Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-12-25
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 25 décembre 1896 25 décembre 1896
Description : 1896/12/25 (N9786). 1896/12/25 (N9786).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7564608w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2013
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NOS LEADERS
LETTRES LIBRES
pANS LA GIRONDE
Il se passe dans la Gironde des faits
qu'il importe de faire connaître au
'grnnd public, car ils révèlent un état
[l'esprit qui, s'il se répandait dans
toute la France, pourrait faire courir
fle graves dangers à nos institutions
fet peut-être à la République elle-même.
Laquasse électorale se divise, en ce
département, en deux portions dont
les forces sont presque équivalentes :
environ soixante pour cent de républi-
cains et quarante pour cent de monar-
chistes. Les républicains des campa-
gnes sont, en général, plutôt modérés,
nvec une tendance aux idées progres-
sistes dans la plupart des centres
importants, et un caractère démocra-
tique résolument favorable à la marche
en avant, dans les villes, grandes ou
',\petites. A Bordeaux, le nombre des
îmodérés ou opportunistes, pour me
servir de la dénomination usuelle, est
à peu près double de celui des radi-
caux, mais les uns et les autres ne
forment ensemble que les deux tiers
du corps électoral, le troisième tiers
étant constitué par des monarchistes
irréductibles, très solidement orga-
sés, fortement disciplinés, obéissant à
leurs chefs sans la moindre hésitation
ni restriction.
La discipline est également très
grande parmi les modérés. Leurschefs
leur ont procuré jadis de si nom-
breuses victoires, d'abord sur les bo-
lllapartistes et les monarchistes, puis
sur les boule gistes, qu'ils leur obéis-
sent à peu près aveuglément. Ils
conduisent à la baguette les députés,
'le préfet et les principaux fonction-
naires du département ; les députés
font marcher les conseillers généraux
et ceux-ci dictent leurs volontés aux
maires et aux conseillers municipaux.
L'autorité vient d'en haut et quoique
ses forces s'épuisent un peu en des-
cendant vers les masses, elle a été
longtemps assez forte pour que l'obéis-
sance des électeurs fût à peu près telle
que les chefs pouvaient la désirer.
Tout cela était très peu démocrati-
que ; on respire dans cette organisa-
tion un fort parfum de l'oligarchisme
qui fleurit avec un si bel épanouisse-
ment pendant le règne de Louis-Phi-
lippe et sous le ministère de Guizot,
mais la hiérarchisation des corps re-
présentatifs et de la masse électorale
permettait à une poignée d'hommes
de diriger, sans se faire voir, tout le
corps électoral modéré du départe-
ment.
#*#
Cette organisation est complétée, au
moment des élections sénatoriales et
de quelques élections législatives, par
des congrès partiels ou généraux.
Ceux-ci viennent de fonctionner et
nous ont permis de constater la doci-
lité avec laquelle la masse électorale
se laisse conduire.
Dans les cinq chefs-lieux principaux
d'arrondissement, un député, assisté
des conseillers généraux dont il était
sûr, organisa un congrès partiel. La
séance fut courte, mais bien remplie :
quelques mots du député, président,
pour recommander la discipline; la
mise aux voix d'un candidat pour l'ar-
rondissement, un vœu pour que les
autres arrondissements acceptent ce
candidat, comme on accepterait les
leurs ; puis, clôture de la séance, sans
que l'on ait même demandé, dans
certaines de ces réunions, à voir le
candidat local, encore moins les
autres.
A la suite de ces congrès partiels, il
y a eu, dimanche, un congrès général
a Bordeaux. Les détails en avaient été
soigneusement réglés d'avance par
une demi-douzaine de personnages di-
rigeants. Il avait été convenu que l'on
ne laisserait parler personne en dehors
des candidats ; ceux-ci n'auraient la
parole que pendant le moins de temps
possible ; puis on voterait et chaque
région, passant aux autres la rhubarbe
pour en recevoir le séné, les cinq can-
didats désignés dans les congrès lo-
caux, ne pouvaient manquer d'avoir
la majorité.
Les choses se sont passées comme il
avait été paévu : aucun membre du
congrès n'a pu obtenir la parole sous
aucun prétexte. Des groupes de délé-
gués avaient arrêté le texte de décla-
rations qu'ils se proposaient de lire, la
plupart dans le but de provoquer la
ormation d'une sorte de conciliation
ftvec les représentants les plus autori-
sés des fractions modérées et progres-
sistes du parti républicain ; aucune de
ces déclarations n'a pu être portée à la
tribune. On craignait qu'elles ne trou-
blassent le plan concerté d'avance et
ne parvinssent à modifier les résolu-
tions suggérées dans les congrès
locaux.
Le résultat fut ce qu'il devait être :
la liste préparée dans le silence du
cabinet par les organisateurs de toute
cette mise en scène fut votée à une
grosse majorité, liste homogène, liste
essentiellement modérée, malgré la
présence de M. Caduc qui, en raison
de son très grand âge, ne peut plus
donner aucune inquiétude au parti
modéré, dont il s'est séparé dans quel-
ques circonstances. Les organisateurs
du congrès avaient hésité, dit-on, à
l'admettre sur la liste officielle, à cause
de certains votes favorables au minis-
tère Bourgeois, son nom avait même
été repoussé par deux congrès locaux
présidés par des députés particulière-
ment hostiles à toute idée de progrès et
de conciliation, mais au dernier mo-
ment, on avait dû céder devant les
menaces des électeurs de La Réole qui
déclaraient être résolus à repousser
la liste entière si l'on n'y inscrivait
pas le nom de M. Caduc.
**
Seul, j'ai pu faire une brèche dans
les murailles dressées autour de la liste
officielle en invoquant la nécessité de
la conciliation, mais la brèche était
trop étroite pour qu'il fut possible de
passer. Parlant de moi, la Gironde di-
sait, le lendemain : « Son échec n'im-
plique point l'hostilité du congrès
pour la politique d'union et de con-
corde qu'il avait éloquemment dé-
fendue. Il s'explique suffisamment par
le fait que le congrès n'avait à dési-
gner que cinq candidats et qu'ayant à
écarter un de ceux qui sollicitaient ses
suffrages, il n'a voulu évincer » au-
cun des noms qui figuraient sur la
liste officielle. En d'autres termes, s'il
y avait eu six candidats à choisir, on
aurait fait volontiers de la concilia-
tion ; avec cinq, on a jugé que c'était
impossible.
Les modérés se réjouissent énormé-
ment du succès qu'ils ont remporté
dans cette première manifestation des
délégués sénatoriaux; ils en ont plei-
nement le droit : leur succès est, en
effet, complet, et le ministre de l'in-
térieur en pourra manifester sa satis-
faction au préfet de la Gironde ; mais
les esprits clairvoyants et sages, très
nombreux dans ce département, se
demandent déjà si le triomphe assuré
au parti modéré par un, suffrage res-
treint soigneusement organisé et très
habilement dirigé, ne sera pas suivi
de manifestations du suffrage univer-
sel d'une nature toute différente.
**
Précisément parce que, depuis vingt
ans, les républicains de la Gironde ont
été conduits à la baguette par des
chefs omnipotents et très exclusifs,
n'ouvrant leurs rangs à aucun nou-
veau venu, à aucun esprit indépen-
dant, l'opposition a pris, dans ce dé-
partement, un caractère particulier.
Des alliances ont été conclues par des
intransigeants et des socialistes avec
les monarchistes, en plein soleil, sans
vergogne, comme par défi.
Les progressistes et les radicaux de
gouvernement ont été impuissants à
empêcher ces alliances ; ils les flétris-
sent et les condamnent en vain ; d'au-
tres de même nature se préparent, se
produiront à leur heure : ceux qui les
concluent invoquant pour prétexte
l'ostracisme dont les chefs du parti
modéré frappent tous les hommes qui
refusent de s'incliner devant leurs
personnes et leurs opinions.
Certes, le prétexte est inadmissible;
mais il n'en est pas moins vrai que
l'exclusivisme outré de quelques per-
sonnalités a fait naître un état d'esprit
qui menace sérieusement l'avenir du
parti républicain tout entier.
L'inquiétude commence à se répan-
dre parmi les électeurs modérés eux-
mêmes. Beaucoup craignent que l'at-
titude intransigeante de leurs chefs
ne prépare la défaite des républicains
dans plusieurs arrondissements où la
République a encore la majorité. Cer-
tains se demandent si les sièges des
députés qui vont être élus sénateurs
seront occupés par des républicains et
la « conciliation » est devenue le pro-
gramme de tous ceux, modérés, pro-
gressistes et radicaux, qui placent
l'intérêt supérieur de la République
au-dessus des mesquines questions de
personnes et de coteries.
Ce sont tous ceux-là qui m'avaient
prié de parler en leur nom au congrès
de Bordeaux ; ils souhaitent avec moi
que l'échec de leur programme de
conciliation ne soit pas suivi du
triomphe des ennemis de la République
et de la liberté.
J.-L. DE LANBSSAN.
Nous publierons demain an artielo
de M. Charles Bos. _-
LE GOUVERNEUR DE L'INDO-CHINE
Aux candidatures déjà citées pour le gou-
vernement d'lndo-Cbine, il faut ajouter celle
de M. Gérard, ministre de France à Pékin,
qui aurait actuellem nt beaucoup de chances
'être agréé par le gouvernement.
On annonce que le gouvernement prendra
une décision dans le conseil qu'il tiendra
samedi prochain à l'Elysée.
Nous pouvons ajouter, contrairement à ce
qui a été dit, qu'il n'a jamais été question
de M. Rivaud, préfet du Rhône, pour succé-
der à M. Housseau.
D'ailleurs, pour plus d'une raison, le choix
de M. Rivaud était impossible.
Pour gouverner l'indo-Chine, il faut un
tempérament robus e, une santé que l'âge
n'ait point encore ébranlée. L'Indô-Chine n'a
déjà que trop tué de gouverneurs. Et puis,
l'expérience est faite du gouvernement des
préfets, arrivant dans un pays dont ils ne
sa ent rien, avec l'idée de les administrer
comme un département françaie. Après le
passage de M. Bihourd au Tonkin et de M.
Laroche à Madagascar, il n'est pas admis-
sible que le gouvernement songe à mettre
rindo-Chine dans la main d'un préfet.
- — ■■
LE PLAN DE L'AMIRAL BE SNARD
Au cours de la discussion du budget de la
marine, l'amiral Besnard annonça à la
Chambre qu'il avait étudié un plan de ré-
formes de nature à donner satisfaction aux
justes réclamations de son prédécesseur, M.
Edouard LocKroy. Le plan du ministre a été
soumis à l'aporobation du conseil supérieur
de la marine.
Or, on nous affirme que le plan du mi-
nistre, déjà examiné par ce conseil, n'a au-
cune chance d'être acc -pté par les sommités
navales qui siègent rue Royale.
Les archevêques en conilit avec l'amiral
Besnard, voilà certes qui n'est pas banal.
LES ON-DIT
CARNET QUOTIDIEN:
Fête de Noël. Réveillon.
— Durée du jour : 9 h. 30.
CHEZ NOUS
— Le président de la République a
reçu hier matin Mme Foucher de Careil et
le comité de l'association des Dames fran-
çaises, qui lui ont demandé d'accepter le
patronage d'honneur de cette société.
Le président de la République a accueilli
favorablement l'expression de ce désir.
—- Plusieurs discours seront prononcés
après-demain matin, à l'institut de la rue
Dutot, à l'occasion de la translation du
corps de Pasteur.
Après la remise du caveau au conseil de
l'institut par M. J.-B. Pasteur et la réponse
de M. Bertrand, président du conseil, M.
Rambaud parlera au nom du gouverne-
ment; MM. Baudin, au nom du conseil
municipal; Legouvé, au nom de l'Acadé-
mie française; sir Joseph Lister ou sir
Dyce Duckworth, au nom de la délégation
anglaise; MM. Cornu, au nom de l'Acadé-
mie des sciences; Bergeron, au nom de
l'Académie de médecine; Perrot, au nom
de l'Ecole normale; Passy, au nom de la
Société nationale d'agriculture ; Tissier,
au nom de l'Association des étudiants;
Duclaux, directeur de l'institut Pasteur et
le plus ancien élève de Pasteur.
L'Ecole polytechnique a fait déposer hier
après-midi une superbe couronne d'immor-
telles, recouverte de crêpe, portant au
centre les armes de l'Ecole, en argent, avec
cette inscription : « A Pasteur, l'Ecole
polytechnique. »
- L'assemblée générale de la Société
des artistes français aura lieu mardi pro-
chain. Elle procédera au renouvellement
du comité le mercredi 6 janvier.
Rassemblée a fixé les dates suivantes
pour la durée de l'exposition et le dépôt
des ouvrages au palais des Champs-Ely-
sées :
Ouverture du Salon le 20 avril 1897; fer-
meture, le 8 juin.
Peinture : dépôt des envois du 5 au 10
mars.
Sculpture : du 23 au 27 mars.
Architecture : les 28 et 29 mars.
Gravure et lithographie : les 28 et 29
mars.
- Hier, a été célébré, à Sainte-Clo-
tilde, le mariage de Mlle Pauline Lascoux,
fille du juge d'instruction au tribunal de la
Seine , avec M. Raoul de Sampigny ,
sous-lieutenant au 109e régiment d'infan-
terie.
—- L'état de santé du frère Joseph,
supérieur des écoles chrétiennes est dé-
sespéré.
,-,",-",-" L'une des causes de la supériorité
de l'Absinthe blanche Cusenier, c'est que
pour en faire un bon verre, il en faut une
quantité bien moindre qu'avec toute autre
marque.
De plus, l'oxygénation lui confère avec
des qualités plus hygiéniques, une suavité
sans égale.
—— Paille et poutre :
Notre confrère le Figaro cite, avec
quelque moquerie, la prose d'un autre de
nos confrères, lequel, décrivant le monu-
ment de La Tour d'Auvergne attribua au
premier grenadier de France, le cri célèbre
du chevalier d'Assas : « A moi Auvergne t
ce sont les ennemis. »
« Ceci soit dit » ajoute le Figaro, « sans
faire la leçon à personne, mais plutôt pour
nous excuser les uns les autres. Il n'est pas
un seul d'entre nous qui dans la précipita-
tion du travail ne commette journellement
de pareilles méprises ».
Parfaitement, mon cher Figaro; vous
avez raison ; nul n'est infaillible et vous en
êtes bien la preuve, puisque dans l'écho
suivant, tout en proie à votre belle preuve
de rectification historique vous nous parlez
des parents de La Tour d'Auvergne, les
Kersausie, que vous vous acharnez à appe-
ler les IÇersansin, nom qu'ils n'ont jamais
porté.
Errare journalisticum est.
- Ungracieuxdessin de JulesChéret et
de jolis vers de Jean Richepin invitent, cette
année, les personnes charitables à se rendre
à la vente de l'orphelinat des Arts, qui
aura lieu les .26 et 27 décembre, de deux
heures à sept heures, dans les salons de la
direction des beaux-arts, 3, rue de Valois
(Palais-Royal); les plus jolies artistes de
nos grandes scènes tiendront des comp-
toirs, et nos plus joyeux comiques feront
le boniment.
Afin de n'effrayer personne le poète des
Gueux a écrit :
Mesdames, messieurs, approchez !
C'est ici le comptoir féerique ;
Vous ne serez pas écorches,
On vend tout au prix de fabrique.
A L'ETRANGER
- Le célèbre sculpteur espagnol Su-
sillo s'est suicidé hier, à Séville.
- Le chapeau de l'ambassadeur.
Notre amhassadeur à Vienne, M. Lozé,
a failli être victime d'un accident de chasse
que racontent les journaux de là-bas.
Un cerf s'ëtant subitement précipité de
son côté, l'ambassadeur a eu juste le temps
de l'éviter. Le cerf a sauté par-dessus le
chasseur dont il a enlevé le chapeau.
Un « steeple-chasse» quoi !
Le Passant.
PAU'L ARENE
Lundi, pendant qu'on l'enterrait là-bas,
dans le petit cimetière de Sisteron, je reli-
sais Jean-des-Figues. Ce m'était une façon
d'être encore avec le cher disparu, d'assister
à ses obsèques. Je relisais Jean-des-Figues
dans la première édition, celle de Lacroix,
dans le volume que Paul Arène m'a donné
et qui porte la date de 1870. A cette date —
c'était peu de temps acant la guerre — feus
la joie de voir sur la même feuille nos deux
noms accouplés. Dans un article intitulé :
Deux poètes et dédié, sous forme de lettre,
à François Coppée — on se souvient de ces
choses-là — Tony Révillon, en première
page de la Petite Presse, nous présentait
du même coup au public. Jean-des-Figues
et Floréal ! le premier roman de Paul
Arène, mon premier volume de vers! Jean-
des-Figues était un chef-d'œuvre, Floréal
ne valait guère que par son accent de jeu-
rtesse et son titre républicain. La tourmente
les emporta tous les deux. Mais, Jean-des-
Figues devait revenir. Il était de ces livres
qui ne sombrent pas.
A vingt-sept ans, Paul Arène s'y révèle
écrivain parfait. Il s'y montre déjà tout
entier, avec son esprit, sa gaieté, son charme j
de conteur, son coloris délicat, sa forme
nette et précise. Point d'éclats violents, d'é-
pithètes prétentieuses, d'expressions exces-
sives ou bigarres. Toujours le ton juste, le
mot qui fait voir, le mot propre — moins
facile à trouver que l'autre. Et encore Arene
le cherchait-il ? Il avait le goût. Il était né
avec le don d'écrire, qu'il a gardé jusqu'à
son dernier souffle. Au premier appel, les
lignes pures arrivaient se ranger en bel
ordre sur le papier ; elles coulaient comme
une eau vive de son cerveau UmPide, har-
monieux. D'autres ouvrages, romans et
contes, la Chèvre d'Or et Domnine, Paris-
Ingénu et la Gueuse Parfumée, etc. sont
venus tour à tour s'ajouter à ce livre de
Jean-des-Figues; ils n'ont pu que maintenir
le niveau d'art 0:) l'admirable écrivain s'é-
tait élevé du premier jet.
Et le voilà parti - à cinquante-trois ans.
Pour être attendu le coup n'en est pas
moins cruel. Depuis l'autre hiver, Paul
Arène était mortellement atteint. Il le sa-
vait et n'en laissait rien paraître. Jamais
je ne l'ai entendu se plaindre. Une seule
fois, il eut un cri. Cet été, ce mois de juil-
let - le jour même où Jean Richepin pu-
bliait dans le Journal ce généreux article
qui met réellement Paul Arène à sa place,
qui le fait hardiment entrer dans le petit
groupe des grands écrivains français —
nous traversions en voiture la place du Car-
rousel. Arène était enchauté. Cet article le
remplissait de joie. Nous en causions.
« Voilà, lui dis-je, ta candidature posée à
V Académie, et fièrement. Il y a des élections
cet automne. » — « Cet automne, m'inter-
rompit-il doucement, mais mon pauvra ami,
cet automne, je serai mort ! » Je ne pouvais
le croire. Avec l'été les forces lui étaient
revenues. Il habitait la campagne, dans le
vallon de Clamart. Malgré son corpf bna-
cié, je ne pouvais croire que cette noble in-
telligence, ce cerveau si clair, si bien or-
donné, où veillait la mémoire, où tant de
connaissances étaient emmagasinées, fus-
sent @ appelés à si tôt disparaître.
C'était un stoïque, un sage. Il était de
race, petit, mais bien pris, le cœur haut, la
main fière. Il eut des amitiés illustres, mais
s'effaroucha toujours des places, des em-
plois qu'il pouvait sans doute en obtenir,
qui ne lui furent peut-être pas proposés,
mais que, certainement, il ne sollicita ja-
mais. Il préférait cultiver son jardin, bêcher
son propre fonds. Jamais je ne l'ai vu aussi
malheureux -que lorsqu'il faisait les théâ-
tres à la République Française. Critiquer,
juger le travail des autres n'était nullement
dans ses goÛls. Il prouvait le mouvement en
marchant.
Par les Routes bleues, par les Routes
blanches, trottant menu, jamais pressé, il
allait et venait de Paris à sa chère Provence,
fureteur de livres, liseur de pierres, curieux
des oiseaux et des fleurs, composant en che-
min son livre et sa chanson. Oh ! comme il
aimait la nature! Et quel causeur exquis !
quels dîners charmants 1 Les plats étaient
toujours trop nombreux sur la table. Il
avait hâte d'être au dessert. Je l'entends
encore : « Dis-nous des vers 1. »
Oh 1 cher et brave compagnon l comme je
sens que tu vas nous manquer, comme je
sens que je vais te chercher, non pas main-
tenant, mais ce printemps, ce renouveau, à
l'entrée de quelque vieille rue du fuartier,
au tournant d'une allée, sous les arbres du
Luxembourg, là où nous fréquentions, où
nous étions si heureux de nous rencontrer !
Va, je ne te plains pas. Tu nous quittes au
seuil de la vieillesse. Tu n'en connaîtras ni
les humiliations, ni les souffrances, ni les
tristesses. Tu as gravé ton nom sur la pla-
que d'or du siècle — un nom que le temps
n'effacera pas. Ton oeuvre était achevée. Ton
rêve s'est accompli. Les dieux — tu y croyais
un peu — t'ont fait la grâce de mourir au
bord de la mer, au bord de cette mer antique
qui t'attirait toujours, où ton âme s'est en-
volée, et tu reposes parmi les tiens, dans
la bonne terre du pays.
CHARLES FRÉMINIL
LE FISC IMPITOYABLE
Un de nos lecteurs nous raconte et nous
certifie le fait suivant :
Au mois de septembre dernier, un ouvrier
jardinier, nommé Girard, âgé de cinquante-
cinq ans, habitant Chelles (S,.ine-et-Marne),
fut condamné, pour un délit commis étant
en état d'Ï\-ress:', à 25 fr. d'amende et aux
frais du procès, ce qui le constitua débiteur
envers le fisc d'une somme d'environ 60 f
Grosse somme pour lui ! Il offrit de s'ac-
quitter par acompte, versa 20 fr. le lor dé-
cembre, 10 fr. le ii. Dans l'intervalle, il
avait payé ses contributions directes :
17 fr, 80. Il redevait 30 fr. ; il promettait de
payer 17 fr. (il devait ce jour-là toucher cette
somme) le 19 décembre, et les 13 fr. de re-
liquat à la fin du mois.
Le 16 décembre, il était arrêté, conduit les
menottes aux mains à la gare de Chelles,
expé lié par chemin de fer à Meaux, écroué
à la prison de cette ville. Et l'émotion que
lui causait ce traitement était telle que le
lendemain, 17, il expirait.
Le ministre de la justice ne trouvera-t-il
pas nécessaire d'ouvrir une enquête sur ce
fait que nous lui signalons, sans autres
commentaires, sans vouloir dire pour l'ins-
tant l'indignation que nous inspire une aussi
révoltante inhumanité.
LES MIETTES DE LA SEMAINE
Par PAUL DESAOHY
Dimanche 20 décembre. — Un audi-
teur du c ncert du Châtelet — serait-
ce un Grec? — a sifflé les Perses de M.
Xavier Leroux. Le public a protesté et
demandé son expulsion. Le siffleur a
été expulsé. Alors le public, en veine
d'exigences, a demandé sa rentrée dans
la saile. Le siftleur a été réintégré à
son fauteuil. M. Edouard Colonne a pro-
fité de l'incident pourproclamer le droit
au sifflet dans un speech fort applaudi.
Sa théorie vient à rencontre de celle
du maire de Cherbourg qui, il y a quel-
ques semaines, prit un arrêté pour in-
terdire à ses administrés de manifester
de façon aiguë leur mécontentement au
Lhéàtre municipal.
La question, on s'en doute, n'est pas
nouvelle et ceux qui tiennent pour ou
contre discuteront longtemps encore.
L'invention du sifflet était une mesure
humanitaire. On substituait un moyen
de désapprobation plus bruyant sans
doute, mais moins dangereux, à l'usage
des pommes cuites, alors en pratique
courante pour le plus grand dommage
des nez d'ingénues et des crânes de
barbons D'après les chroniques du
temps, ce serait une comédie de Tho-
mas Corneille qui aurait eu les hon-
neurs de l'innovation.
Mais la carrière du sifflet au théâtre
fut des plus accidentées. L'arbitraire et
le despotisme restreignirent son usage
malgré le vers de Boileau, prédéces-
seur de M. Colonne. En 1690, l'opéra
d'Orphée de Lulli fils rendait sa sup-
pression obligatoire. Dans les années
qui suivirent, il fut autorisé, toléré, dé-
fendu, permis, redéfendu à maintes
reprises jusqu'au jour où le lieutenant
général de police le traqua sérieuse-
ment en jetant dans les cachots de
1 Hôpital-Général quiconqne enfreignait
sa défense. Un malheureux boucher
paya de trois semaines de captivité la
mauvaise digestion d'une comédie la-
mentable. Plus tard, on alla, dans cette
chasse au sifflet, jusqu'à renforcer les
archers et les inspecteurs de police
habituels, par une compagnie de gardes
françaises cernant le parterre. Ce fut
la belle époque du sifflet. Pas une pièce
si parfaite qu'elle fut n'y échappa, car
les mesures d'ordre, plus que le spec-
tacle, justifiaient les manifestations. Il
y avait des sifflets malicieusement ca-
chés dans les poches, dans les sou-
liers, sous les aisselles; le spectateur
levait les bras bien haut, faisait mine
d'applaudir, et par une série de pres-
sions et de mouvements impercep-
tibles déchaînait une tempête de sif-
flets au nez de la force armée impuis-
sante.
Ceci prouve qu'on ne fera jamais rien
contre le sifflet et que les arrêtés de M.
le maire de Cherbourg sont moins
adroits, certes, que les déclarations li-
bérales de M. Colonne. Le spectateur
d'aujourd'hui pense comme celui d'il y
a trois cents ans : t
Non! non! je sifflerai; l'on ne m'a pas coupé
Le sifflet.
Un garde à mes côtés, planté comme un jocrisse,
bl'empéclie-t-il de voir des danses d'écrevisse,
D'ouïr de sots couplets et des airs de jubé?
Dussé-je être, ma foi, sur le fait attrapé,
Je le ferai jouer à la barbe du suisse,
Le sifflet.
Lundi 2/ décembre. — C'est bien en
effet à une sorte de renaissance artisti-
que qu'il nous est donné d'assister.
L'essor de l'affiche illustrée que je si-
gnalais l'autre jour n'est qu'une des
faces, la plus pittoresque sans doute,
de cette évolution récente de l'art de-
venu populaire, se mêlant à la vie com-
mune, et, las d'être la propriété de quel-
ques privilégiés, conquérant la rue,
s'offrant à tous.
De partout, en effet, la tentative de
vulgarisation s'affirme. BIle se mani-
feste dans le souci incessant de substtt
tuer désormais à l'aspect banal des oJ).;
jets usuels une forme originale, uné,
création ingénieuse née d'une idée et
d'un travail d'artiste.
Galerie Laffitte, une exposition s'est
organisée dans ce but. Ceux qui en ont.
pris l'initiative, des écrivains, des cri-
tiques d'art, se sont adressés aux sculp-
teurs, aux peintres, aux dessinateurs,
dont le talent est aujourd'hui bien con-
sacré ; ils leur ont expliqué leur pensée
et ceux-ci, répondant à cet appel, l'ont
réalisée. Entré aujourd'hui, par hasard,
à cette exposition, j'ai été frappé, vrai-
ment, de tout le parti que le goût d'un
pays peut tirer d'une initiative intelli-
gente. Voici trois objets, par exemple,
d'un usage courant, un pot à tabac, un
encrier, une bonbonnière. Nous con-
naissons toutes les variétés que l'in-
dustrie produit en ce gepre; ils ne sor-
tent guère d'un modète commun que
pour devenir alors de coûteux bibelots
accessibles à peu de gens. On s'est
adressé à R. Carabin : pour le pot 9. ,
tabac il a donné un grès vert pâle
d'une teinte délicate, une femme étrei-.
gnant le vase; pour la bonbonnière
il a imaginé une banane d'un ton
rouge foncé superbe, dont la queue
est formée par une tige de fer forgé ; et
pour l'encrier une femme luttant contre
une pieuvre qui lui enserre les jambes,
lui ouvrant la gueule au fond de la-
quelle Tencre repose.
Willette a fourni pour un éventail un
délicieux dessin à la sanguine ; Seguin
a incrusté curieusement des plats en
bois, des croquis de Jules Chéret ont été;
montés en broche ; P. Du Bois et Joseph
Chéret ont modelé des étains en formes
de coupes et de plateaux d'une haute
inspiration; enfin l'art décoratif méri-
tant aussi sa place, on a fait tirer en
paravent cette curieuse composition de
Bonnard que le jury refusa au dernier
Salon malgré le pittoresque inédit du
procédé, cette femme traversant une
rue tenant à la main deux enfants qui
se chamaillent et veulent s'échapper,
et tout en haut, dans le lointain, la sia*
tion de fiacres au dernier plan.
Ainsi, les choses familières aux for-
mes banales et communes, en passant
par des mains d'artistes deviendront
de précieux objets sans que leur valeur
commerciale ait sensiblement aug-
menté. Les propagateurs de ce mouve*
mentdont;l'intluence sur le goût général
est incalculable voudraient que nul
bibelot utile, coutàt-il deux sous, ne lut
livré au public sans qu'il eut été dessiné
au moins par un artiste. Leur idée,
d'une réalisation facile en sommet
ouvre de vastes horizons : ce n'est pas
seulement, en effet, l'art entrant chez.
nous sous mille aspects divers, l'art à
la portée des bourses les phis mo
destes, embellissant les intérieurs les
plus humbles, c'est encore la faculté
donnée aux artistes pauvres, courbés
aux dures nécessités de la vie, de réali-
ser leur idéal et de donner un corps à
leur chimère.
Mercredi 23 décembre. — Le bon vent
de folie continue à souffler sur les cer-
veaux simples et sur les esprits détra-
qués.
Nous en avons à peine fini avec les
fantaisistes apparitions de l'ange Ga-
briel à la voyante de la rue de Paradis,
qu'il faut organiser un nouveau service
d'ordre dans un autre quartier cette
fois, en haut de Montmartre, où un
guérisseur vient de surgir, le père
Jourdain. -
Celui-là n'est inspiré ni par les saints
ni par les diables : il porte en lui-même
la source de guérison, le fluide magné-
tique avec lequel il chasse les mala-
dies; il lui suifit de regarder fixement
le patient et, aussitôt, la vie revient.
Bien mieux, il l'hypnotise à distance
au moyen de petits morceau de sucre
que le malade avalera. Même s'il est
diabétique au dernier degré, il sera
guéri. C'est tout bonnement miracu-
leux.
Nous sommes au vingtième siècle
bientôt. Les progrès humains ont mart
ché dans le courant de celui-ci, à pas
de géants ; la science a jeté sa lumière
dans tous les mystères, remonté ues
effets aux causes, déterminé les règles,
affirmé les principes. Qu'importe! la
foule se précipite aux pieds du père
Jourdain et de ses émules avec la foi
du moyen-âge, et tous les étés des mil-
lions de pèlerins s'en vont demander à
Lourdes la guérison de leurs maux 1
PAUL DESACHY.
Demain la Vie de Paris par M. Henry
Fouquier.
LA STATUE DE METZ
Nous recevons du comité d'Amiens de la
Fédération des anciens combattauts de 1870,
la communication suivante :
Le comité de la Fédération amiénoise des an-
ciens combattants de 1870 envoie à M. Meunier
l'expression de sa vive reconnaissance pour son
article du 30 novembre 1896, visant l'acte inqua-
lifiable des Allemands élevant une statue à
Frédéric-Charles sur l'une des promenades de
Metz qui lui fut vendue le 28 octobre 1870 par
l'infâme Bazaine.
C'est déjà trop que le nom de ce Français
félon — attaché par la fatalité à celui da cette
ville, patrie du maréchal Fabert — ait injuste-
ment fait délaisser le projet d'une statue rap-
pelant à la France que ceux de nos frères qui
souflrent le plus cruellement de l'annexion sont
les habitants de Metz où l'on ne parle pas ht
langue allemande. -
Le comité de la fédération fait appel au grou-
pement des combattants de Gravelotte ayant t
sa tête, comme président, un ancien colontl
ou général. Il l'adjure de provoquer une sous-
cription, aidée en cela par des hommes de cœur
comme M. Lncien Victor-Meunier, afin que 1.
jour où les Allemands découvriront la sinistre
figure de leur prince rouge, le voile tombant de
la statue de Metz érigée à Paris, montre au
Messins qu'ils doivent toujours espérer, car noat
oe les oublions pas.
-< .-.- - --:.-
è Nuinro., CINQ CENTIMWa
1,
ANNONCES
AUX BUREAUX DU JOURNAL
181, rue Montmartre, 131 -
Ittchez MM. LAGRANGE, CERF 4 0"
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Paris; Il ", tnù lob, Of. Skl*, Ilf. lsj4 20fe
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2k 8 heures du soir et de 10 heures du toir à 1 keurs du matin
N" 9786. - -Ven.dredi 25 Décembre 1896
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ADMINISTRATION: 131) rue IloDtmarare. 131
Adresser lettres et mandats à l'Administrateur
PRIMES-ETRENNES
A NOS ABONNÉS & LECTEURS
Lire à la troisiènw page la nomencla-
ture des primes que nous offrons à nos
abonnés et lecteurs, à l'occasion du jour
Ue l'an. -
NOS LEADERS
LETTRES LIBRES
pANS LA GIRONDE
Il se passe dans la Gironde des faits
qu'il importe de faire connaître au
'grnnd public, car ils révèlent un état
[l'esprit qui, s'il se répandait dans
toute la France, pourrait faire courir
fle graves dangers à nos institutions
fet peut-être à la République elle-même.
Laquasse électorale se divise, en ce
département, en deux portions dont
les forces sont presque équivalentes :
environ soixante pour cent de républi-
cains et quarante pour cent de monar-
chistes. Les républicains des campa-
gnes sont, en général, plutôt modérés,
nvec une tendance aux idées progres-
sistes dans la plupart des centres
importants, et un caractère démocra-
tique résolument favorable à la marche
en avant, dans les villes, grandes ou
',\petites. A Bordeaux, le nombre des
îmodérés ou opportunistes, pour me
servir de la dénomination usuelle, est
à peu près double de celui des radi-
caux, mais les uns et les autres ne
forment ensemble que les deux tiers
du corps électoral, le troisième tiers
étant constitué par des monarchistes
irréductibles, très solidement orga-
sés, fortement disciplinés, obéissant à
leurs chefs sans la moindre hésitation
ni restriction.
La discipline est également très
grande parmi les modérés. Leurschefs
leur ont procuré jadis de si nom-
breuses victoires, d'abord sur les bo-
lllapartistes et les monarchistes, puis
sur les boule gistes, qu'ils leur obéis-
sent à peu près aveuglément. Ils
conduisent à la baguette les députés,
'le préfet et les principaux fonction-
naires du département ; les députés
font marcher les conseillers généraux
et ceux-ci dictent leurs volontés aux
maires et aux conseillers municipaux.
L'autorité vient d'en haut et quoique
ses forces s'épuisent un peu en des-
cendant vers les masses, elle a été
longtemps assez forte pour que l'obéis-
sance des électeurs fût à peu près telle
que les chefs pouvaient la désirer.
Tout cela était très peu démocrati-
que ; on respire dans cette organisa-
tion un fort parfum de l'oligarchisme
qui fleurit avec un si bel épanouisse-
ment pendant le règne de Louis-Phi-
lippe et sous le ministère de Guizot,
mais la hiérarchisation des corps re-
présentatifs et de la masse électorale
permettait à une poignée d'hommes
de diriger, sans se faire voir, tout le
corps électoral modéré du départe-
ment.
#*#
Cette organisation est complétée, au
moment des élections sénatoriales et
de quelques élections législatives, par
des congrès partiels ou généraux.
Ceux-ci viennent de fonctionner et
nous ont permis de constater la doci-
lité avec laquelle la masse électorale
se laisse conduire.
Dans les cinq chefs-lieux principaux
d'arrondissement, un député, assisté
des conseillers généraux dont il était
sûr, organisa un congrès partiel. La
séance fut courte, mais bien remplie :
quelques mots du député, président,
pour recommander la discipline; la
mise aux voix d'un candidat pour l'ar-
rondissement, un vœu pour que les
autres arrondissements acceptent ce
candidat, comme on accepterait les
leurs ; puis, clôture de la séance, sans
que l'on ait même demandé, dans
certaines de ces réunions, à voir le
candidat local, encore moins les
autres.
A la suite de ces congrès partiels, il
y a eu, dimanche, un congrès général
a Bordeaux. Les détails en avaient été
soigneusement réglés d'avance par
une demi-douzaine de personnages di-
rigeants. Il avait été convenu que l'on
ne laisserait parler personne en dehors
des candidats ; ceux-ci n'auraient la
parole que pendant le moins de temps
possible ; puis on voterait et chaque
région, passant aux autres la rhubarbe
pour en recevoir le séné, les cinq can-
didats désignés dans les congrès lo-
caux, ne pouvaient manquer d'avoir
la majorité.
Les choses se sont passées comme il
avait été paévu : aucun membre du
congrès n'a pu obtenir la parole sous
aucun prétexte. Des groupes de délé-
gués avaient arrêté le texte de décla-
rations qu'ils se proposaient de lire, la
plupart dans le but de provoquer la
ormation d'une sorte de conciliation
ftvec les représentants les plus autori-
sés des fractions modérées et progres-
sistes du parti républicain ; aucune de
ces déclarations n'a pu être portée à la
tribune. On craignait qu'elles ne trou-
blassent le plan concerté d'avance et
ne parvinssent à modifier les résolu-
tions suggérées dans les congrès
locaux.
Le résultat fut ce qu'il devait être :
la liste préparée dans le silence du
cabinet par les organisateurs de toute
cette mise en scène fut votée à une
grosse majorité, liste homogène, liste
essentiellement modérée, malgré la
présence de M. Caduc qui, en raison
de son très grand âge, ne peut plus
donner aucune inquiétude au parti
modéré, dont il s'est séparé dans quel-
ques circonstances. Les organisateurs
du congrès avaient hésité, dit-on, à
l'admettre sur la liste officielle, à cause
de certains votes favorables au minis-
tère Bourgeois, son nom avait même
été repoussé par deux congrès locaux
présidés par des députés particulière-
ment hostiles à toute idée de progrès et
de conciliation, mais au dernier mo-
ment, on avait dû céder devant les
menaces des électeurs de La Réole qui
déclaraient être résolus à repousser
la liste entière si l'on n'y inscrivait
pas le nom de M. Caduc.
**
Seul, j'ai pu faire une brèche dans
les murailles dressées autour de la liste
officielle en invoquant la nécessité de
la conciliation, mais la brèche était
trop étroite pour qu'il fut possible de
passer. Parlant de moi, la Gironde di-
sait, le lendemain : « Son échec n'im-
plique point l'hostilité du congrès
pour la politique d'union et de con-
corde qu'il avait éloquemment dé-
fendue. Il s'explique suffisamment par
le fait que le congrès n'avait à dési-
gner que cinq candidats et qu'ayant à
écarter un de ceux qui sollicitaient ses
suffrages, il n'a voulu évincer » au-
cun des noms qui figuraient sur la
liste officielle. En d'autres termes, s'il
y avait eu six candidats à choisir, on
aurait fait volontiers de la concilia-
tion ; avec cinq, on a jugé que c'était
impossible.
Les modérés se réjouissent énormé-
ment du succès qu'ils ont remporté
dans cette première manifestation des
délégués sénatoriaux; ils en ont plei-
nement le droit : leur succès est, en
effet, complet, et le ministre de l'in-
térieur en pourra manifester sa satis-
faction au préfet de la Gironde ; mais
les esprits clairvoyants et sages, très
nombreux dans ce département, se
demandent déjà si le triomphe assuré
au parti modéré par un, suffrage res-
treint soigneusement organisé et très
habilement dirigé, ne sera pas suivi
de manifestations du suffrage univer-
sel d'une nature toute différente.
**
Précisément parce que, depuis vingt
ans, les républicains de la Gironde ont
été conduits à la baguette par des
chefs omnipotents et très exclusifs,
n'ouvrant leurs rangs à aucun nou-
veau venu, à aucun esprit indépen-
dant, l'opposition a pris, dans ce dé-
partement, un caractère particulier.
Des alliances ont été conclues par des
intransigeants et des socialistes avec
les monarchistes, en plein soleil, sans
vergogne, comme par défi.
Les progressistes et les radicaux de
gouvernement ont été impuissants à
empêcher ces alliances ; ils les flétris-
sent et les condamnent en vain ; d'au-
tres de même nature se préparent, se
produiront à leur heure : ceux qui les
concluent invoquant pour prétexte
l'ostracisme dont les chefs du parti
modéré frappent tous les hommes qui
refusent de s'incliner devant leurs
personnes et leurs opinions.
Certes, le prétexte est inadmissible;
mais il n'en est pas moins vrai que
l'exclusivisme outré de quelques per-
sonnalités a fait naître un état d'esprit
qui menace sérieusement l'avenir du
parti républicain tout entier.
L'inquiétude commence à se répan-
dre parmi les électeurs modérés eux-
mêmes. Beaucoup craignent que l'at-
titude intransigeante de leurs chefs
ne prépare la défaite des républicains
dans plusieurs arrondissements où la
République a encore la majorité. Cer-
tains se demandent si les sièges des
députés qui vont être élus sénateurs
seront occupés par des républicains et
la « conciliation » est devenue le pro-
gramme de tous ceux, modérés, pro-
gressistes et radicaux, qui placent
l'intérêt supérieur de la République
au-dessus des mesquines questions de
personnes et de coteries.
Ce sont tous ceux-là qui m'avaient
prié de parler en leur nom au congrès
de Bordeaux ; ils souhaitent avec moi
que l'échec de leur programme de
conciliation ne soit pas suivi du
triomphe des ennemis de la République
et de la liberté.
J.-L. DE LANBSSAN.
Nous publierons demain an artielo
de M. Charles Bos. _-
LE GOUVERNEUR DE L'INDO-CHINE
Aux candidatures déjà citées pour le gou-
vernement d'lndo-Cbine, il faut ajouter celle
de M. Gérard, ministre de France à Pékin,
qui aurait actuellem nt beaucoup de chances
'être agréé par le gouvernement.
On annonce que le gouvernement prendra
une décision dans le conseil qu'il tiendra
samedi prochain à l'Elysée.
Nous pouvons ajouter, contrairement à ce
qui a été dit, qu'il n'a jamais été question
de M. Rivaud, préfet du Rhône, pour succé-
der à M. Housseau.
D'ailleurs, pour plus d'une raison, le choix
de M. Rivaud était impossible.
Pour gouverner l'indo-Chine, il faut un
tempérament robus e, une santé que l'âge
n'ait point encore ébranlée. L'Indô-Chine n'a
déjà que trop tué de gouverneurs. Et puis,
l'expérience est faite du gouvernement des
préfets, arrivant dans un pays dont ils ne
sa ent rien, avec l'idée de les administrer
comme un département françaie. Après le
passage de M. Bihourd au Tonkin et de M.
Laroche à Madagascar, il n'est pas admis-
sible que le gouvernement songe à mettre
rindo-Chine dans la main d'un préfet.
- — ■■
LE PLAN DE L'AMIRAL BE SNARD
Au cours de la discussion du budget de la
marine, l'amiral Besnard annonça à la
Chambre qu'il avait étudié un plan de ré-
formes de nature à donner satisfaction aux
justes réclamations de son prédécesseur, M.
Edouard LocKroy. Le plan du ministre a été
soumis à l'aporobation du conseil supérieur
de la marine.
Or, on nous affirme que le plan du mi-
nistre, déjà examiné par ce conseil, n'a au-
cune chance d'être acc -pté par les sommités
navales qui siègent rue Royale.
Les archevêques en conilit avec l'amiral
Besnard, voilà certes qui n'est pas banal.
LES ON-DIT
CARNET QUOTIDIEN:
Fête de Noël. Réveillon.
— Durée du jour : 9 h. 30.
CHEZ NOUS
— Le président de la République a
reçu hier matin Mme Foucher de Careil et
le comité de l'association des Dames fran-
çaises, qui lui ont demandé d'accepter le
patronage d'honneur de cette société.
Le président de la République a accueilli
favorablement l'expression de ce désir.
—- Plusieurs discours seront prononcés
après-demain matin, à l'institut de la rue
Dutot, à l'occasion de la translation du
corps de Pasteur.
Après la remise du caveau au conseil de
l'institut par M. J.-B. Pasteur et la réponse
de M. Bertrand, président du conseil, M.
Rambaud parlera au nom du gouverne-
ment; MM. Baudin, au nom du conseil
municipal; Legouvé, au nom de l'Acadé-
mie française; sir Joseph Lister ou sir
Dyce Duckworth, au nom de la délégation
anglaise; MM. Cornu, au nom de l'Acadé-
mie des sciences; Bergeron, au nom de
l'Académie de médecine; Perrot, au nom
de l'Ecole normale; Passy, au nom de la
Société nationale d'agriculture ; Tissier,
au nom de l'Association des étudiants;
Duclaux, directeur de l'institut Pasteur et
le plus ancien élève de Pasteur.
L'Ecole polytechnique a fait déposer hier
après-midi une superbe couronne d'immor-
telles, recouverte de crêpe, portant au
centre les armes de l'Ecole, en argent, avec
cette inscription : « A Pasteur, l'Ecole
polytechnique. »
- L'assemblée générale de la Société
des artistes français aura lieu mardi pro-
chain. Elle procédera au renouvellement
du comité le mercredi 6 janvier.
Rassemblée a fixé les dates suivantes
pour la durée de l'exposition et le dépôt
des ouvrages au palais des Champs-Ely-
sées :
Ouverture du Salon le 20 avril 1897; fer-
meture, le 8 juin.
Peinture : dépôt des envois du 5 au 10
mars.
Sculpture : du 23 au 27 mars.
Architecture : les 28 et 29 mars.
Gravure et lithographie : les 28 et 29
mars.
- Hier, a été célébré, à Sainte-Clo-
tilde, le mariage de Mlle Pauline Lascoux,
fille du juge d'instruction au tribunal de la
Seine , avec M. Raoul de Sampigny ,
sous-lieutenant au 109e régiment d'infan-
terie.
—- L'état de santé du frère Joseph,
supérieur des écoles chrétiennes est dé-
sespéré.
,-,",-",-" L'une des causes de la supériorité
de l'Absinthe blanche Cusenier, c'est que
pour en faire un bon verre, il en faut une
quantité bien moindre qu'avec toute autre
marque.
De plus, l'oxygénation lui confère avec
des qualités plus hygiéniques, une suavité
sans égale.
—— Paille et poutre :
Notre confrère le Figaro cite, avec
quelque moquerie, la prose d'un autre de
nos confrères, lequel, décrivant le monu-
ment de La Tour d'Auvergne attribua au
premier grenadier de France, le cri célèbre
du chevalier d'Assas : « A moi Auvergne t
ce sont les ennemis. »
« Ceci soit dit » ajoute le Figaro, « sans
faire la leçon à personne, mais plutôt pour
nous excuser les uns les autres. Il n'est pas
un seul d'entre nous qui dans la précipita-
tion du travail ne commette journellement
de pareilles méprises ».
Parfaitement, mon cher Figaro; vous
avez raison ; nul n'est infaillible et vous en
êtes bien la preuve, puisque dans l'écho
suivant, tout en proie à votre belle preuve
de rectification historique vous nous parlez
des parents de La Tour d'Auvergne, les
Kersausie, que vous vous acharnez à appe-
ler les IÇersansin, nom qu'ils n'ont jamais
porté.
Errare journalisticum est.
- Ungracieuxdessin de JulesChéret et
de jolis vers de Jean Richepin invitent, cette
année, les personnes charitables à se rendre
à la vente de l'orphelinat des Arts, qui
aura lieu les .26 et 27 décembre, de deux
heures à sept heures, dans les salons de la
direction des beaux-arts, 3, rue de Valois
(Palais-Royal); les plus jolies artistes de
nos grandes scènes tiendront des comp-
toirs, et nos plus joyeux comiques feront
le boniment.
Afin de n'effrayer personne le poète des
Gueux a écrit :
Mesdames, messieurs, approchez !
C'est ici le comptoir féerique ;
Vous ne serez pas écorches,
On vend tout au prix de fabrique.
A L'ETRANGER
- Le célèbre sculpteur espagnol Su-
sillo s'est suicidé hier, à Séville.
- Le chapeau de l'ambassadeur.
Notre amhassadeur à Vienne, M. Lozé,
a failli être victime d'un accident de chasse
que racontent les journaux de là-bas.
Un cerf s'ëtant subitement précipité de
son côté, l'ambassadeur a eu juste le temps
de l'éviter. Le cerf a sauté par-dessus le
chasseur dont il a enlevé le chapeau.
Un « steeple-chasse» quoi !
Le Passant.
PAU'L ARENE
Lundi, pendant qu'on l'enterrait là-bas,
dans le petit cimetière de Sisteron, je reli-
sais Jean-des-Figues. Ce m'était une façon
d'être encore avec le cher disparu, d'assister
à ses obsèques. Je relisais Jean-des-Figues
dans la première édition, celle de Lacroix,
dans le volume que Paul Arène m'a donné
et qui porte la date de 1870. A cette date —
c'était peu de temps acant la guerre — feus
la joie de voir sur la même feuille nos deux
noms accouplés. Dans un article intitulé :
Deux poètes et dédié, sous forme de lettre,
à François Coppée — on se souvient de ces
choses-là — Tony Révillon, en première
page de la Petite Presse, nous présentait
du même coup au public. Jean-des-Figues
et Floréal ! le premier roman de Paul
Arène, mon premier volume de vers! Jean-
des-Figues était un chef-d'œuvre, Floréal
ne valait guère que par son accent de jeu-
rtesse et son titre républicain. La tourmente
les emporta tous les deux. Mais, Jean-des-
Figues devait revenir. Il était de ces livres
qui ne sombrent pas.
A vingt-sept ans, Paul Arène s'y révèle
écrivain parfait. Il s'y montre déjà tout
entier, avec son esprit, sa gaieté, son charme j
de conteur, son coloris délicat, sa forme
nette et précise. Point d'éclats violents, d'é-
pithètes prétentieuses, d'expressions exces-
sives ou bigarres. Toujours le ton juste, le
mot qui fait voir, le mot propre — moins
facile à trouver que l'autre. Et encore Arene
le cherchait-il ? Il avait le goût. Il était né
avec le don d'écrire, qu'il a gardé jusqu'à
son dernier souffle. Au premier appel, les
lignes pures arrivaient se ranger en bel
ordre sur le papier ; elles coulaient comme
une eau vive de son cerveau UmPide, har-
monieux. D'autres ouvrages, romans et
contes, la Chèvre d'Or et Domnine, Paris-
Ingénu et la Gueuse Parfumée, etc. sont
venus tour à tour s'ajouter à ce livre de
Jean-des-Figues; ils n'ont pu que maintenir
le niveau d'art 0:) l'admirable écrivain s'é-
tait élevé du premier jet.
Et le voilà parti - à cinquante-trois ans.
Pour être attendu le coup n'en est pas
moins cruel. Depuis l'autre hiver, Paul
Arène était mortellement atteint. Il le sa-
vait et n'en laissait rien paraître. Jamais
je ne l'ai entendu se plaindre. Une seule
fois, il eut un cri. Cet été, ce mois de juil-
let - le jour même où Jean Richepin pu-
bliait dans le Journal ce généreux article
qui met réellement Paul Arène à sa place,
qui le fait hardiment entrer dans le petit
groupe des grands écrivains français —
nous traversions en voiture la place du Car-
rousel. Arène était enchauté. Cet article le
remplissait de joie. Nous en causions.
« Voilà, lui dis-je, ta candidature posée à
V Académie, et fièrement. Il y a des élections
cet automne. » — « Cet automne, m'inter-
rompit-il doucement, mais mon pauvra ami,
cet automne, je serai mort ! » Je ne pouvais
le croire. Avec l'été les forces lui étaient
revenues. Il habitait la campagne, dans le
vallon de Clamart. Malgré son corpf bna-
cié, je ne pouvais croire que cette noble in-
telligence, ce cerveau si clair, si bien or-
donné, où veillait la mémoire, où tant de
connaissances étaient emmagasinées, fus-
sent @ appelés à si tôt disparaître.
C'était un stoïque, un sage. Il était de
race, petit, mais bien pris, le cœur haut, la
main fière. Il eut des amitiés illustres, mais
s'effaroucha toujours des places, des em-
plois qu'il pouvait sans doute en obtenir,
qui ne lui furent peut-être pas proposés,
mais que, certainement, il ne sollicita ja-
mais. Il préférait cultiver son jardin, bêcher
son propre fonds. Jamais je ne l'ai vu aussi
malheureux -que lorsqu'il faisait les théâ-
tres à la République Française. Critiquer,
juger le travail des autres n'était nullement
dans ses goÛls. Il prouvait le mouvement en
marchant.
Par les Routes bleues, par les Routes
blanches, trottant menu, jamais pressé, il
allait et venait de Paris à sa chère Provence,
fureteur de livres, liseur de pierres, curieux
des oiseaux et des fleurs, composant en che-
min son livre et sa chanson. Oh ! comme il
aimait la nature! Et quel causeur exquis !
quels dîners charmants 1 Les plats étaient
toujours trop nombreux sur la table. Il
avait hâte d'être au dessert. Je l'entends
encore : « Dis-nous des vers 1. »
Oh 1 cher et brave compagnon l comme je
sens que tu vas nous manquer, comme je
sens que je vais te chercher, non pas main-
tenant, mais ce printemps, ce renouveau, à
l'entrée de quelque vieille rue du fuartier,
au tournant d'une allée, sous les arbres du
Luxembourg, là où nous fréquentions, où
nous étions si heureux de nous rencontrer !
Va, je ne te plains pas. Tu nous quittes au
seuil de la vieillesse. Tu n'en connaîtras ni
les humiliations, ni les souffrances, ni les
tristesses. Tu as gravé ton nom sur la pla-
que d'or du siècle — un nom que le temps
n'effacera pas. Ton oeuvre était achevée. Ton
rêve s'est accompli. Les dieux — tu y croyais
un peu — t'ont fait la grâce de mourir au
bord de la mer, au bord de cette mer antique
qui t'attirait toujours, où ton âme s'est en-
volée, et tu reposes parmi les tiens, dans
la bonne terre du pays.
CHARLES FRÉMINIL
LE FISC IMPITOYABLE
Un de nos lecteurs nous raconte et nous
certifie le fait suivant :
Au mois de septembre dernier, un ouvrier
jardinier, nommé Girard, âgé de cinquante-
cinq ans, habitant Chelles (S,.ine-et-Marne),
fut condamné, pour un délit commis étant
en état d'Ï\-ress:', à 25 fr. d'amende et aux
frais du procès, ce qui le constitua débiteur
envers le fisc d'une somme d'environ 60 f
Grosse somme pour lui ! Il offrit de s'ac-
quitter par acompte, versa 20 fr. le lor dé-
cembre, 10 fr. le ii. Dans l'intervalle, il
avait payé ses contributions directes :
17 fr, 80. Il redevait 30 fr. ; il promettait de
payer 17 fr. (il devait ce jour-là toucher cette
somme) le 19 décembre, et les 13 fr. de re-
liquat à la fin du mois.
Le 16 décembre, il était arrêté, conduit les
menottes aux mains à la gare de Chelles,
expé lié par chemin de fer à Meaux, écroué
à la prison de cette ville. Et l'émotion que
lui causait ce traitement était telle que le
lendemain, 17, il expirait.
Le ministre de la justice ne trouvera-t-il
pas nécessaire d'ouvrir une enquête sur ce
fait que nous lui signalons, sans autres
commentaires, sans vouloir dire pour l'ins-
tant l'indignation que nous inspire une aussi
révoltante inhumanité.
LES MIETTES DE LA SEMAINE
Par PAUL DESAOHY
Dimanche 20 décembre. — Un audi-
teur du c ncert du Châtelet — serait-
ce un Grec? — a sifflé les Perses de M.
Xavier Leroux. Le public a protesté et
demandé son expulsion. Le siffleur a
été expulsé. Alors le public, en veine
d'exigences, a demandé sa rentrée dans
la saile. Le siftleur a été réintégré à
son fauteuil. M. Edouard Colonne a pro-
fité de l'incident pourproclamer le droit
au sifflet dans un speech fort applaudi.
Sa théorie vient à rencontre de celle
du maire de Cherbourg qui, il y a quel-
ques semaines, prit un arrêté pour in-
terdire à ses administrés de manifester
de façon aiguë leur mécontentement au
Lhéàtre municipal.
La question, on s'en doute, n'est pas
nouvelle et ceux qui tiennent pour ou
contre discuteront longtemps encore.
L'invention du sifflet était une mesure
humanitaire. On substituait un moyen
de désapprobation plus bruyant sans
doute, mais moins dangereux, à l'usage
des pommes cuites, alors en pratique
courante pour le plus grand dommage
des nez d'ingénues et des crânes de
barbons D'après les chroniques du
temps, ce serait une comédie de Tho-
mas Corneille qui aurait eu les hon-
neurs de l'innovation.
Mais la carrière du sifflet au théâtre
fut des plus accidentées. L'arbitraire et
le despotisme restreignirent son usage
malgré le vers de Boileau, prédéces-
seur de M. Colonne. En 1690, l'opéra
d'Orphée de Lulli fils rendait sa sup-
pression obligatoire. Dans les années
qui suivirent, il fut autorisé, toléré, dé-
fendu, permis, redéfendu à maintes
reprises jusqu'au jour où le lieutenant
général de police le traqua sérieuse-
ment en jetant dans les cachots de
1 Hôpital-Général quiconqne enfreignait
sa défense. Un malheureux boucher
paya de trois semaines de captivité la
mauvaise digestion d'une comédie la-
mentable. Plus tard, on alla, dans cette
chasse au sifflet, jusqu'à renforcer les
archers et les inspecteurs de police
habituels, par une compagnie de gardes
françaises cernant le parterre. Ce fut
la belle époque du sifflet. Pas une pièce
si parfaite qu'elle fut n'y échappa, car
les mesures d'ordre, plus que le spec-
tacle, justifiaient les manifestations. Il
y avait des sifflets malicieusement ca-
chés dans les poches, dans les sou-
liers, sous les aisselles; le spectateur
levait les bras bien haut, faisait mine
d'applaudir, et par une série de pres-
sions et de mouvements impercep-
tibles déchaînait une tempête de sif-
flets au nez de la force armée impuis-
sante.
Ceci prouve qu'on ne fera jamais rien
contre le sifflet et que les arrêtés de M.
le maire de Cherbourg sont moins
adroits, certes, que les déclarations li-
bérales de M. Colonne. Le spectateur
d'aujourd'hui pense comme celui d'il y
a trois cents ans : t
Non! non! je sifflerai; l'on ne m'a pas coupé
Le sifflet.
Un garde à mes côtés, planté comme un jocrisse,
bl'empéclie-t-il de voir des danses d'écrevisse,
D'ouïr de sots couplets et des airs de jubé?
Dussé-je être, ma foi, sur le fait attrapé,
Je le ferai jouer à la barbe du suisse,
Le sifflet.
Lundi 2/ décembre. — C'est bien en
effet à une sorte de renaissance artisti-
que qu'il nous est donné d'assister.
L'essor de l'affiche illustrée que je si-
gnalais l'autre jour n'est qu'une des
faces, la plus pittoresque sans doute,
de cette évolution récente de l'art de-
venu populaire, se mêlant à la vie com-
mune, et, las d'être la propriété de quel-
ques privilégiés, conquérant la rue,
s'offrant à tous.
De partout, en effet, la tentative de
vulgarisation s'affirme. BIle se mani-
feste dans le souci incessant de substtt
tuer désormais à l'aspect banal des oJ).;
jets usuels une forme originale, uné,
création ingénieuse née d'une idée et
d'un travail d'artiste.
Galerie Laffitte, une exposition s'est
organisée dans ce but. Ceux qui en ont.
pris l'initiative, des écrivains, des cri-
tiques d'art, se sont adressés aux sculp-
teurs, aux peintres, aux dessinateurs,
dont le talent est aujourd'hui bien con-
sacré ; ils leur ont expliqué leur pensée
et ceux-ci, répondant à cet appel, l'ont
réalisée. Entré aujourd'hui, par hasard,
à cette exposition, j'ai été frappé, vrai-
ment, de tout le parti que le goût d'un
pays peut tirer d'une initiative intelli-
gente. Voici trois objets, par exemple,
d'un usage courant, un pot à tabac, un
encrier, une bonbonnière. Nous con-
naissons toutes les variétés que l'in-
dustrie produit en ce gepre; ils ne sor-
tent guère d'un modète commun que
pour devenir alors de coûteux bibelots
accessibles à peu de gens. On s'est
adressé à R. Carabin : pour le pot 9. ,
tabac il a donné un grès vert pâle
d'une teinte délicate, une femme étrei-.
gnant le vase; pour la bonbonnière
il a imaginé une banane d'un ton
rouge foncé superbe, dont la queue
est formée par une tige de fer forgé ; et
pour l'encrier une femme luttant contre
une pieuvre qui lui enserre les jambes,
lui ouvrant la gueule au fond de la-
quelle Tencre repose.
Willette a fourni pour un éventail un
délicieux dessin à la sanguine ; Seguin
a incrusté curieusement des plats en
bois, des croquis de Jules Chéret ont été;
montés en broche ; P. Du Bois et Joseph
Chéret ont modelé des étains en formes
de coupes et de plateaux d'une haute
inspiration; enfin l'art décoratif méri-
tant aussi sa place, on a fait tirer en
paravent cette curieuse composition de
Bonnard que le jury refusa au dernier
Salon malgré le pittoresque inédit du
procédé, cette femme traversant une
rue tenant à la main deux enfants qui
se chamaillent et veulent s'échapper,
et tout en haut, dans le lointain, la sia*
tion de fiacres au dernier plan.
Ainsi, les choses familières aux for-
mes banales et communes, en passant
par des mains d'artistes deviendront
de précieux objets sans que leur valeur
commerciale ait sensiblement aug-
menté. Les propagateurs de ce mouve*
mentdont;l'intluence sur le goût général
est incalculable voudraient que nul
bibelot utile, coutàt-il deux sous, ne lut
livré au public sans qu'il eut été dessiné
au moins par un artiste. Leur idée,
d'une réalisation facile en sommet
ouvre de vastes horizons : ce n'est pas
seulement, en effet, l'art entrant chez.
nous sous mille aspects divers, l'art à
la portée des bourses les phis mo
destes, embellissant les intérieurs les
plus humbles, c'est encore la faculté
donnée aux artistes pauvres, courbés
aux dures nécessités de la vie, de réali-
ser leur idéal et de donner un corps à
leur chimère.
Mercredi 23 décembre. — Le bon vent
de folie continue à souffler sur les cer-
veaux simples et sur les esprits détra-
qués.
Nous en avons à peine fini avec les
fantaisistes apparitions de l'ange Ga-
briel à la voyante de la rue de Paradis,
qu'il faut organiser un nouveau service
d'ordre dans un autre quartier cette
fois, en haut de Montmartre, où un
guérisseur vient de surgir, le père
Jourdain. -
Celui-là n'est inspiré ni par les saints
ni par les diables : il porte en lui-même
la source de guérison, le fluide magné-
tique avec lequel il chasse les mala-
dies; il lui suifit de regarder fixement
le patient et, aussitôt, la vie revient.
Bien mieux, il l'hypnotise à distance
au moyen de petits morceau de sucre
que le malade avalera. Même s'il est
diabétique au dernier degré, il sera
guéri. C'est tout bonnement miracu-
leux.
Nous sommes au vingtième siècle
bientôt. Les progrès humains ont mart
ché dans le courant de celui-ci, à pas
de géants ; la science a jeté sa lumière
dans tous les mystères, remonté ues
effets aux causes, déterminé les règles,
affirmé les principes. Qu'importe! la
foule se précipite aux pieds du père
Jourdain et de ses émules avec la foi
du moyen-âge, et tous les étés des mil-
lions de pèlerins s'en vont demander à
Lourdes la guérison de leurs maux 1
PAUL DESACHY.
Demain la Vie de Paris par M. Henry
Fouquier.
LA STATUE DE METZ
Nous recevons du comité d'Amiens de la
Fédération des anciens combattauts de 1870,
la communication suivante :
Le comité de la Fédération amiénoise des an-
ciens combattants de 1870 envoie à M. Meunier
l'expression de sa vive reconnaissance pour son
article du 30 novembre 1896, visant l'acte inqua-
lifiable des Allemands élevant une statue à
Frédéric-Charles sur l'une des promenades de
Metz qui lui fut vendue le 28 octobre 1870 par
l'infâme Bazaine.
C'est déjà trop que le nom de ce Français
félon — attaché par la fatalité à celui da cette
ville, patrie du maréchal Fabert — ait injuste-
ment fait délaisser le projet d'une statue rap-
pelant à la France que ceux de nos frères qui
souflrent le plus cruellement de l'annexion sont
les habitants de Metz où l'on ne parle pas ht
langue allemande. -
Le comité de la fédération fait appel au grou-
pement des combattants de Gravelotte ayant t
sa tête, comme président, un ancien colontl
ou général. Il l'adjure de provoquer une sous-
cription, aidée en cela par des hommes de cœur
comme M. Lncien Victor-Meunier, afin que 1.
jour où les Allemands découvriront la sinistre
figure de leur prince rouge, le voile tombant de
la statue de Metz érigée à Paris, montre au
Messins qu'ils doivent toujours espérer, car noat
oe les oublions pas.
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