Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-10-11
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Description : 11 octobre 1896 11 octobre 1896
Description : 1896/10/11 (N9711). 1896/10/11 (N9711).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2013
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NOS LEADERS
L'ALLIANCE RUSSE
Les fêtes russes sont terminées. Au
moment où l'hôte de la République
quitte la France, on a lieu de se félici-
ter de part et d'autre des quelques
jours qu'il a passés sur notre terri-
toire.
Comme on l'a déjà remarqué dans
la presse française et dans la presse
étrangère, c'est un spectacle signili-
catif que de voir le souverain le plus
absolu d'Europe, accueilli par notre
démocratie, dans le pays de la Révo-
lution, dans des réceptions où de part
Bt d'autre on a apporté une si chaleu-
reuse cordialité. De notre côté, ce n'est
pas seulement Paris, c'est toute la
France, qui a témoigné de ces senti-
ments pour la nation amie dont le re-
présentant était parmi nous; et les
foules énormes venues de tous les
points du territoire, associaient les
masses profondes du pays à cette ma-
nifestation. D'autre part, l'attitude du
tsar a montré avec assez de netteté
que les sympathies étaient récipro-
ques. On ne pouvait pas désirer une
démonstration plus convaincante, de
l'union des deux puissances.
.*
Il me semble que si nos pères de la
Restauration pouvaient sortir de leur
tombeau, ce spectacle leur inspirerait
une bien profonde surprise. Non à
cause des sentiments qui se sont ma-
nifestés entre le souverain russe et les
foules parisiennes — ils avaient vu
des sentiments de même nature se
faire jour dans des circonstances qui
les faisaient encore mieux ressor-
tir — c'est après que sur les ordres et
par le crime d'un despote les armées
françaises avaient été porter jusqu'au
cœur de la Russie la mort et la dévas-
tation; et quand à leur tour les armées
russes, prenant leur revanche, avaient
envahi notre territoire ; c'est au cœur
d'un pays vaincu, accablé, après plus
de vingt ans de luttes acharnées, dans
une capitale occupée par les troupes
étrangères, qu'un des prédécesseurs
du tsar actuel avait reçu les acclama-
tions et mérité le souvenir reconnais-
sant des populations françaises. On
sait comment, parmi les vainqueurs
qui avaient alors la France à leur
merci, il s'opposa aux conseils de la
haine et intervint pour adoucir les
dures conditions qui nous étaient im-
posées.
Mais, à ce moment, la victoire de
l'Europe sur la France n'était pas seu-
lement celle des nations coalisées sur
la nation défaite : c'était aussi le triom-
phe passager d'un principe sur un au-
tre principe ; citait l'écrasement, par
les traditions d'ancien régime, de l'es-
prit de révolte et de liberté qui avait
jailli des ruines de la Bastille. Le pre-
mier soin des vainqueurs était de réta-
blir chez nous la vieille royauté de
droit divin. Ce n'était pas assez ; dès le
lendemain, la Sainte-Alliance donnait
sa signification à leur victoire com-
mune, et continuait, en pleine paix,
dans la politique de chaque jour, la
campagne entreprise contre le génie
de la Révolution.
.:\f,.
Les années qui se sont écoulées de-
puis lors, ont singulièrement trans-
formé le monde, puisque nousvoyions
naguère un tsar saluer l'hymne dans
lequel palpite dans toute sa puissance
l'âme de cette Révolution jadis pros-
crite. et qui est devenu le symbole de
la nation française ; et puis, aujour-
d'hui l'héritier et le successeur de ce
souverain ami, vient recevoir l'hospi-
talité de notre République, sans que les
différences des principes qui président
à la politique des deux pays jettent seu-
lement une ombre sur les fêtes qui lui
sont offertes.
C'est que le temps n'est plus où
la propagande monarchique pouvait
trouver un champ d'action dans la
politique extérieure des peuples. Il y
a à cela bien des raisons. La première
est que la plupart des monarchies ont
été obligées de faire une part plus ou
moins grande au principe nouveau ;
c'est ensuite et surtout que d'autres
considérations assez impérieuses pour
ne pas souffrir de répliques amènent
les puissances à chercher contre les
menaces du dehors des garanties au-
tour d'elles. Déjà, souvent, dans le
passé, on avait remarqué les excel-
lentes relations de l'empire russe avec
la grande république américaine. Ses
rapports d'amitié avec la démocratie
française n'ont donc rien d'anormal.
Cela seul suffit à montrer combien
était absurde l'affirmation si souvent
répétée des régimes déchus que nos
institutions républicaines condam-
naient la France à l'isolement dans
l'Europe monarchique. Le bon sens
seul indiquait déjà ce qu'une telle
accusation a d'invraisemblable. Un
pays qui a l'une des trois premières
armées et la seconde flotte du monde ;
qui possède le second parmi les grands
marchés de capitaux et une épargne
incomparable à laquelle le monde en-
tier fait appel ; qui, par son industrie
et son génie, a pris sur le globe le rang
que nous n'avons pas perdu, un tel
pays est en droit de ne pas redouter
que son amitié soit systématiquement
repoussée, pourvu qu'il ne devienne
pas, par l'ambition conquérante de ses
gouvernants, une menace pour le
monde entier.
*"*.
Son union avec une nation aussi
grande et aussi forte que la Russie
peut constituer, dans l'intérêt des
deux peuples, une puissance excep-
tionnelle, mais à une condition : c'est
qu'il y ait dans un gouvernement,
pour la mettre en œuvre, une politique
étrangère. C'est ce qui a fait défaut
jusqu'ici. Dispersée, gaspillée par des
entreprises lointaines dont - nous ne
connaissons que trop les charges, et
dont nous attendons encore les pro-
fits, batailleuse dans toutes les parties
reculées du globe, hésitante, timide,
faible en Europe presque jusqu"à l'ab-
dication, la politique étrangère de la
République française n'a guère mieux
valu jusqu'ici que celle des régimes
qui l'avaient précédée. Si cela devait
continuer, nous ne perdrions assuré-
ment pas tous les résultats des allian-
ces que nous pouvons conclure, puis-
que leur principal objet est de nous
donner une garantie de plus contre
les agressions violentes; mais tout au
moins nous n'en retirerions pas le
profit qu'on est en droit d'en attendre
aux époques normales, où les puissan-
ces rivales ne font point appel à la
force.
En nous félicitant de l'importante
amitié qui parait solidement acquise
à la France, souhaitons donc par sur-
croît une politique étrangère qui lui
fasse porter tous ses fruits.
CAMILLE PELLETAN.
Nous publierons demain un article
de M. Charles Bos.
LES TOASTS DE L'ALLIANCE
Le toast porté par le tsar à Châlons
complète ceux de Cherbourg et de
Paris.
« Les deux pays », a dit l'empereur,
a sont lies par une inaltérable amitié ».
De même, il existe entre les « deux
armées un profond sentiment de con-
fraternité d: arrltes ».
C'est l'alliance confirmée une se-
conde fois par une des parties con-
tractantes.
Les mots « liés, amitié et confrater-
nité d'armes » accouplés ensemble
dans une seule et même phrase ne
peuvent laisser aucun doute aux es-
prits les plus prévenus.
Le toast a été, d'ailleurs, prononcé
d'une voix vibrante par Nicolas II et
applaudi vigoureusement par tous les
officiers russes qui étaient présents.
Faut-il rappeler aussi que le jour de
la réception à l'Hôtel de Ville, le prési-
dent du conseil municipal a pu dire
en parlant du peuple russe qu'il était
« l'allié » du peuple français et que
rien, dans les conversations que le
tsar a eues ensuite soit avec M. Félix
Faure, soit avec M. Hanotaux, n'a per-
mis de supposer que M. Baudin avait
employé une expression trop forte.
Les journaux allemands continue-
ront-ils à essayer de faire croire à
l'opinion européenne, — qui, du reste,
sait à quoi s'en tenir sur ce point —
qu'il n'y a pas de traité d'alliance entre
la France et la Russie ?
Mais, peu importe.
Maintenant, chacun des deux peu-
ples est sûr de l'autre. L'équilibre eu-
ropéen n'a jamais été mieux assuré.
Malheur à qui voudrait se mettre en
travers de la Duplice !
CHARLES BOS.
LE TEXTE DES TOASTS
Voici les toasts prononcés par M. Félix
Faure et le tsar au banquet de Châlons.
Nous disons autre part quelle est leur im-
portance.
M. Félix Faure a parlé ainsi :
Votre majesté va nous quitter après
un séjour qui laissera dans les annales
de nos deux pays un ineffaçable sou-
venir.
Comme un sourire d'heureux au-
gure, le charme de la présence de sa
majesté l'impératrice restera gracieu-
sement lié à cette visite.
A Paris, vos majestés ont été ac-
clamées par la nation tout entière. A
Cherbourg et à Châlons, elles ont été
reçues par ce qui tient le plus au cœur
de la France : son armée et sa marine.
L'armée française salue ici votre ma-
jesté. A chacun des fréquents anniver-
saires de leur glorieux passé, marins
et soldats français échangent avec
leurs frères de Russie le témoignage
de leur cordialité et de leurs vœux.
Aujourd'hui, au nom de l'armée et
de la marine françaises, je prie votre
majesté de recevoir, pour ses armées
de terre et de mer, l'affirmation solen-
nelle d'une inaltérable amitié.
Je bois à l'armée et à la marine 1
russes. Je lève mon verre en l'honneur
de sa majesté l'empereur Nicolas II
et de sa majesté l'impératrice Alexan-
dra Feodorovna.
Le toast du président de la République a
été écouté debout par tous les assistants.
La musique a ensuite joué l'Hymne russe.
Le tsar a répondu d'une voix chaude et
vibrante :
Dans le port de Cherbourg, à notre
arrivée, j'ai pu admirer une escadre
française. Aujourd'hui, à la veille de
quitter votre beau pays, j'ai eu le
plaisir du spectacle militaire le plus
imposant en assistant à la revue des
troupes sur le terrain habituel de leurs
exercices.
La France peut être fière de son
armée. -
Vous avez raison de le - dire, mon-
sieur le président, les deux pays sont liés
par une inaltérable amitié. De même,
il existe entre nos deux armées un pro-
fond sentiment de confraternité d'armes.
Je lève mon verre en l'honneur de
vos armées de terre et de mer, et je
bois à M. le président de la Répu-
blique française.
A deux reprises, au cours du toast de
l'empereur, les Russes présents au déjeuner
crient : Hurrah 1
LA REVUE
On trouvera plus loin le compte-rendu
de la revue de Châlons. Et j'essayerais
en vain, en ces quelques lignes hâtive-
ment écrites au débotté, de rendre l'im-
pression produite par l'imposante ma-
nifestation militaire à laquelle nous
venons d'assister, digne dernier cha-
pitre des inoubliables fêtes du tsar.
Malgré le temps maussade, cela a été
beau au-delà de toute expression. Et
lorsque nos admirables soldats ont
défilé devant les souverains de Russie
et le président de la République, une
sainte émotion s'est emparée de tous
les cœurs.
Encore que le terrain, détrempé par
la pluie, se prêtât aussi mal que possi-
ble aux évolutions militaires, le 68 et le
7" corps ont défilé avec une correction
absolue. Nous avons déjà décrit ce dé-
filé par division en masse ; on ne sau-
rait rien imaginer de plus grand, rien
de plus fort. L'effet produit à Vitry-le-
François, en 1891, lorsque cette forma-
tion a été pour la première fois expéri-
mentée, s'est retrouvé tout entier hier.
Lorsque devant les spectateurs innom-
brables a passé cette forêt de baïonnet-
tes, tous les fronts se sont découverts,
de toutes les poitrines ce cri a jailli,
emplissant le vaste ciel : Vive l'armée !
Ç'a été la belle revue que nous de-
mandions. Non une parade, mais une
inspection sérieuse de troupes prêtes
Dour la besogne. Nos soldats étaient,
en effet, en tenue de campagne. Et le
tsar les a vues telles qu'elles devront
être sur les champs de bataille que
nous rencontrerons peut-être dans l'a-
venir.
Et il emportera, l'empereur de Russie,
de cette superbe solennité militaire, la
certitude que son alliée, la France, s'il
fallait un jour se mettre en marche, ne
le laisserait pas en route sur le chemin
de la victoire.
Nul ne sait ce que pourra être de-
main. Et certes, il faut se garder de
prononcer des paroles, je ne veux pas
dire imprudentes, car j'estime que le
temps de la prudence, au moins de la
prudence excessive, est passé, mais
prématurées. Aussi nous enorcerons-
nous de renfermer en nous-mêmes les
ardentes pensées évoquées par le spec-
tacle prestigieux auxquelles nous ve-
nons d'assister. Seulement, nous rap-
pelant le mot fameux de Gambetta —
qu'il faut « y penser toujours et n'en
parler jamais » — nous pouvons dire
que le moment semble enfin venu d'y
penser — et d'en parler.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
LES PIRATES MAURES
Nous avons dit hier qu'une barque fran-
çaise dont on ne sait pas exactement le
nom, car certaines dépêches l'appellent Rio-
nom, d'autres Prosper et d'autres encore Co-
per,
rinthe, avait été capturée sur la côte du
Maroc, non loin d'Alhucemas.
Nous avons dit aussi en quelques mots
l'intervention héroïque de l'équipage d'un
navire de commerce espagnol, le Sévilla, qui
s'empara d'une barque appartenant aux pi-
rates, et délivra les matelots français. Les
marins espagnols, qui ont perdu dans cette
action un "es leurs, et qui ont eu deux de
leurs camarades blessés sont assurés de la
reconnaissante admiration de la France. Nul
doute que le gouvernement français ne
sache leur faire parvenir le témoignage de
cette gratitude; mais là ne s'arrête pas sa
tâche, et nous comptons sur lui pour exiger
du gouvernement marocain une réparation
complète, qui ne pourrait consister seulement
en la réception des très plates excuses dont
ne saurait manquer d'être prodigue le sultan
qui règne de l'autre côté du détroit de Gi-
braltar. Du reste, le gouvernement espa-
gnol est complètement d'accord avec nous.
En effet, le gouverneur espagnol de la place
d'Alhucemas a adressé une lettre très éner-
gique au caïd pour exiger la délivrance du
capitaine du navire qui se trouve prisonnier
dans une tribu maure aux environs d'Alhu-
cemas.
Les ministres d'Espagne et de France à
Tanger vont adresser des réclamations au
gouvernement marocain pour demander
le châtiment des coupables et une indem-
nité.
Le gouvernement marocain, naturelle-
ment, ne fait aucune objection.
Voici des détails sur lincident :
La barque française naviguait près d'Alhu-
cemas quand elle fut assaillie par plusieurs
canots montés par des Maures, lesquels
abordèrent le navire en faisant l'équipage
prisonnier.
Le pillage fut complet. Mais au moment
où quelques canots tiraient vers la terre
avec le butin, ils furent surpris par le va-
peur marchand espagnol, le Sevilla, qui
réussit à s'emparer d'un canot et à délivrer
quelques Français, en faisant prisonniers
plusieurs Maures.
Le vapeur se dirigea ensuite vers la bar-
que française, où se trouvait prisonnier le
capitaine français. Alors les Maures restés
sur la barque firent feu sur le vapeur espa-
gnol, qui eut un homme tué et quatre autres
Blessés. Un matelot français fut aussi blessé
au bras. Il a été transporté à l'hôpital
d'Alhucemas, où l'amputation du bras a été
jugée nécessaire.
Ce marin, Vincent Aubert, est décédé à
l'hôpital à la suite de l'opération.
La barque française capturée par les
Maures venait de Cadix et ailait à Alger;
elle appartient à l'inscription maritime de
Dieppe. Le capitaine est M. Aube et l'arma-
teur M. -- Dauder.
Le vapeur Sevilla, après avoir laissé ses
mortb et ses blessés à Alhucemas, rechercha
la barque sans la trouver, pensant que le
courant l'avait emportée vers l'ouest.
Le tribunal maritime de Melilla instruit
le procès contre les pirates maures.
Dernière heure. — Une dépêche de Ma-
drid annonce que le véritable nom de la
barque française capturée por les Maures est
Prosper-Corin et non Connthe, comme le di-
saient les précédentes dépêches.
Le ministre d'Etat, qui se trouve à Saint-
Sébastien, a fait part de l'incident, par télé-
graphe, à M. de Mandas.
Les journaux croient que l'Espagne et la
France s'entendront pour exiger du Maroc
le châtiment des coupables et une indemnité
pour les victimes.
—— —————————
Un de nos confrères réactionnaire et
clérical — mais bien connu par ses hâ-
bleries — se vantait, hier matin, d'avoir
été le seul à assister au gala de Ver-
sailles.
Nous voulons douter de son affirma-
tion, car, si le fait était exact, un pareil
manque d'égards vis-à-vis de la presse
française, et surtout de la presse répu-
blicaine, mettrait le protocole dans une
singulière situation.
Du reste, au cours des fêtes, ce pro-
tocole a été au-dessous de tout. Il est
urgent de le transformer complètement.
Et nous imaginons que le Parlement
saura exiger ces modifications.
NICOLAS Il A CHALONS
Le départ de la gare de l'Est
La revue — Le banquet
Les toasts—Adieu à la France
Depuis hier soir le tsar a quitté la terre
de France, mais l'impression qu'il remporte
de l'accueil qui lui a été fai, est tel qu'il n'a
pu s'empêcher de manifester son désir de
se trouver à nouveau au milieu du peuple,
français et qu'on peut déjà affirmer que le
tsar leviendra.
Le printemps prochain semble être l'épo-
que qu'il s'est fixée pour accomplir ce second
voyage, mais on croit que cette fois il vien-
dra en France sans souci du protocole de
fait, sans étiquette, incognito, si cela est
possible, tant ses traits sont gravés dans
la mémoire des Français.
Sa visite, commencée chez nos marins,
puis au cœur même de la France, au milieu
du peuple de Paris, s'est terminée hier par
la revue de nos troupes.
On va voir plus loin combien a été gran-
diose ce dernier contact entre le tsar et
l'âme de la nation française : l'armée.
AVANT LA REVUE
A LA GARE DE L'EST
Le départ des trains spéciaux organisés,
cette nuit, pour permettre aux Parisiens
d'assister à la revue du camp de Châlons,
ayant soulevé, à la gare de l'Est des inci-
dents tumultueux, ils ont été difficilement
réprimés par la police.
Nous avons déjà publié l'horaire et l'affec-
tation des trains. Outre ceux qui étaient
réservés au corps diplomatique, aux députés
et sénateurs, aux officiers, aux conseillers
municipaux, aux membres de la presse, on
sait que quatre trains étaient destinés au
public.
La distribution, des billets pour ces der-
niers trains devait être close mercredi soir,
à cinq heures.
Déjà bien avant minuit dix, heure du dé-
part du premier train spécial affecté au pu-
blic, une foule de voyageurs, parmi lesquels
on remarque de nombreux officiers de ré-
serve, assiègent les guichets de la gare. Ce
sont des voyageurs qui n'ont pu se munir
d'un billet donnant droit aux trains spé-
ciaux ou qui ont négligé de le faire. Tous
demandent des billets pour le dernier train
ordinaire de Châlons partant de la gare de
l'Est à minuit quarante.
Les employés délivrent autant de billets
qu'ils en ont sans se demander si le nombre
de places de ce train sera suffisant.
C'est ainsi que, munis de leurs billets or-
dinaires, les voyageurs assiègent la voie
bien à l'avance. Les agents de fa compagnie
tentent en vain de s'opposer à leur passage.
Ils sont débordés. Et dans le train spécial
de minuit dix s'empilent des voyageurs qui
devraient attendre le train ordinaire de mi-
nuit quarante.
A partir de ce moment, le désordre est
complet. Des personnes munies d'un billet
spécial se voient repoussées parce que leurs
places sont indûment occupées par des
voyageurs ordinaires. Elles protestent et
assiègent à leur tour le train de minuit qua-
rante qu'elles devraient laisser aux voya-
geurs munis de billets ordinaires. La confu-
sion est de plus en plus grande. Le registre
des réclamations se couvre de signatures.
On réclame le chef de gare sur l'air des
Lampions. Le service d'ordre est insuffi-
sant.
A une heure et demie, MM. Laurent, se-
crétaire général de la préfecture de police,
Gaillot, directeur de la police municipale, et
Mouquin, commissaire divisionnaire, arri-
vent pour recevoir le général Billot, mi-
nistre de la guerre, dont le train doit partir
à deux heures dix. Ils ont peine à se frayer
un passage à travers la foule immense qui
garnit le vaste hall de la gare.
Le ministre de la guerre arrive à deux
heures accompagné de ses officiers d'ordon-
nance. Il est conduit par les fonctionnaires
de la compagnie devant le train ministériel.
Mais, nous dit un témoin oculaire, le géné-
ral Billot trouve l'installation 4e ce train
insuffisante. Il réclame, pour son usage
personnel, un wagon-salon plus confortabre.
Les employés ne savent plus où donner de
la tête ; ils cherchent de tous les côtés un
wagon qui puisse répondre au désir du mi-
nistre de la guerre. Enfin, on finit par en
envoyé quérir un, qui est agréé par le géné-
ral Billot et accroché au train ministériel,
lequel part à deux heures quarante-cinq,
c'est-à-dire avec trente-cinq minutes de re-
tard.
A trois heures du matin, l'impatience des
voyageurs qui n'ont pu trouver place ni
dans le train ordinaire de minuit 40, ni dans
les trains spéciaux, devient de l'exaspéra-
tion. Le commissaire de police, redoutant
des incidents violents, demande un renfort
de 150 agents.
L'arrivée de ceux-ci calme un peu les pro-
testataires. Un service d'ordre sérieux est
organisé. Les voyageurs semblent se résou-
dre à l'attente qui leur est imposée, et les
départs des trains spéciaux suivants s'effec-
tuent à peu près régulièrement. Néanmoins,
un certain nombre de voyageurs, munis de-
billets, ont dû renoncer à assister à la revue
du camp de Châlons et sont rentrés chez
eux fort mécontents.
EN ROUTE POUR CHALONS
Et maintenant, quittons Paris avec ceux
qui doivent assister à la revue.
Il est une heure et demie et il pleut à
verse ; pourvu qu'il n'en soit pas de même
à Châlons.
Notre train spécial (des journalistes) parti
de Paris pour assister à la revue de Châlons
ne doit arriver à la station de Mourmelon
qu'à sept heures et demie du matin.
Au départ de la gare de l'Est, qui était
prise d assaut par plus de cinq mille person-
nes, on se battait littéralement dans les
salles des Pas-Perdus et sur les quais. Les
guichets refusaient de délivrer des billets,
ceux déjà pris dépassant le nombre des
places disponi s avec le matériel qui me-
naçait d'être 1. affisant ; et cependant de
nombreux trains avaient été formés avec
des voitures empruntées aux différentes
compagnies du Nord, de Paris-Lyon et d'Or-
léans. Tous ces trains partaient archi-bon-
dés.
Les fourgons regorgeaient de voyageurs
entassés pêle-mêle. Quelques intrépides
poussaient l'imprudence jusqu'à voyager
debout sur le marchepied, au risque de
faiblir en route et d'ètre précipités sur la
voie.
Toutes les gares de la ligne de Paris à
Reims et Chàlons étaient bondées de voya-
geurs qui, sur les quais, attendaient vaine-
ment la possibilité de prendre place dans un
de ces nombreux trains qui toujours, arri-
vaient plus que complets.
Le buffetier de La Ferté-Milon avait, sur
des tables dressées sur le quai, très ingé-
nieusement exposé à la convoitise des voya-
geurs non précautionneux des victuailles
appétissantes : jambon, sandwichs, poulets
froids, pain, vin, tablettes de chocolat, etc.
En un clin d'oeil, tout est enlevé : on fait
hâtivement ses provisions, s'armant ainsi
contre la faim et la soif, car on n'ignore
pas que le camp de Châlons est sans res-
sources.
La physionomie des longues routes qui,
de la gare, conduisent sur le terrain de la
revue, est véritablement des plus curieuses:
on ne voit que gens chargés de provisions,
Dorteurs de paniers renfermant le déjeuner
froid que l'on fera tout à l'heure sur 1 herbe
d'autant plus fraîche que la pluie l'aura da-
vantage arrosée.
Malgré les péripéties et la fatigue du
voyage, cette foule est heureuse et gaie.
Crânement, pékins comme militaires, fem-
mes, jeunes gens ou vieillards, car il y a de
tout dans cette foule bigarrée, franchissent
allègrement les cinq kilomètres qui les sé-
parent des tribunes. Les rares omnibus,
I voitures ou charrettes que l'on rencontre,
sont pris d'assaut malgré le prix élevé des
places.
AU CAMP DE CHALONS
Nous voici au camp de Châlons, après
quelles difficultés !
Le temps superbe d'hier n'a pas eu son
lendemain : toute la nuit il a plu et, ce ma-
tin, le ciel reste couvert, faisant présager
de nombreuses ondées. Le sol crayeux du
vaste camp n'est pas cependant trop dé-
trempe, sauf sur les routes que sillonne
une foule sans cesse grossissante.
La grande cérémonie militaire d'aujour-
d'hui, réunissant les divers éléments de
tous nos corps combattants, devait, dans
les conditions spéciales où elle a lieu, exer-
cer sur la foule une puissante attraction.
Il est néanmoins difficile d'imaginer l'af-
fluonce immense qui se porte depuis quel-
ques heures vers le terrain de la revue.
Comment évaluer le chiffre des spectateurs?
Le calcul est, pour le moment, impossible à
faire. Seule, dans quelques jours, la compa-
gnie de l'Est pourra fournir des indications
précises sur le nombre de voyageurs trans-
portés et permettre ainsi d'établir une sta-
tistique à peu près exacte. , ------
Depuis deux heures du matin les trains so
succèdent sans interruption, déversant les
curieux par milliers en pleine nuit noire et
sous la pluie. Ceux-ci se mettent gaiement
en marche. Certains chantent, d'autres
échangent des lazzi, poussent des cris de
ralliement et donnent à cette scène une note
joyeuse et pittoresque. Quelques familles
portent péniblement do lourds paniers con-
tenant le déjeuner traditionnel, et la revue
ne commence qu'à midi.
Que dire des voitures ? Il n'en reste plus
une seule disponible, non seulement dans
la Marne, mais encore dans tous les dépar-
tements limitrophes. A côté des landaus et
des victorias modernes se traînent, attelés à
des chevaux de labour, do vieux omnibus,
des charrettes invraisemblables où des plan-
ches figurent des sièges bien primitifs.
A neuf heures, plus de cent cinquante
mille personnes sont déjà sur la terrain,
attendant la revue.
LE TOUR DE FORCE DU GENIE
Les mille sapeurs du Se régiment du gé-
nie ont achevé ce matin la construction de
la ligne ferrée qui part de la gare de Mour-
melon pour aboutir à deux cents mètres
derrière les tribunes. Cette ligne à voie
unique doit servir au transport des mem-
bres du Parlement. On sait qu'elle a été
créée à la suite des exigences montrées par
les loueurs de Paris. On n'avait pas de-
mandé moins de 600 fr. par voiture pour
prendre les sénateurs et députés à la gare
de Mourmelon et les amener au camp. On
avait alors songé à recourir aux breaks de
courses qui font le service des hippodromes
suburbains. On y a rapidement renoncé
parce qu'ils n'étaient pas suffisamment dé-
coratifs.
Le travail exécuté par le génie constitue
un véritable tour de force. En quatro jeurs
cinq kilomètres de voie et quatre voies de
garage ont été construites. Le génie ne s'est
pas arrêté un seul instant. La ruit, ft a co
tinué aux flambeaux, lo travail commenc
le jour. 1
Le terrain plat heureusement se protêt
l'établissement rapide d'une ligne * H
a suffi de jeter des irav -rses dans beaucou
de ballast pour supporter les rails. La BOU,
dité parait suffisante. mais il ne faut pas?
s'attendre à voir les trains parlementaires
marcher précisément à la vitesse de gran
express.
C est par cette vole que le tsar regagner
ce soir la grande ligne à son départ. 1
La route de Bouy à la Pyramide, tracé
spécialement pour le corfc'g-i des souverain
est gardée militairoIDdK. Il en est de mêm,
de la ligne du ohemia do fer de Mo&rmelon/
au quartier général et aux tribunes.
LE CIEL SE DECOUVRE
Le ciel se découvrant laisse percevoîs
l'immense horizon clo-4 par les bouquets da
bois.
Rien de plus pittoresque que la vue de
immenses plaines crayeuses toutes détremS
pées, mais sillonnées Je voitures, de pis-
tons et de troupes en inarehe.
L'artillerie passe en -des ininterrompues.
Les musiques et les fanfares emplissent l'aipi
de refrains joyeux.
Le malheureux public, qui cherche à st\
caser, se glisse partout où les sentinelles
ne lui barrent pas la route. Çà et là on cassa.
la croûte en famille, et le bon cœur.
Au moment où le bYd..n se gonfle au loin,,
il se produit comme un sursaut dans cett
masse avide de voir, et-chacun verra, quellâ
que soit la place occupé La vue n'est, en
effet, arrêtée par aucun obstacle. ,
LE SERVICE D'ORDRE
Les tribunes sont au nombre de sept, sans
compter la tribune ofikietle.
Cette tribune, longue Je quarante mètres
environ, tendue de rouge à crépines d'or, af
sa décoratiolt habituelle de drapeaux, daE
cuirasses, d armes e. do croix de la Légion
d'honneur formées à l'aide de pièces de fu-
bils. En arrière se trouve, sobrement, orn
un salon llanqué, comme le salon diploma-
tique do Cherbourg, d,) doux cabinets de toi-
lette,
A gauche et à droite le Kescafier principal
sont places des canons et des fusi1 réunis
en faisceaux. Quatre pylônes, entourés da
drapeaux russe? et français, ayant dans
leur partie supérieure, en plâtre doré, deum
écussons impériaux russes, limitent l'en-
ceinte réservée d la tribune d'honneur.
A droite et à gauche s'étendent pour le9
invités sept trlbwne: de soixante-quinze-
mètres chacune. lin comptant l'espace libre,
le fron. des tribunes s étend sur près d'ua
kilomètre.
La prévôté fait un service d'ordre rigooi
rt'ux. Elle dispose d'une force imposante 3
600 hommes que commande le lieutenant
colonel Loyer, grand prévôt.
Les mercantis, dont la recette sera sans
doute fort belle, font au eamp une vérltabhï
ceinture de tentes eL ae baraquements. Li
camp leur est en e iet interdit.
LES EFFECTIFS DE LA REVUE
Les troupes parties assez tard de leur.
cantonnements commencent à arriver eri
tenue de campagne *ur le terrain, musiqued
en tête. Elles prennent leur position de raàk
semblement, faco aux tribunes, c'est-à-dirft
au nord.
Indiquons, à titre de curiosité, le chiffrât
officiel des etreetifs: 3,000 officiers, 66,7561
hommes, 18,669 chevaux, 1,0G0 canons oq(
voitures.
L'ASSISTANCE OFFICIELLE
A dix heures vingt, le téléphone annonce
aux officiers du géme qui ont la direction
de l'exploitation au tronçon du réseau ferrg
établi par le régiment des chemins de fer
que ie train réservé à la municipalité part<
sienne quitte la gare de Mourmelon.
Ce soir, la ligne sera éclairée par les app
reils Weils, qui éclairaient à Cherbourg la
voie de l'arsenal Jarâ du départ des souv..
rains russes.
Le président du conseil municipal, les:
membres de la municipalité et le conseil
général de la Seine, ainsi que de nombreux,
invités de la municipalité, descendent bien-
tôt après. C'est à pied qu'ils se rendent aux
tribunes, aucune voiture n'étant disponible.
Sur leur passage, les députés et les séna-
teurs qui franchissent a pied le parcourt
de la gare aux tribunes sont l'objet d'ova-rf
tions du la part de la loule qui se presse aux
abords des portes d eutree et des enceintes
des tribunes.
Un emplacement a été réservé à l'extre
mité gauche des trioones pour les officiers
de reserve et du territoriale. Ceux-ci se pré*
sentent avec des uniformes depuis long
temps inutilisés et qui ne vont peut-Ctrd
plus exactement à luur taille, lia sont plai
de six cents.
Les généraux dans le cadre de réserve on
ceux en acuvito de service qui ne comman*
dent pas de troupes prenant part à la revue
sont également nornbreax. Nous apercevons
les généraux llcrgc, Loiziiion, Brugere^
lsornis, etc.
Les premiers sénateurs et députés, ceux
qui ne sont pas montés dans les trains spé*
ciaux, arrivent vers onze heures. ils se réUë
nissent tout d'abord sous les tentes accolées
aux tribunes, qui ont été allectous aux bU,4
vettes des deux assemblées.
Dans la tribune ofiicieiic, on a remarqué
que M. Bourgeois, ancien président du COII
seil, a conversé pendant plus de vingt mK
nutea avec M. CbidkJne.
LA CONCENTRATION DES TROUPES:
Pendant ce temps, la concentration del
troupes s'achève,
On vient do gonfler le ballon qui défilera"
avec le parc aérostatique et le câble de cent
mètres. Le capitaine Hcnard, frère du com-
mandant Renard, est dans la nacelle, à- la-*
quelle sont attachées deux longues oriflam*
mes aux couleurs françaises et russes ; il
doit prendre, au moment du défilé, des vues
photographiques qui seront réunies en album
et oncftca a l'empereur do Russie. Le ballon
devra être à ce moment à huit cents métresi
Si le temps le permet, il y aura une ascen.
slon libre après la revue.
A onze heures et demie, le général Saus-i
sier, suivi dd son ttat-major, parcourt te(
terrain pour se rendre compte si 18::1 dispo-
sitions prescrites ont otè prises.
De tous les pointa de l'horizon se déta.¡
chent les troupes da.D!! la formation mêmtt,
du défilé. Le coup d'oeil est merveilleux.
Les troupes, l'arme au pied, gardent la plu:
complète immobiliré. On les admire toutes.
Mais le succès de curiosité est pour les 3t
pins, les zouaves et les tirailleurs. Le côta
est du rectangle est occupé par le 2* corps
et les éléments non endlvisionnés ; le côté;
sud par le 6* corps (fis et le 7* corps ; le côt4
ouest par les divisions de cavalerie»
A
PARIS ET DEF^Rv'ElVf E WT8
'1 :
L Nueo. CTEWTQ C:EN-TIM::E:S{
ANNONCES
.aux BUREAUX DU JOURNAL
131, rue Montmartre, 131
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De 4 à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à J heure du aatia
2NT° 9711. — Dimanche 11 Octobre 1896
20 VENDÉMIAIRE AN 105
ADMllVISTRATIGN t lilli rue Montmartre, 181
Adresser Uttres * mandats à rAdministrateur
NOS LEADERS
L'ALLIANCE RUSSE
Les fêtes russes sont terminées. Au
moment où l'hôte de la République
quitte la France, on a lieu de se félici-
ter de part et d'autre des quelques
jours qu'il a passés sur notre terri-
toire.
Comme on l'a déjà remarqué dans
la presse française et dans la presse
étrangère, c'est un spectacle signili-
catif que de voir le souverain le plus
absolu d'Europe, accueilli par notre
démocratie, dans le pays de la Révo-
lution, dans des réceptions où de part
Bt d'autre on a apporté une si chaleu-
reuse cordialité. De notre côté, ce n'est
pas seulement Paris, c'est toute la
France, qui a témoigné de ces senti-
ments pour la nation amie dont le re-
présentant était parmi nous; et les
foules énormes venues de tous les
points du territoire, associaient les
masses profondes du pays à cette ma-
nifestation. D'autre part, l'attitude du
tsar a montré avec assez de netteté
que les sympathies étaient récipro-
ques. On ne pouvait pas désirer une
démonstration plus convaincante, de
l'union des deux puissances.
.*
Il me semble que si nos pères de la
Restauration pouvaient sortir de leur
tombeau, ce spectacle leur inspirerait
une bien profonde surprise. Non à
cause des sentiments qui se sont ma-
nifestés entre le souverain russe et les
foules parisiennes — ils avaient vu
des sentiments de même nature se
faire jour dans des circonstances qui
les faisaient encore mieux ressor-
tir — c'est après que sur les ordres et
par le crime d'un despote les armées
françaises avaient été porter jusqu'au
cœur de la Russie la mort et la dévas-
tation; et quand à leur tour les armées
russes, prenant leur revanche, avaient
envahi notre territoire ; c'est au cœur
d'un pays vaincu, accablé, après plus
de vingt ans de luttes acharnées, dans
une capitale occupée par les troupes
étrangères, qu'un des prédécesseurs
du tsar actuel avait reçu les acclama-
tions et mérité le souvenir reconnais-
sant des populations françaises. On
sait comment, parmi les vainqueurs
qui avaient alors la France à leur
merci, il s'opposa aux conseils de la
haine et intervint pour adoucir les
dures conditions qui nous étaient im-
posées.
Mais, à ce moment, la victoire de
l'Europe sur la France n'était pas seu-
lement celle des nations coalisées sur
la nation défaite : c'était aussi le triom-
phe passager d'un principe sur un au-
tre principe ; citait l'écrasement, par
les traditions d'ancien régime, de l'es-
prit de révolte et de liberté qui avait
jailli des ruines de la Bastille. Le pre-
mier soin des vainqueurs était de réta-
blir chez nous la vieille royauté de
droit divin. Ce n'était pas assez ; dès le
lendemain, la Sainte-Alliance donnait
sa signification à leur victoire com-
mune, et continuait, en pleine paix,
dans la politique de chaque jour, la
campagne entreprise contre le génie
de la Révolution.
.:\f,.
Les années qui se sont écoulées de-
puis lors, ont singulièrement trans-
formé le monde, puisque nousvoyions
naguère un tsar saluer l'hymne dans
lequel palpite dans toute sa puissance
l'âme de cette Révolution jadis pros-
crite. et qui est devenu le symbole de
la nation française ; et puis, aujour-
d'hui l'héritier et le successeur de ce
souverain ami, vient recevoir l'hospi-
talité de notre République, sans que les
différences des principes qui président
à la politique des deux pays jettent seu-
lement une ombre sur les fêtes qui lui
sont offertes.
C'est que le temps n'est plus où
la propagande monarchique pouvait
trouver un champ d'action dans la
politique extérieure des peuples. Il y
a à cela bien des raisons. La première
est que la plupart des monarchies ont
été obligées de faire une part plus ou
moins grande au principe nouveau ;
c'est ensuite et surtout que d'autres
considérations assez impérieuses pour
ne pas souffrir de répliques amènent
les puissances à chercher contre les
menaces du dehors des garanties au-
tour d'elles. Déjà, souvent, dans le
passé, on avait remarqué les excel-
lentes relations de l'empire russe avec
la grande république américaine. Ses
rapports d'amitié avec la démocratie
française n'ont donc rien d'anormal.
Cela seul suffit à montrer combien
était absurde l'affirmation si souvent
répétée des régimes déchus que nos
institutions républicaines condam-
naient la France à l'isolement dans
l'Europe monarchique. Le bon sens
seul indiquait déjà ce qu'une telle
accusation a d'invraisemblable. Un
pays qui a l'une des trois premières
armées et la seconde flotte du monde ;
qui possède le second parmi les grands
marchés de capitaux et une épargne
incomparable à laquelle le monde en-
tier fait appel ; qui, par son industrie
et son génie, a pris sur le globe le rang
que nous n'avons pas perdu, un tel
pays est en droit de ne pas redouter
que son amitié soit systématiquement
repoussée, pourvu qu'il ne devienne
pas, par l'ambition conquérante de ses
gouvernants, une menace pour le
monde entier.
*"*.
Son union avec une nation aussi
grande et aussi forte que la Russie
peut constituer, dans l'intérêt des
deux peuples, une puissance excep-
tionnelle, mais à une condition : c'est
qu'il y ait dans un gouvernement,
pour la mettre en œuvre, une politique
étrangère. C'est ce qui a fait défaut
jusqu'ici. Dispersée, gaspillée par des
entreprises lointaines dont - nous ne
connaissons que trop les charges, et
dont nous attendons encore les pro-
fits, batailleuse dans toutes les parties
reculées du globe, hésitante, timide,
faible en Europe presque jusqu"à l'ab-
dication, la politique étrangère de la
République française n'a guère mieux
valu jusqu'ici que celle des régimes
qui l'avaient précédée. Si cela devait
continuer, nous ne perdrions assuré-
ment pas tous les résultats des allian-
ces que nous pouvons conclure, puis-
que leur principal objet est de nous
donner une garantie de plus contre
les agressions violentes; mais tout au
moins nous n'en retirerions pas le
profit qu'on est en droit d'en attendre
aux époques normales, où les puissan-
ces rivales ne font point appel à la
force.
En nous félicitant de l'importante
amitié qui parait solidement acquise
à la France, souhaitons donc par sur-
croît une politique étrangère qui lui
fasse porter tous ses fruits.
CAMILLE PELLETAN.
Nous publierons demain un article
de M. Charles Bos.
LES TOASTS DE L'ALLIANCE
Le toast porté par le tsar à Châlons
complète ceux de Cherbourg et de
Paris.
« Les deux pays », a dit l'empereur,
a sont lies par une inaltérable amitié ».
De même, il existe entre les « deux
armées un profond sentiment de con-
fraternité d: arrltes ».
C'est l'alliance confirmée une se-
conde fois par une des parties con-
tractantes.
Les mots « liés, amitié et confrater-
nité d'armes » accouplés ensemble
dans une seule et même phrase ne
peuvent laisser aucun doute aux es-
prits les plus prévenus.
Le toast a été, d'ailleurs, prononcé
d'une voix vibrante par Nicolas II et
applaudi vigoureusement par tous les
officiers russes qui étaient présents.
Faut-il rappeler aussi que le jour de
la réception à l'Hôtel de Ville, le prési-
dent du conseil municipal a pu dire
en parlant du peuple russe qu'il était
« l'allié » du peuple français et que
rien, dans les conversations que le
tsar a eues ensuite soit avec M. Félix
Faure, soit avec M. Hanotaux, n'a per-
mis de supposer que M. Baudin avait
employé une expression trop forte.
Les journaux allemands continue-
ront-ils à essayer de faire croire à
l'opinion européenne, — qui, du reste,
sait à quoi s'en tenir sur ce point —
qu'il n'y a pas de traité d'alliance entre
la France et la Russie ?
Mais, peu importe.
Maintenant, chacun des deux peu-
ples est sûr de l'autre. L'équilibre eu-
ropéen n'a jamais été mieux assuré.
Malheur à qui voudrait se mettre en
travers de la Duplice !
CHARLES BOS.
LE TEXTE DES TOASTS
Voici les toasts prononcés par M. Félix
Faure et le tsar au banquet de Châlons.
Nous disons autre part quelle est leur im-
portance.
M. Félix Faure a parlé ainsi :
Votre majesté va nous quitter après
un séjour qui laissera dans les annales
de nos deux pays un ineffaçable sou-
venir.
Comme un sourire d'heureux au-
gure, le charme de la présence de sa
majesté l'impératrice restera gracieu-
sement lié à cette visite.
A Paris, vos majestés ont été ac-
clamées par la nation tout entière. A
Cherbourg et à Châlons, elles ont été
reçues par ce qui tient le plus au cœur
de la France : son armée et sa marine.
L'armée française salue ici votre ma-
jesté. A chacun des fréquents anniver-
saires de leur glorieux passé, marins
et soldats français échangent avec
leurs frères de Russie le témoignage
de leur cordialité et de leurs vœux.
Aujourd'hui, au nom de l'armée et
de la marine françaises, je prie votre
majesté de recevoir, pour ses armées
de terre et de mer, l'affirmation solen-
nelle d'une inaltérable amitié.
Je bois à l'armée et à la marine 1
russes. Je lève mon verre en l'honneur
de sa majesté l'empereur Nicolas II
et de sa majesté l'impératrice Alexan-
dra Feodorovna.
Le toast du président de la République a
été écouté debout par tous les assistants.
La musique a ensuite joué l'Hymne russe.
Le tsar a répondu d'une voix chaude et
vibrante :
Dans le port de Cherbourg, à notre
arrivée, j'ai pu admirer une escadre
française. Aujourd'hui, à la veille de
quitter votre beau pays, j'ai eu le
plaisir du spectacle militaire le plus
imposant en assistant à la revue des
troupes sur le terrain habituel de leurs
exercices.
La France peut être fière de son
armée. -
Vous avez raison de le - dire, mon-
sieur le président, les deux pays sont liés
par une inaltérable amitié. De même,
il existe entre nos deux armées un pro-
fond sentiment de confraternité d'armes.
Je lève mon verre en l'honneur de
vos armées de terre et de mer, et je
bois à M. le président de la Répu-
blique française.
A deux reprises, au cours du toast de
l'empereur, les Russes présents au déjeuner
crient : Hurrah 1
LA REVUE
On trouvera plus loin le compte-rendu
de la revue de Châlons. Et j'essayerais
en vain, en ces quelques lignes hâtive-
ment écrites au débotté, de rendre l'im-
pression produite par l'imposante ma-
nifestation militaire à laquelle nous
venons d'assister, digne dernier cha-
pitre des inoubliables fêtes du tsar.
Malgré le temps maussade, cela a été
beau au-delà de toute expression. Et
lorsque nos admirables soldats ont
défilé devant les souverains de Russie
et le président de la République, une
sainte émotion s'est emparée de tous
les cœurs.
Encore que le terrain, détrempé par
la pluie, se prêtât aussi mal que possi-
ble aux évolutions militaires, le 68 et le
7" corps ont défilé avec une correction
absolue. Nous avons déjà décrit ce dé-
filé par division en masse ; on ne sau-
rait rien imaginer de plus grand, rien
de plus fort. L'effet produit à Vitry-le-
François, en 1891, lorsque cette forma-
tion a été pour la première fois expéri-
mentée, s'est retrouvé tout entier hier.
Lorsque devant les spectateurs innom-
brables a passé cette forêt de baïonnet-
tes, tous les fronts se sont découverts,
de toutes les poitrines ce cri a jailli,
emplissant le vaste ciel : Vive l'armée !
Ç'a été la belle revue que nous de-
mandions. Non une parade, mais une
inspection sérieuse de troupes prêtes
Dour la besogne. Nos soldats étaient,
en effet, en tenue de campagne. Et le
tsar les a vues telles qu'elles devront
être sur les champs de bataille que
nous rencontrerons peut-être dans l'a-
venir.
Et il emportera, l'empereur de Russie,
de cette superbe solennité militaire, la
certitude que son alliée, la France, s'il
fallait un jour se mettre en marche, ne
le laisserait pas en route sur le chemin
de la victoire.
Nul ne sait ce que pourra être de-
main. Et certes, il faut se garder de
prononcer des paroles, je ne veux pas
dire imprudentes, car j'estime que le
temps de la prudence, au moins de la
prudence excessive, est passé, mais
prématurées. Aussi nous enorcerons-
nous de renfermer en nous-mêmes les
ardentes pensées évoquées par le spec-
tacle prestigieux auxquelles nous ve-
nons d'assister. Seulement, nous rap-
pelant le mot fameux de Gambetta —
qu'il faut « y penser toujours et n'en
parler jamais » — nous pouvons dire
que le moment semble enfin venu d'y
penser — et d'en parler.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
LES PIRATES MAURES
Nous avons dit hier qu'une barque fran-
çaise dont on ne sait pas exactement le
nom, car certaines dépêches l'appellent Rio-
nom, d'autres Prosper et d'autres encore Co-
per,
rinthe, avait été capturée sur la côte du
Maroc, non loin d'Alhucemas.
Nous avons dit aussi en quelques mots
l'intervention héroïque de l'équipage d'un
navire de commerce espagnol, le Sévilla, qui
s'empara d'une barque appartenant aux pi-
rates, et délivra les matelots français. Les
marins espagnols, qui ont perdu dans cette
action un "es leurs, et qui ont eu deux de
leurs camarades blessés sont assurés de la
reconnaissante admiration de la France. Nul
doute que le gouvernement français ne
sache leur faire parvenir le témoignage de
cette gratitude; mais là ne s'arrête pas sa
tâche, et nous comptons sur lui pour exiger
du gouvernement marocain une réparation
complète, qui ne pourrait consister seulement
en la réception des très plates excuses dont
ne saurait manquer d'être prodigue le sultan
qui règne de l'autre côté du détroit de Gi-
braltar. Du reste, le gouvernement espa-
gnol est complètement d'accord avec nous.
En effet, le gouverneur espagnol de la place
d'Alhucemas a adressé une lettre très éner-
gique au caïd pour exiger la délivrance du
capitaine du navire qui se trouve prisonnier
dans une tribu maure aux environs d'Alhu-
cemas.
Les ministres d'Espagne et de France à
Tanger vont adresser des réclamations au
gouvernement marocain pour demander
le châtiment des coupables et une indem-
nité.
Le gouvernement marocain, naturelle-
ment, ne fait aucune objection.
Voici des détails sur lincident :
La barque française naviguait près d'Alhu-
cemas quand elle fut assaillie par plusieurs
canots montés par des Maures, lesquels
abordèrent le navire en faisant l'équipage
prisonnier.
Le pillage fut complet. Mais au moment
où quelques canots tiraient vers la terre
avec le butin, ils furent surpris par le va-
peur marchand espagnol, le Sevilla, qui
réussit à s'emparer d'un canot et à délivrer
quelques Français, en faisant prisonniers
plusieurs Maures.
Le vapeur se dirigea ensuite vers la bar-
que française, où se trouvait prisonnier le
capitaine français. Alors les Maures restés
sur la barque firent feu sur le vapeur espa-
gnol, qui eut un homme tué et quatre autres
Blessés. Un matelot français fut aussi blessé
au bras. Il a été transporté à l'hôpital
d'Alhucemas, où l'amputation du bras a été
jugée nécessaire.
Ce marin, Vincent Aubert, est décédé à
l'hôpital à la suite de l'opération.
La barque française capturée par les
Maures venait de Cadix et ailait à Alger;
elle appartient à l'inscription maritime de
Dieppe. Le capitaine est M. Aube et l'arma-
teur M. -- Dauder.
Le vapeur Sevilla, après avoir laissé ses
mortb et ses blessés à Alhucemas, rechercha
la barque sans la trouver, pensant que le
courant l'avait emportée vers l'ouest.
Le tribunal maritime de Melilla instruit
le procès contre les pirates maures.
Dernière heure. — Une dépêche de Ma-
drid annonce que le véritable nom de la
barque française capturée por les Maures est
Prosper-Corin et non Connthe, comme le di-
saient les précédentes dépêches.
Le ministre d'Etat, qui se trouve à Saint-
Sébastien, a fait part de l'incident, par télé-
graphe, à M. de Mandas.
Les journaux croient que l'Espagne et la
France s'entendront pour exiger du Maroc
le châtiment des coupables et une indemnité
pour les victimes.
—— —————————
Un de nos confrères réactionnaire et
clérical — mais bien connu par ses hâ-
bleries — se vantait, hier matin, d'avoir
été le seul à assister au gala de Ver-
sailles.
Nous voulons douter de son affirma-
tion, car, si le fait était exact, un pareil
manque d'égards vis-à-vis de la presse
française, et surtout de la presse répu-
blicaine, mettrait le protocole dans une
singulière situation.
Du reste, au cours des fêtes, ce pro-
tocole a été au-dessous de tout. Il est
urgent de le transformer complètement.
Et nous imaginons que le Parlement
saura exiger ces modifications.
NICOLAS Il A CHALONS
Le départ de la gare de l'Est
La revue — Le banquet
Les toasts—Adieu à la France
Depuis hier soir le tsar a quitté la terre
de France, mais l'impression qu'il remporte
de l'accueil qui lui a été fai, est tel qu'il n'a
pu s'empêcher de manifester son désir de
se trouver à nouveau au milieu du peuple,
français et qu'on peut déjà affirmer que le
tsar leviendra.
Le printemps prochain semble être l'épo-
que qu'il s'est fixée pour accomplir ce second
voyage, mais on croit que cette fois il vien-
dra en France sans souci du protocole de
fait, sans étiquette, incognito, si cela est
possible, tant ses traits sont gravés dans
la mémoire des Français.
Sa visite, commencée chez nos marins,
puis au cœur même de la France, au milieu
du peuple de Paris, s'est terminée hier par
la revue de nos troupes.
On va voir plus loin combien a été gran-
diose ce dernier contact entre le tsar et
l'âme de la nation française : l'armée.
AVANT LA REVUE
A LA GARE DE L'EST
Le départ des trains spéciaux organisés,
cette nuit, pour permettre aux Parisiens
d'assister à la revue du camp de Châlons,
ayant soulevé, à la gare de l'Est des inci-
dents tumultueux, ils ont été difficilement
réprimés par la police.
Nous avons déjà publié l'horaire et l'affec-
tation des trains. Outre ceux qui étaient
réservés au corps diplomatique, aux députés
et sénateurs, aux officiers, aux conseillers
municipaux, aux membres de la presse, on
sait que quatre trains étaient destinés au
public.
La distribution, des billets pour ces der-
niers trains devait être close mercredi soir,
à cinq heures.
Déjà bien avant minuit dix, heure du dé-
part du premier train spécial affecté au pu-
blic, une foule de voyageurs, parmi lesquels
on remarque de nombreux officiers de ré-
serve, assiègent les guichets de la gare. Ce
sont des voyageurs qui n'ont pu se munir
d'un billet donnant droit aux trains spé-
ciaux ou qui ont négligé de le faire. Tous
demandent des billets pour le dernier train
ordinaire de Châlons partant de la gare de
l'Est à minuit quarante.
Les employés délivrent autant de billets
qu'ils en ont sans se demander si le nombre
de places de ce train sera suffisant.
C'est ainsi que, munis de leurs billets or-
dinaires, les voyageurs assiègent la voie
bien à l'avance. Les agents de fa compagnie
tentent en vain de s'opposer à leur passage.
Ils sont débordés. Et dans le train spécial
de minuit dix s'empilent des voyageurs qui
devraient attendre le train ordinaire de mi-
nuit quarante.
A partir de ce moment, le désordre est
complet. Des personnes munies d'un billet
spécial se voient repoussées parce que leurs
places sont indûment occupées par des
voyageurs ordinaires. Elles protestent et
assiègent à leur tour le train de minuit qua-
rante qu'elles devraient laisser aux voya-
geurs munis de billets ordinaires. La confu-
sion est de plus en plus grande. Le registre
des réclamations se couvre de signatures.
On réclame le chef de gare sur l'air des
Lampions. Le service d'ordre est insuffi-
sant.
A une heure et demie, MM. Laurent, se-
crétaire général de la préfecture de police,
Gaillot, directeur de la police municipale, et
Mouquin, commissaire divisionnaire, arri-
vent pour recevoir le général Billot, mi-
nistre de la guerre, dont le train doit partir
à deux heures dix. Ils ont peine à se frayer
un passage à travers la foule immense qui
garnit le vaste hall de la gare.
Le ministre de la guerre arrive à deux
heures accompagné de ses officiers d'ordon-
nance. Il est conduit par les fonctionnaires
de la compagnie devant le train ministériel.
Mais, nous dit un témoin oculaire, le géné-
ral Billot trouve l'installation 4e ce train
insuffisante. Il réclame, pour son usage
personnel, un wagon-salon plus confortabre.
Les employés ne savent plus où donner de
la tête ; ils cherchent de tous les côtés un
wagon qui puisse répondre au désir du mi-
nistre de la guerre. Enfin, on finit par en
envoyé quérir un, qui est agréé par le géné-
ral Billot et accroché au train ministériel,
lequel part à deux heures quarante-cinq,
c'est-à-dire avec trente-cinq minutes de re-
tard.
A trois heures du matin, l'impatience des
voyageurs qui n'ont pu trouver place ni
dans le train ordinaire de minuit 40, ni dans
les trains spéciaux, devient de l'exaspéra-
tion. Le commissaire de police, redoutant
des incidents violents, demande un renfort
de 150 agents.
L'arrivée de ceux-ci calme un peu les pro-
testataires. Un service d'ordre sérieux est
organisé. Les voyageurs semblent se résou-
dre à l'attente qui leur est imposée, et les
départs des trains spéciaux suivants s'effec-
tuent à peu près régulièrement. Néanmoins,
un certain nombre de voyageurs, munis de-
billets, ont dû renoncer à assister à la revue
du camp de Châlons et sont rentrés chez
eux fort mécontents.
EN ROUTE POUR CHALONS
Et maintenant, quittons Paris avec ceux
qui doivent assister à la revue.
Il est une heure et demie et il pleut à
verse ; pourvu qu'il n'en soit pas de même
à Châlons.
Notre train spécial (des journalistes) parti
de Paris pour assister à la revue de Châlons
ne doit arriver à la station de Mourmelon
qu'à sept heures et demie du matin.
Au départ de la gare de l'Est, qui était
prise d assaut par plus de cinq mille person-
nes, on se battait littéralement dans les
salles des Pas-Perdus et sur les quais. Les
guichets refusaient de délivrer des billets,
ceux déjà pris dépassant le nombre des
places disponi s avec le matériel qui me-
naçait d'être 1. affisant ; et cependant de
nombreux trains avaient été formés avec
des voitures empruntées aux différentes
compagnies du Nord, de Paris-Lyon et d'Or-
léans. Tous ces trains partaient archi-bon-
dés.
Les fourgons regorgeaient de voyageurs
entassés pêle-mêle. Quelques intrépides
poussaient l'imprudence jusqu'à voyager
debout sur le marchepied, au risque de
faiblir en route et d'ètre précipités sur la
voie.
Toutes les gares de la ligne de Paris à
Reims et Chàlons étaient bondées de voya-
geurs qui, sur les quais, attendaient vaine-
ment la possibilité de prendre place dans un
de ces nombreux trains qui toujours, arri-
vaient plus que complets.
Le buffetier de La Ferté-Milon avait, sur
des tables dressées sur le quai, très ingé-
nieusement exposé à la convoitise des voya-
geurs non précautionneux des victuailles
appétissantes : jambon, sandwichs, poulets
froids, pain, vin, tablettes de chocolat, etc.
En un clin d'oeil, tout est enlevé : on fait
hâtivement ses provisions, s'armant ainsi
contre la faim et la soif, car on n'ignore
pas que le camp de Châlons est sans res-
sources.
La physionomie des longues routes qui,
de la gare, conduisent sur le terrain de la
revue, est véritablement des plus curieuses:
on ne voit que gens chargés de provisions,
Dorteurs de paniers renfermant le déjeuner
froid que l'on fera tout à l'heure sur 1 herbe
d'autant plus fraîche que la pluie l'aura da-
vantage arrosée.
Malgré les péripéties et la fatigue du
voyage, cette foule est heureuse et gaie.
Crânement, pékins comme militaires, fem-
mes, jeunes gens ou vieillards, car il y a de
tout dans cette foule bigarrée, franchissent
allègrement les cinq kilomètres qui les sé-
parent des tribunes. Les rares omnibus,
I voitures ou charrettes que l'on rencontre,
sont pris d'assaut malgré le prix élevé des
places.
AU CAMP DE CHALONS
Nous voici au camp de Châlons, après
quelles difficultés !
Le temps superbe d'hier n'a pas eu son
lendemain : toute la nuit il a plu et, ce ma-
tin, le ciel reste couvert, faisant présager
de nombreuses ondées. Le sol crayeux du
vaste camp n'est pas cependant trop dé-
trempe, sauf sur les routes que sillonne
une foule sans cesse grossissante.
La grande cérémonie militaire d'aujour-
d'hui, réunissant les divers éléments de
tous nos corps combattants, devait, dans
les conditions spéciales où elle a lieu, exer-
cer sur la foule une puissante attraction.
Il est néanmoins difficile d'imaginer l'af-
fluonce immense qui se porte depuis quel-
ques heures vers le terrain de la revue.
Comment évaluer le chiffre des spectateurs?
Le calcul est, pour le moment, impossible à
faire. Seule, dans quelques jours, la compa-
gnie de l'Est pourra fournir des indications
précises sur le nombre de voyageurs trans-
portés et permettre ainsi d'établir une sta-
tistique à peu près exacte. , ------
Depuis deux heures du matin les trains so
succèdent sans interruption, déversant les
curieux par milliers en pleine nuit noire et
sous la pluie. Ceux-ci se mettent gaiement
en marche. Certains chantent, d'autres
échangent des lazzi, poussent des cris de
ralliement et donnent à cette scène une note
joyeuse et pittoresque. Quelques familles
portent péniblement do lourds paniers con-
tenant le déjeuner traditionnel, et la revue
ne commence qu'à midi.
Que dire des voitures ? Il n'en reste plus
une seule disponible, non seulement dans
la Marne, mais encore dans tous les dépar-
tements limitrophes. A côté des landaus et
des victorias modernes se traînent, attelés à
des chevaux de labour, do vieux omnibus,
des charrettes invraisemblables où des plan-
ches figurent des sièges bien primitifs.
A neuf heures, plus de cent cinquante
mille personnes sont déjà sur la terrain,
attendant la revue.
LE TOUR DE FORCE DU GENIE
Les mille sapeurs du Se régiment du gé-
nie ont achevé ce matin la construction de
la ligne ferrée qui part de la gare de Mour-
melon pour aboutir à deux cents mètres
derrière les tribunes. Cette ligne à voie
unique doit servir au transport des mem-
bres du Parlement. On sait qu'elle a été
créée à la suite des exigences montrées par
les loueurs de Paris. On n'avait pas de-
mandé moins de 600 fr. par voiture pour
prendre les sénateurs et députés à la gare
de Mourmelon et les amener au camp. On
avait alors songé à recourir aux breaks de
courses qui font le service des hippodromes
suburbains. On y a rapidement renoncé
parce qu'ils n'étaient pas suffisamment dé-
coratifs.
Le travail exécuté par le génie constitue
un véritable tour de force. En quatro jeurs
cinq kilomètres de voie et quatre voies de
garage ont été construites. Le génie ne s'est
pas arrêté un seul instant. La ruit, ft a co
tinué aux flambeaux, lo travail commenc
le jour. 1
Le terrain plat heureusement se protêt
l'établissement rapide d'une ligne * H
a suffi de jeter des irav -rses dans beaucou
de ballast pour supporter les rails. La BOU,
dité parait suffisante. mais il ne faut pas?
s'attendre à voir les trains parlementaires
marcher précisément à la vitesse de gran
express.
C est par cette vole que le tsar regagner
ce soir la grande ligne à son départ. 1
La route de Bouy à la Pyramide, tracé
spécialement pour le corfc'g-i des souverain
est gardée militairoIDdK. Il en est de mêm,
de la ligne du ohemia do fer de Mo&rmelon/
au quartier général et aux tribunes.
LE CIEL SE DECOUVRE
Le ciel se découvrant laisse percevoîs
l'immense horizon clo-4 par les bouquets da
bois.
Rien de plus pittoresque que la vue de
immenses plaines crayeuses toutes détremS
pées, mais sillonnées Je voitures, de pis-
tons et de troupes en inarehe.
L'artillerie passe en -des ininterrompues.
Les musiques et les fanfares emplissent l'aipi
de refrains joyeux.
Le malheureux public, qui cherche à st\
caser, se glisse partout où les sentinelles
ne lui barrent pas la route. Çà et là on cassa.
la croûte en famille, et le bon cœur.
Au moment où le bYd..n se gonfle au loin,,
il se produit comme un sursaut dans cett
masse avide de voir, et-chacun verra, quellâ
que soit la place occupé La vue n'est, en
effet, arrêtée par aucun obstacle. ,
LE SERVICE D'ORDRE
Les tribunes sont au nombre de sept, sans
compter la tribune ofikietle.
Cette tribune, longue Je quarante mètres
environ, tendue de rouge à crépines d'or, af
sa décoratiolt habituelle de drapeaux, daE
cuirasses, d armes e. do croix de la Légion
d'honneur formées à l'aide de pièces de fu-
bils. En arrière se trouve, sobrement, orn
un salon llanqué, comme le salon diploma-
tique do Cherbourg, d,) doux cabinets de toi-
lette,
A gauche et à droite le Kescafier principal
sont places des canons et des fusi1 réunis
en faisceaux. Quatre pylônes, entourés da
drapeaux russe? et français, ayant dans
leur partie supérieure, en plâtre doré, deum
écussons impériaux russes, limitent l'en-
ceinte réservée d la tribune d'honneur.
A droite et à gauche s'étendent pour le9
invités sept trlbwne: de soixante-quinze-
mètres chacune. lin comptant l'espace libre,
le fron. des tribunes s étend sur près d'ua
kilomètre.
La prévôté fait un service d'ordre rigooi
rt'ux. Elle dispose d'une force imposante 3
600 hommes que commande le lieutenant
colonel Loyer, grand prévôt.
Les mercantis, dont la recette sera sans
doute fort belle, font au eamp une vérltabhï
ceinture de tentes eL ae baraquements. Li
camp leur est en e iet interdit.
LES EFFECTIFS DE LA REVUE
Les troupes parties assez tard de leur.
cantonnements commencent à arriver eri
tenue de campagne *ur le terrain, musiqued
en tête. Elles prennent leur position de raàk
semblement, faco aux tribunes, c'est-à-dirft
au nord.
Indiquons, à titre de curiosité, le chiffrât
officiel des etreetifs: 3,000 officiers, 66,7561
hommes, 18,669 chevaux, 1,0G0 canons oq(
voitures.
L'ASSISTANCE OFFICIELLE
A dix heures vingt, le téléphone annonce
aux officiers du géme qui ont la direction
de l'exploitation au tronçon du réseau ferrg
établi par le régiment des chemins de fer
que ie train réservé à la municipalité part<
sienne quitte la gare de Mourmelon.
Ce soir, la ligne sera éclairée par les app
reils Weils, qui éclairaient à Cherbourg la
voie de l'arsenal Jarâ du départ des souv..
rains russes.
Le président du conseil municipal, les:
membres de la municipalité et le conseil
général de la Seine, ainsi que de nombreux,
invités de la municipalité, descendent bien-
tôt après. C'est à pied qu'ils se rendent aux
tribunes, aucune voiture n'étant disponible.
Sur leur passage, les députés et les séna-
teurs qui franchissent a pied le parcourt
de la gare aux tribunes sont l'objet d'ova-rf
tions du la part de la loule qui se presse aux
abords des portes d eutree et des enceintes
des tribunes.
Un emplacement a été réservé à l'extre
mité gauche des trioones pour les officiers
de reserve et du territoriale. Ceux-ci se pré*
sentent avec des uniformes depuis long
temps inutilisés et qui ne vont peut-Ctrd
plus exactement à luur taille, lia sont plai
de six cents.
Les généraux dans le cadre de réserve on
ceux en acuvito de service qui ne comman*
dent pas de troupes prenant part à la revue
sont également nornbreax. Nous apercevons
les généraux llcrgc, Loiziiion, Brugere^
lsornis, etc.
Les premiers sénateurs et députés, ceux
qui ne sont pas montés dans les trains spé*
ciaux, arrivent vers onze heures. ils se réUë
nissent tout d'abord sous les tentes accolées
aux tribunes, qui ont été allectous aux bU,4
vettes des deux assemblées.
Dans la tribune ofiicieiic, on a remarqué
que M. Bourgeois, ancien président du COII
seil, a conversé pendant plus de vingt mK
nutea avec M. CbidkJne.
LA CONCENTRATION DES TROUPES:
Pendant ce temps, la concentration del
troupes s'achève,
On vient do gonfler le ballon qui défilera"
avec le parc aérostatique et le câble de cent
mètres. Le capitaine Hcnard, frère du com-
mandant Renard, est dans la nacelle, à- la-*
quelle sont attachées deux longues oriflam*
mes aux couleurs françaises et russes ; il
doit prendre, au moment du défilé, des vues
photographiques qui seront réunies en album
et oncftca a l'empereur do Russie. Le ballon
devra être à ce moment à huit cents métresi
Si le temps le permet, il y aura une ascen.
slon libre après la revue.
A onze heures et demie, le général Saus-i
sier, suivi dd son ttat-major, parcourt te(
terrain pour se rendre compte si 18::1 dispo-
sitions prescrites ont otè prises.
De tous les pointa de l'horizon se déta.¡
chent les troupes da.D!! la formation mêmtt,
du défilé. Le coup d'oeil est merveilleux.
Les troupes, l'arme au pied, gardent la plu:
complète immobiliré. On les admire toutes.
Mais le succès de curiosité est pour les 3t
pins, les zouaves et les tirailleurs. Le côta
est du rectangle est occupé par le 2* corps
et les éléments non endlvisionnés ; le côté;
sud par le 6* corps (fis et le 7* corps ; le côt4
ouest par les divisions de cavalerie»
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