrêté, vous avez.
dit que vous aviez encore 270 à 300 cartouches
de dynamite à votre dispositioa. ,Voulez~vous
dire où sont ces cartouches?
— Non, je ne le dirai pas.
M. le procureur général Quesnay de
Beaurepaire désirerait savoir pourquoi Ra-
vachol possédait chez lui de la strychnine.
— J'avais ce poison par hasard, répond
l'accusé.
— Comme encas, une réserve, alors?
— C'était une réserve, si vous voulez bien.
(Hilarité.)
SIMON DIT BISCUIT
« Parfaitement" est le mot préféré de
Simon dit Biscuit. Lui aussi n'entend paî
bien et le déclare plus volontiers que Ra-
vachol ; car c'est un garçon sans façon&,saji9
prétentions.
— Vous avez été condamné à deux mois-
pour vol ? lui dit le président.
- J'ai z'été victime d'une infamie. Je vais
vous dire. Dans les usines, vous savez, on em-
porte un peu de tout, et c'est pour quelques
bricoles qu'on m'a traduit devant les juges.
— En ce moment, vous êtes renvoyé en
police correctionnelle pour un nouveau vol-
Vous serez peut-être aCtluiltc, mais votre si-
Luation est celle-là. Les renseignements sur
votre compte sont très mauvais. Le commis-
saire de police de Saint-Oaen vous présenta
comme un individu très dangereux.
— Je ne suis pas dangereux du tou.t.
— Quand on vous a arrêté, vous habitiez 59*
rue Montmartre, à Saint-Ouea, avec Gustavô
Mathieu. On a trouvé. chez vous un modèle de
bombe, qui est là, d'ailleurs. ",
- C'est une farco à la p..o-HCe,. qui mettait
tout en l'air quand' elle Venait. J'ai trouvé
cette bombe en bois dans la rue et j'y ai mis.
des cartouches pour que les agents la pren-
nent et l'apportent au laboratoire. (Rires.)
— Et la fausse barbe trouvée chez vous ?
— Elle n'est pas à moi. Ou uous avait saisis..
pour l'affaire Viard, et quaud on nous a rendu.
nos effets, il y avait deux barbes.
— Vous avez écrit à votre ami Louis B^rnay-
une lettre bien compromettante, renfermant
un aveu bien formel de votre participation à
l'attentat du boulevard Saint-Germaiu.
— Parfaitement, j'ai ecrit la lettre.
— Mais il y a autre chose que cette lettre.
Vous étiez lié avec Viard, l'ancien mem-
bre de la Commune. Vous étiez logé chez lui.
Il est mort le 18 janvier, et après sa mort,
vous vous êtes mis en relations avec Chau..
martin?
—Parfaitement.
— Il vous affectionnait beaucoup, Viard ?
— Parce qu'il m'estimait beaucoup.
— Il vous avait adressé à Chaumartin, che
qui vous avez connu Ravachol et d'autres com-
pagnons.
— Parfaitement, Ravachol.
— Et d'autres?
— J'ai la mémoire très courte, M. le prési-
dent.
— Comme Ravachol. (Rires). Viard était allé
chez M. Benoist, voulant défendre à la barra
son ami Decamps. C'est ainsi qu'il a connu
l'adresse de ce magistrat. Voilà un point ac-
quis. Vous faisiez partie de l'expédition con-
tre le commissariat de Clichy ?
— Oui. Il y avait bien un agent à la porte;
ça, c'est vrai ; mais la bombe était tellement
grosse que j'ai eu crainte que les ouvriers qu"
étaient là à côté ne fussent massacrés.
— Et si ç'avait été des bourgeois ?
— Peut-être ç'eût été 'tout de même.
— Votre explication est nouvelle. Et d'ail-
leurs je dois dire que, de caractère très mé-
fiant, vous avez toujours refusé vos interro-
gatoires. Ravachol n'a-t-il pas voulu tuer l'a-
gent qui était de faction devant le commis-
sariat ?
— Ah! ça ne me revient pas 1 Je ne me rap-
pelle pas!
— Passons à l'attentat du boulevard Saint.
Germain.
ENTRE AMIS
— Nous causions entre amis du président
qui avait mené les débats de l'affaire de De-
camps et nous avons eu comme ça l'idée d'al-
ler poser une bombe chez lui.
— Poser une bombe chez lui?
— Parfaitement.
- Y êtes-vous allé?
- Parfaitement; je suis allé d'abord pren-
dre des renseignements chez le concierge :
« Puisque tu vas à Paris, m'avait dit Ravachol,.
tu prendras en passant des renseignements: »
J'ai cherché a quel étage demeurait l\I..Benolst
sans trouver, comme dans les maisons dqr
commerce, de noms sur les portes. Il n'y
avait pas de plaques, j'ai interrogé la concierge
sur le pas de la rue; elle n'a pas voulu me ré-
pondre.
- Vous êtes parti le 11 mars de Saint-Denis.
Avec qui ?
— Avec Ravachol, naturellement, et Beala,
et puis cette demoiselle qui est là, Marietta
Soubert.
C'est elle qui portait la marmite, sans sa-
voir ce que c'était.
— Vraiment?
— Mais oui. Cette femme, elle était malade,
et c'est par obligeance qu'elle, nous a accom-
pagnés jusqu'à la barrière pour dissimuler
ça.
- Ça? la bombe?
— Elle savait pas. Après la barrière, elW
nous a quittés, et moi, boulevard Magenta
j'ai laissé le tramway et je suis rentré me cou-
cher. Ravachol m'avait dit qu'il était bon ,
pour faire la besogne tout seul. t
— Cela peut être, mais cela n'est pas vrai-
semblable.
— Je ne suis pas allé boulevard Saint-Ger-
main: j'étais couché à neuf heures, monsieur.
J'ai revu Ravachol dimanche, le surlendemain.
— Ravachol et Chaumartin ne sont pas d'ac-
cord avec vous. Quant à votre complicité dans
le second attentat, elle résulte de votre parti-
cipation à la fabrication de nitro-glycérine, a
laquelle se livrait Ravachol.
— Ravachol m'a demandé de l'aider dans
ses expériences. Je lui ai dit : ParfaitemeoL.
— Et il ne vous a pas dit que c'était pour
faire sauter des maisons ?
— Ah 1 mais non. Il m'a dit que c'était PQUJf
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