Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-10-22
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 22 octobre 1896 22 octobre 1896
Description : 1896/10/22 (N9722). 1896/10/22 (N9722).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7564545t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2013
-,rt-l -ir INT n nKNTIMES le Numéro; PARIS ET DpARTEME-N-IS
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AUX BUREAUX DU JOURNm
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tchez MM. LAGRANGE, CERF A CM
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1" BRUMAIRE AN 105
ADIIINlSTRATION. 181, rue Mentmartrob im
Aértsar donm m tKMtdotw * tA - YF' ---
- • - NOS LEADERS
t -
farolcs opportunisWS
Discours sur discours. Du côté gou-
vernemental, c'est M. Raynal, c'est
M. Barthou qui parlent au nom de la
coalition opportano - réactionnaire.
L'un nous prêche la réaction au nom
tierailiance russe; l'autre nous jure
que le ministère n'est point du tout
l'allié des monarchistes. Ils ont l'un et
l'autre un certain aplomb.
-- *** ]
Il est toujours triste d'entendre un
Français acclamer dans son pays une
certaine conduite des choses inté-
rieures au nom de l'étranger. C'est ce
q,ue fait pourtant l'auteur des fa-
meuses conventions. Le tsar, s'il fal-
lait l'en croire, serait pour notre Ré-
publique moins un ami qu'un maitre.
(lest à Saint-Pétersbourg que nous
irions demander la façon dont nous
devons gérer nos affaires. La grande
puissance du nord serait l'alliée non
de la France mais d'un parti. Ce ne
serait pas l'alliance russe, mais une
sorte de sainte alliance qui serait sor-
tie des derniers événements. Sainte
alliance bourgeoise, non plus pour le
:gouvernement de droit divin, mais
pour la forme actuelle de la pro-
priété.
On voit quelle est la haute idée que
se fait M. Raynal de l'indépendance de
son pas. Tous ceux qui ont quelque
sentiment de la dignité de la France,
seront unanimes pour flétrir cette
exploitation intéressée de l'union avec
la Russie. Que toute notion de la fierté
qui convient à une démocratie comme
la nôtre, soit éteinte chez l'ami des
grandes compagnies, c'est son affaire.
Un tel appel à la sujétion de la patrie
recevra, chez nous, l'accueil qu'il
mérite.
De la part de M. Raynal, cet appel
suggère des réflexions particulières.
Quoi! l'alliance russe comporte une
certaine introduction de la politique
extérieure de la Russie dans notre po-
litique française! Mais alors, il faut
aller jusqu'au bout. Le gouvernement
du tsar ne nous donne pas seulement
l'exemple de rigueurs excessives con-
tre les « révolutionnaires », il frappe
d'autres ennemis; et l'on sait com-
ment naguère il traitait les enfants
des douze tribus. Les frères de sang de
M. Raynal ont pu, il n'y a pas bien
longtemps, se croire revenus en Rus-
sie, au temps des vastes calamités na-
tionales que la Bible raconte. Sommes-
nous tenus aussi de prendre, sur ce
sujet, les inspirations de notre puis-
sant allié ? Et faut-il aussi importer
cet élément de la politique russe? Vé-
ritablement le cœur se soulève à en-
tendre un ancien ministre de la Répu-
itiique, invoquer l'influence d'un sou-
verain absolu contre l'esprit de la Ré-
volution, un Français réclamer la
pression d'une autre nation sur les
affaires de sa patrie, et un descendant
d'Israël, abriter sa haine contre les
revendications populaires, sous l'auto-
rité des proscripteurs de sa race.
.*
Le tsar semble avoir une plus haute
idée de la dignité et de l'indépendance
du peuple dont il est l'allié. Tout le
monde a remarqué avec quel soin il a
fait en sorte d'ôter à l'esprit de parti
la tentation et les moyens d'exploiter
l'entente entre les deux puissances.
On faisait valoir le caractère absolu
de son autorité, et c'est lui qui a ré-
paré, à l'égard du gouvernement, l'in-
convenance calculée des organisateurs
de la réception. On attribuait à son
gouvernement l'intervention la plus
incorrecte et la plus inadmissible pour
liâter la chute du ministère radical ;
et il a entretenu avec une intention
visible les anciens ministres qu'on
prétendait renversés sur son conseil.
Il est regrettable que M. Raynal n'ait
point profité de la leçon donnée à lui
et à ses amis, puisqu'il en avait besoin
pour apprendre qu'il n'était point sujet
russe.
Cette façon de se réfugier sous la
protection de l'étranger suffit à mon-
trer où en est le parti dont M. Raynal
est l'ornement. On disait, en 1815, que
la royauté revenait dans les fourgons
de l'étranger. L'opportunisme se ré-
fugie derrière les voitures de gala des
fêtes russes. Ne lui reste-t-il donc plus
d'autre ressource que d'essayer d'u-
sarper la livrée impériale de la mai-
son des Romanoff?
**
Quant à M. Barthou, il a entrepris
de nous faire croire qu'il n'est nulle-
ment l'allié de la réaction monar-
chiste et cléricale. Mais il a négligé,
avant de le faire, une précaution es-
sentielle : c'était de faire brûler la
collection du Journal Officiel. Il n'est
tamistre que de par les suffrages des
derlpaux, des royalistes et des bona-
partistes. Depuis l'avènement du cabi-
Méline. il n'y a pas eu, pour ainsi
dire, un vote qui n'eût été un vote de
renversement, sans l'appoint fourni
par la droite toute entière à la mino-
rité des républicains; ôtez à M. Bar
thou le concours de M. d'Hulst, de
M. de Larochefoucauld, de M. de Mun,
des soutanes, des écussons, il est ren-
versé. Cela est plus que notoire ; cela
est officiellement, authentiquement
constaté; et M. Barthou ose soutenir
qu'il n'a rien de commun avec la
réaction ! C'est un peu trop fort.
Il se réfugie dans une équivoque
qu'il n'a pas inventée. « Nous ne tou-
chons pas, dit-il, aux grandes lois de
l'enseignement et du service mili-
taire. » Sans doute, vous n'y touchez
pas, et il y a à cela une raison ma-
jeure : c'est que vous ne pouvez pas le
faire. Le jour où vous le tenteriez, vous
seriez par terre. Il y a une mesure à
tout, même aux services que vous pou-
vez rendre à la réaction. Si votre
bonne volonté n'est pas limitée, vos
moyens le sont. N'est-il pas évident
qu'une tentative aussi exorbitante au-
rait détaché forcément de. vous les ré-
publicains défaillants qui se résignent
à vous laisser au pouvoir? Nest-i1 pas
clair qu'elle aurait rendu impossibles
les faiblèsses de votes dont vous vivez?
Non, vous n'avez pas pu toucher aux
deux fameuses lois de laïcité; mais
qu'en concluez vous, s'il vous plaît?
Que cette circonstance vous brouille
avec la droite? La droite est d'un avis
différent, puisqu'elle vous soutient.
Elle a peut-être qualité pour trancher
la question.
Au fond, elle a de sérieux motifs
pour se résigner passivement au main-
tien de la législation qui excite toutes
ses colères. Le ministère qui essaye-
rait de les lui sacrifier, échouerait, et
se perdrait du coup. Pour avoir voulu
tout avoir, elle n'aurait plus rien du
tout. Elle n'obtiendrait pas le retrait
de lois contre lesquelles il est impos-
sible de réunir une majorité au Palais-
Bourbon ; et elle verrait ses ennemis
d'alors revenir au pouvoir. Mieux vaut
garder un ministère complaisant et ne
pas lui demander l'impossible.
**
Est-ce à dire qu'on renonce pour
cela à se débarrasser de cette législa-
tion républicaine? Point du tout; mais
chaque chose doit venir à son heure.
Ce n'est pas avec la Chambre actuelle,
qu'on peut espérer immoler à l'Eglise
nos institutions laïques. Il faut pour
cela une majorité de réaction plus
solide.Elle estdonc réduite à attendre.
Se préparer des élections moins répu-
blicaines, tel est forcément, aujour-
d'hui, le premier objectif de la droite.
Qu'on réussisse, et vous verrez ce que
deviendront les rares et insuffisantes
réformes déjà réalisées ! Eh bien ! les
élections qui sont, pour la droite, la
condition préalable des résultats à
obtenir, est-ce que M. Barthou n'es-
saye pas de les préparer ? Est-ce que
les cléricaux et les monarchistes n'ont
pas confiance en lui pour cette be-
sogne? Est-ce que ce n'est pas la raison
du concours qu'ils lui prêtent ? Qui
donc M. Barthou compte-t-il tromper?
Les faits sont là, indéniables.
On se demande à quoi peuvent ser-
vir des dénégations du genre de celles
du ministre. Elles ne feront pas oublier
l'évidence au public. Une coalition
qui est condamnée à se produire au
grand jour et à se manifester dans des
votes publics a beau dire : « Je n'existe
pas» : elle perd sa peine. A quoi donc
de telles contestations d'un fait certain
peuvent-elles servir, sinon à montrer
que l'alliance pratiquée par l'opportu-
nismeluiparaîtà lui-même inavouable?
CAMILLE PELLETAN.
Nous publierons demain un article
de M. J.-L. de Lanessan
LES TRA V AUX BUDGÉTAIRES
LE BUDGET DE LA GUERRE
Le général Billot, ministre de la guerre, a
été entendu hier par la commission du budget
au sujet dos réductions opérées par la
commission sur les crédits de la guerre.
Le ministre a commencé par établir une
comparaison entre le budget de 1884 et celui
de 1897.
Les effectifs de 1884 se décomposaient
ainsi: officiers 25,425, soldats 454,459, che-
vaux 128,958. Les effectifs de 1897 compren-
nent : officiers 28,000, soldats 529,000, che-
vaux, 146,000.
Les dépenses en 1884 étaient de 579 mil-
lions 726,663 fr. Les augmentations d'effec-
tifs ont entraîné depuis cette époque une
dépense de 56,621,730 fr.: si on y ajoute les
crédits qu'ont nécessités l'unilication des
soldes dés officiers, les primes et rengage-
ments des sous-officiers, on arrive à un
total de 100,993,730 fr. qui viendraient aug-
menter d'autant les crédits ouverts pour
1884 : de sorte que si des économies n'a.
vaient pas été réalisées d'autre part, le bud-
get de 1897 devrait être de 680,619,393 fr.,
tandis qu'il n'est en réalité que de 601 mil-
lions 300,000 francs.
Si maintenant on compare le budget de
1896 à celui de 1897, on voit que ce dernier
présente une diminution de 6,715,000 fr. sui-
le précédent. En tenant compte des 6 mil-
lions 930,000 fr. de dépenses nouvelles qui
résultent de l'application des lois nouvelles
du développement normal des services, on
constate qu'en réalité le budget de 1896 pré-
sente sur celui de 1897 un excédent de dé-
penses s'élgvant à 13.643JOOO fr-
Le ministre de la guerre a déclaré qu'il
avait malgré ces efforts, recherché de nou-
velles économies.
Il a présenté ensuite des observations sur
les diverses réductions opérées par la com-
mission.
Le ministre de la guerre ne saurait accep-
ter la réduction de 8,000 hommes sur les
effectifs proposée par la commission. L'ar-
mée doit compter 550,000 hommes au mini-
mum si on veut donner aux différents corps
la solidité qui leur est indispensable. Le gé-
néral Billot a vivement insisté auprès de la
commission pour .qu'elle revint sur son
vote.
M. l'intendant général Prioul a pris en-
suite la parole. Il a fourni des renseigne-
ments détaillés sur le fonctionnement des
« masses », et a demandé à la commission
de ne pas réduire les allocations fournies.
Le ministre de la guerre s'est également
opposé à la réduction de 250,000 fr. opérée
sur les frais de service des officiers géné-
raux.
Au sujet ae la fusion des directions et des
états-majors de l'artillerie et du génie, le
ministre de la guerre a déclaré qu'il n'était
pas opposé en principe à cette réforme et
qu'il la mettrait à l'étude malgré l'avis con-
traire formulé par le conseil supérieur de la
guerre. Mais il s'oppose à ce qu'elle se fasse
par voie budgétaire.
En ce qui concerne la désaffectation de
l'hôtel de la place Vendôme et du transfert
aux Invalides du gouvernement militaire de
Paris, le général Billot estime qu'on ne sau-
rait toucher à l'hôtel des Invalides, qui n'est
pas seulement un asile pour les soldats mu-
tilés, qui est surtout un temple militaire, un
monument élevé par le pays reconnaissant
aux vertus héroïques. Cependant les travaux
commences suivront leurs cours et en 1897
on pourra transférer le gouvernement mili-
taire de Paris aux Invalides.
Le ministre de la guerre a indiqué qu'il
avait fait une économie globale de 500,000
francs sur l'ensemble de son budget; mais
un nouvel examen lui a permis de porter ce
chiffre à 1,800,000 fr. Cependant pour mon-
trer sa bonne volonté il déclare qu'il portera
le chiifre d'économies à quatre millions. Mais
le général Billot ne veut pas que ces écono-
mies portent, en aucune façon, sur les effec-
tifs eL les masses; elles seraient réparties
sur différents chapitres du budget. Pour
opérer cette répartition, le ministre demande
au rapporteur, M. Boudenoot de venir dans
la soirée, conférer avec lui.
La commission statuera aujourd'hui sur
les nouvelles propositions du ministre.
—
ÉCHANGES DE VISITES
Ainsi que nous l'avons dit le lendemain
du départ du tsar, l'empereur d'Allemagne a
tenu à faire une visite au souverain russe
actuellement à Darmstadt. Il l'a fait avec
insistance, s'il est permis d'employer cette
expression. Le tsar avait pris soin de bien
marquer ses sentiments en s'arrageant de
façon à aller à Wiesbaden pendant que l'em-
pereur d'Allemagne n'y était pas. Il n'tst
pas allé à la gare de Darmstadt au-devant
de l'empereur et de l'impératrice d'Allema-
gne qui venaient tout exprès pour le voir.
il ne s'est pas montré avec eux en public et
il ne les a pas accompagnés à la gare lors-
qu'ils sont partis. Ce sont là des petites
nuances de politesse, de cordialité qui au-
raient de l'importance même chez des par-
ticuliers et qui n'en ont que plus lorsqu'il
s'agit de souverains chez lesquels le proto-
cole et l'étiquette jouent un si grand rôle.
Si même le tsar rend à Wiesbaden à l'em-
pereur Guillaume la visite que ce dernier lui
a faite, la démarche n'a pas la même impor-
tance. Ne pas rendre la visite serait une im-
politesse pas trop grande — et si l'empereur
Guillaume comble le tsar de prévenances
publiques, on peut être sûr qu'elles ne se-
ront pas pour plaire à celui qui ne cesse de
déclarer que « Paris est une ville idéale » et
pour lequel l'alliance avec la France est la
base de sa politique. A la cour de Berlin, on
le sait fort bien. Mais fort adroitement on
essaie de leurrer l'opinion publique, puis-
qu'on ne peut plus se leurrer soi-même.
WASP.
LES ON-DIT
CAR.NET QUOTIDIEN:
Les courses : A Colombes.
- Durée du jour : II h. 33 m. -
CHEZ NOUS
^—- M. Tisserand, directeur de l'Obser-
vatoire, est mort hier matin, à l'Observa-
toire où il habitait.
M. François-Félix Tisserand, membre de
l'Institut, était né à Nuits (Côte-d'Or) et
s'était de tout temps consacré, dès sa sortie
de l'Ecole normale, aux études astronomi-
ques. Il avait succédé à Leverrier, à l'Ins-
titut, en 1878. Citons, entre ses différents
travaux, ses mémoires sur l'interpolation,
sur les étoiles filantes, sur la détermina-
tion des orbites des planètes 116 et 117,
etc., etc. Il a publié encore un Recueil
complémentaire d'exercices sur le calcul et
un Traité de mécanique céleste.
M. Tisserand n'avait que cinquante ans.
Ses obsèques seront célébrées vendredi
matin, à l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas.
- Mme Delpeuch, femme du sous-
secrétaire d'Etat aux postes et télégraphes,
est décédée hier matin à six heures. Mme
Delpeuch avait, comme on s'en souvient,
subi samedi une douloureuse opération.
Les obsèques auront lieu jeudi, à midi.
- Maria Hérubel, la jeune phtisique
dont l'année dernière de Cesti avait sub-
stitué les crachats à ceux de Max Lebaudy,
alors en convalescence à l'hôpital militaire
de Rouen, vient de mourir à l'Hôtel-Dieu
de cette ville.
- L'affaire de M. Cornudet avec M.
Moguez se terminera devant les tribunaux
M. Moguez ayant déclaré ne pouvoir accep- <
ter de se battre à l'épée (arme choisie par
M. Cornudet) à cause d'une fracture du
bras droit.
M. Adolphe Brisson avait également
reçu les témoins de M. Cornudet. Le pro-
cès-verbal déclare que M. Adolphe Brisson
n'ayant jamais songé à mettre en doute
l'honorabilité et la bonne foi de M. Cor-
nudet, l'affaire n'aura pas de suites.
Un collaborateur du Temts, qui
signe Sganarelle (et dont le tour d'esprit
rappelle étonnamment celui de l'illustre
critique dramatique, notre oncle à tous),
revient hier sur cette phrase d'un journal
anglais que voici quelques jours, j'avais
découpée moi-même, pour l'édification des
lecteurs de mes pauvres « on-dit ».
Lord Salisbury a été hier victime d'un
accident grave. Ses chevaux ont renversé un
enfant et l'ont piétiné ; les roues lui ont
passé sur le corps ; on l'a transporté à l'hô-
pital ; son état est grave.
L'état de l'enfant, bien entendu 1
Ainsi que moi, Sganarelle s'estomire
comme de raison du comique macabre de
cette rédaction.
A rapprocher d'un ancien article signé
« Francisque Sarcey » paru dans le journal
la France et qui débute en ces termes :
« Il vient de m'arriver une des aventu-
res les plus désagréables qui puissent arri-
ver à un homme. Mon secrétaire s'est jeté
par la fenêtre. »
Celle-là, elle me semble de derrière les
« fagots ». Qu'en pense Sganarelle ?
Le Passant.
——-1 ■ i.
LA CORRESPONDANCE
DE
VICTOR HUGO
Ainsi que nous l'avons annoncé, la Cor-
respondance de Victor Hugo parait demain
jeudi, chez Calmann-Lévy. Parmi tant de
lettres curieuses, intéressantes et belles,
nous en détachons presque au hasard quel-
ques-unes.
Voici un billet écrit par Victor Hugo à
Lamennais, pour lui annoncer son mariage :
A' monsieur l'abbé de Lamennais
à la Chesnaie
1er septembre 1822.
Il faut que je vous écrive, mon illus-
tre ami; je vais être heureux. Il man-
querait quelque chose à mon bonheur
si vous n'en étiez le premier informé.
Jo vais me marier. Je voudrais plus
que jamais que vous fussiez à Paris
pour connaître l'ange qui va réaliser
tous mes rêves de vertu et de félicité.
Je n'ai point osé vous parler jusqu'ici
de ce qui remplit mon existence. Tout
mon avenir était encore en question, et
je devais respecter un secret qui n'était
pas le mien seulement. Je craignais
d'ailleurs de blesser votre austérité
sublime par l'aveu d'une passion in-
domptable, quoique pure et innocente.
Mais aujourd'hui que tout se réunit
pour me faire un bonheur selon ma
volonté, je ne doute pas que tout ce
qu'il y a de tendre dans votre âme ne
s'intéresse à un amour aussi ancien
que moi, à un amour né dans les pre-
miers^jours de l'enfance et développé
par la première .affliction de la jeu-
nesse.
VIGTOR-M. HUGO.
Il écrit à Alfred de Vigny :
A monsieur le comte Alfred de Vigny,
officier au 5° régiment de la garde
royale, à Rouen.
30 juillet 1821.
Vous ne vous doutez guère, mon bon
Alfred, d'où cette lettre est écrite ; je
suis à Dreux ! c'est-à-dire assez près de
vous, sans pouvoir toutefois être avec
vous. Or, voici comment il se fait que
ma machine fatiguée et épuisée soit
maintenant dans ce vieux pays des
Druides. Un de mes amis, qui va partir
pour la Corse et habite momentanément
une villa entre Dreux et Nonancourt,
m'a demandé quelques jours de mon
temps, que je n'ai point refusés, vu
l'imminence de son départ.
Me voilà donc ici depuis hier, visitant
Dreux, et me disposant à prendre la
route de Nonancourt.
J'ai fait tout le voyage à pied, par un
soleil ardent et des chemins sans ombre
d'ombre.
Je suis harassé, mais tout glorieux
d'avoir fait vingt lieues sur mes jambes ;
je regarde toutes les voitures en pitié ;
si vous étiez avec moi en ce moment,
jamais vous n'auriez vu plus insolent
bipède. Quand je pense qu'il faut à
Soumet un cabriolet pour aller du
Luxembourg à la Chaussée-d'Antin, je
serais tenté de me croire d'une nature
supérieure à la sienne, comme animal.
Cette expérience m'a prouvé qu'on peut
marcher avec ses pieds.
Je dois beaucoup à ce voyage, Alfred :
il m'a un peu distrait. J'étais las de
cette triste maison. Je suis seul ici,
mais n'étais-je pas seul aussi là-bas? Il
y a seulement quelque chose de plus
matériel dans mon isolement.
J'ai passé à Versailles une journée
avec notre bon Gaspard. Vous lui avez
écrit; peut-être m'avez-vous écrit aussi,
et votre lettre est-elle arrivée à Paris
pendant mon absence, m'apportant une
joie pour mon retour ? Je me complais
dans cette idée. J'espère que vous n'au-
rez pas oublié les beaux vers que vous
m'avez promis. Cher Alfred, vous êtes
heureux et poète ; moi je végète.
Il n'y a ici d'autres ruines que celles
du château de Dreux ; je les ai visitées
hier soir et, ce matin, je les visiterai
encore, ainsi que le cimetière. Ces rui-
nes m'ont plu. Figurez-vous, sur une
colline haute et escarpée, de vieilles
tours de cailloux noyés dans la chaux,
décrénelées, inégales, et liées ensem-
ble par de gros pans de mur où le
temps a fait encore plus de brèches que
les assauts.
Au milieu de toutes ces pierres, des
blés et des luzernes ; et au-dessus de
tout, un télégraphe, à côté duquel on
construit la chapelle funèbre des d'Or-
léans.
Cette chapelle blanche et inachevée
contraste avec la forteresse noire et
détruite; c'est un tombeau qui s'élève
surtm palais qui croule. Du pied de la
tour télégraphique, on voit dans le val-
lon de l'Ouest des croix de bois, des
pierres minées et, debout, des touffes
d'arbres ; c'est le cimetière. Dans le val-
lon de l'Est, c'est la ville. Aussi les deux
vallées sont différemment peuplées.
Il n'y a aucun monument druidique ;
Dreux a donné son nom aux Druides, et
ils ne lui ont point laissé de vestiges.
J'en suis fâché pour eux, pour la ville,
et pour moi.
Les bords d'une petite rivière où je
me suis baigné en arrivant sont très
frais ; je m'y promenais tout à l'heure
sous les trembles et les bouleaux, et je
pensais à tous nos amis qui sont en-
semble dans la grande vallée et nous
oublient peut-être entre eux.
Mais vous , Alfred, qui êtes seul
comme moi, vous pensiez à moi, n'est-
il pas vrai? pendant que je songeais
à vous dans ma tristesse et mon aban-
don.
Adieu, cette lettre est pour vous
donner signe de vie et vous montrer
que vous avez un ami qui s'exerce à
rejouer avec le malheur , qui pense
comme un homme et qui marche comme
un cheval.
Je vous embrasse cordialement, por-
tez-vous bien et écrivez-moi.
Voire ami dévoué,
VICTOR.
Voici une lettre qu'il adresse à Armand
Carrel :
Ce 15 mars 1830.
J'avais travaillé cette nuit jusqu'à
cinq heures du matin et je dormais
profondément quand M. Armand Carrel
est venu. Je regrette bien qu'on ne
m'ait pas réveillé, et je le regrette non
pour M. Carrel, mais pour moi. Je suis
trop morose et trop timide à la fois pour
que personne ait jamais grand souci de
me connaître et pour que j'aie de mon
côté grande envie de connaître les au-
tres. Cependant ces occasions de ren-
contres avec d'autres hommes, que j'é-
vite volontiers par goût de solitude et
par tristesse de caractère, je les ai tou-
jours désirées avec M. Carrel. Je ne
vois pas pourquoi je n'en conviendrais
pas ici, quelque avantage que cet aveu
lui donne sur moi.Tout ce que je sais de
lui, soit par ses ouvrages, soit par ses
amis, la nature âpre et forte desontalent
et de soncaractère,cette vie pleined'hon-
neur et de courage, de si bonne heure
disputée auxtribunaux politiques, tout.
jusqu'à cette seule fois où j'ai causé
avec lui chez Rabbe et où j'ai eu, m'a-
t-on dit, le malheur de le blesser, ani-
més que nous étions tous deux alors
d'exaltation politique bien contraire,
tout cela m'a inspiré depuis longtemps
pour M. Carrel une de ces fortes sym-
pathies qui d'ordinaire se résolvent tôt
ou tard en amitié.
• Et après tout, si opposés que nous
puissions aujourd'hui nous sembler
l'un à l'autre, peut-être y a-t-il entre
nous plus d'analogie que M. Carrel ne
le croit lui-même. J'ai lutté pendant
qu'il luttait; tandis qu'il remontait le
courant politique, je remontais, moi, le
courant littéraire. Nous avons été en
auelque sorte proscrits en même
temps. Seulement son affaire a été plus
sérieuse que la mienne, et partant bien
autrement belle. Je n'ai été mis hors la
loi que par l'Académie.
Voilà du reste huit ans que je sup-
porte la chaleur du jour, huit ans que
je poursuis ma tâche, sans m'en lais-
ser distraire par le soin de ma défense
personnelle contre mille attaques qui
n'ont cessé de pleuvoir sur moi chaque
jour. A une époque où tout se fait par
les salons et par les journaux, j'ai com-
mencé et continué ma route sans un
salon, sans un journal. Toute mon
affaire a été de solitude, de conscience
et d'art. Et je prie M. Carrel de faire
attention à ceci : destiné à une grande
fortune sous l'Empire, l'Empire et la
fortune m'ont manqué. Je me suis
trouvé à vingt ans marié, père de fa-
mille, n'ayant pour tout bien que mon
travail et vivant au jour le jour, comme
un ouvrier, tandis que Ferdinand VII
mangeait mon revenu englobé dans les
siens par le séquestre. Or, depuis cette
époque, et la chose est peut-être assez
rare pour que je m'en glorifie, obligé
de vivre et de faire vivre les miens
avec ma plume, je l'ai maintenue pure
de toute spéculation, libre de tout
contrat mercantile. J'ai fait bien ou mal
de la littérature, et jamais de la librai-
rie. Pauvre, j'ai cultivé l'art comme un
riche, pour l'art, avec plus de souci de
l'avenir que du présent. Obligé par le
malheur des temps de faire à la fois
une œuvre et une besogne, je puis dire
que jamais la besogne n'a taché l'œu-
vre.
Voilà ce que j'eusse dit, avec détail
et parce qu'un homme comme lui en
vaut la peine, à M. Armand Carrel, si
j'avais eu l'honneur de le voir. Il est du
reste la première personne pour qui
j'aie entr'ouvert de la sorte la porte de
ma vie intérieure, et je le prie quoi
qu'il pense de cette lettre, de la tenir
secrète entre nous deux.
Quant à Hernani, nous en voilà main-
tenant bien loin, nous voilà, ce me
semble, bien plus haut. Je m'occupe
beaucoup plus dans cette affaire de
M. Armand Carrel que du Naltonal. Je
sais que les journaux peuvent nuire ou
servir matériellement ; mais voilà ma !
vie assurée pour dix-huit mois, et par
conséquent le côté matériel de l'affaire
m'inquiète peu. Je ne suis pas fâché du
reste, en y réfléchissant, de n'avoir
point vu M. Armand Carrel puisqu'il a
encore un article à faire. Je n'aurais
pas voulu qu'il me supposât l'intention
de l'influencer, et j'espère qu'il n'en a
pas eu la pensée. Plus tard, s'il le veut
bien, j'irai le chercher, et, quel que
soit son article, lui serrer la main.
Quel que soit son article, dis-je, car
je lui en saurai toujours un gré ex.
trême. Sévère, il me plaira par sa fran-
chise; bienveillant, rien ne saurait
m'être plus précieux, car l'estime d'Olt
homme supérieur redonne force et cou*
rage contre les hommes médiocres.
VICTOR HUGO.
En 1832, à la suite de l'insurrection di
juin, Paris fut mis en état de siège : on pdt
craindre à ua moment une réaction san-
glante et il fut question d'insérer dans Il
National, dont Armand Carrel était le c&<
dacteur en chef, une protestation revêtus
de signatures. Sainte-Beuve demanda à
Victor Hugo son nom. Victor Hugo lui êcrf
vit le billet et la lettre qui suivent :
Ce 7 juin, dix heures du soir [1832].
Jo rentre, mon cher ami; l'heure de
rendez-vous au National est passée
Mais je m'unis à vous de grand cœur.
Je signerai tout ce que vous signerez.
à la barbe de l'état de siège.
Votre ami dévoué,
VICTOR.
12 juin 1832.
Je ne suis pas moins indigné que
vous, mon cher ami, de ces misérables
escamoteurs politiques qui font dispa-
raître l'article 14 et qui se réservent la
mise en état de siège dans le double
fond de leur gobelet!
J'espère qu'ils n'oseront pas jeter aux
murs de Grenelle ces jeunes cervelles
trop chaudes, mais si généreuses. Si
les faiseurs d'ordre public essayaient
d'une exécution politique, et que quatre
hommes de cœur voulussent faire une
émeute peur sauver les victimes, je se-
rais le cinquième.
Oui, c'est un triste, mais un beau su-
jet de poésie que toutes ces folies trem-
pées de sang! Nous aurons un jour une
République, et quand elle viendra, elle
sera bonne. Mais ne cueillons pas en
mai le fruit qui ne sera mur qu'en août.
Sachons attendre. La République pro-
clamée par la France en Europe, ce sera
la couronne de nos cheveux blancs.
Mais il ne faut pas souffrir que des gou-
jats barbouillent de rouge notre ara..
peau. Il ne faut pas, par exemple, qu'un
Frédéric Soulié, dévoué il y a un an à
la quasi-censure dramatique de M.
d'Argout, clabaude à présent en ptain
café qu'il va fondre des balles. U ne
faut pas qu'un Fontan annonce en plein
cabaret pour la fin du mois quatre
belles guillotines permanentes dans les
quatre places principales de Paris. Ces
gens-là font reculer l'idée politique qui
avancerait sans eux. Ils effrayent l'hon-
nête boutiquier qui devient féroce du
contre-coup. Ils font de la République
un épouvantail. 93 est un triste asticot.
Parlons un peu moins de Robespierre
et un peu plus de Washington.
Adieu. Nous nous rencontrerons bien-
tôt, j'espère. Je travaille beaucoup en
ce moment. Je vous approuve de tout
ce que vous avez fait, en regrettant
que la protestation n'ait pas paru. En
tout cas, mon ami, maintenez ma si-
gnature près de la vôtre.
Votre frère.
VICTOR.
Nous publierons demain des lettres de
Victor Hugo au roi Joseph, à Jules Leche-
valier et à Léopoldine Hugo.
TABLETTES DU PROGRÈS
Par GEORGES VITOUX
APRÈS LAaCIDE
Je devais m'y attendre f
Tout naturellement, le déplorable ac-
cident survenu samedi dernier à l'usine
Pictet vient de m'attirer un certaift.
nombre de correspondances dans les-
quelles on me demande comment peu-
vent se concilier avec les faits mes pré-
cédentes assertions relatives aux avan-
tages, en ce qui concerne la sécurité,
de l'acétylène liquide.
Au premier abord, assurément, une
telle observation paraît être sans répli-
que possible. Comment, en effet, con-
tester l'extrême danger alors que les
victimes viennent à peine de disparaî-
tre? Et pourtant, telle est bien la réa-
lité des choses ! L'explosion de la rue
Championnet, — les faits sont là qui le
démontrent, nous le verrons tout à
l'beure,-n'aen dépit de son importance
d'autre caractère que celui de tout ac-
cident d'usine. L'industrie a son mar-
tyrologe dont la fatalité et l'imprudence
sont les ordinaires pourvoyeurs. Est-
ce à dire pour cela que l'on doive sup-
primer tout chantier, de façon à rendre
impossible les catastrophes ?
Personne ne voudrait soutenir une
telle proposition. Dans toute entreprise,
l'on sait qu'il y aura un déchet, aussi
bien en existences humaines qu'en ma-
tériel ou en produits, et, comme ce dé-
chet est inévitable, la seule préoccupa-
tion que l'on ait et que l'on puisse avoir
est de s'employer à le réduire à un mi-
nimum le plus faible possible.
C'est que la mort, hélas, embusquée
au coin de tout engrenage, derrière
toute machine, partout enfin, guette
sans cesse le travailleur, et, chacua
sait du reste si bien qu'il en est ainsi,
que c'est à peine si dans la vie cou-
rante l'on prête attention aux mille et
une victimes de chaque jour.
Pour émouvoir l'opinion publique, il
faut la catastrophe exceptionnelle, celle
qui frappe par son étendue comme les
coups de grisou dans les mines, conmu
les rencontres de trains ou les naufra-
ges de grands paquebots, ou par soa
imprévu comme l'explosion survenue A
l'usine Pietet.
Pour celle-ci, en effet, il est à remar-
quer qu'en dépit de la mort cruelle de
deux ouvriers, elle a été, en somme, re-
lativement peu grave. Une bonbonne f
fait explosion, oar suite d'une iaannp
XJô Ttf ti rïi ë x-oTCJÏTV O "CEWf m*ea
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farolcs opportunisWS
Discours sur discours. Du côté gou-
vernemental, c'est M. Raynal, c'est
M. Barthou qui parlent au nom de la
coalition opportano - réactionnaire.
L'un nous prêche la réaction au nom
tierailiance russe; l'autre nous jure
que le ministère n'est point du tout
l'allié des monarchistes. Ils ont l'un et
l'autre un certain aplomb.
-- *** ]
Il est toujours triste d'entendre un
Français acclamer dans son pays une
certaine conduite des choses inté-
rieures au nom de l'étranger. C'est ce
q,ue fait pourtant l'auteur des fa-
meuses conventions. Le tsar, s'il fal-
lait l'en croire, serait pour notre Ré-
publique moins un ami qu'un maitre.
(lest à Saint-Pétersbourg que nous
irions demander la façon dont nous
devons gérer nos affaires. La grande
puissance du nord serait l'alliée non
de la France mais d'un parti. Ce ne
serait pas l'alliance russe, mais une
sorte de sainte alliance qui serait sor-
tie des derniers événements. Sainte
alliance bourgeoise, non plus pour le
:gouvernement de droit divin, mais
pour la forme actuelle de la pro-
priété.
On voit quelle est la haute idée que
se fait M. Raynal de l'indépendance de
son pas. Tous ceux qui ont quelque
sentiment de la dignité de la France,
seront unanimes pour flétrir cette
exploitation intéressée de l'union avec
la Russie. Que toute notion de la fierté
qui convient à une démocratie comme
la nôtre, soit éteinte chez l'ami des
grandes compagnies, c'est son affaire.
Un tel appel à la sujétion de la patrie
recevra, chez nous, l'accueil qu'il
mérite.
De la part de M. Raynal, cet appel
suggère des réflexions particulières.
Quoi! l'alliance russe comporte une
certaine introduction de la politique
extérieure de la Russie dans notre po-
litique française! Mais alors, il faut
aller jusqu'au bout. Le gouvernement
du tsar ne nous donne pas seulement
l'exemple de rigueurs excessives con-
tre les « révolutionnaires », il frappe
d'autres ennemis; et l'on sait com-
ment naguère il traitait les enfants
des douze tribus. Les frères de sang de
M. Raynal ont pu, il n'y a pas bien
longtemps, se croire revenus en Rus-
sie, au temps des vastes calamités na-
tionales que la Bible raconte. Sommes-
nous tenus aussi de prendre, sur ce
sujet, les inspirations de notre puis-
sant allié ? Et faut-il aussi importer
cet élément de la politique russe? Vé-
ritablement le cœur se soulève à en-
tendre un ancien ministre de la Répu-
itiique, invoquer l'influence d'un sou-
verain absolu contre l'esprit de la Ré-
volution, un Français réclamer la
pression d'une autre nation sur les
affaires de sa patrie, et un descendant
d'Israël, abriter sa haine contre les
revendications populaires, sous l'auto-
rité des proscripteurs de sa race.
.*
Le tsar semble avoir une plus haute
idée de la dignité et de l'indépendance
du peuple dont il est l'allié. Tout le
monde a remarqué avec quel soin il a
fait en sorte d'ôter à l'esprit de parti
la tentation et les moyens d'exploiter
l'entente entre les deux puissances.
On faisait valoir le caractère absolu
de son autorité, et c'est lui qui a ré-
paré, à l'égard du gouvernement, l'in-
convenance calculée des organisateurs
de la réception. On attribuait à son
gouvernement l'intervention la plus
incorrecte et la plus inadmissible pour
liâter la chute du ministère radical ;
et il a entretenu avec une intention
visible les anciens ministres qu'on
prétendait renversés sur son conseil.
Il est regrettable que M. Raynal n'ait
point profité de la leçon donnée à lui
et à ses amis, puisqu'il en avait besoin
pour apprendre qu'il n'était point sujet
russe.
Cette façon de se réfugier sous la
protection de l'étranger suffit à mon-
trer où en est le parti dont M. Raynal
est l'ornement. On disait, en 1815, que
la royauté revenait dans les fourgons
de l'étranger. L'opportunisme se ré-
fugie derrière les voitures de gala des
fêtes russes. Ne lui reste-t-il donc plus
d'autre ressource que d'essayer d'u-
sarper la livrée impériale de la mai-
son des Romanoff?
**
Quant à M. Barthou, il a entrepris
de nous faire croire qu'il n'est nulle-
ment l'allié de la réaction monar-
chiste et cléricale. Mais il a négligé,
avant de le faire, une précaution es-
sentielle : c'était de faire brûler la
collection du Journal Officiel. Il n'est
tamistre que de par les suffrages des
derlpaux, des royalistes et des bona-
partistes. Depuis l'avènement du cabi-
Méline. il n'y a pas eu, pour ainsi
dire, un vote qui n'eût été un vote de
renversement, sans l'appoint fourni
par la droite toute entière à la mino-
rité des républicains; ôtez à M. Bar
thou le concours de M. d'Hulst, de
M. de Larochefoucauld, de M. de Mun,
des soutanes, des écussons, il est ren-
versé. Cela est plus que notoire ; cela
est officiellement, authentiquement
constaté; et M. Barthou ose soutenir
qu'il n'a rien de commun avec la
réaction ! C'est un peu trop fort.
Il se réfugie dans une équivoque
qu'il n'a pas inventée. « Nous ne tou-
chons pas, dit-il, aux grandes lois de
l'enseignement et du service mili-
taire. » Sans doute, vous n'y touchez
pas, et il y a à cela une raison ma-
jeure : c'est que vous ne pouvez pas le
faire. Le jour où vous le tenteriez, vous
seriez par terre. Il y a une mesure à
tout, même aux services que vous pou-
vez rendre à la réaction. Si votre
bonne volonté n'est pas limitée, vos
moyens le sont. N'est-il pas évident
qu'une tentative aussi exorbitante au-
rait détaché forcément de. vous les ré-
publicains défaillants qui se résignent
à vous laisser au pouvoir? Nest-i1 pas
clair qu'elle aurait rendu impossibles
les faiblèsses de votes dont vous vivez?
Non, vous n'avez pas pu toucher aux
deux fameuses lois de laïcité; mais
qu'en concluez vous, s'il vous plaît?
Que cette circonstance vous brouille
avec la droite? La droite est d'un avis
différent, puisqu'elle vous soutient.
Elle a peut-être qualité pour trancher
la question.
Au fond, elle a de sérieux motifs
pour se résigner passivement au main-
tien de la législation qui excite toutes
ses colères. Le ministère qui essaye-
rait de les lui sacrifier, échouerait, et
se perdrait du coup. Pour avoir voulu
tout avoir, elle n'aurait plus rien du
tout. Elle n'obtiendrait pas le retrait
de lois contre lesquelles il est impos-
sible de réunir une majorité au Palais-
Bourbon ; et elle verrait ses ennemis
d'alors revenir au pouvoir. Mieux vaut
garder un ministère complaisant et ne
pas lui demander l'impossible.
**
Est-ce à dire qu'on renonce pour
cela à se débarrasser de cette législa-
tion républicaine? Point du tout; mais
chaque chose doit venir à son heure.
Ce n'est pas avec la Chambre actuelle,
qu'on peut espérer immoler à l'Eglise
nos institutions laïques. Il faut pour
cela une majorité de réaction plus
solide.Elle estdonc réduite à attendre.
Se préparer des élections moins répu-
blicaines, tel est forcément, aujour-
d'hui, le premier objectif de la droite.
Qu'on réussisse, et vous verrez ce que
deviendront les rares et insuffisantes
réformes déjà réalisées ! Eh bien ! les
élections qui sont, pour la droite, la
condition préalable des résultats à
obtenir, est-ce que M. Barthou n'es-
saye pas de les préparer ? Est-ce que
les cléricaux et les monarchistes n'ont
pas confiance en lui pour cette be-
sogne? Est-ce que ce n'est pas la raison
du concours qu'ils lui prêtent ? Qui
donc M. Barthou compte-t-il tromper?
Les faits sont là, indéniables.
On se demande à quoi peuvent ser-
vir des dénégations du genre de celles
du ministre. Elles ne feront pas oublier
l'évidence au public. Une coalition
qui est condamnée à se produire au
grand jour et à se manifester dans des
votes publics a beau dire : « Je n'existe
pas» : elle perd sa peine. A quoi donc
de telles contestations d'un fait certain
peuvent-elles servir, sinon à montrer
que l'alliance pratiquée par l'opportu-
nismeluiparaîtà lui-même inavouable?
CAMILLE PELLETAN.
Nous publierons demain un article
de M. J.-L. de Lanessan
LES TRA V AUX BUDGÉTAIRES
LE BUDGET DE LA GUERRE
Le général Billot, ministre de la guerre, a
été entendu hier par la commission du budget
au sujet dos réductions opérées par la
commission sur les crédits de la guerre.
Le ministre a commencé par établir une
comparaison entre le budget de 1884 et celui
de 1897.
Les effectifs de 1884 se décomposaient
ainsi: officiers 25,425, soldats 454,459, che-
vaux 128,958. Les effectifs de 1897 compren-
nent : officiers 28,000, soldats 529,000, che-
vaux, 146,000.
Les dépenses en 1884 étaient de 579 mil-
lions 726,663 fr. Les augmentations d'effec-
tifs ont entraîné depuis cette époque une
dépense de 56,621,730 fr.: si on y ajoute les
crédits qu'ont nécessités l'unilication des
soldes dés officiers, les primes et rengage-
ments des sous-officiers, on arrive à un
total de 100,993,730 fr. qui viendraient aug-
menter d'autant les crédits ouverts pour
1884 : de sorte que si des économies n'a.
vaient pas été réalisées d'autre part, le bud-
get de 1897 devrait être de 680,619,393 fr.,
tandis qu'il n'est en réalité que de 601 mil-
lions 300,000 francs.
Si maintenant on compare le budget de
1896 à celui de 1897, on voit que ce dernier
présente une diminution de 6,715,000 fr. sui-
le précédent. En tenant compte des 6 mil-
lions 930,000 fr. de dépenses nouvelles qui
résultent de l'application des lois nouvelles
du développement normal des services, on
constate qu'en réalité le budget de 1896 pré-
sente sur celui de 1897 un excédent de dé-
penses s'élgvant à 13.643JOOO fr-
Le ministre de la guerre a déclaré qu'il
avait malgré ces efforts, recherché de nou-
velles économies.
Il a présenté ensuite des observations sur
les diverses réductions opérées par la com-
mission.
Le ministre de la guerre ne saurait accep-
ter la réduction de 8,000 hommes sur les
effectifs proposée par la commission. L'ar-
mée doit compter 550,000 hommes au mini-
mum si on veut donner aux différents corps
la solidité qui leur est indispensable. Le gé-
néral Billot a vivement insisté auprès de la
commission pour .qu'elle revint sur son
vote.
M. l'intendant général Prioul a pris en-
suite la parole. Il a fourni des renseigne-
ments détaillés sur le fonctionnement des
« masses », et a demandé à la commission
de ne pas réduire les allocations fournies.
Le ministre de la guerre s'est également
opposé à la réduction de 250,000 fr. opérée
sur les frais de service des officiers géné-
raux.
Au sujet ae la fusion des directions et des
états-majors de l'artillerie et du génie, le
ministre de la guerre a déclaré qu'il n'était
pas opposé en principe à cette réforme et
qu'il la mettrait à l'étude malgré l'avis con-
traire formulé par le conseil supérieur de la
guerre. Mais il s'oppose à ce qu'elle se fasse
par voie budgétaire.
En ce qui concerne la désaffectation de
l'hôtel de la place Vendôme et du transfert
aux Invalides du gouvernement militaire de
Paris, le général Billot estime qu'on ne sau-
rait toucher à l'hôtel des Invalides, qui n'est
pas seulement un asile pour les soldats mu-
tilés, qui est surtout un temple militaire, un
monument élevé par le pays reconnaissant
aux vertus héroïques. Cependant les travaux
commences suivront leurs cours et en 1897
on pourra transférer le gouvernement mili-
taire de Paris aux Invalides.
Le ministre de la guerre a indiqué qu'il
avait fait une économie globale de 500,000
francs sur l'ensemble de son budget; mais
un nouvel examen lui a permis de porter ce
chiffre à 1,800,000 fr. Cependant pour mon-
trer sa bonne volonté il déclare qu'il portera
le chiifre d'économies à quatre millions. Mais
le général Billot ne veut pas que ces écono-
mies portent, en aucune façon, sur les effec-
tifs eL les masses; elles seraient réparties
sur différents chapitres du budget. Pour
opérer cette répartition, le ministre demande
au rapporteur, M. Boudenoot de venir dans
la soirée, conférer avec lui.
La commission statuera aujourd'hui sur
les nouvelles propositions du ministre.
—
ÉCHANGES DE VISITES
Ainsi que nous l'avons dit le lendemain
du départ du tsar, l'empereur d'Allemagne a
tenu à faire une visite au souverain russe
actuellement à Darmstadt. Il l'a fait avec
insistance, s'il est permis d'employer cette
expression. Le tsar avait pris soin de bien
marquer ses sentiments en s'arrageant de
façon à aller à Wiesbaden pendant que l'em-
pereur d'Allemagne n'y était pas. Il n'tst
pas allé à la gare de Darmstadt au-devant
de l'empereur et de l'impératrice d'Allema-
gne qui venaient tout exprès pour le voir.
il ne s'est pas montré avec eux en public et
il ne les a pas accompagnés à la gare lors-
qu'ils sont partis. Ce sont là des petites
nuances de politesse, de cordialité qui au-
raient de l'importance même chez des par-
ticuliers et qui n'en ont que plus lorsqu'il
s'agit de souverains chez lesquels le proto-
cole et l'étiquette jouent un si grand rôle.
Si même le tsar rend à Wiesbaden à l'em-
pereur Guillaume la visite que ce dernier lui
a faite, la démarche n'a pas la même impor-
tance. Ne pas rendre la visite serait une im-
politesse pas trop grande — et si l'empereur
Guillaume comble le tsar de prévenances
publiques, on peut être sûr qu'elles ne se-
ront pas pour plaire à celui qui ne cesse de
déclarer que « Paris est une ville idéale » et
pour lequel l'alliance avec la France est la
base de sa politique. A la cour de Berlin, on
le sait fort bien. Mais fort adroitement on
essaie de leurrer l'opinion publique, puis-
qu'on ne peut plus se leurrer soi-même.
WASP.
LES ON-DIT
CAR.NET QUOTIDIEN:
Les courses : A Colombes.
- Durée du jour : II h. 33 m. -
CHEZ NOUS
^—- M. Tisserand, directeur de l'Obser-
vatoire, est mort hier matin, à l'Observa-
toire où il habitait.
M. François-Félix Tisserand, membre de
l'Institut, était né à Nuits (Côte-d'Or) et
s'était de tout temps consacré, dès sa sortie
de l'Ecole normale, aux études astronomi-
ques. Il avait succédé à Leverrier, à l'Ins-
titut, en 1878. Citons, entre ses différents
travaux, ses mémoires sur l'interpolation,
sur les étoiles filantes, sur la détermina-
tion des orbites des planètes 116 et 117,
etc., etc. Il a publié encore un Recueil
complémentaire d'exercices sur le calcul et
un Traité de mécanique céleste.
M. Tisserand n'avait que cinquante ans.
Ses obsèques seront célébrées vendredi
matin, à l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas.
- Mme Delpeuch, femme du sous-
secrétaire d'Etat aux postes et télégraphes,
est décédée hier matin à six heures. Mme
Delpeuch avait, comme on s'en souvient,
subi samedi une douloureuse opération.
Les obsèques auront lieu jeudi, à midi.
- Maria Hérubel, la jeune phtisique
dont l'année dernière de Cesti avait sub-
stitué les crachats à ceux de Max Lebaudy,
alors en convalescence à l'hôpital militaire
de Rouen, vient de mourir à l'Hôtel-Dieu
de cette ville.
- L'affaire de M. Cornudet avec M.
Moguez se terminera devant les tribunaux
M. Moguez ayant déclaré ne pouvoir accep- <
ter de se battre à l'épée (arme choisie par
M. Cornudet) à cause d'une fracture du
bras droit.
M. Adolphe Brisson avait également
reçu les témoins de M. Cornudet. Le pro-
cès-verbal déclare que M. Adolphe Brisson
n'ayant jamais songé à mettre en doute
l'honorabilité et la bonne foi de M. Cor-
nudet, l'affaire n'aura pas de suites.
Un collaborateur du Temts, qui
signe Sganarelle (et dont le tour d'esprit
rappelle étonnamment celui de l'illustre
critique dramatique, notre oncle à tous),
revient hier sur cette phrase d'un journal
anglais que voici quelques jours, j'avais
découpée moi-même, pour l'édification des
lecteurs de mes pauvres « on-dit ».
Lord Salisbury a été hier victime d'un
accident grave. Ses chevaux ont renversé un
enfant et l'ont piétiné ; les roues lui ont
passé sur le corps ; on l'a transporté à l'hô-
pital ; son état est grave.
L'état de l'enfant, bien entendu 1
Ainsi que moi, Sganarelle s'estomire
comme de raison du comique macabre de
cette rédaction.
A rapprocher d'un ancien article signé
« Francisque Sarcey » paru dans le journal
la France et qui débute en ces termes :
« Il vient de m'arriver une des aventu-
res les plus désagréables qui puissent arri-
ver à un homme. Mon secrétaire s'est jeté
par la fenêtre. »
Celle-là, elle me semble de derrière les
« fagots ». Qu'en pense Sganarelle ?
Le Passant.
——-1 ■ i.
LA CORRESPONDANCE
DE
VICTOR HUGO
Ainsi que nous l'avons annoncé, la Cor-
respondance de Victor Hugo parait demain
jeudi, chez Calmann-Lévy. Parmi tant de
lettres curieuses, intéressantes et belles,
nous en détachons presque au hasard quel-
ques-unes.
Voici un billet écrit par Victor Hugo à
Lamennais, pour lui annoncer son mariage :
A' monsieur l'abbé de Lamennais
à la Chesnaie
1er septembre 1822.
Il faut que je vous écrive, mon illus-
tre ami; je vais être heureux. Il man-
querait quelque chose à mon bonheur
si vous n'en étiez le premier informé.
Jo vais me marier. Je voudrais plus
que jamais que vous fussiez à Paris
pour connaître l'ange qui va réaliser
tous mes rêves de vertu et de félicité.
Je n'ai point osé vous parler jusqu'ici
de ce qui remplit mon existence. Tout
mon avenir était encore en question, et
je devais respecter un secret qui n'était
pas le mien seulement. Je craignais
d'ailleurs de blesser votre austérité
sublime par l'aveu d'une passion in-
domptable, quoique pure et innocente.
Mais aujourd'hui que tout se réunit
pour me faire un bonheur selon ma
volonté, je ne doute pas que tout ce
qu'il y a de tendre dans votre âme ne
s'intéresse à un amour aussi ancien
que moi, à un amour né dans les pre-
miers^jours de l'enfance et développé
par la première .affliction de la jeu-
nesse.
VIGTOR-M. HUGO.
Il écrit à Alfred de Vigny :
A monsieur le comte Alfred de Vigny,
officier au 5° régiment de la garde
royale, à Rouen.
30 juillet 1821.
Vous ne vous doutez guère, mon bon
Alfred, d'où cette lettre est écrite ; je
suis à Dreux ! c'est-à-dire assez près de
vous, sans pouvoir toutefois être avec
vous. Or, voici comment il se fait que
ma machine fatiguée et épuisée soit
maintenant dans ce vieux pays des
Druides. Un de mes amis, qui va partir
pour la Corse et habite momentanément
une villa entre Dreux et Nonancourt,
m'a demandé quelques jours de mon
temps, que je n'ai point refusés, vu
l'imminence de son départ.
Me voilà donc ici depuis hier, visitant
Dreux, et me disposant à prendre la
route de Nonancourt.
J'ai fait tout le voyage à pied, par un
soleil ardent et des chemins sans ombre
d'ombre.
Je suis harassé, mais tout glorieux
d'avoir fait vingt lieues sur mes jambes ;
je regarde toutes les voitures en pitié ;
si vous étiez avec moi en ce moment,
jamais vous n'auriez vu plus insolent
bipède. Quand je pense qu'il faut à
Soumet un cabriolet pour aller du
Luxembourg à la Chaussée-d'Antin, je
serais tenté de me croire d'une nature
supérieure à la sienne, comme animal.
Cette expérience m'a prouvé qu'on peut
marcher avec ses pieds.
Je dois beaucoup à ce voyage, Alfred :
il m'a un peu distrait. J'étais las de
cette triste maison. Je suis seul ici,
mais n'étais-je pas seul aussi là-bas? Il
y a seulement quelque chose de plus
matériel dans mon isolement.
J'ai passé à Versailles une journée
avec notre bon Gaspard. Vous lui avez
écrit; peut-être m'avez-vous écrit aussi,
et votre lettre est-elle arrivée à Paris
pendant mon absence, m'apportant une
joie pour mon retour ? Je me complais
dans cette idée. J'espère que vous n'au-
rez pas oublié les beaux vers que vous
m'avez promis. Cher Alfred, vous êtes
heureux et poète ; moi je végète.
Il n'y a ici d'autres ruines que celles
du château de Dreux ; je les ai visitées
hier soir et, ce matin, je les visiterai
encore, ainsi que le cimetière. Ces rui-
nes m'ont plu. Figurez-vous, sur une
colline haute et escarpée, de vieilles
tours de cailloux noyés dans la chaux,
décrénelées, inégales, et liées ensem-
ble par de gros pans de mur où le
temps a fait encore plus de brèches que
les assauts.
Au milieu de toutes ces pierres, des
blés et des luzernes ; et au-dessus de
tout, un télégraphe, à côté duquel on
construit la chapelle funèbre des d'Or-
léans.
Cette chapelle blanche et inachevée
contraste avec la forteresse noire et
détruite; c'est un tombeau qui s'élève
surtm palais qui croule. Du pied de la
tour télégraphique, on voit dans le val-
lon de l'Ouest des croix de bois, des
pierres minées et, debout, des touffes
d'arbres ; c'est le cimetière. Dans le val-
lon de l'Est, c'est la ville. Aussi les deux
vallées sont différemment peuplées.
Il n'y a aucun monument druidique ;
Dreux a donné son nom aux Druides, et
ils ne lui ont point laissé de vestiges.
J'en suis fâché pour eux, pour la ville,
et pour moi.
Les bords d'une petite rivière où je
me suis baigné en arrivant sont très
frais ; je m'y promenais tout à l'heure
sous les trembles et les bouleaux, et je
pensais à tous nos amis qui sont en-
semble dans la grande vallée et nous
oublient peut-être entre eux.
Mais vous , Alfred, qui êtes seul
comme moi, vous pensiez à moi, n'est-
il pas vrai? pendant que je songeais
à vous dans ma tristesse et mon aban-
don.
Adieu, cette lettre est pour vous
donner signe de vie et vous montrer
que vous avez un ami qui s'exerce à
rejouer avec le malheur , qui pense
comme un homme et qui marche comme
un cheval.
Je vous embrasse cordialement, por-
tez-vous bien et écrivez-moi.
Voire ami dévoué,
VICTOR.
Voici une lettre qu'il adresse à Armand
Carrel :
Ce 15 mars 1830.
J'avais travaillé cette nuit jusqu'à
cinq heures du matin et je dormais
profondément quand M. Armand Carrel
est venu. Je regrette bien qu'on ne
m'ait pas réveillé, et je le regrette non
pour M. Carrel, mais pour moi. Je suis
trop morose et trop timide à la fois pour
que personne ait jamais grand souci de
me connaître et pour que j'aie de mon
côté grande envie de connaître les au-
tres. Cependant ces occasions de ren-
contres avec d'autres hommes, que j'é-
vite volontiers par goût de solitude et
par tristesse de caractère, je les ai tou-
jours désirées avec M. Carrel. Je ne
vois pas pourquoi je n'en conviendrais
pas ici, quelque avantage que cet aveu
lui donne sur moi.Tout ce que je sais de
lui, soit par ses ouvrages, soit par ses
amis, la nature âpre et forte desontalent
et de soncaractère,cette vie pleined'hon-
neur et de courage, de si bonne heure
disputée auxtribunaux politiques, tout.
jusqu'à cette seule fois où j'ai causé
avec lui chez Rabbe et où j'ai eu, m'a-
t-on dit, le malheur de le blesser, ani-
més que nous étions tous deux alors
d'exaltation politique bien contraire,
tout cela m'a inspiré depuis longtemps
pour M. Carrel une de ces fortes sym-
pathies qui d'ordinaire se résolvent tôt
ou tard en amitié.
• Et après tout, si opposés que nous
puissions aujourd'hui nous sembler
l'un à l'autre, peut-être y a-t-il entre
nous plus d'analogie que M. Carrel ne
le croit lui-même. J'ai lutté pendant
qu'il luttait; tandis qu'il remontait le
courant politique, je remontais, moi, le
courant littéraire. Nous avons été en
auelque sorte proscrits en même
temps. Seulement son affaire a été plus
sérieuse que la mienne, et partant bien
autrement belle. Je n'ai été mis hors la
loi que par l'Académie.
Voilà du reste huit ans que je sup-
porte la chaleur du jour, huit ans que
je poursuis ma tâche, sans m'en lais-
ser distraire par le soin de ma défense
personnelle contre mille attaques qui
n'ont cessé de pleuvoir sur moi chaque
jour. A une époque où tout se fait par
les salons et par les journaux, j'ai com-
mencé et continué ma route sans un
salon, sans un journal. Toute mon
affaire a été de solitude, de conscience
et d'art. Et je prie M. Carrel de faire
attention à ceci : destiné à une grande
fortune sous l'Empire, l'Empire et la
fortune m'ont manqué. Je me suis
trouvé à vingt ans marié, père de fa-
mille, n'ayant pour tout bien que mon
travail et vivant au jour le jour, comme
un ouvrier, tandis que Ferdinand VII
mangeait mon revenu englobé dans les
siens par le séquestre. Or, depuis cette
époque, et la chose est peut-être assez
rare pour que je m'en glorifie, obligé
de vivre et de faire vivre les miens
avec ma plume, je l'ai maintenue pure
de toute spéculation, libre de tout
contrat mercantile. J'ai fait bien ou mal
de la littérature, et jamais de la librai-
rie. Pauvre, j'ai cultivé l'art comme un
riche, pour l'art, avec plus de souci de
l'avenir que du présent. Obligé par le
malheur des temps de faire à la fois
une œuvre et une besogne, je puis dire
que jamais la besogne n'a taché l'œu-
vre.
Voilà ce que j'eusse dit, avec détail
et parce qu'un homme comme lui en
vaut la peine, à M. Armand Carrel, si
j'avais eu l'honneur de le voir. Il est du
reste la première personne pour qui
j'aie entr'ouvert de la sorte la porte de
ma vie intérieure, et je le prie quoi
qu'il pense de cette lettre, de la tenir
secrète entre nous deux.
Quant à Hernani, nous en voilà main-
tenant bien loin, nous voilà, ce me
semble, bien plus haut. Je m'occupe
beaucoup plus dans cette affaire de
M. Armand Carrel que du Naltonal. Je
sais que les journaux peuvent nuire ou
servir matériellement ; mais voilà ma !
vie assurée pour dix-huit mois, et par
conséquent le côté matériel de l'affaire
m'inquiète peu. Je ne suis pas fâché du
reste, en y réfléchissant, de n'avoir
point vu M. Armand Carrel puisqu'il a
encore un article à faire. Je n'aurais
pas voulu qu'il me supposât l'intention
de l'influencer, et j'espère qu'il n'en a
pas eu la pensée. Plus tard, s'il le veut
bien, j'irai le chercher, et, quel que
soit son article, lui serrer la main.
Quel que soit son article, dis-je, car
je lui en saurai toujours un gré ex.
trême. Sévère, il me plaira par sa fran-
chise; bienveillant, rien ne saurait
m'être plus précieux, car l'estime d'Olt
homme supérieur redonne force et cou*
rage contre les hommes médiocres.
VICTOR HUGO.
En 1832, à la suite de l'insurrection di
juin, Paris fut mis en état de siège : on pdt
craindre à ua moment une réaction san-
glante et il fut question d'insérer dans Il
National, dont Armand Carrel était le c&<
dacteur en chef, une protestation revêtus
de signatures. Sainte-Beuve demanda à
Victor Hugo son nom. Victor Hugo lui êcrf
vit le billet et la lettre qui suivent :
Ce 7 juin, dix heures du soir [1832].
Jo rentre, mon cher ami; l'heure de
rendez-vous au National est passée
Mais je m'unis à vous de grand cœur.
Je signerai tout ce que vous signerez.
à la barbe de l'état de siège.
Votre ami dévoué,
VICTOR.
12 juin 1832.
Je ne suis pas moins indigné que
vous, mon cher ami, de ces misérables
escamoteurs politiques qui font dispa-
raître l'article 14 et qui se réservent la
mise en état de siège dans le double
fond de leur gobelet!
J'espère qu'ils n'oseront pas jeter aux
murs de Grenelle ces jeunes cervelles
trop chaudes, mais si généreuses. Si
les faiseurs d'ordre public essayaient
d'une exécution politique, et que quatre
hommes de cœur voulussent faire une
émeute peur sauver les victimes, je se-
rais le cinquième.
Oui, c'est un triste, mais un beau su-
jet de poésie que toutes ces folies trem-
pées de sang! Nous aurons un jour une
République, et quand elle viendra, elle
sera bonne. Mais ne cueillons pas en
mai le fruit qui ne sera mur qu'en août.
Sachons attendre. La République pro-
clamée par la France en Europe, ce sera
la couronne de nos cheveux blancs.
Mais il ne faut pas souffrir que des gou-
jats barbouillent de rouge notre ara..
peau. Il ne faut pas, par exemple, qu'un
Frédéric Soulié, dévoué il y a un an à
la quasi-censure dramatique de M.
d'Argout, clabaude à présent en ptain
café qu'il va fondre des balles. U ne
faut pas qu'un Fontan annonce en plein
cabaret pour la fin du mois quatre
belles guillotines permanentes dans les
quatre places principales de Paris. Ces
gens-là font reculer l'idée politique qui
avancerait sans eux. Ils effrayent l'hon-
nête boutiquier qui devient féroce du
contre-coup. Ils font de la République
un épouvantail. 93 est un triste asticot.
Parlons un peu moins de Robespierre
et un peu plus de Washington.
Adieu. Nous nous rencontrerons bien-
tôt, j'espère. Je travaille beaucoup en
ce moment. Je vous approuve de tout
ce que vous avez fait, en regrettant
que la protestation n'ait pas paru. En
tout cas, mon ami, maintenez ma si-
gnature près de la vôtre.
Votre frère.
VICTOR.
Nous publierons demain des lettres de
Victor Hugo au roi Joseph, à Jules Leche-
valier et à Léopoldine Hugo.
TABLETTES DU PROGRÈS
Par GEORGES VITOUX
APRÈS LAaCIDE
Je devais m'y attendre f
Tout naturellement, le déplorable ac-
cident survenu samedi dernier à l'usine
Pictet vient de m'attirer un certaift.
nombre de correspondances dans les-
quelles on me demande comment peu-
vent se concilier avec les faits mes pré-
cédentes assertions relatives aux avan-
tages, en ce qui concerne la sécurité,
de l'acétylène liquide.
Au premier abord, assurément, une
telle observation paraît être sans répli-
que possible. Comment, en effet, con-
tester l'extrême danger alors que les
victimes viennent à peine de disparaî-
tre? Et pourtant, telle est bien la réa-
lité des choses ! L'explosion de la rue
Championnet, — les faits sont là qui le
démontrent, nous le verrons tout à
l'beure,-n'aen dépit de son importance
d'autre caractère que celui de tout ac-
cident d'usine. L'industrie a son mar-
tyrologe dont la fatalité et l'imprudence
sont les ordinaires pourvoyeurs. Est-
ce à dire pour cela que l'on doive sup-
primer tout chantier, de façon à rendre
impossible les catastrophes ?
Personne ne voudrait soutenir une
telle proposition. Dans toute entreprise,
l'on sait qu'il y aura un déchet, aussi
bien en existences humaines qu'en ma-
tériel ou en produits, et, comme ce dé-
chet est inévitable, la seule préoccupa-
tion que l'on ait et que l'on puisse avoir
est de s'employer à le réduire à un mi-
nimum le plus faible possible.
C'est que la mort, hélas, embusquée
au coin de tout engrenage, derrière
toute machine, partout enfin, guette
sans cesse le travailleur, et, chacua
sait du reste si bien qu'il en est ainsi,
que c'est à peine si dans la vie cou-
rante l'on prête attention aux mille et
une victimes de chaque jour.
Pour émouvoir l'opinion publique, il
faut la catastrophe exceptionnelle, celle
qui frappe par son étendue comme les
coups de grisou dans les mines, conmu
les rencontres de trains ou les naufra-
ges de grands paquebots, ou par soa
imprévu comme l'explosion survenue A
l'usine Pietet.
Pour celle-ci, en effet, il est à remar-
quer qu'en dépit de la mort cruelle de
deux ouvriers, elle a été, en somme, re-
lativement peu grave. Une bonbonne f
fait explosion, oar suite d'une iaannp
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