Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-12-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757974m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 22 décembre 1896 22 décembre 1896
Description : 1896/12/22 (N9783). 1896/12/22 (N9783).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7564605n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2013
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ANNONCES
AUX BUREAUX DU JOURNAL
131, rue Montmartre, 131
tchez MM. LAGRANGE, CERF & O»
j: - 6, place de la Bourse, 6.
4AtoBSi tilécrtpbliiv) - XIX' SIÈCLE - PARIA
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Isfo 9783. — Mardi 22 Décembre 1896
2 NIVOSE AN 105
ADMINISTRATION : 131, rue Montmartre, tal
Adresser lettres et mandate à VAdminutratevr
PRIMES-ETRENNES
A NOS ABONNÉS & LECTEURS
Lire à la quatrième page la nomencla-
Jure des primes que nous offrons à nos
bonnés et lecteurs, à l'occasion du jour
te l'an.
f My ■
NOS LEADERS
LETTRES LIBRES
La Marine aux Colonies
Le livre remarquable de M. Lockroy,
Notre marine de guerre, et les.discours
Remplis de faits prononcés à la tribune
Se la Chambre par l'ancien ministre
ue la marine et par MM. Camille Pel-
lelan, Delcassé, etc., saisissent, une
fois de plus, le grand public de la
mauvaise organisation de nos admi-
nistrations et de nos ateliers maritimes
et du déplorable état dans lequel se
trouve nbtre matériel naval.
Malgré les dénégations de l'amiral
Besnard, la France entière est con-
vaincue aujourd'hui que les deux cent
cinquante millions de francs prélevés
chaque année sur. les contribuables
jpour doter le pays d'une flotte digne
d'elle sont mal employés et gaspillés
en dépenses inutiles.
La France sait d'une manière abso-
lument certaine que sa flotte de guerre
serait incapable de faire face à celles
tle la triple alliance et qu'elle équi-
vaut, en valeur, à peine au tiers de
celle de l'Angleterre. Elle sait que ses
côtes ne sont pas suffisamment proté-
gées, que ses ports sont ouverts à l'en-
nemi, que ses principales villes de
commerce et même certains de ses
arsenaux militaires seraient aisément
Dombilrdés, car les moyens de protec-
tion dont dispose la marine sont no-
toirement insuffisants. Et l'heure n'est
peut-être pas éloignée où la France
demandera compte aux amiraux qui,
depuis vingt-six ans, se sont succédé,
presque sans interruption, au minis-
tère de la marine, des cinq milliards
st demi que la troisième République a
mis à leur disposition.
; #*#
-. A raison de deux cents millions par
m, en moyenne, c'est, en effet, près
ie cinq milliards et demi de francs
que la marine de guerre a prélevés sur
la fortune des contribuables, depuis la
fondation de la troisième République.
Il serait intéressant de savoir quel
usage a été fait de cet énorme capital :
quelle partie a été consacrée à la cons-
truction de navires vraiment capables
de faire la guerre ; quelle partie a été
absorbée par des bâtiments en bois,
pu sans vitesse, ou sans artillerie, etc.,
impropres, à un titre quelconque, à
figurer dans les batailles modernes ;
quelle autre portion a été dévorée par
les officiers qui vivent à Paris, ce cin-
quième port de guerre, particulière-
{ment recherché, dans l'oisiveté, loin
des mers où ils acquerraient l'expé-
rience de leur métier; quelles som-
mes ont été gaspillées en réparations
,'et entretien de vieilles coques sans
nulle valeur, en achats de bois dont on
tie fera rien, de munitions que l'on
condamnera après les avoir laissées
s'avarier, en fabrication de pièces d'ar-
itillerie condamnées avantd'avoir servi,
etc.
Celui qui pourrait établir le bilan de
ces diverses dépenses, mettre sous les
/yeux du public, d'un côté, la portion
Mes cinq milliards donnés à la marine
'¡par la République qui a servi à aug-
menter notre puissance navale et, d'un
:autre côté, la portion qui a été absor-
bée sans profit, celui-là serait, à coup,
sûr, un habile homme ; mais\ce n'est
point dans la marine qu'il faut le cher-
cher.
Pour vous donner une idée de la dé-
sinvolture avec laquelle les marins se
moquent de la Chambre et du pays
toutes les fois qu'on commet la naïveté
de leur confier un portefeuille minis-
tériel, je ne veux que rappeler ici ce
que disait, mardi dernier, l'amiral
Besnard, au sujet des bâtiments de
guerre employés à la surveillance de
Madagascar. v
Après avoir rappelé qu'il n'y avait
autrefois à Madagascar que deux na-
vires, « un petit bateau, le Météore, et
un autre qui n'était pas beaucoup plus
grand, un croiseur de3° classe », l'ami-
ral informait la Chambre qu'il avait
doublé le nombre de ces bâtiments et
il s'attirait de vives félicitations de la
part des députés en ajoutant : « Vous
comprenez toute l'importance de cette
surveillance quand il s'agit d'empê-
cher l'introduction d'armes, de pou-
dre, de munitions, de tout ce qui peut
alimenter les forces des rebelles. »
(Très bien : très bien!),
Ceux qui clamaient ces « très bien t
très |>ien ! » ne savaient certainement
pas qu'au moment même où ils com-
plimentaient si chaudement l'amiral
Besnard, celui-ci se gaussait de leur
ignorance et de leur bonne foi, avec
aussi peu de vergogne qu'un matelot
facétieux se moque d'une bande de
sauvages.
Quatre navires, dont deux petits et
les deux autres pas beaucoup plus
grands, pour surveiller Madagascar,
pays plus étendu que la France, baigné
par la mer de toutes parts, et empê-
cher l'introduction des armes, des
munitions, de la poudre et « de tout
ce qui peut alimenter les forces des
rebelles », quatre navires incapables
de résister aux gros temps de ces ré-
gions, pour un service aussi impor-
tant, c'est à peu près l'équivalent de
quatre sergents de ville pour faire la
police de Paris. La Chambre, qui con-
naît Paris ou qui, du moins croit le
connaître, conspuerait le ministre de
l'intérieur s'il lui annonçait que la
capitale sera désormais surveillée par
quatre fantassins; elle applaudit dans
la bouche du ministre de la marine
une bourde tout aussi forte.
La vérité est que Madagascar est si
mal surveillé et si peu gardé par notre
marine, que tout navire y peut, à son
aise, débarquer des fusils et des mu-
nitions, et qu'en cas de guerre, la colo-
nie serait à la merci de n'importe
quelle puissance maritime résolue à y
opérer un débarquement.
1If
Il en est ainsi non-seulement à Ma-
dagascar, mais encore en Indo-Chine,
aux Antilles, à la Réunion, et même
en Algérie. Sur tous les points du
globe la protection et la défense mari-
times de nos colonies sont à peu près
nulles. Les navires de guerre qui en
ont la charge sont en nombre tout à
fait insuffisants; presque tous sont en
bois, mal armés et incapables de résis-
ter à une force maritime tant soit peu
sérieuse. -
Dans l'Extrême-Orient, les navires
affectés à la défense de la Cochinchine,
de l'Annam et du Tonkin ne pour-
raient résister ni à la Chine ni au
Japon, ni peut-être même au Siam.
J'ai encore présent à l'esprit le souve-
nir de l'émotion qui s'empara du com-
mandement de la marine à Saigon, en
1893, lorsque le conflit éclata entre la
France et le gouvernement de Bang-
kok. On craignait une attaque de notr
colonie par les navires siamois et l'on
ne savait comment y résister.
:\f *
Quant à la police maritime de nos
colonies, à la surveillance des côtes et
des voies fluviales, elle est partout
organisée en violation des principes
les plus élémentaires, et les navires
qui en sont chargés ne remplissent
aucune des conditions nécessaires.
Les bâtiments sont construits sur
des modèles conçus à Paris par des
gens qui n'ont pas la moindre con-
naissance des services spéciaux qu'ils
doivent rendre. Ils sont toujours trop
petits ou trop grands, trop bas ou trop
hauts sur l'eau, d'une vitesse sans
rapport avec celle des courants, d'un
tirant d'eau sans relations avec la pro-
fondeur des rivières, etc. Quant au
personnel, il comprend un nombre de
matelots européens trop considérable
et des capitaines d'un grade trop élevé
pour l'importance du commande-
ment.
Dans toutes nos colonies, on voit de
simples bateaux de rivières com-
mandés par des lieutenants de vais-
seau ou des enseignes, dont le seul
rôle est d'ordonner et surveiller le
service journalier du bord, la marche
du navire étant dirigée, dans les rares
circonstances où il navigue, par des
pilotes indigènes dont le plus habile
officier ne saurait se passer, car il
s agit de circuler dans des fleuves, des
rivières, des canaux qu'il lui est im-
possible de connaître.
De simples maîtres et une poignée
de matelots européens suffiraient am-
plement, sur toutes les canonnières
fluviales que commandent aujourd'hui
des officiers ; et ceux-ci seraient beau-
coup mieux à leur place dans les esca-
dres de la métropole et sur les divi-
sions navales. Le service des bâti-
ments fluviaux les déshabitue de la
mer et leur fait oublier les connais-
sances techniques dont ils auraient à
faire usage en temps de guerre.
Cette organisation entraîne des dé-
pense énormes pour un service qui,
en raison même du chiffre exagéré de
ces dépenses, est toujours insuffisant ;
mais la marine y tient parce quelle y
trouve pour ses officiers de grasses
sinécures. Ici encore l'intérêt particu-
lier fait céder devant lui l'intérêt gé-
néral. Et il en sera ainsi jusqu'à ce
qu'une réforme profonde ait été opé-
rée dans l'organisation des services
maritimes de nos colonies.
J.-L. DE LANESSAN.
Nous publierons demain un artiele
de M. Francisque Sarcey
LE COIRÈS SÉNATORIAL DE LA GIRONDE
Le congrès républicain des électeurs séna-
toriaux de la Gironde a eu lieu hier à Bor-
deaux.
Onze candidats étaient en présence, parmi
lesquels notreéminentcollaborateur M.J.-L.
de Lanossan.
M. de Lanessan, dans un très beau dis-
cours, a déclaré qu'il se présentait comme
candidat de l'union des dilférentes fractions
du parti républicain. -
« La République, a-t-il dit, est arrivée à la
troisième étape de sa marche. Le moment
est venu de la démocratiser. »
Deux cent soixante-dix électeurs sur sept
cent cinquante présents au congrès, ont ra-
tifié ce programme en acclamant la candida-
ture de notre éminent collaborateur.
Il est permis de le regretter moins pour
M. de Lanessan lui-mémo que pour les ré-
publicains qui, résolus à défendre l'autorité
du Sénat, semblent dédaigner d'y envoyer
des hommes de talent et de valeur.
A. H.
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 20 DÉCEMBRE
(SCRUTINS DE BALLOTTAGE)
nOUBS
ARRONDISSEMENT DE PONTARLIER
MM. Grenier, radical.,. 5.078 voix
Grillon, l'ép. mocl. 4.108
M. Grenier est élu
Il s'agissait de remplacer M. Dionys Ordi-
naire, républicain modéré, décédé. Au premier
tour de scrutin, les suffrages s'étaient ainsi ré-
partis : MM. Grillon, 4,583 voix ; Maurice Ordi-
naire, républicain progressiste, 3,497; Grenier,
radical, 1,671, et ,G-iraud, républicain inoépen-
dant, 332. — M. Dyonis Ordinaire avait été élu,
aiiK élections de 1893, sans concurrent, par
2,480 voix.
YONNE
- ARRONDISSEMENT DE SENS
Inscrits :.18.694 î Votants : 14.803
MM. Cornet, rad. soc. 7.384 voix
Javal, n''p. 7.255
M. Cornet est élu.
Il s'agissait de remplacer M. Bézine, radical
socialiste, élu sénateur. Au premier tour, M.
Cornet avait obtenu 6,486 voix; M. Javal, 5,817,
et M. Fijalkowsld, radical, 1,389. — M. Bézine
avait été élu, en 1S93, par 8,805 voix contre 4,923 à
M. Gibez, rallié.
LES ON-DIT
CARNET QUOTIDIEN:
Premier jour de l'hiver.
— Durée du jour : 9 h. a8.
CHEZ NOUS
——- On annonce la mort d'une des prin-
cipales notabilités du parti bonapartiste,
M. Eugène Jolibois, décédé la nuit der-
nière dans sa propriété du Vésinet, où il
s'était alité il y a tantôt deux mois.
M. Jolibois était l'un des doyens du bar-
reau de Paris. Avocat général à Amiens, à
Rouen, puis procureur général à Cham-
béry sous l'empire, il fut élu député de
Saintes en 1876. Il se retira en 1893 de la
vie politique, où il n'avait ces de com-
battre à outrance l'idée républicaine.
M. Eugène Jolibois, qui était né à
Amiens en 1819, était âgé de soixante-dix-
sept ans.
- Mme Boullaire, belle-soeur de l'a-
miral Besnard, ministre de la marine, vient
de mourir, succombant à une maladie qui
a duré quelques jours.
- Il est décidé que les prochaines
grandes manœuvres qui auront lieu en
septembre prochain auront pour théâtre la
région du ier corps d'armée dont le centre
est Lille.
- L'idole de Bourg-la-Reine.
Un homme qui comme maire doit être
le père de ses administrés, c'est M. André
Theuriet, premier magistrat municipal de
Bourg-la-Reine ; car depuis qu'il a été
nommé membre de l'Académie française,
il n'est pas de jour où les habitants de cette
commune ne lui témoignent par une fête
quelconque la part qu'ils prennent à ses
joies.
Samedi, ils ont de nouveau célébré l'é-
lection de leur maire bien-aimé.
Ils ont offert un banquet à l'éminent ro-
mancier et à Mme Theuriet. Un grand
nombre de notabilités y assistaient. Au
dessert, deux magnifiques vases de grès
flammés, exécutés par Dalpayrat, ont été
remis à M. Theuriet au nom du conseil
municipal.
~- A l'occasion de l'anniversaire de la
mort de son frère M. Max Lebaudy, Mme
la comtesse de Fels a fait remettre 5,000
francs au président de l'Association des
journalistes parisiens, et 5,000 francs au
président de l'Association des journalistes
républicains, pour être distribués en se-
cours immédiats.
Elle a en outre donné au bureau de bien-
faisance du huitième arrondissement
10,000 francs et au curé de Saint-Philippe
du Roule 10,000 francs pour les pauvres
de l'arrondissement.
,- Le Journal of ficielannonce que le
président de la République a agréé l'hom-
mage du premier exemplaire de l'Alma-
tiach national qui lui a été présenté par
les éditeurs Berger-Levrault et Ce.
Cette publication officielle est mise à
jour des plus récents changements surve-
nus dans les diverses branches de l'admi-
nistration.
- Une dispense dont le besoin se fai-
sait sentir.
Le cardinal Richard, archevêque de
Paris, a adressé aux curés de la capitale la
lettre d'un autre âge que voici :
Monsieur le curé,
J'ai exposé au souverain pontife la grave
difficulté que les habitants du diocèse de
Paris auraient pour observer là loi de l'abs-
tinence le vendredi 1er janvier prochain.
l Le saint-père a daigné prendre en consi-
dération les raisons que je lui avais sou-
Rtfsfis, et, par un rescrit du 30 novembre
que je viens de recevoir, il dispense les
fidèles de la loi de l'abstinence dans votre
diocèse le 1er jour de l'an 1897.
Vous aurez soin, monsieur le curé, de
porter cette dispense à la connaissance de
vos paroissiens, et vous lirez ma lettre au
prône du dimanche 20 décembre.
Les fidèles n'oublieront pas de compenser
la loi de l'abstinence, dont ils sont dispensés,
par la prière et par l'aumône.
Et dire que même si le pape ne l'avait
pas permis, la plupart des Parisiens au-
raient tout de même mangé gras le jour de
l'an 1 La foi s'en va.
Le Passant.
CHEZ M. GJORGES OIiNET
La direction du théâtre de la Porte-Sain'-
Martin annonce pour jeudi prochain la pre-
mière représentation de la nouvelle pièce
de M. Georges Ohnet, la Colonel de Roque-
brune.
L'auteur du Maître de Forges n'ayant rien
fait représenter depuis quatre ans, c'est à
la fois avec impatience et curiosité que le
public attend son nouvel ouvrage.
Est-ce un drame ou une comédie? Une
pièce à spectacle ou simplement intime? A
quelle époque se passe l'action? Coquelin
a-t-il un beau rôle? Son fils Jean joue-t-il
dans la pièce? Compte t-on sur un succès?
Curieux! Un peu de patience, que diable
A toutes ces questions, je vais répondre,
car, désireux toujours de vous satisfaire et
de vous prouver mon attachement, je suis
allé hier matin intervierwer l'auteur du
Colonel de Roquebrune.
Non, mais dites encore que je ne suis pas
gentil et que je ne pense pas à vous ,
dites-le donc'
Cocher 1 — avenue Triidaine, numéro
quatorze 1 — C'est là qu'habite, en un coquet
hôtel très artistiquement meublé, M. Geor-
ges Ohnet.
Le maitre du lieu me reçoit d'une façon
charmante, et, le sourire aux lèvres, m'in-
vite à. à m'asseoir ? — Non, — à déjeu-
ner! Ma foi, au risque d'aliéner honteuse-
ment cette indépendance qui fait ma fierté,
j'accepte.
Avant de passer à la salle à manger, M.
Georges OhneL me fait admirer les merveil-
les, — tapisseries, peintures et bibéiots ra-
res, — qui ornent sa demeure, et, plus par-
ticulièrement ce qu'il appelle avec un légi-
time orgueil les deux joyaux de sa collec-
tion : d'abord son iils, un grand et beau
garçon de dix-huit ans, aux yeux bruns et
iargement ouverts, qui se destine à la pein-
ture et me déclare êfre un fervent admira-
teur d'Ibsen; ensuite sa fille, une gracieuse
enfant de quinze ans, dont le rougissant vi-
sage retlète la grâce et la bonté de son ai-
mable mère.
Nous nous mettons à table, et, dès le pre-
mier service, je rappelle à l'auteur du Colo-
nel de Roquebrune l'objet de ma visite.
C'b.t au Gymnase, me dit-il, le soir de la
répétition générale de Marcelle, que pour la
première fois j'ai parlé à Jean Coquelin de
la pensée qui m'était venue, d'écrire une
pièce pour son père. Cinq minutés après,
Coquelin était dans ma loge, je lui soumet-
tais mon idée qu'il approuvait, et, d'un com-
mun accord, nous convenions que j'écrirais
d'abord le premier acte, le lui ferais lire et
n'achèverais enfin la pièce que sur sa de-
mande expresse. — Quatre mois après cette
première entrevue, mon drame était com-
plètement terminé.
— C'est donc un drame?
— Un drame passionnel, oui, en même
temps qu'historique en plusieurs de ses par-
ties. Ma pièce, simple etclaire en ses grandes
lignes, commence et finit dans l'espace des
quatre jours qui précédèrent la rentrée à
Paris de Napoléon, au retour de lile d'Elbe.
Avant d'en écrire le premier mot, j'ai lu,
compulsé, fouillé tous les ouvrages ou mé-
moires ayant trait à cotte époque, — ceux
de Thiébault, Marbot, Mac-Donald, Oudi-
not, Talleyrand, Bouriennc, les lettres de
Fouché à Mme de Custine, les cahiers du
capitaine Cogniet, etc., etc.
A l'aide des nombreux documents que j'ai
découverts, j'ai tenté de reconstituer d'une
façon curieuse et intéressante le tableau des
intrigues politiques, militaires et policières
qui ont amené la chute de la première Res-
tauration. — Ai-je réussi ? — Je le saurai le
soir de la première représentation. En tout
cas, que les blagueurs se méfient et n'aillent
pas m'attribuer les mots historiques dont le
dialogue de mon drame est émaillé.
— Et le principal personnage de votre
pièco, le colonel de Roquebrune t
— Un enfant du peuple, soldat du premier
empire et parvenu aux plus hauts grades, à
force d'énergie, de courage et d'héroïsme.
Une figure rappelant celle du général Rapp
ou du général Lasalle, ou plus exactement
encore celle du héros d'Eylau, de Leipzig et
de Waterloo, le général Marbot.
Soldat épique, familier et sensible, vrai
cocardier de l'époque, mon Roquebrune con-
duit et domine tou.e l'action.
— C'est à Coquelin naturellement que
vous en avez confié l'inte. prétation ?
— Oui, et cela je puis vous l'affirmer dès
aujourd'hui, il sera merveilleux! Quel
homme et surtout quel maître! Tour à tour
il répète et avec un talent toujours égal tous
les rôles, ceux des hommes comme ceux des
femmes, et si mon œuvre n'est pas bien in-
terprétée, la faute n'en sera certes pas à
lui. De ce côté, d'ailleurs, je suis tranquille :
avec des artistes comme Desjardins, Saint-
Germain, Gravier, Jean Coquelin, Segond,
Mlle Brindeau et Mlle Esquilar, je n'ai rien
à redouter.
— Combien de tabloaux ?
— Six et peints par Amable et Jambon.
Au dernier, trois cents personnes en scènj,
quatorze chevaux, la berline de Napoléon
et Napoléon lui-même. Tous les costumes
exécutés par Millet.
— J'ai entendu dire qu'il y avait au pre-
mier acte un certain duel au sabre appelé à
faire sensation. — Est-ce vrai?
— Oui, mais silence, vous m'en feriez trop
dire.
— Une dernière question : Pourquoi vous
êtes-vous tenu si longtemps éloigné du théâ-
tre ?
— J'ai voulu assister en simple spectateur
à l'évolution qui s'est opérée depuis quel-
ques années dans l'art dramatique, curieux
de voir si la psychologie l'emporterait ^au
théâtre sur l'action, si la nouvelle formule
triompherait de l'ancienne. Si le problème
n'est pas résolu encore, il me semble qu'à
l'heure actuelle, surtout dans un théâtre de
drame, une œuvre d'imagination pure et
contenant tous les éléments essentiels du
drame, est appelée à réussir.
Je saurai bientôt si je me suis trompé.
- Encore un mot : la répétition générale.
- Aura lieu mercredi soir, dans le huis
clos le plus absolu, c'est-à-dire devant la
presse seulement.
Alors que j'entends ne relever que de leur
loyauté et de leur justice, je ne veux pas
que les critiques puissent m'accuser d'avoir
convoqué à cette répétition le ban et l'arriére-
ban d3 mes amis, dans le but d'influencer
d'une façon quelconque leur jugement.
Sur cette énergique et catégorique décla-
ration, je prends congé de M. Georges
Ohnet et de sa charmante famille, en faisant
les vœux les plus ardents et les plus sincè-
res pour le succès du Colonel de Roquebrune.
GRENET-OANGOURT.
L'ESPAGNE ET LES ÉTATS-UNIS
L'état du conflit hispano-américain ne
s'est guère modifié depuis hier.
Le secrétaire d'Etat aux affaires étrangè-
res du gouvernement américain a déclaré au
ministre d'Espagne à Washington qu'aucune
complication n était à craindre jusqu'au mois
de mars prochain, par la bonne raison que
M. Cleveland était résolu à ne pas recon-
naître l'indépendance do Cuba, quelle que
soit l'attitude du congrès.
On dit bien, il est vrai, que les députés
radicaux sont très surexcités contre M.
Olney et que certains d'entre eux sont d'ores
et déjà décidés à réclamer la mise en accu-
sation de M. Cleveland si ce dernier refuse
de reconnaître la décision de la majorité des
deux tiers des Chambres. Mais on dit aussi
qu'un groupe assez important de députés et
de sénateurs partagent les sentiments du
président et s'efforceront de faire échec à la
résolution Cameron.
Le mieux qu'on ait à faire, par consé-
quent, c'est de s'abstenir de tout pronostic.
En Espagne, du reste, on semble com-
prendre que le moment est grave et que
que toute manifestation populaire pourrait
amener de déplorables complications.
Citons seulement ces déclarations intéres-
santes du président du conseil, M. Ca-
novas :
« L'Espagne ne provoquera pas un con-
flit; mais tant que je serai président du con-
seil, je ne souffrirai pas d'attentat à la sou-
veraineté de l'Espagne. Je dis ceci av c
calme, sans éclat de voix, car ce n'est pas
nécessaire. Mais je suis résolu à. tenir ma
parole. Voilà mon dernier mot. Il
Quelques journaux, moins prudents, vou-
draient brusquer les choses. Heureusement,
ils sont peu nombreux.
L'attentat de Barcelone
HUIT CONDAMNATIONS A MORT
Une dépêche annonce que le conseil de
guerre do Barcelone a condamné à mort
huit anarchistes pour l'attentat de la rue
Cambios Nue vos.
STATUES ET STATUAIRES
La ville de Marseille se dispose à élever
un monument à Pierre Puget. Ce monu-
ment a été misall concours. Je vois avec
plaisir que, parmi les projets présentés,
celui d'Injalbert, entre autres, a ctc retenu,
ce qui donne à l'auteur du Titan quelques
chances de décrocher la Jimbala.
Injalbert est, de tous nos statuaires, ce-
lui qui se rapproche le plus de Puget. Il
*
s'en est toujours montré, du reste, admira-
teur enthousiaste et volontiers s'en réclame
comme de son maître préféré. Même nature
fougueuse et passionnée, même sentiment
de révolte et de douloureux écrasement. Les
groupes de Milon de Crotone et de Persée
et Andromède, les Prisonniers d'Alexan-
dre, le Martyre de Saint-Sébastien, beau
comme un Michel-Ange, les patientes souf-
frances des formidables Cariatides frater-
nelles, images des travailleurs sur qui pèse
et repose la dure société; torses ruisselants
de portefaix se colletant sur les ports, mate-
lots en bordée se ruant aux filles des bouges,
dos saignant de la chiourme courbée sous
le bâtolt des bagnes, bruits de chaînes et cris
de désespoir, musculatures tendues, violen-
tes soumissions maintenues par la force ou
Vimpérieuse nécessité, tout ce qui trempa
l'âme, tout ce qui fut le génie de Pierre
Puget, on le retrouve dans Vœuvre d'lnjal-
bert :
Colères de boxeur, : prudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand cœur gonflé d'ovgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçais 1
Je cite ces vers de Baudelaire parce qu'il
peut ne pas être inutile de les rappeler à
l'artiste qu'on va charger de Vexécution de
la statue de Puget. Il y trouvera matière à
réflexion et pourra, au besoin, s'en insPirer.
Qu'il n'aille pas surtout nous faire un
Puget vieux. La tendance que montrent les
sculpteurs à n'évoquer qu'à leurf déclin les
personnages qu'ils sont appelés à faire re-
vivre, à ne consulter que leurs derniers por-
traits, vaudrait, sans doute, d'être corrigée.
C'est en art surtout qu'on peut dire que
ceux qui meurent jeunes sont aimés des
dieux. Depiii? Homère,aveugle et caco-
chyme, ce ne sont que statues de vieillards
jalonnant les siècles, comme si les grands
hommes qu'elles prétendent à glorifier n'a-
vaient jamais eu ni beauté ni jeunesse,
comme si leur génie ne s'était épanoui que
dans la décrépitude. Musset, que Mer cié et
Faiguière sont'en -train -de statufierest sûr
du moins d'échapper à ce goÛt déplorable,
de ne pas traîner à travers lès âges les
affreux stigmates de la vieillesse. Mais je
tremble pour Hugo, qui se refusait pour-
tant à poser dans les dernières années de sa
vie : « Vous ave{ les admirables bustes de
David d'Angers », faisait-il doucement ob-
server. Barrias s'en souviendra-t-il quand
il lui faudra fixer la mâle figure du plus
grand des poëtes ?
.,.. C'est ainsi que nous ne connaissons que
de vieux Voltaire : celui de la Comédie-
Française (un chef-d'œuvre, il est vrai);
celui du quat Malaquais, qui est loin d'en
être un autre, etc, Mais le plus inattendu,
c'est le Voltaire de la bibliothèque Ma{a-
rifte. Un marbre de Ptgalle, un Voltaire
vieux nécessairement, et, de plus, entière-
ment nu- nu comme un ver — avec seule-
ment une pÙtme à la main. Il est représenté
assis. A ses pieds, le masque de la Tragédie,
accompagné de l'inévitable poignard*. 14
statue est de grandeur mturâte*
Sur le socle se trouve gravée la dédicace
A monsieur de Voltaire par les gens dly
lettres, ses compatriotes et ses contempo¿
rains. 1770.
Il paraît que Voltaire reeut fort mal le'
cadeau. Il était furieux contre Pigalle, qui
n'avait trouvé rien de mieux que d'offrir
en spectacle l'osseuse nudité d'un vieillarcL
dont la inaigreur était proverbiale. Vol-
taire, dans sa Correspondance, fait plu-
sieurs fois allusion à cette statue et il ne
ménage pas les lardons à son auteur. On là.
sent vivement blessé.
Il lui restait encore huit ans à vivre et
son génie avait gardé toute sa vigueurc
toute sa jeunesse. N'est-ce pas de cette épd,
que que sont datés ces vers charmants, d'uni
note si moderne qu'on les dirait écriÙ
d hier :
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore ?
Il serait intéressant de savoir commen f
cette statue, que Voltaire avait en horreur,
est venue s'étaler publiquement à la porté
d'entrée de la bibliothèque de l'Institut.
CHARLES FRÉMINS.
LA VIE DE PARIS
Par HENRY FOUQUIER
C'est une observation banale que le?
« gloires » parisiennes, quand elles sont
quelque peu décaties et contestées,
trouvent encore assez aisément des.
coins do la province, où elles vont brU.
1er, jusqu'au jour où, par quelque fâ.
cheux accident, elles disparaissent dé.
finitivement. Tels les ténors qui, après
avoir fait les beaux jours des théâtres
de Paris, finissent par aller se faire tris<
tement et cruellement siffler à Mont
pellier ou à Limoges ! C'est une aven
ture de ce genre qui vient d'arriver à
une de nos vieilles connaissances dt.
Paris, Mme Pourpe.
Avait-on assez parlé de cet dame au
moment du boulangisme et au cour
des procès qui suivirent l'incroyable
écroulement de ce mouvement, à lg
fois explicable et si singulier!
Qui sait même si, pour l'observateur
un peu philosophe, la véritable causa
de J'échec piteux du boulangisme, quï
ne pouvait pas réussir, mais qui eut da
finir d'une autre façon, peut-être tragi-
que, ne se trouverait pas tout entière
dans les révél itions que la correspon-
dance, avec Mme Pourpe, nous apporta
sur le véritable caractère du « géné"
rai »? De même que Catherine Théot
éclaire certains recoins mystérieux d6
l'âme de Robespierre, le général Bou-
langer, beaucoup plus simpliste, a été
pour ainsi dire mis à nu par les confi-
dences de sa vieille amie. Ce n'est guère:
que par le rôle joué par cette dame
dans sa vie que le grand public a pu
voir clair dans le caractère du général
Boulanger, de ce pauvre homme, tout
le temps inférieur à sa tâche et à ses
propres ambitions, et dont je parle avec
plus de pitié que d'amertume. Car,
pour moi, sa mort sentimentalement
tragique, a racheté bien des faiblesses
et des fautes.
Donc, Mme Pourpe, très brûlée £
Paris après y avoir été trop brûlante, a
été travailler en province. Bien entendu
avec l'âge qui est venu pour elle, les
aventures galantes ont pris fin et les
correspondances d'un érotisme ose.
Elle n'a pas pu, davantage, continuer à
essayer de vendre une influence qu'elle
n'avait plus et qui fut réelle dans le.
temps. Mais la femme d'intrigue ne
meurt jamais tout entière. Mme Pourpe
avait donc eu l'idée d'acheter, à crédH
(cela s'entend), une auberge dans un
pays de grandes chasses, assurant que.
lorsque la saison des déplacements
cynégétiques serait venue, elle aurait
la plus belle clientèle du monde.
En vue de cette clientèle, elle se fit
livrer par des fournisseurs, toujours-
imbéciles et ne faisant de crédit qu'aux
filous beaux parleurs, une quantité con-
sidérable de meubles, marchandises et
vins. L'auberge portait le nom pitto-
resque d'auberge du « Chasseur en dé-
veine » ! La vraie déveine, c'est que les
fournisseurs, ne voyant pas arriver la
belle clientèle de Mme Pourpe, firent
une série de plaintes au parquet, qui
s'émut. On remonta le cours de l'exis-
tence de la dame depuis son exode de
Paris, et on constata que, pendant sept
ans, elle avait vécu, et pas trop mal,
d'ingénieuses escroqueries, tirant de
l'argent aux bonnes âmes sous dès
prétextes variés, dont le plus ordinaire
était de se donner pour la nièce d'un
haut dignitaire de l'Eglise.
Je dois ajouter, pour être impartial,
que Mme Pourpe se défend comme une
belle diablesse, jurant ses grands dieux
qu'elle a été d'une èorrection parfaite
en toutes choses. Que si on lui demande
de quelles ressources elle a vécu, elle
répond qu'elle a vécu des largesses
d'un sénateur qui lui voulait du bien.
Si le sénateur existe, il doit être bien
ennuyé et, comme on dit, dans ses pe-
tits souliers ! Il paraît que Mme Pourpe
d'ailleurs, le prend d'assez haut avec
les robins, qu'elle a parlé, dans sa dé-
fense, de son rôle politique, assurant
que si on l'avait écoutée et si on avait
écouté ses conseils, les choses se se-
raient différemment passées et qu'elle
aurait sauvé la France. Ça, c'est beau-
coup dire. Il est vrai seulement que, à
un moment, nous avons touché à une
situation de guerre civile. J'aime autant
que le général n'ait pas écouté les con-
seils de sa vieille amie et qu'elle soit
l restée pour lui l'agent sûr d'opérations
moins belliqueuses que celles qji'elU
.rôYait
~C 1 1V 1-
rARis et départements
%.© Numéro,' CÏNO GENTÏME9
-" '--- y,,- ,'' '.--. -.. C
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Isfo 9783. — Mardi 22 Décembre 1896
2 NIVOSE AN 105
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Adresser lettres et mandate à VAdminutratevr
PRIMES-ETRENNES
A NOS ABONNÉS & LECTEURS
Lire à la quatrième page la nomencla-
Jure des primes que nous offrons à nos
bonnés et lecteurs, à l'occasion du jour
te l'an.
f My ■
NOS LEADERS
LETTRES LIBRES
La Marine aux Colonies
Le livre remarquable de M. Lockroy,
Notre marine de guerre, et les.discours
Remplis de faits prononcés à la tribune
Se la Chambre par l'ancien ministre
ue la marine et par MM. Camille Pel-
lelan, Delcassé, etc., saisissent, une
fois de plus, le grand public de la
mauvaise organisation de nos admi-
nistrations et de nos ateliers maritimes
et du déplorable état dans lequel se
trouve nbtre matériel naval.
Malgré les dénégations de l'amiral
Besnard, la France entière est con-
vaincue aujourd'hui que les deux cent
cinquante millions de francs prélevés
chaque année sur. les contribuables
jpour doter le pays d'une flotte digne
d'elle sont mal employés et gaspillés
en dépenses inutiles.
La France sait d'une manière abso-
lument certaine que sa flotte de guerre
serait incapable de faire face à celles
tle la triple alliance et qu'elle équi-
vaut, en valeur, à peine au tiers de
celle de l'Angleterre. Elle sait que ses
côtes ne sont pas suffisamment proté-
gées, que ses ports sont ouverts à l'en-
nemi, que ses principales villes de
commerce et même certains de ses
arsenaux militaires seraient aisément
Dombilrdés, car les moyens de protec-
tion dont dispose la marine sont no-
toirement insuffisants. Et l'heure n'est
peut-être pas éloignée où la France
demandera compte aux amiraux qui,
depuis vingt-six ans, se sont succédé,
presque sans interruption, au minis-
tère de la marine, des cinq milliards
st demi que la troisième République a
mis à leur disposition.
; #*#
-. A raison de deux cents millions par
m, en moyenne, c'est, en effet, près
ie cinq milliards et demi de francs
que la marine de guerre a prélevés sur
la fortune des contribuables, depuis la
fondation de la troisième République.
Il serait intéressant de savoir quel
usage a été fait de cet énorme capital :
quelle partie a été consacrée à la cons-
truction de navires vraiment capables
de faire la guerre ; quelle partie a été
absorbée par des bâtiments en bois,
pu sans vitesse, ou sans artillerie, etc.,
impropres, à un titre quelconque, à
figurer dans les batailles modernes ;
quelle autre portion a été dévorée par
les officiers qui vivent à Paris, ce cin-
quième port de guerre, particulière-
{ment recherché, dans l'oisiveté, loin
des mers où ils acquerraient l'expé-
rience de leur métier; quelles som-
mes ont été gaspillées en réparations
,'et entretien de vieilles coques sans
nulle valeur, en achats de bois dont on
tie fera rien, de munitions que l'on
condamnera après les avoir laissées
s'avarier, en fabrication de pièces d'ar-
itillerie condamnées avantd'avoir servi,
etc.
Celui qui pourrait établir le bilan de
ces diverses dépenses, mettre sous les
/yeux du public, d'un côté, la portion
Mes cinq milliards donnés à la marine
'¡par la République qui a servi à aug-
menter notre puissance navale et, d'un
:autre côté, la portion qui a été absor-
bée sans profit, celui-là serait, à coup,
sûr, un habile homme ; mais\ce n'est
point dans la marine qu'il faut le cher-
cher.
Pour vous donner une idée de la dé-
sinvolture avec laquelle les marins se
moquent de la Chambre et du pays
toutes les fois qu'on commet la naïveté
de leur confier un portefeuille minis-
tériel, je ne veux que rappeler ici ce
que disait, mardi dernier, l'amiral
Besnard, au sujet des bâtiments de
guerre employés à la surveillance de
Madagascar. v
Après avoir rappelé qu'il n'y avait
autrefois à Madagascar que deux na-
vires, « un petit bateau, le Météore, et
un autre qui n'était pas beaucoup plus
grand, un croiseur de3° classe », l'ami-
ral informait la Chambre qu'il avait
doublé le nombre de ces bâtiments et
il s'attirait de vives félicitations de la
part des députés en ajoutant : « Vous
comprenez toute l'importance de cette
surveillance quand il s'agit d'empê-
cher l'introduction d'armes, de pou-
dre, de munitions, de tout ce qui peut
alimenter les forces des rebelles. »
(Très bien : très bien!),
Ceux qui clamaient ces « très bien t
très |>ien ! » ne savaient certainement
pas qu'au moment même où ils com-
plimentaient si chaudement l'amiral
Besnard, celui-ci se gaussait de leur
ignorance et de leur bonne foi, avec
aussi peu de vergogne qu'un matelot
facétieux se moque d'une bande de
sauvages.
Quatre navires, dont deux petits et
les deux autres pas beaucoup plus
grands, pour surveiller Madagascar,
pays plus étendu que la France, baigné
par la mer de toutes parts, et empê-
cher l'introduction des armes, des
munitions, de la poudre et « de tout
ce qui peut alimenter les forces des
rebelles », quatre navires incapables
de résister aux gros temps de ces ré-
gions, pour un service aussi impor-
tant, c'est à peu près l'équivalent de
quatre sergents de ville pour faire la
police de Paris. La Chambre, qui con-
naît Paris ou qui, du moins croit le
connaître, conspuerait le ministre de
l'intérieur s'il lui annonçait que la
capitale sera désormais surveillée par
quatre fantassins; elle applaudit dans
la bouche du ministre de la marine
une bourde tout aussi forte.
La vérité est que Madagascar est si
mal surveillé et si peu gardé par notre
marine, que tout navire y peut, à son
aise, débarquer des fusils et des mu-
nitions, et qu'en cas de guerre, la colo-
nie serait à la merci de n'importe
quelle puissance maritime résolue à y
opérer un débarquement.
1If
Il en est ainsi non-seulement à Ma-
dagascar, mais encore en Indo-Chine,
aux Antilles, à la Réunion, et même
en Algérie. Sur tous les points du
globe la protection et la défense mari-
times de nos colonies sont à peu près
nulles. Les navires de guerre qui en
ont la charge sont en nombre tout à
fait insuffisants; presque tous sont en
bois, mal armés et incapables de résis-
ter à une force maritime tant soit peu
sérieuse. -
Dans l'Extrême-Orient, les navires
affectés à la défense de la Cochinchine,
de l'Annam et du Tonkin ne pour-
raient résister ni à la Chine ni au
Japon, ni peut-être même au Siam.
J'ai encore présent à l'esprit le souve-
nir de l'émotion qui s'empara du com-
mandement de la marine à Saigon, en
1893, lorsque le conflit éclata entre la
France et le gouvernement de Bang-
kok. On craignait une attaque de notr
colonie par les navires siamois et l'on
ne savait comment y résister.
:\f *
Quant à la police maritime de nos
colonies, à la surveillance des côtes et
des voies fluviales, elle est partout
organisée en violation des principes
les plus élémentaires, et les navires
qui en sont chargés ne remplissent
aucune des conditions nécessaires.
Les bâtiments sont construits sur
des modèles conçus à Paris par des
gens qui n'ont pas la moindre con-
naissance des services spéciaux qu'ils
doivent rendre. Ils sont toujours trop
petits ou trop grands, trop bas ou trop
hauts sur l'eau, d'une vitesse sans
rapport avec celle des courants, d'un
tirant d'eau sans relations avec la pro-
fondeur des rivières, etc. Quant au
personnel, il comprend un nombre de
matelots européens trop considérable
et des capitaines d'un grade trop élevé
pour l'importance du commande-
ment.
Dans toutes nos colonies, on voit de
simples bateaux de rivières com-
mandés par des lieutenants de vais-
seau ou des enseignes, dont le seul
rôle est d'ordonner et surveiller le
service journalier du bord, la marche
du navire étant dirigée, dans les rares
circonstances où il navigue, par des
pilotes indigènes dont le plus habile
officier ne saurait se passer, car il
s agit de circuler dans des fleuves, des
rivières, des canaux qu'il lui est im-
possible de connaître.
De simples maîtres et une poignée
de matelots européens suffiraient am-
plement, sur toutes les canonnières
fluviales que commandent aujourd'hui
des officiers ; et ceux-ci seraient beau-
coup mieux à leur place dans les esca-
dres de la métropole et sur les divi-
sions navales. Le service des bâti-
ments fluviaux les déshabitue de la
mer et leur fait oublier les connais-
sances techniques dont ils auraient à
faire usage en temps de guerre.
Cette organisation entraîne des dé-
pense énormes pour un service qui,
en raison même du chiffre exagéré de
ces dépenses, est toujours insuffisant ;
mais la marine y tient parce quelle y
trouve pour ses officiers de grasses
sinécures. Ici encore l'intérêt particu-
lier fait céder devant lui l'intérêt gé-
néral. Et il en sera ainsi jusqu'à ce
qu'une réforme profonde ait été opé-
rée dans l'organisation des services
maritimes de nos colonies.
J.-L. DE LANESSAN.
Nous publierons demain un artiele
de M. Francisque Sarcey
LE COIRÈS SÉNATORIAL DE LA GIRONDE
Le congrès républicain des électeurs séna-
toriaux de la Gironde a eu lieu hier à Bor-
deaux.
Onze candidats étaient en présence, parmi
lesquels notreéminentcollaborateur M.J.-L.
de Lanossan.
M. de Lanessan, dans un très beau dis-
cours, a déclaré qu'il se présentait comme
candidat de l'union des dilférentes fractions
du parti républicain. -
« La République, a-t-il dit, est arrivée à la
troisième étape de sa marche. Le moment
est venu de la démocratiser. »
Deux cent soixante-dix électeurs sur sept
cent cinquante présents au congrès, ont ra-
tifié ce programme en acclamant la candida-
ture de notre éminent collaborateur.
Il est permis de le regretter moins pour
M. de Lanessan lui-mémo que pour les ré-
publicains qui, résolus à défendre l'autorité
du Sénat, semblent dédaigner d'y envoyer
des hommes de talent et de valeur.
A. H.
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 20 DÉCEMBRE
(SCRUTINS DE BALLOTTAGE)
nOUBS
ARRONDISSEMENT DE PONTARLIER
MM. Grenier, radical.,. 5.078 voix
Grillon, l'ép. mocl. 4.108
M. Grenier est élu
Il s'agissait de remplacer M. Dionys Ordi-
naire, républicain modéré, décédé. Au premier
tour de scrutin, les suffrages s'étaient ainsi ré-
partis : MM. Grillon, 4,583 voix ; Maurice Ordi-
naire, républicain progressiste, 3,497; Grenier,
radical, 1,671, et ,G-iraud, républicain inoépen-
dant, 332. — M. Dyonis Ordinaire avait été élu,
aiiK élections de 1893, sans concurrent, par
2,480 voix.
YONNE
- ARRONDISSEMENT DE SENS
Inscrits :.18.694 î Votants : 14.803
MM. Cornet, rad. soc. 7.384 voix
Javal, n''p. 7.255
M. Cornet est élu.
Il s'agissait de remplacer M. Bézine, radical
socialiste, élu sénateur. Au premier tour, M.
Cornet avait obtenu 6,486 voix; M. Javal, 5,817,
et M. Fijalkowsld, radical, 1,389. — M. Bézine
avait été élu, en 1S93, par 8,805 voix contre 4,923 à
M. Gibez, rallié.
LES ON-DIT
CARNET QUOTIDIEN:
Premier jour de l'hiver.
— Durée du jour : 9 h. a8.
CHEZ NOUS
——- On annonce la mort d'une des prin-
cipales notabilités du parti bonapartiste,
M. Eugène Jolibois, décédé la nuit der-
nière dans sa propriété du Vésinet, où il
s'était alité il y a tantôt deux mois.
M. Jolibois était l'un des doyens du bar-
reau de Paris. Avocat général à Amiens, à
Rouen, puis procureur général à Cham-
béry sous l'empire, il fut élu député de
Saintes en 1876. Il se retira en 1893 de la
vie politique, où il n'avait ces de com-
battre à outrance l'idée républicaine.
M. Eugène Jolibois, qui était né à
Amiens en 1819, était âgé de soixante-dix-
sept ans.
- Mme Boullaire, belle-soeur de l'a-
miral Besnard, ministre de la marine, vient
de mourir, succombant à une maladie qui
a duré quelques jours.
- Il est décidé que les prochaines
grandes manœuvres qui auront lieu en
septembre prochain auront pour théâtre la
région du ier corps d'armée dont le centre
est Lille.
- L'idole de Bourg-la-Reine.
Un homme qui comme maire doit être
le père de ses administrés, c'est M. André
Theuriet, premier magistrat municipal de
Bourg-la-Reine ; car depuis qu'il a été
nommé membre de l'Académie française,
il n'est pas de jour où les habitants de cette
commune ne lui témoignent par une fête
quelconque la part qu'ils prennent à ses
joies.
Samedi, ils ont de nouveau célébré l'é-
lection de leur maire bien-aimé.
Ils ont offert un banquet à l'éminent ro-
mancier et à Mme Theuriet. Un grand
nombre de notabilités y assistaient. Au
dessert, deux magnifiques vases de grès
flammés, exécutés par Dalpayrat, ont été
remis à M. Theuriet au nom du conseil
municipal.
~- A l'occasion de l'anniversaire de la
mort de son frère M. Max Lebaudy, Mme
la comtesse de Fels a fait remettre 5,000
francs au président de l'Association des
journalistes parisiens, et 5,000 francs au
président de l'Association des journalistes
républicains, pour être distribués en se-
cours immédiats.
Elle a en outre donné au bureau de bien-
faisance du huitième arrondissement
10,000 francs et au curé de Saint-Philippe
du Roule 10,000 francs pour les pauvres
de l'arrondissement.
,- Le Journal of ficielannonce que le
président de la République a agréé l'hom-
mage du premier exemplaire de l'Alma-
tiach national qui lui a été présenté par
les éditeurs Berger-Levrault et Ce.
Cette publication officielle est mise à
jour des plus récents changements surve-
nus dans les diverses branches de l'admi-
nistration.
- Une dispense dont le besoin se fai-
sait sentir.
Le cardinal Richard, archevêque de
Paris, a adressé aux curés de la capitale la
lettre d'un autre âge que voici :
Monsieur le curé,
J'ai exposé au souverain pontife la grave
difficulté que les habitants du diocèse de
Paris auraient pour observer là loi de l'abs-
tinence le vendredi 1er janvier prochain.
l Le saint-père a daigné prendre en consi-
dération les raisons que je lui avais sou-
Rtfsfis, et, par un rescrit du 30 novembre
que je viens de recevoir, il dispense les
fidèles de la loi de l'abstinence dans votre
diocèse le 1er jour de l'an 1897.
Vous aurez soin, monsieur le curé, de
porter cette dispense à la connaissance de
vos paroissiens, et vous lirez ma lettre au
prône du dimanche 20 décembre.
Les fidèles n'oublieront pas de compenser
la loi de l'abstinence, dont ils sont dispensés,
par la prière et par l'aumône.
Et dire que même si le pape ne l'avait
pas permis, la plupart des Parisiens au-
raient tout de même mangé gras le jour de
l'an 1 La foi s'en va.
Le Passant.
CHEZ M. GJORGES OIiNET
La direction du théâtre de la Porte-Sain'-
Martin annonce pour jeudi prochain la pre-
mière représentation de la nouvelle pièce
de M. Georges Ohnet, la Colonel de Roque-
brune.
L'auteur du Maître de Forges n'ayant rien
fait représenter depuis quatre ans, c'est à
la fois avec impatience et curiosité que le
public attend son nouvel ouvrage.
Est-ce un drame ou une comédie? Une
pièce à spectacle ou simplement intime? A
quelle époque se passe l'action? Coquelin
a-t-il un beau rôle? Son fils Jean joue-t-il
dans la pièce? Compte t-on sur un succès?
Curieux! Un peu de patience, que diable
A toutes ces questions, je vais répondre,
car, désireux toujours de vous satisfaire et
de vous prouver mon attachement, je suis
allé hier matin intervierwer l'auteur du
Colonel de Roquebrune.
Non, mais dites encore que je ne suis pas
gentil et que je ne pense pas à vous ,
dites-le donc'
Cocher 1 — avenue Triidaine, numéro
quatorze 1 — C'est là qu'habite, en un coquet
hôtel très artistiquement meublé, M. Geor-
ges Ohnet.
Le maitre du lieu me reçoit d'une façon
charmante, et, le sourire aux lèvres, m'in-
vite à. à m'asseoir ? — Non, — à déjeu-
ner! Ma foi, au risque d'aliéner honteuse-
ment cette indépendance qui fait ma fierté,
j'accepte.
Avant de passer à la salle à manger, M.
Georges OhneL me fait admirer les merveil-
les, — tapisseries, peintures et bibéiots ra-
res, — qui ornent sa demeure, et, plus par-
ticulièrement ce qu'il appelle avec un légi-
time orgueil les deux joyaux de sa collec-
tion : d'abord son iils, un grand et beau
garçon de dix-huit ans, aux yeux bruns et
iargement ouverts, qui se destine à la pein-
ture et me déclare êfre un fervent admira-
teur d'Ibsen; ensuite sa fille, une gracieuse
enfant de quinze ans, dont le rougissant vi-
sage retlète la grâce et la bonté de son ai-
mable mère.
Nous nous mettons à table, et, dès le pre-
mier service, je rappelle à l'auteur du Colo-
nel de Roquebrune l'objet de ma visite.
C'b.t au Gymnase, me dit-il, le soir de la
répétition générale de Marcelle, que pour la
première fois j'ai parlé à Jean Coquelin de
la pensée qui m'était venue, d'écrire une
pièce pour son père. Cinq minutés après,
Coquelin était dans ma loge, je lui soumet-
tais mon idée qu'il approuvait, et, d'un com-
mun accord, nous convenions que j'écrirais
d'abord le premier acte, le lui ferais lire et
n'achèverais enfin la pièce que sur sa de-
mande expresse. — Quatre mois après cette
première entrevue, mon drame était com-
plètement terminé.
— C'est donc un drame?
— Un drame passionnel, oui, en même
temps qu'historique en plusieurs de ses par-
ties. Ma pièce, simple etclaire en ses grandes
lignes, commence et finit dans l'espace des
quatre jours qui précédèrent la rentrée à
Paris de Napoléon, au retour de lile d'Elbe.
Avant d'en écrire le premier mot, j'ai lu,
compulsé, fouillé tous les ouvrages ou mé-
moires ayant trait à cotte époque, — ceux
de Thiébault, Marbot, Mac-Donald, Oudi-
not, Talleyrand, Bouriennc, les lettres de
Fouché à Mme de Custine, les cahiers du
capitaine Cogniet, etc., etc.
A l'aide des nombreux documents que j'ai
découverts, j'ai tenté de reconstituer d'une
façon curieuse et intéressante le tableau des
intrigues politiques, militaires et policières
qui ont amené la chute de la première Res-
tauration. — Ai-je réussi ? — Je le saurai le
soir de la première représentation. En tout
cas, que les blagueurs se méfient et n'aillent
pas m'attribuer les mots historiques dont le
dialogue de mon drame est émaillé.
— Et le principal personnage de votre
pièco, le colonel de Roquebrune t
— Un enfant du peuple, soldat du premier
empire et parvenu aux plus hauts grades, à
force d'énergie, de courage et d'héroïsme.
Une figure rappelant celle du général Rapp
ou du général Lasalle, ou plus exactement
encore celle du héros d'Eylau, de Leipzig et
de Waterloo, le général Marbot.
Soldat épique, familier et sensible, vrai
cocardier de l'époque, mon Roquebrune con-
duit et domine tou.e l'action.
— C'est à Coquelin naturellement que
vous en avez confié l'inte. prétation ?
— Oui, et cela je puis vous l'affirmer dès
aujourd'hui, il sera merveilleux! Quel
homme et surtout quel maître! Tour à tour
il répète et avec un talent toujours égal tous
les rôles, ceux des hommes comme ceux des
femmes, et si mon œuvre n'est pas bien in-
terprétée, la faute n'en sera certes pas à
lui. De ce côté, d'ailleurs, je suis tranquille :
avec des artistes comme Desjardins, Saint-
Germain, Gravier, Jean Coquelin, Segond,
Mlle Brindeau et Mlle Esquilar, je n'ai rien
à redouter.
— Combien de tabloaux ?
— Six et peints par Amable et Jambon.
Au dernier, trois cents personnes en scènj,
quatorze chevaux, la berline de Napoléon
et Napoléon lui-même. Tous les costumes
exécutés par Millet.
— J'ai entendu dire qu'il y avait au pre-
mier acte un certain duel au sabre appelé à
faire sensation. — Est-ce vrai?
— Oui, mais silence, vous m'en feriez trop
dire.
— Une dernière question : Pourquoi vous
êtes-vous tenu si longtemps éloigné du théâ-
tre ?
— J'ai voulu assister en simple spectateur
à l'évolution qui s'est opérée depuis quel-
ques années dans l'art dramatique, curieux
de voir si la psychologie l'emporterait ^au
théâtre sur l'action, si la nouvelle formule
triompherait de l'ancienne. Si le problème
n'est pas résolu encore, il me semble qu'à
l'heure actuelle, surtout dans un théâtre de
drame, une œuvre d'imagination pure et
contenant tous les éléments essentiels du
drame, est appelée à réussir.
Je saurai bientôt si je me suis trompé.
- Encore un mot : la répétition générale.
- Aura lieu mercredi soir, dans le huis
clos le plus absolu, c'est-à-dire devant la
presse seulement.
Alors que j'entends ne relever que de leur
loyauté et de leur justice, je ne veux pas
que les critiques puissent m'accuser d'avoir
convoqué à cette répétition le ban et l'arriére-
ban d3 mes amis, dans le but d'influencer
d'une façon quelconque leur jugement.
Sur cette énergique et catégorique décla-
ration, je prends congé de M. Georges
Ohnet et de sa charmante famille, en faisant
les vœux les plus ardents et les plus sincè-
res pour le succès du Colonel de Roquebrune.
GRENET-OANGOURT.
L'ESPAGNE ET LES ÉTATS-UNIS
L'état du conflit hispano-américain ne
s'est guère modifié depuis hier.
Le secrétaire d'Etat aux affaires étrangè-
res du gouvernement américain a déclaré au
ministre d'Espagne à Washington qu'aucune
complication n était à craindre jusqu'au mois
de mars prochain, par la bonne raison que
M. Cleveland était résolu à ne pas recon-
naître l'indépendance do Cuba, quelle que
soit l'attitude du congrès.
On dit bien, il est vrai, que les députés
radicaux sont très surexcités contre M.
Olney et que certains d'entre eux sont d'ores
et déjà décidés à réclamer la mise en accu-
sation de M. Cleveland si ce dernier refuse
de reconnaître la décision de la majorité des
deux tiers des Chambres. Mais on dit aussi
qu'un groupe assez important de députés et
de sénateurs partagent les sentiments du
président et s'efforceront de faire échec à la
résolution Cameron.
Le mieux qu'on ait à faire, par consé-
quent, c'est de s'abstenir de tout pronostic.
En Espagne, du reste, on semble com-
prendre que le moment est grave et que
que toute manifestation populaire pourrait
amener de déplorables complications.
Citons seulement ces déclarations intéres-
santes du président du conseil, M. Ca-
novas :
« L'Espagne ne provoquera pas un con-
flit; mais tant que je serai président du con-
seil, je ne souffrirai pas d'attentat à la sou-
veraineté de l'Espagne. Je dis ceci av c
calme, sans éclat de voix, car ce n'est pas
nécessaire. Mais je suis résolu à. tenir ma
parole. Voilà mon dernier mot. Il
Quelques journaux, moins prudents, vou-
draient brusquer les choses. Heureusement,
ils sont peu nombreux.
L'attentat de Barcelone
HUIT CONDAMNATIONS A MORT
Une dépêche annonce que le conseil de
guerre do Barcelone a condamné à mort
huit anarchistes pour l'attentat de la rue
Cambios Nue vos.
STATUES ET STATUAIRES
La ville de Marseille se dispose à élever
un monument à Pierre Puget. Ce monu-
ment a été misall concours. Je vois avec
plaisir que, parmi les projets présentés,
celui d'Injalbert, entre autres, a ctc retenu,
ce qui donne à l'auteur du Titan quelques
chances de décrocher la Jimbala.
Injalbert est, de tous nos statuaires, ce-
lui qui se rapproche le plus de Puget. Il
*
s'en est toujours montré, du reste, admira-
teur enthousiaste et volontiers s'en réclame
comme de son maître préféré. Même nature
fougueuse et passionnée, même sentiment
de révolte et de douloureux écrasement. Les
groupes de Milon de Crotone et de Persée
et Andromède, les Prisonniers d'Alexan-
dre, le Martyre de Saint-Sébastien, beau
comme un Michel-Ange, les patientes souf-
frances des formidables Cariatides frater-
nelles, images des travailleurs sur qui pèse
et repose la dure société; torses ruisselants
de portefaix se colletant sur les ports, mate-
lots en bordée se ruant aux filles des bouges,
dos saignant de la chiourme courbée sous
le bâtolt des bagnes, bruits de chaînes et cris
de désespoir, musculatures tendues, violen-
tes soumissions maintenues par la force ou
Vimpérieuse nécessité, tout ce qui trempa
l'âme, tout ce qui fut le génie de Pierre
Puget, on le retrouve dans Vœuvre d'lnjal-
bert :
Colères de boxeur, : prudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand cœur gonflé d'ovgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçais 1
Je cite ces vers de Baudelaire parce qu'il
peut ne pas être inutile de les rappeler à
l'artiste qu'on va charger de Vexécution de
la statue de Puget. Il y trouvera matière à
réflexion et pourra, au besoin, s'en insPirer.
Qu'il n'aille pas surtout nous faire un
Puget vieux. La tendance que montrent les
sculpteurs à n'évoquer qu'à leurf déclin les
personnages qu'ils sont appelés à faire re-
vivre, à ne consulter que leurs derniers por-
traits, vaudrait, sans doute, d'être corrigée.
C'est en art surtout qu'on peut dire que
ceux qui meurent jeunes sont aimés des
dieux. Depiii? Homère,aveugle et caco-
chyme, ce ne sont que statues de vieillards
jalonnant les siècles, comme si les grands
hommes qu'elles prétendent à glorifier n'a-
vaient jamais eu ni beauté ni jeunesse,
comme si leur génie ne s'était épanoui que
dans la décrépitude. Musset, que Mer cié et
Faiguière sont'en -train -de statufierest sûr
du moins d'échapper à ce goÛt déplorable,
de ne pas traîner à travers lès âges les
affreux stigmates de la vieillesse. Mais je
tremble pour Hugo, qui se refusait pour-
tant à poser dans les dernières années de sa
vie : « Vous ave{ les admirables bustes de
David d'Angers », faisait-il doucement ob-
server. Barrias s'en souviendra-t-il quand
il lui faudra fixer la mâle figure du plus
grand des poëtes ?
.,.. C'est ainsi que nous ne connaissons que
de vieux Voltaire : celui de la Comédie-
Française (un chef-d'œuvre, il est vrai);
celui du quat Malaquais, qui est loin d'en
être un autre, etc, Mais le plus inattendu,
c'est le Voltaire de la bibliothèque Ma{a-
rifte. Un marbre de Ptgalle, un Voltaire
vieux nécessairement, et, de plus, entière-
ment nu- nu comme un ver — avec seule-
ment une pÙtme à la main. Il est représenté
assis. A ses pieds, le masque de la Tragédie,
accompagné de l'inévitable poignard*. 14
statue est de grandeur mturâte*
Sur le socle se trouve gravée la dédicace
A monsieur de Voltaire par les gens dly
lettres, ses compatriotes et ses contempo¿
rains. 1770.
Il paraît que Voltaire reeut fort mal le'
cadeau. Il était furieux contre Pigalle, qui
n'avait trouvé rien de mieux que d'offrir
en spectacle l'osseuse nudité d'un vieillarcL
dont la inaigreur était proverbiale. Vol-
taire, dans sa Correspondance, fait plu-
sieurs fois allusion à cette statue et il ne
ménage pas les lardons à son auteur. On là.
sent vivement blessé.
Il lui restait encore huit ans à vivre et
son génie avait gardé toute sa vigueurc
toute sa jeunesse. N'est-ce pas de cette épd,
que que sont datés ces vers charmants, d'uni
note si moderne qu'on les dirait écriÙ
d hier :
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore ?
Il serait intéressant de savoir commen f
cette statue, que Voltaire avait en horreur,
est venue s'étaler publiquement à la porté
d'entrée de la bibliothèque de l'Institut.
CHARLES FRÉMINS.
LA VIE DE PARIS
Par HENRY FOUQUIER
C'est une observation banale que le?
« gloires » parisiennes, quand elles sont
quelque peu décaties et contestées,
trouvent encore assez aisément des.
coins do la province, où elles vont brU.
1er, jusqu'au jour où, par quelque fâ.
cheux accident, elles disparaissent dé.
finitivement. Tels les ténors qui, après
avoir fait les beaux jours des théâtres
de Paris, finissent par aller se faire tris<
tement et cruellement siffler à Mont
pellier ou à Limoges ! C'est une aven
ture de ce genre qui vient d'arriver à
une de nos vieilles connaissances dt.
Paris, Mme Pourpe.
Avait-on assez parlé de cet dame au
moment du boulangisme et au cour
des procès qui suivirent l'incroyable
écroulement de ce mouvement, à lg
fois explicable et si singulier!
Qui sait même si, pour l'observateur
un peu philosophe, la véritable causa
de J'échec piteux du boulangisme, quï
ne pouvait pas réussir, mais qui eut da
finir d'une autre façon, peut-être tragi-
que, ne se trouverait pas tout entière
dans les révél itions que la correspon-
dance, avec Mme Pourpe, nous apporta
sur le véritable caractère du « géné"
rai »? De même que Catherine Théot
éclaire certains recoins mystérieux d6
l'âme de Robespierre, le général Bou-
langer, beaucoup plus simpliste, a été
pour ainsi dire mis à nu par les confi-
dences de sa vieille amie. Ce n'est guère:
que par le rôle joué par cette dame
dans sa vie que le grand public a pu
voir clair dans le caractère du général
Boulanger, de ce pauvre homme, tout
le temps inférieur à sa tâche et à ses
propres ambitions, et dont je parle avec
plus de pitié que d'amertume. Car,
pour moi, sa mort sentimentalement
tragique, a racheté bien des faiblesses
et des fautes.
Donc, Mme Pourpe, très brûlée £
Paris après y avoir été trop brûlante, a
été travailler en province. Bien entendu
avec l'âge qui est venu pour elle, les
aventures galantes ont pris fin et les
correspondances d'un érotisme ose.
Elle n'a pas pu, davantage, continuer à
essayer de vendre une influence qu'elle
n'avait plus et qui fut réelle dans le.
temps. Mais la femme d'intrigue ne
meurt jamais tout entière. Mme Pourpe
avait donc eu l'idée d'acheter, à crédH
(cela s'entend), une auberge dans un
pays de grandes chasses, assurant que.
lorsque la saison des déplacements
cynégétiques serait venue, elle aurait
la plus belle clientèle du monde.
En vue de cette clientèle, elle se fit
livrer par des fournisseurs, toujours-
imbéciles et ne faisant de crédit qu'aux
filous beaux parleurs, une quantité con-
sidérable de meubles, marchandises et
vins. L'auberge portait le nom pitto-
resque d'auberge du « Chasseur en dé-
veine » ! La vraie déveine, c'est que les
fournisseurs, ne voyant pas arriver la
belle clientèle de Mme Pourpe, firent
une série de plaintes au parquet, qui
s'émut. On remonta le cours de l'exis-
tence de la dame depuis son exode de
Paris, et on constata que, pendant sept
ans, elle avait vécu, et pas trop mal,
d'ingénieuses escroqueries, tirant de
l'argent aux bonnes âmes sous dès
prétextes variés, dont le plus ordinaire
était de se donner pour la nièce d'un
haut dignitaire de l'Eglise.
Je dois ajouter, pour être impartial,
que Mme Pourpe se défend comme une
belle diablesse, jurant ses grands dieux
qu'elle a été d'une èorrection parfaite
en toutes choses. Que si on lui demande
de quelles ressources elle a vécu, elle
répond qu'elle a vécu des largesses
d'un sénateur qui lui voulait du bien.
Si le sénateur existe, il doit être bien
ennuyé et, comme on dit, dans ses pe-
tits souliers ! Il paraît que Mme Pourpe
d'ailleurs, le prend d'assez haut avec
les robins, qu'elle a parlé, dans sa dé-
fense, de son rôle politique, assurant
que si on l'avait écoutée et si on avait
écouté ses conseils, les choses se se-
raient différemment passées et qu'elle
aurait sauvé la France. Ça, c'est beau-
coup dire. Il est vrai seulement que, à
un moment, nous avons touché à une
situation de guerre civile. J'aime autant
que le général n'ait pas écouté les con-
seils de sa vieille amie et qu'elle soit
l restée pour lui l'agent sûr d'opérations
moins belliqueuses que celles qji'elU
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