Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-08-10
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 10 août 1896 10 août 1896
Description : 1896/08/10 (N9649). 1896/08/10 (N9649).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7564472c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/05/2013
cza GENTIM le Numéro: PARIS ET DËPARTEMENTê Lo ISTxiraéjc-o, CINQ G E PO" T I M £ 3 JËT
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l&l» rue Montmartre, 131
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ISf0 3643 - Lundi 10 Août 1838
24 THERMIDOR AN 104
ADMINISTRATION : 131, rue Montmartre, 18)
Adresser lettres et mandats à VAdministrateur
Nous commencerons mercredi pro-
ôhsrm, dans notre feuilleton de la
troisième page, la publication de
L'AMÉRICAIN
PAR
HENRY JAMES
Ce roman yankee, œuvre d'humour
ÛÎgU et d'observation narquoise, quel-
que chose comme Y Ingénu d'un Vol-
taire transatlantique, ne peut manquer
d'intéresser vivement nos lecteurs.
Une iIrlrigue à la fois simple et atta-
chante, des aperçus inaccoutumés
font de cette odyssée à travers l'océan
parisien d'un citoyen des Etats-Unis,
à là fois homme supérieur et âme
naïve, le plus captivant des récits.
L'AMÉRICAIN
obtiendra, nous n'en doutons pas, le
très grand succès qu'il mérite.
NOS LEADERS
LE DROIT DE GRACE
Doux pays!. En ce moment, une
ville de France, un chef-lieu de dé-
partement, s'il vous plaît - très dans
le Midi, à vrai dire — Montauban,
pour l'appeler par son nom, est en état
de révolte, presque. Pourquoi? Parce
que le président de la République,
usant d'une de ses prérogatives cons-
titutionnelles, a favorablement ac-
cueilli le recours en grâce d'un as-
Jassin.
Montauban se fâche, Montauban
l'indigne. Il lui fallait la tête de cet
assassin; il lui fallait le sang de cet
homme. Un moment la situation est
devenue grave ; et l'autorité s'est em-
pressée de faire filer sur Toulouse le
porteur de la tête en litige ; un peu
plus, on le lynchait à l'américaine,
gentiment. -- -
Les montalbanais, déçus, se sont
vengés sur un individu quelconque,
qui, dans un groupe, avait « paru ap-
prouver » la grâce. Ah! il a été bien
arrangé, allez ! Aujourd'hui, à demi
étranglé, suant de terreur, il écrit aux
journaux : — « Je ne savais pas ce que
je disais, j'étais soûl. Pardon!. » Et
de peur qu'on ne l'écharpe tout à fait,
cette fois, il joint son cri à la clameur
de mort poussé par les sanguinaires.
.*
Qui, cet assassin dont toute la popu-
lation réclame avec tant d'âpreté, la
mort? On ne sait guère.
Le crime qu'il a commis est ef-
froyable, de ceux dont le récit seul fait
frissonner. Il a tué deux vieillards et
une petite fille et, de ses mains rouges,
1 allumé un incendie pour essayer de
faire disparaître les traces de son exé-
arable forfait. Une bête féroce, ce
Longueville, un scélérat indigne de
toute pitié.
Cependant, sur le crime une ombre
plane. Quel motif? Le vol? Non. On a
retrouvé dans les décombres de la
maison tout l'argent que possédaient
les assassinés. Pourquoi ces meurtres
longuement prémédités? Une haine?
Mais quelle? et à propos de quoi? On
a parlé vaguement, sans trop savoir,
sans doute, de jalousie, d'une femme
que Longueville aimait, qu'il aurait
surprise avec le vieux. Obscurité. Et
l'iissassin, malgré tous les interroga-
toires subis, malgré tous les efforts
tentés depuis des semaines pour des-
serrer ses lèvres, pour faire suinter
d'entre elles l'aveu qui eût mis la cons-
cience de la justice en repos, est resté
muet, impénétrable, indéchiffrable,
gardant son secret.
C'est probablement parce qu'il l'a
gardé ainsi, parce qu'ainsi un doute,
une incertitude, pour mieux dire, est
restée sur son crime, que le président
a mis sa signature au bas du décret de
grâce.
.*
Mais à Montauban on ne veut pas
admettre tout ça. — « Ce n'es-t pas na-
turel, dit-on ; il y a quelque chose là-
dessous. » — Quelque chose? Par
exemple, la politique. Et d'aucuns
affirment que si M. Félix Faure a ac-
cordé au défenseur de Longueville la
commutation de peine sollicitée,ç'a été
pour permettre à cet avocat « d'enlever
plus facilement le mandat de député ».
L'avocat proteste. C'est idiot ! crie-t-il ;
loin d'augmenter mes chances, la grâce
de Longueville aurait été pour me
» couler » complètement, si j'avais eu
l'idée de flirter à Montauban avec le
suffrage universel. Il y a aussi, dans
l'affaire, un conseiller général accusé
d'avoir appuyé les démarches faites
et qui se défend comme un beau dia-
ble : - Ce sont mes adversaires poli-
tiques !. clame-t-il.
Cependant une pétition circule à
Montauban, et se couvre de signa-
tures ; les pétitionnaires ne doutent
pas que, pour exaucer leurs vœux, M.
Félix Faure ne s'empresse de revenir
sur la mesure de clémence qui, disent-
ils, révolte la conscience publique. Et
le Matin, à qui j'emprunte ces détails,
raconte que le lendemain du jour où la
grâce fut connue, le père de la petite
tille assassinée se trouva entouré de
gens qui lui criaient : — « Allez vous
faire justice vous-même ! » — Assuré-
ment ces aimables donneurs de con-
seils ne se rendaient pas bien compte,
en général, de la portée de leurs pa-
roles. N'importe, je souris doucement
en pensant aux braves gens qui crai-
gnent que les courses de taureaux à
l'espagnole ne rendent féroces ces
douces personnes.
Il est certain que toute cette agita-
tion malsaine et nauséabonde devra
prendre fin d'elle-même, le décret de
grâce signé par M. Faure n'étant pas
de ceux que l'on révoque, même pour
faire plaisir à des Montalbanais. Mais
peu m'importe; vous comprenez bien
que je ne saurais avoir une opinion
sur cette affaire obscure encore même
pour ceux qui ontpu l'étudier de près.
Seulement, je dis que le seul moyen
d'empêcher le retour d'incidents aussi
pénibles, de discussions aussi fâcheu-
ses, consiste à retirer au président de
la République le droit de grâce.
Croyez que le président ne se cram-
ponnerait pas beaucoup à cette préro-
gative. Elle est lourde. Grévy, adver-
saire en principe de la peine de mort,
graciait à peu près toujours ; aussi
l'appelait-on couramment: le père des
assassins. Carnot s'est trouvé en pré-
sence d'impérieux devoirs; on eùt dit,
certes : Il a peur! s'il eut été clément.
Il a laissé le bourreau agir et s'est dé-
signé ainsi au poignard de Caserio. Le
président actuel, en raison de ces sou-
venirs. se récrierait sans doute à l'idée
de se dessaisir du droit de grâce. Mais
il ne s'agit pas de cela.
Le fait est que rien n'est moins con-
forme aux principes républicains, à
l'idée républicaine, que ce droit de
grâce, véritable prérogative réga-
lienne. — L'affaire a été instruite ; la
chambre des mises en accusation a
rendu son arrêt; l'accusé comparait
aux assises ; on l'interroge, il répond;
les témoins sont entendus ; les avocats
plaident; le jury prononce selon sa
conscience; le tribunal, conformément
à la décision du jury, applique la loi et
tout n'est pas fini !.. Ce procès va être
refait, non plus en public, au grand
jour de l'audience, mais dans le huis-
clos d'une commission et, en dernier
ressort, il y aura un homme à qui il
appartiendra de dire si la chose a été
bien ou mal jugée. Ah ! ça, qu'en
sait-il ?
Passe quand cet homme était le roi,
supposé d'une essence supérieure et
recevant directement d'en haut, cen-
sément, ses inspirations. Mais je de-
mande s'il n'y a pas quelque chose de
vraiment scandaleux à revêtir d'attri-
butions aussi excessives, aussi abu-
sives, un homme à qui le vote du Con-
grès n'a pu — du moins on nous le
fera difficilement admettre — concé-
der l'infaillibilité.
Quand on revisera la Constitution
— oh ! on le fera tôt ou tard, soyez-en
sûrs ! — ce sera une des choses à faire
disparaître, ce droit de grâce, ortie
monarchique restée debout dans le
champ républicain. Alors les scènes
humiliantes dont Montauban est au-
jourd'hui le théâtre ne pourront plus
se produire. Nul ne sera tenté de man-
quer de respect à la loi, au dessus de
laquelle — comme cela doit être en
République — il n'y aura plus rien.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER
Nous publierons demain un article
de n. J.-l.. de Lanessan
A MADAGASCAR
La loi déclarant Madagascar et les îles
Qui en dépendent colonie française a été
promulguée hier au Journal officiel. Le texte
en est ainsi conçu :
Article unique. — Est déclarée colonie fran-
çaise l'île de Madagascar avec les îles qui en dé-
pendent.
Deux compagnies du 1er régiment étranger
et deux compagnies du 2e ont quitté respec-
tivement Sidi-bel-Abbès et Saïda, sur un
ordre du ministre de la guerre, et se rendent
à Alger, où elles doivent s'embarquer d'ur-
gence pour Madagascar.
L'effectif total de ces quatre compagnies
est de 688- sous-officiers, caporaux et sol-
dats.
Ce sont ces troupes qui seront appelées à
pacifier l'île, comme nous le disions hier.
On télégraphie d'Alger que deux compa-
gnies de la légion étrangère, venant de
Saïda sont arrivées hier matin dans cet e
ville.
Les deux autres compagnies de la môme
arme de Sidi-Bel-Abbès étaient attendues
dans la soirée. Peut-être aussi iront-elles
s'embarquer à Oran.
A leur arrivée, les deux compagnies de la
légion ont été conduites à la caserne située
à proximité du quai d'embarquement.
Les sous-officiers du 1er zouaves ont offert
une collation, des cigares et des fleurs à
leurs collègues de la légion, pendant que
les musiques des zouaves et de la légion
jouaient.
A sept heures et demie, le général Lar-
chey a passé les troupes en revue sur le
boulevard Carnot. n a adressé la parole à
plusieurs soldats ; pats, faisant former le
cercle, il a félicité fe cDmmtiSS
I chef du détachement, et, serrant la main à
tous les officiers de la légion, il a adressé à
chacun quelques paroles aimables.
Les compagnies se sont ensuite dirigées
sur le quai d'embarquement ou de nom-
breux officiers et sous-officiers de zouaves
les ont accompagnées.
La population massée aux abords du quai
a fait aux soldats une ovation enthousiaste
aux cris de : Vive la légion !
EXÉCUTION EN TUNISIE
Un pendu qui ressuscite
Hier matin a eu lieu au Bardo (Tunisie),
l'exécution par la pendaison de Mohamed
benh Aed El Benzerti, condamné à mort
pour assassinat de quatre de ses coreligon-
naires.
Au moment de son arrestation, Benzerti
avait reçu au bras droit une balle de revol-
ver qui avait nécessité l'amputation le lor
décembre 1895.
Hier matin, Benzerti fut pendu, et après
le temps réglementaire, sept minutes, disent
les agents de police, un quart d'heure,
disent les exécuteurs indigènes, la corde
fut coupée. -
Le corps fut soumis à la toilette des morts.
Au moment où il était mis dans le linceul,
Benzerti donna des signes d ! vie : il se sou-
leva et dit : « Avant de m'enterrer, donnez-
moi à boire. »
Les fossoyeurs et les aides, effrayés, pri-
rent la fuite et allèrent rendre compte au
directeur de la prison du Bardo de ce qu'ils
avaient vu.
Dans L après-midi, le commissaire central
se tranporta sur les lieux et trouva le mé-
decin de la prison donnant ses soins à Ben-
zerti.
Celui-ci a été transporté à l'hôpital où l'on
est convaincu qu'il survivra.
On pense que Benzerti, après ces rudes
épreuves aura la vie sauve.
LES ON-DIT
CARMST QUOriJlfiN:
Les courses : A Deauville.
— Au vélodrome de la Seine, match du bras-
sard entre Jacquelin et Pontecchi.
— Grandes eaux à Saint-Cloud.
— Pluie d'étoiles filantes dites c larmes de
Saint-Laurent le Grillé i.
— Fêtes d'Antony, Boulogne, Châtenay, Cba-
tou, Fontenay-sous-Hois.
-Durée du jour : 15 h. 52 m.
CHEZ NOUS,
-- Ceux qui ce matin, à 4 heures 46
r minutes, auront eu la chance de se trou-
ver au pôle boréal ou tout au moins à
Yokohama, auront le régal, assez rare,
d'une éclipse totale de soleil.
—— Mort d'un ancien ministre :
M. Caillaux, président du conseil d'ad-
ministration de la compagnie du chemin de
fer Paris-Lyon-Méditerranée, ancien séna-
teur de la Sarthe, ancien ministre des finan-
ces sous le gouvernement de M. de Brog-
lie, est mort vendredi soir, à Paris, en son
domicile boulevard Malesherbes. Jeudi
après-midi, M. Caillaux avait encore pré-
sidé le conseil d'administration ; c'est dans
la nuit qu'il a été atteint d'une hémorragie
cérébrale.
Les obsèques de l'ancien ministre qui
seront conduites par ses deux fils, MM. Jo-
seph Caillaux, inspecteur des finances et
Paul Caillaux, officier de cavalerie, auront
lieu demain lundi à dix heures, à Saint-
Augustin. Selon le vœu du défunt, il n'y
aura ni discours, ni honneurs militaires.
M. Caillaux était âgé de soixante-qua-
torze ans.
- M. Joseph Thomé, entrepreneur de
travaux publics de Paris, est mort hier
dans sa quatrevingt-sixième année.
M. Thomé était propriétaire de presque
tout un quartier à l'entrée de Passy.
Il était le beau-père de M. Chiris, séna-
teur des Alpes-Maritines, dont la fille a
épousé M. Ernest Carnot, fils de l'ancien
président de la République.
Sarcophages monastiques :
Des ouvriers qui travaillent rue de
Béarn, dans l'immeuble sis au n° 12, ont
découvert hier des cercueils en plomb
affectant la forme du corps humain.
Ces cercueils épousent fort exactement
le corps qu'ils renferment, au point qu'on
serait croire que les feuilles de plomb ont
été découpées sur le cadavre.
Ils portent chacun une marque.
Sur l'un un monogramme paraissant
formé des lettres AP entrelacées.
Sur le second, trois lignes qui vont de
la tête aux pieds.
On les a trouvés à 1 mètre 10 du sol,
sous la chaussée même da la rue de Béarn,
où l'on faisait des travaux pour l'établisse-
ment d'une « chambre souterraine » pour
les égouts.
Sur ce terrain s'élevait autrefois le cou-
vent des Minimes, et le chœur de la cha-
pelle devait être précisément à l'endroit
où cette trouvaille a été faite.
Il ne semble pas douteux que ce soient
là les cercueils de deux religieux.
Dès qu'il a eu connaissance de cette dé-
couverte, le directeur du musée Carnava-
let est venu l'examiner.
Il lui a paru que ces sépultures offrent
un réel intérêt archéologique.
Il s'est alors rendu à la préfecture de la
Seine pour obtenir qu'elles soient conser-
vées.
- M. Charles Masson vient d'être at-
taché au musée du Luxembourg pour se-
conder le conservateur, M. Bénédite, en
remplacement de M. Leprieur, appelé, au
musée du Louvre, à d'autres fonctions.
- M. Boucher, ministre du commer-
ce, accompagné de M. Picard, sous-chef de
son cabinet, a quitté hier soir Paris, par le
train de huit heures vingt-cinq, pour se
rendre à Rambervillers (Vosges), où il
présidera aujourd'hui les fêtes organisées
à l'occasion de la décoration de la Légion J
tft"honneur conférée à cette ville pour sa j
belle résistance à l'ennemi pendant l'an-
née terrible.
A L'ETRANGER
— La Galette de Francfort a recueilli
le renseignement suivant d'un médecin
bien informé de cette ville :
Aucun personnage officiel n'a appelé à
Saint-Pétersbourg le professeur Mendel,
aliéniste de Berlin. Ce dernier a été mandé
par M. Kokoref, négociant en pétrole de
Saint-Pétersbourg, qui passe l'été à Tsars-
koïe-Selo et qui a la manie de consulter
chaque mois une autre autorité médicale.
Le Passant.
Le Crime de la rue des Archives
ARRESTATION DE L'ASSASSIN
Ainsi que nous l'avons dit hier, l'autopsie
du corps de Mme Vaillant, faite par le doc-
teur Vibert, avait fait conclure à un
crime. r..
Un juge d'instruction, M. Daman, avait
été immédiatement commis par la parquet,
et M. Hamard, en vertu d'une commission
du juge d'instruction, avait procédé à 1 in-
terrogatoire des voisins de la victime.
Parmi les dépositions faites par ces der-
niers, une parut absolument suspecte au
sous-chef de la sûreté, celle d'un garçon
coiffeur, Joseph Pelissier, âgé de vingt-huit
ans qui habite avec sa maitresse la cham-
bre, contiguë à celle qu'occupait Mme Kefier
née Vaillant.
M. Hamard, au cours de l'interrogatoire
qu'il faisait subir à Pélissier, s'absenta un
instant et, après avoir conféré avec le juge
d instruction, revint et fit garder le garçon
coiffeur et sa maîtresse dans les locaux de
la sûreté, à la disposition de M. Danion.
Hier matin, MM. Atthalin, procureur de
la République; Danion, juge d'instruction;
Hamard, sous-chef de la sûreté et Montil-
lier, commissaire de police du quartier, se
rendaient 87, rue des Archives, pour procé-
der à des constatations.
La chambre de Mme Vaillant est une
petite pièce mansardée, meublée d'un lit,
d'une table ronde, d'une commode et de trois
chaises. La victime occupait cette chambre
d'un loyer annuel de 200 fr. depuis douze
ans.
Les magistrats firent reconstituer devant
eux la position exacte qu'occupait le cadavre
au moment de la découverte dit crime.
Mme Vaillant était étendue sur le flanc,
les deux mains jointes, la tête presque re-
couverte par l'édredon, sur lequel était
tombée une chaise.
Le cadavre était revêtu d'un caraco noir,
d'un corset noir, de deux chemises et d'un
jupon.
Cette reconstitution achevée, une perqui-
sition fut opérée par M. Hamard chez Pélis-
S Î OT» *
! Pélissier, qui habite avec sa maîtresse,
Mme Choquart, couturière, âgée de trente-
trois ans, une chambre exactement sem-
blable à celle de Mme Vaillant, ne travaille,
bien que ^e disant garçon coiffeur, qne très
rarement et fait surtout des extras.
Dans la perquisition on retrouva un fou-
lard de soie jaune taché de sang, des linges
ensanglantés, et on découvrit sur le lit des
traces nombreuses de sang. En même temps
on saisissait les outils du garçon coiffeur,
notamment une paire de ciseaux très effilés
et dont s'est probablement servi le meur-
trier pour frapper la vieille femme.
D'après les dépositions des autres voisins,
le jour du crime il n'y avait, 87 rue des Ar-
chives, que la femme Vaillant, Pélissier et
sa maîtresse. Tous les autres locataires
étaient absents.
Mme Vaillant était excessivement mé-
fiante et n'ouvrait sa porte que lorsqu'on
avait montré patte blanche ; elle n'a donc
pu ouvrir qu'à une personne de connais-
sance et, bien que Pélissier assure n'avoir
jamais parlé à Mme Vaillant, il est dès à
présent prouvé qu'à plusieurs reprises ils
ont conversé ensemble.
De plus, à l'heure où tout fait présumer
que s est commis le crime, Pelissier a en-
voyé la femme Choquart, sa maîtresse, lui
chercher du lait, et lorsque celle-ci est reve-
nue, elle a aperçu, d'après ce qu'elle dit à
M. Hamard, une tache de sang sur le fou-
lard que Pelissier portait au cou.
Pélissier et sa maîtresse ont essayé d'ex-
pliquer les taches sanglantes relevées sur
le linge, le foulard et le lit, en disant que
ces marques provenaient de punaises écra-
sées.
La femme Choquart s'est plusieurs fois
contredite dans son interrogatoire et des
charges terribles ont été relevées contre le
garçon coiffeur. Celui-ci, qui n'avait pas
travaillé depuis plusieurs jours, a été trouvé
porteur d'une somme de 46 fr. et, la veille,
il était allé verser un acompte de 21 fr. sur
une machine à coudre qu'avait achetée à
crédit sa maitresse.
Il a essayé de prétendre que cet argent
provenait de ses économies, mais il est
prouvé que Pélissier, comme nous l'avons
déjà dit, ne travaillait que très rarement.
D'autre part, Mme Vaillant, qui était di-
vorcée et recevait de son ex-mari une pen-
sion annuelle de 1,500 francs, avait touché,
justement le lor août, les 125 francs du mois
échu. Elle avait aussi reçu 25 fr. d'une dame
dont elle était la femme de ménage.
Si, lors de la découverte du cadavre, les
bijoux furent retrouvés, on ne découvrit,
par contre, aucune somme d'argent dans la
petite chambre.
Mme Choquart, pressée de questions, a
raconté aussi que le jour du crime, après
qu'elle éiait allée cherche r du lait, Pelissier,
couché sur le lit, s'était levé vers quatre
heures pour se rendre chez un patron faire
un extra, et que se mettant à la fenêtre de
la mansarde, il avait été pris d'une sorte de
syncope. - -
Chez son patron du jour, le malaise
avait persisté, et à différentes reprises, le
garçon coiffeur avait failli se trouver mal.
Un fait assez curieux et qui mérite d'être
raconté : Le chat de la vieille femme qui
avait été recueilli par la maîtresse de Pélis-
sier après l'ouverture du logement de Mme,
Vaillant, semblait détester Pélissier et lui
faisait fort mauvais accueil, allant même
jusqu'à essayer de le griffer et de le mordre
en lui sautant continuellement aux jambes.
Une perquisition nouvelle a été pratiquée
cet après midi au domicile de la victime par
deux agents de la sûreté qui ont procédé à
ce travail pendant trois heures.
Ils ont soigneusement palpé le sommier,
ausculté le matelas et ont retrouvé dans le
logement une bague qui avait échappé aux
précédentes investigations. j
Ils ont rapporté cette bague à la sûreté,
ainsi que la montre de Mme Vaillant et son
portemonnaie contenant 0 fr. 35. Le rapport
qu'a remis le docteur Vibert au parquet,
constate que Mme Vaillant a été frappée de
sept coups de couteau, mais qu'une seule de
ces blessures était mortelle.
L'inhumation de la vieille femme, qui de-
vait avoir lieu aujourd'hui, sera retardée.
Pélissier et sa maîtresse ont été inter-
rogés de nouveau dans l'après-midi par M.
Hamard.
Le garçon coiffeur se renferme dans le
même système de défense, mais on re-
marque dans ses réponses des contradic-
tions.
Une marchande au Temple, Mme Etié-
vant, âgée de soixante-dix ans, qui occupe
la chambre numéro 5, et qui était restée
chez elle le 1er août, a déclaré quo ce jour-là,
elle n'avait entendu chez sa voisine, Mme
Vaillant, aucun bruit suspect.
Deux couvreurs qui travaillaient depuis
un mois et demi dans la maison, et qui ce
jouMà étaient occupés dans la cave, ont été
interrogés.
Us ont déclaré n'être pas montés au troi-
sième étage, bien que Pélissier prétende
qu'il les a vus réparer une fontaine située
devant la chambre de Mme Vaillant.
Les dires des ouvriers qui contredisent
absolument Pélissier ont été corroborés par
la concierge.
Différents objets saisis chez le garçon coif-
feur ont été mis sous scellés, notamment le
foulard en soie jaune taché de sang, un
couteau et les ciseaux de Pélissier, sur les-
quels des traces de sang ont été aussi re-
marquées.
Après l'interrogatoire de Pélissier et de sa
maîtresse, le juge, auquel M. Hamard, sous-
chef de la sûreté, avait transmis la procé-
dure concernant l'affaire, a signé contre les
inculpés des mandats de dépôt, et le garçon
coiffeur a été ôcrotiâ à Mazas tandis que sa
compagne était conduite à Saint-Lazare.
Pélissier paraissait très abattu.
LA LIGUE PARIS-BANLIEUE
LA RÉUNION D'HIER
Les délégués des communes de laban-
Irene ont tenu hier soir, Théâtre-Mon-
dain, 29, cité d'Antin, une réunion très
importante.
Les communes étaient représentées
par cent quinze délégués.
- Il a été procédé à la constitution défi-
nitive du bureau de la Ligue. Les
membres désignés à la réunion du
21 juin ont été maintenus à l'unani-
mité. Le bureau est donc composé
comme suit : Président : M. Alexandre
Lefèvre, sénateur de la Seine; vice-
présidents : MM. Charles Bos, conseil-
ler municipal de Paris, et Pic, conseiller
d'arrondissement ; secrétaire : notre
ami et collaborateur Bentin.
M. Alexandre Lefèvre prononce quel-
ques paroles pour remercier les délé-
gués d'être venus en aussi grand nom-
bre. Il se félicite de voir les efforts du
Rappel et du XIXa Siècle couronnés de
succès. C'est grâce à ces deux jour-
naux, dit-il, qu'aujourd'hui la banlieue
est organisée et groupée ; que les com-
munes sont enfin réunies pour la dé-
fense de leurs intérêts. Il souhaite
qu'une union solide et durable soit éta-
blie pour toujours* entre les communes
de la Seine et de Seine-et-Oise.
Notre collaborateur Bentin est invité
à lire l'exposé des revendications rela-
tives aux trains de nuit et aux trains
ouvriers. Cet exposé est destiné à être
remis au ministre des travaux publics,
mais avant le bureau de la Ligue a
tenu à le soumettre aux délégués des
communes. Nous en reproduisons les
passages suivants :
Les habitants des communes suburbaines
ne peuvent rester tard le soir à Paris pour
leurs affaires ou pour leur plaisir.
Pour les Parisiens, pour ceux dont le tra-
vail dure jusqu'à une heure ou deux du
matin il leur est interdit d'aller en banlieue.
Les premiers, s'ils vont au théâtre, sont
tenus de rentrer précipitamment, les se-
cond. n'ont jamais les agréments do la
compagnie.
Paris proteste ; la banlieue proteste.
Voici le passage relatif aux ouvriers
abonnés à la semaine :
Les ouvriers sollicitent, en premier lieu,
la liberté de monter dans le train qui leur
convient ; actuellement ils ne sont admis
que le matin et le soir.
Il en résulte que l'intention de l'Etat et des
compagnie d'être bienveillants à l'égard dos
travailleurs se trouve souvent annulée par
cette condition. L'ouvrier, en effet, qui
quitte l'atelier dans le courant de la journée
ne peut rentrer chez lui qu'en payant place
entière. Sa carte d'abonné à la semaine
n'est pas valable par ce fait qu'il n'emprunte
pas pour revenir le train du soir indiqué par
a compagnie.
Les réclamations qui seront présen-
tées au ministre des travaux publics
comprennent également celles présen-
tées par les petits employés et la limite
de parcours. Le bureau de la Ligue
Paris-Banlieue a reçu mandat de de-
mander l'assimilation des petits em-
ployés aux ouvriers et l'élévation de la
limite de parcours pour les abonnés
ouvriers. Actuellement cette limite est
fixée à quinze kilomètres ; le bureau de
la ligue demandera qu'il soit porté à
25 kilomètres; au moins jusqu'à l'extré-
mité des réseaux de banlieue.
Après discussion, cet exposé est
adopté à l'unanimité.
Il est donné ensuite connaissance de
l'adhésion à la Ligue Paris-Banlieue de
la commune de Chatou.
Avant de se retirer, les délégués ac-
ceptent d'acclamation la proposition
suivante relative à l'empoisonnement
de la Seine : « Le bureau est autorisé à
réunir les délégués des communes qui
ont à se plaindre de l'empoisonnement
de la Seine et à étudier avec eux les
moyens d'empêcher cet empoisonne-
ment. »
Le bureau invitera les délégués à se
joindre à lui le jour où il portera au
ministère des travaux publics les récla-
mations des communes suburbaine.
au sujet des trains de nuit et des trains.
ouvriers.
ARTON
Arton ne comparaîtra devant la cour d'as,
sises de Seine-et-Oise où, comme on le sait
son affaire vient d'être renvoyée, qu'à la
session d'octobre.
Au parquet de M. le procureur générât
on discute actuellement sur le choix à faire
du conseiller qui dirigera les débats dU
procès.
Jusqu'à nouvel ordre, Arton continuera &
rester à la prison de la Conciergerie.
CHRONIQUE
Par PAUL GINISTY
« Tu dis toujours la même chose ! —
Parce que c'est toujours la même
chose ! » Est-ce ma faute, en effet, s'il'
m'arrive de revenir souvent sur cer-
taines condamnations, prononcées ab
irato, par nos magistrats, dansdes con-
ditions où les principes mêmes de la
justice me paraissent atteints ?
N'est-ee pas un des articles fonda-,
mentaux de notre Code que nul ne doit;
se faire justice lui-même? Comment sei
peut-il, alors, que des juges, s'esti-
mant insultés par un prévenu compa-'
raissant devant eux, aient la faculté de
venger personnellement aussitôt cette
injure?
C'est ce qui vient de se passer encore
ces jours-ci, à la onzième chambre dW
tribunal, correctionnel de la Seine. Ua;
individu, infiniment peu recommanda-,
ble, j'en conviens, nomipé Omin, s'en-
tend condamner à un a4 de prison. Il
n'attend pas vingt-quatre heures pour
maudire ses juges: il prend son soulier
et le jette à ia tête des juges.
Sur quoi, le substitut requiert aussitôt
contre lui, et, en deux minutes, tout
juste, l'homme se voit adjuger une
peine des plus sérieuses : cinq ans de
prison et cinq ans d'interdiction de sé-
jour. « Délit d'audience. » Les juges,
bien qu'ils aient eu la main lourde, ont
usé de leur droit. C'est contre ce droit
qu'il est permis de protester.
On entend bien, j'imagine, que je ne
vais pas excuser l'acte imbécile de cet
accusé insuffisamment résigné, et on
suppose que je le tiens pour coupable.
Il y a, au moins théoriquement, d'autres
moyens d'en appeler d'une sentence
qui parait d'une sévérité excessive. La
colère, qui est, la plupart du temps,
mauvaise conseillère, inspire particu-
lièrement mal ceux qui, ayant le mal-
heur de se trouver « sur le banc », s'a.
visent de répondre par des propos grog.
siers à la lecture d'un jugement contre
lequel ils ne peuvent naturellement
rien, immédiatement, du moins.
Mais ceci dit, est-il admissible que ce
soient ceux-là même qui ont reçu roC.
fense qui la fassent expier? La condam-
nation, en ces circonstances n'a plus le
haut caractère d'impartialité qui la doit
faire respecter. Les juges ont l'air da
tirer vengeance du fait qu'ils punissent,
et cela ne s'accommode guère avec leur
dignité.
On dira que, tandis qu'ils sont dans
l'exercice de leurs fonctions graves, ce
n'est pas à eux qu'ils pensent, mais à
l'outrage qui a atteint le corps qu'ils?
représentent. Il est indifférent à tel ou
tel magistrat d'être, en tant qu'homme.
incivilement traité par un chenapan,
mais il ne peut supporter, siégeant au
tribunal, l'outrage fait à sa togo. OuÏt
sans doute. Cependant, sous le coup de
l'affront reçu, l'homme et le magistrat
se confondent fatalement. Et c'est pré-
cisément ceci qui est choquant. Il se-
rait d'une attitude plus fière d'avoir un
peu moins de promptitude, convenons-
en. L'opinion, qui est simpliste, arrive
malaisément à séparer, dans la même
personne, celle qui frappe au nom de la
loi, et celle qui châtie l'outrage qu'elle
vient d'essuyer. Malgré l'impartialité
que nous nous voulons plaire à recon-
naître auxjuges, il est difficile d'oublier
qu'ils sont, par le fait, partie en cause.
La justice est coutumière de telles
lenteurs qu'on s'étonne qu'elle n ait
pas, en ce cas là, un peu plus de pa-
tience. L'insolence est patente, soit!
mais on ne prend pas le temps d'en
apprécier et les motifs et la portée. La
condamnation est prononcée sans qu'on
se soit donné le loisir de la rétlexioo.
Elle ressemble, quoi qu'on dise, à une
riposte, et il ne paraît pas, alors même
qu'elle est équitable, qu'elle soit dd*,
cernée avec le sang-froid nécessaire.
Ne serait-il pas plus convenable de
déférer, sur le champ, si l'on veut,
l'auteur de cette folie stupide à une
chambre qui statuerait sur le cas, avec
une complète possession d'esprit? Est-
ce que cette façon d'agir ne satisferait
pas mieux la conscience publique?
N'est-il pas indispensable que tout ju*
gement ne puisse être suspect de la
moindre passion, du moindre intérêt
personnel? Comment 1 on récuse an
juré qui peut passer pour avoir quel-
que motif de ressentiment contre un
accusé, et l'on souffre qu'un magistrat,
qui, après tout, selon toute vraisem-
blance, n'a pas supporté sans ennui, ne
fut-ce que pour la « galerie », un mot
ou un geste inconvenants, règle lui-,
même son compte avec son adversaire!
L'acte redoutable de juger n limplique4
il pas, cependant, une sérénité qui-
on peut du moins en faire la supposi-
tion — risque de ne pas se rencontrer
là? Et, en fait, la plupart des condam-
nations distribuées dans ces conditions
paraissent un peu disproportionnées,
et, tant qu'il soit entendu que c'est l'in-
sulte à la fonction qui est punie, il est
difficile de ne pas trouver que les Juges
ont l'épiderme sensiDle, La somme, il
AMdNCES
- RfJX BUREAUX DU JOUSHAXt
l&l» rue Montmartre, 131
jBtohsz MM. LAGRANGE, CERF' Cil
6, place de la Bourse, 6.
allt. télégraphique : XIX" SIÈCLE — FARia
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RÉDACTION: 1311, rue Montmartre, 131
De 4 à 8 heures du scdr et de 10 heures du soir h 1 heure du matin
ISf0 3643 - Lundi 10 Août 1838
24 THERMIDOR AN 104
ADMINISTRATION : 131, rue Montmartre, 18)
Adresser lettres et mandats à VAdministrateur
Nous commencerons mercredi pro-
ôhsrm, dans notre feuilleton de la
troisième page, la publication de
L'AMÉRICAIN
PAR
HENRY JAMES
Ce roman yankee, œuvre d'humour
ÛÎgU et d'observation narquoise, quel-
que chose comme Y Ingénu d'un Vol-
taire transatlantique, ne peut manquer
d'intéresser vivement nos lecteurs.
Une iIrlrigue à la fois simple et atta-
chante, des aperçus inaccoutumés
font de cette odyssée à travers l'océan
parisien d'un citoyen des Etats-Unis,
à là fois homme supérieur et âme
naïve, le plus captivant des récits.
L'AMÉRICAIN
obtiendra, nous n'en doutons pas, le
très grand succès qu'il mérite.
NOS LEADERS
LE DROIT DE GRACE
Doux pays!. En ce moment, une
ville de France, un chef-lieu de dé-
partement, s'il vous plaît - très dans
le Midi, à vrai dire — Montauban,
pour l'appeler par son nom, est en état
de révolte, presque. Pourquoi? Parce
que le président de la République,
usant d'une de ses prérogatives cons-
titutionnelles, a favorablement ac-
cueilli le recours en grâce d'un as-
Jassin.
Montauban se fâche, Montauban
l'indigne. Il lui fallait la tête de cet
assassin; il lui fallait le sang de cet
homme. Un moment la situation est
devenue grave ; et l'autorité s'est em-
pressée de faire filer sur Toulouse le
porteur de la tête en litige ; un peu
plus, on le lynchait à l'américaine,
gentiment. -- -
Les montalbanais, déçus, se sont
vengés sur un individu quelconque,
qui, dans un groupe, avait « paru ap-
prouver » la grâce. Ah! il a été bien
arrangé, allez ! Aujourd'hui, à demi
étranglé, suant de terreur, il écrit aux
journaux : — « Je ne savais pas ce que
je disais, j'étais soûl. Pardon!. » Et
de peur qu'on ne l'écharpe tout à fait,
cette fois, il joint son cri à la clameur
de mort poussé par les sanguinaires.
.*
Qui, cet assassin dont toute la popu-
lation réclame avec tant d'âpreté, la
mort? On ne sait guère.
Le crime qu'il a commis est ef-
froyable, de ceux dont le récit seul fait
frissonner. Il a tué deux vieillards et
une petite fille et, de ses mains rouges,
1 allumé un incendie pour essayer de
faire disparaître les traces de son exé-
arable forfait. Une bête féroce, ce
Longueville, un scélérat indigne de
toute pitié.
Cependant, sur le crime une ombre
plane. Quel motif? Le vol? Non. On a
retrouvé dans les décombres de la
maison tout l'argent que possédaient
les assassinés. Pourquoi ces meurtres
longuement prémédités? Une haine?
Mais quelle? et à propos de quoi? On
a parlé vaguement, sans trop savoir,
sans doute, de jalousie, d'une femme
que Longueville aimait, qu'il aurait
surprise avec le vieux. Obscurité. Et
l'iissassin, malgré tous les interroga-
toires subis, malgré tous les efforts
tentés depuis des semaines pour des-
serrer ses lèvres, pour faire suinter
d'entre elles l'aveu qui eût mis la cons-
cience de la justice en repos, est resté
muet, impénétrable, indéchiffrable,
gardant son secret.
C'est probablement parce qu'il l'a
gardé ainsi, parce qu'ainsi un doute,
une incertitude, pour mieux dire, est
restée sur son crime, que le président
a mis sa signature au bas du décret de
grâce.
.*
Mais à Montauban on ne veut pas
admettre tout ça. — « Ce n'es-t pas na-
turel, dit-on ; il y a quelque chose là-
dessous. » — Quelque chose? Par
exemple, la politique. Et d'aucuns
affirment que si M. Félix Faure a ac-
cordé au défenseur de Longueville la
commutation de peine sollicitée,ç'a été
pour permettre à cet avocat « d'enlever
plus facilement le mandat de député ».
L'avocat proteste. C'est idiot ! crie-t-il ;
loin d'augmenter mes chances, la grâce
de Longueville aurait été pour me
» couler » complètement, si j'avais eu
l'idée de flirter à Montauban avec le
suffrage universel. Il y a aussi, dans
l'affaire, un conseiller général accusé
d'avoir appuyé les démarches faites
et qui se défend comme un beau dia-
ble : - Ce sont mes adversaires poli-
tiques !. clame-t-il.
Cependant une pétition circule à
Montauban, et se couvre de signa-
tures ; les pétitionnaires ne doutent
pas que, pour exaucer leurs vœux, M.
Félix Faure ne s'empresse de revenir
sur la mesure de clémence qui, disent-
ils, révolte la conscience publique. Et
le Matin, à qui j'emprunte ces détails,
raconte que le lendemain du jour où la
grâce fut connue, le père de la petite
tille assassinée se trouva entouré de
gens qui lui criaient : — « Allez vous
faire justice vous-même ! » — Assuré-
ment ces aimables donneurs de con-
seils ne se rendaient pas bien compte,
en général, de la portée de leurs pa-
roles. N'importe, je souris doucement
en pensant aux braves gens qui crai-
gnent que les courses de taureaux à
l'espagnole ne rendent féroces ces
douces personnes.
Il est certain que toute cette agita-
tion malsaine et nauséabonde devra
prendre fin d'elle-même, le décret de
grâce signé par M. Faure n'étant pas
de ceux que l'on révoque, même pour
faire plaisir à des Montalbanais. Mais
peu m'importe; vous comprenez bien
que je ne saurais avoir une opinion
sur cette affaire obscure encore même
pour ceux qui ontpu l'étudier de près.
Seulement, je dis que le seul moyen
d'empêcher le retour d'incidents aussi
pénibles, de discussions aussi fâcheu-
ses, consiste à retirer au président de
la République le droit de grâce.
Croyez que le président ne se cram-
ponnerait pas beaucoup à cette préro-
gative. Elle est lourde. Grévy, adver-
saire en principe de la peine de mort,
graciait à peu près toujours ; aussi
l'appelait-on couramment: le père des
assassins. Carnot s'est trouvé en pré-
sence d'impérieux devoirs; on eùt dit,
certes : Il a peur! s'il eut été clément.
Il a laissé le bourreau agir et s'est dé-
signé ainsi au poignard de Caserio. Le
président actuel, en raison de ces sou-
venirs. se récrierait sans doute à l'idée
de se dessaisir du droit de grâce. Mais
il ne s'agit pas de cela.
Le fait est que rien n'est moins con-
forme aux principes républicains, à
l'idée républicaine, que ce droit de
grâce, véritable prérogative réga-
lienne. — L'affaire a été instruite ; la
chambre des mises en accusation a
rendu son arrêt; l'accusé comparait
aux assises ; on l'interroge, il répond;
les témoins sont entendus ; les avocats
plaident; le jury prononce selon sa
conscience; le tribunal, conformément
à la décision du jury, applique la loi et
tout n'est pas fini !.. Ce procès va être
refait, non plus en public, au grand
jour de l'audience, mais dans le huis-
clos d'une commission et, en dernier
ressort, il y aura un homme à qui il
appartiendra de dire si la chose a été
bien ou mal jugée. Ah ! ça, qu'en
sait-il ?
Passe quand cet homme était le roi,
supposé d'une essence supérieure et
recevant directement d'en haut, cen-
sément, ses inspirations. Mais je de-
mande s'il n'y a pas quelque chose de
vraiment scandaleux à revêtir d'attri-
butions aussi excessives, aussi abu-
sives, un homme à qui le vote du Con-
grès n'a pu — du moins on nous le
fera difficilement admettre — concé-
der l'infaillibilité.
Quand on revisera la Constitution
— oh ! on le fera tôt ou tard, soyez-en
sûrs ! — ce sera une des choses à faire
disparaître, ce droit de grâce, ortie
monarchique restée debout dans le
champ républicain. Alors les scènes
humiliantes dont Montauban est au-
jourd'hui le théâtre ne pourront plus
se produire. Nul ne sera tenté de man-
quer de respect à la loi, au dessus de
laquelle — comme cela doit être en
République — il n'y aura plus rien.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER
Nous publierons demain un article
de n. J.-l.. de Lanessan
A MADAGASCAR
La loi déclarant Madagascar et les îles
Qui en dépendent colonie française a été
promulguée hier au Journal officiel. Le texte
en est ainsi conçu :
Article unique. — Est déclarée colonie fran-
çaise l'île de Madagascar avec les îles qui en dé-
pendent.
Deux compagnies du 1er régiment étranger
et deux compagnies du 2e ont quitté respec-
tivement Sidi-bel-Abbès et Saïda, sur un
ordre du ministre de la guerre, et se rendent
à Alger, où elles doivent s'embarquer d'ur-
gence pour Madagascar.
L'effectif total de ces quatre compagnies
est de 688- sous-officiers, caporaux et sol-
dats.
Ce sont ces troupes qui seront appelées à
pacifier l'île, comme nous le disions hier.
On télégraphie d'Alger que deux compa-
gnies de la légion étrangère, venant de
Saïda sont arrivées hier matin dans cet e
ville.
Les deux autres compagnies de la môme
arme de Sidi-Bel-Abbès étaient attendues
dans la soirée. Peut-être aussi iront-elles
s'embarquer à Oran.
A leur arrivée, les deux compagnies de la
légion ont été conduites à la caserne située
à proximité du quai d'embarquement.
Les sous-officiers du 1er zouaves ont offert
une collation, des cigares et des fleurs à
leurs collègues de la légion, pendant que
les musiques des zouaves et de la légion
jouaient.
A sept heures et demie, le général Lar-
chey a passé les troupes en revue sur le
boulevard Carnot. n a adressé la parole à
plusieurs soldats ; pats, faisant former le
cercle, il a félicité fe cDmmtiSS
I chef du détachement, et, serrant la main à
tous les officiers de la légion, il a adressé à
chacun quelques paroles aimables.
Les compagnies se sont ensuite dirigées
sur le quai d'embarquement ou de nom-
breux officiers et sous-officiers de zouaves
les ont accompagnées.
La population massée aux abords du quai
a fait aux soldats une ovation enthousiaste
aux cris de : Vive la légion !
EXÉCUTION EN TUNISIE
Un pendu qui ressuscite
Hier matin a eu lieu au Bardo (Tunisie),
l'exécution par la pendaison de Mohamed
benh Aed El Benzerti, condamné à mort
pour assassinat de quatre de ses coreligon-
naires.
Au moment de son arrestation, Benzerti
avait reçu au bras droit une balle de revol-
ver qui avait nécessité l'amputation le lor
décembre 1895.
Hier matin, Benzerti fut pendu, et après
le temps réglementaire, sept minutes, disent
les agents de police, un quart d'heure,
disent les exécuteurs indigènes, la corde
fut coupée. -
Le corps fut soumis à la toilette des morts.
Au moment où il était mis dans le linceul,
Benzerti donna des signes d ! vie : il se sou-
leva et dit : « Avant de m'enterrer, donnez-
moi à boire. »
Les fossoyeurs et les aides, effrayés, pri-
rent la fuite et allèrent rendre compte au
directeur de la prison du Bardo de ce qu'ils
avaient vu.
Dans L après-midi, le commissaire central
se tranporta sur les lieux et trouva le mé-
decin de la prison donnant ses soins à Ben-
zerti.
Celui-ci a été transporté à l'hôpital où l'on
est convaincu qu'il survivra.
On pense que Benzerti, après ces rudes
épreuves aura la vie sauve.
LES ON-DIT
CARMST QUOriJlfiN:
Les courses : A Deauville.
— Au vélodrome de la Seine, match du bras-
sard entre Jacquelin et Pontecchi.
— Grandes eaux à Saint-Cloud.
— Pluie d'étoiles filantes dites c larmes de
Saint-Laurent le Grillé i.
— Fêtes d'Antony, Boulogne, Châtenay, Cba-
tou, Fontenay-sous-Hois.
-Durée du jour : 15 h. 52 m.
CHEZ NOUS,
-- Ceux qui ce matin, à 4 heures 46
r minutes, auront eu la chance de se trou-
ver au pôle boréal ou tout au moins à
Yokohama, auront le régal, assez rare,
d'une éclipse totale de soleil.
—— Mort d'un ancien ministre :
M. Caillaux, président du conseil d'ad-
ministration de la compagnie du chemin de
fer Paris-Lyon-Méditerranée, ancien séna-
teur de la Sarthe, ancien ministre des finan-
ces sous le gouvernement de M. de Brog-
lie, est mort vendredi soir, à Paris, en son
domicile boulevard Malesherbes. Jeudi
après-midi, M. Caillaux avait encore pré-
sidé le conseil d'administration ; c'est dans
la nuit qu'il a été atteint d'une hémorragie
cérébrale.
Les obsèques de l'ancien ministre qui
seront conduites par ses deux fils, MM. Jo-
seph Caillaux, inspecteur des finances et
Paul Caillaux, officier de cavalerie, auront
lieu demain lundi à dix heures, à Saint-
Augustin. Selon le vœu du défunt, il n'y
aura ni discours, ni honneurs militaires.
M. Caillaux était âgé de soixante-qua-
torze ans.
- M. Joseph Thomé, entrepreneur de
travaux publics de Paris, est mort hier
dans sa quatrevingt-sixième année.
M. Thomé était propriétaire de presque
tout un quartier à l'entrée de Passy.
Il était le beau-père de M. Chiris, séna-
teur des Alpes-Maritines, dont la fille a
épousé M. Ernest Carnot, fils de l'ancien
président de la République.
Sarcophages monastiques :
Des ouvriers qui travaillent rue de
Béarn, dans l'immeuble sis au n° 12, ont
découvert hier des cercueils en plomb
affectant la forme du corps humain.
Ces cercueils épousent fort exactement
le corps qu'ils renferment, au point qu'on
serait croire que les feuilles de plomb ont
été découpées sur le cadavre.
Ils portent chacun une marque.
Sur l'un un monogramme paraissant
formé des lettres AP entrelacées.
Sur le second, trois lignes qui vont de
la tête aux pieds.
On les a trouvés à 1 mètre 10 du sol,
sous la chaussée même da la rue de Béarn,
où l'on faisait des travaux pour l'établisse-
ment d'une « chambre souterraine » pour
les égouts.
Sur ce terrain s'élevait autrefois le cou-
vent des Minimes, et le chœur de la cha-
pelle devait être précisément à l'endroit
où cette trouvaille a été faite.
Il ne semble pas douteux que ce soient
là les cercueils de deux religieux.
Dès qu'il a eu connaissance de cette dé-
couverte, le directeur du musée Carnava-
let est venu l'examiner.
Il lui a paru que ces sépultures offrent
un réel intérêt archéologique.
Il s'est alors rendu à la préfecture de la
Seine pour obtenir qu'elles soient conser-
vées.
- M. Charles Masson vient d'être at-
taché au musée du Luxembourg pour se-
conder le conservateur, M. Bénédite, en
remplacement de M. Leprieur, appelé, au
musée du Louvre, à d'autres fonctions.
- M. Boucher, ministre du commer-
ce, accompagné de M. Picard, sous-chef de
son cabinet, a quitté hier soir Paris, par le
train de huit heures vingt-cinq, pour se
rendre à Rambervillers (Vosges), où il
présidera aujourd'hui les fêtes organisées
à l'occasion de la décoration de la Légion J
tft"honneur conférée à cette ville pour sa j
belle résistance à l'ennemi pendant l'an-
née terrible.
A L'ETRANGER
— La Galette de Francfort a recueilli
le renseignement suivant d'un médecin
bien informé de cette ville :
Aucun personnage officiel n'a appelé à
Saint-Pétersbourg le professeur Mendel,
aliéniste de Berlin. Ce dernier a été mandé
par M. Kokoref, négociant en pétrole de
Saint-Pétersbourg, qui passe l'été à Tsars-
koïe-Selo et qui a la manie de consulter
chaque mois une autre autorité médicale.
Le Passant.
Le Crime de la rue des Archives
ARRESTATION DE L'ASSASSIN
Ainsi que nous l'avons dit hier, l'autopsie
du corps de Mme Vaillant, faite par le doc-
teur Vibert, avait fait conclure à un
crime. r..
Un juge d'instruction, M. Daman, avait
été immédiatement commis par la parquet,
et M. Hamard, en vertu d'une commission
du juge d'instruction, avait procédé à 1 in-
terrogatoire des voisins de la victime.
Parmi les dépositions faites par ces der-
niers, une parut absolument suspecte au
sous-chef de la sûreté, celle d'un garçon
coiffeur, Joseph Pelissier, âgé de vingt-huit
ans qui habite avec sa maitresse la cham-
bre, contiguë à celle qu'occupait Mme Kefier
née Vaillant.
M. Hamard, au cours de l'interrogatoire
qu'il faisait subir à Pélissier, s'absenta un
instant et, après avoir conféré avec le juge
d instruction, revint et fit garder le garçon
coiffeur et sa maîtresse dans les locaux de
la sûreté, à la disposition de M. Danion.
Hier matin, MM. Atthalin, procureur de
la République; Danion, juge d'instruction;
Hamard, sous-chef de la sûreté et Montil-
lier, commissaire de police du quartier, se
rendaient 87, rue des Archives, pour procé-
der à des constatations.
La chambre de Mme Vaillant est une
petite pièce mansardée, meublée d'un lit,
d'une table ronde, d'une commode et de trois
chaises. La victime occupait cette chambre
d'un loyer annuel de 200 fr. depuis douze
ans.
Les magistrats firent reconstituer devant
eux la position exacte qu'occupait le cadavre
au moment de la découverte dit crime.
Mme Vaillant était étendue sur le flanc,
les deux mains jointes, la tête presque re-
couverte par l'édredon, sur lequel était
tombée une chaise.
Le cadavre était revêtu d'un caraco noir,
d'un corset noir, de deux chemises et d'un
jupon.
Cette reconstitution achevée, une perqui-
sition fut opérée par M. Hamard chez Pélis-
S Î OT» *
! Pélissier, qui habite avec sa maîtresse,
Mme Choquart, couturière, âgée de trente-
trois ans, une chambre exactement sem-
blable à celle de Mme Vaillant, ne travaille,
bien que ^e disant garçon coiffeur, qne très
rarement et fait surtout des extras.
Dans la perquisition on retrouva un fou-
lard de soie jaune taché de sang, des linges
ensanglantés, et on découvrit sur le lit des
traces nombreuses de sang. En même temps
on saisissait les outils du garçon coiffeur,
notamment une paire de ciseaux très effilés
et dont s'est probablement servi le meur-
trier pour frapper la vieille femme.
D'après les dépositions des autres voisins,
le jour du crime il n'y avait, 87 rue des Ar-
chives, que la femme Vaillant, Pélissier et
sa maîtresse. Tous les autres locataires
étaient absents.
Mme Vaillant était excessivement mé-
fiante et n'ouvrait sa porte que lorsqu'on
avait montré patte blanche ; elle n'a donc
pu ouvrir qu'à une personne de connais-
sance et, bien que Pélissier assure n'avoir
jamais parlé à Mme Vaillant, il est dès à
présent prouvé qu'à plusieurs reprises ils
ont conversé ensemble.
De plus, à l'heure où tout fait présumer
que s est commis le crime, Pelissier a en-
voyé la femme Choquart, sa maîtresse, lui
chercher du lait, et lorsque celle-ci est reve-
nue, elle a aperçu, d'après ce qu'elle dit à
M. Hamard, une tache de sang sur le fou-
lard que Pelissier portait au cou.
Pélissier et sa maîtresse ont essayé d'ex-
pliquer les taches sanglantes relevées sur
le linge, le foulard et le lit, en disant que
ces marques provenaient de punaises écra-
sées.
La femme Choquart s'est plusieurs fois
contredite dans son interrogatoire et des
charges terribles ont été relevées contre le
garçon coiffeur. Celui-ci, qui n'avait pas
travaillé depuis plusieurs jours, a été trouvé
porteur d'une somme de 46 fr. et, la veille,
il était allé verser un acompte de 21 fr. sur
une machine à coudre qu'avait achetée à
crédit sa maitresse.
Il a essayé de prétendre que cet argent
provenait de ses économies, mais il est
prouvé que Pélissier, comme nous l'avons
déjà dit, ne travaillait que très rarement.
D'autre part, Mme Vaillant, qui était di-
vorcée et recevait de son ex-mari une pen-
sion annuelle de 1,500 francs, avait touché,
justement le lor août, les 125 francs du mois
échu. Elle avait aussi reçu 25 fr. d'une dame
dont elle était la femme de ménage.
Si, lors de la découverte du cadavre, les
bijoux furent retrouvés, on ne découvrit,
par contre, aucune somme d'argent dans la
petite chambre.
Mme Choquart, pressée de questions, a
raconté aussi que le jour du crime, après
qu'elle éiait allée cherche r du lait, Pelissier,
couché sur le lit, s'était levé vers quatre
heures pour se rendre chez un patron faire
un extra, et que se mettant à la fenêtre de
la mansarde, il avait été pris d'une sorte de
syncope. - -
Chez son patron du jour, le malaise
avait persisté, et à différentes reprises, le
garçon coiffeur avait failli se trouver mal.
Un fait assez curieux et qui mérite d'être
raconté : Le chat de la vieille femme qui
avait été recueilli par la maîtresse de Pélis-
sier après l'ouverture du logement de Mme,
Vaillant, semblait détester Pélissier et lui
faisait fort mauvais accueil, allant même
jusqu'à essayer de le griffer et de le mordre
en lui sautant continuellement aux jambes.
Une perquisition nouvelle a été pratiquée
cet après midi au domicile de la victime par
deux agents de la sûreté qui ont procédé à
ce travail pendant trois heures.
Ils ont soigneusement palpé le sommier,
ausculté le matelas et ont retrouvé dans le
logement une bague qui avait échappé aux
précédentes investigations. j
Ils ont rapporté cette bague à la sûreté,
ainsi que la montre de Mme Vaillant et son
portemonnaie contenant 0 fr. 35. Le rapport
qu'a remis le docteur Vibert au parquet,
constate que Mme Vaillant a été frappée de
sept coups de couteau, mais qu'une seule de
ces blessures était mortelle.
L'inhumation de la vieille femme, qui de-
vait avoir lieu aujourd'hui, sera retardée.
Pélissier et sa maîtresse ont été inter-
rogés de nouveau dans l'après-midi par M.
Hamard.
Le garçon coiffeur se renferme dans le
même système de défense, mais on re-
marque dans ses réponses des contradic-
tions.
Une marchande au Temple, Mme Etié-
vant, âgée de soixante-dix ans, qui occupe
la chambre numéro 5, et qui était restée
chez elle le 1er août, a déclaré quo ce jour-là,
elle n'avait entendu chez sa voisine, Mme
Vaillant, aucun bruit suspect.
Deux couvreurs qui travaillaient depuis
un mois et demi dans la maison, et qui ce
jouMà étaient occupés dans la cave, ont été
interrogés.
Us ont déclaré n'être pas montés au troi-
sième étage, bien que Pélissier prétende
qu'il les a vus réparer une fontaine située
devant la chambre de Mme Vaillant.
Les dires des ouvriers qui contredisent
absolument Pélissier ont été corroborés par
la concierge.
Différents objets saisis chez le garçon coif-
feur ont été mis sous scellés, notamment le
foulard en soie jaune taché de sang, un
couteau et les ciseaux de Pélissier, sur les-
quels des traces de sang ont été aussi re-
marquées.
Après l'interrogatoire de Pélissier et de sa
maîtresse, le juge, auquel M. Hamard, sous-
chef de la sûreté, avait transmis la procé-
dure concernant l'affaire, a signé contre les
inculpés des mandats de dépôt, et le garçon
coiffeur a été ôcrotiâ à Mazas tandis que sa
compagne était conduite à Saint-Lazare.
Pélissier paraissait très abattu.
LA LIGUE PARIS-BANLIEUE
LA RÉUNION D'HIER
Les délégués des communes de laban-
Irene ont tenu hier soir, Théâtre-Mon-
dain, 29, cité d'Antin, une réunion très
importante.
Les communes étaient représentées
par cent quinze délégués.
- Il a été procédé à la constitution défi-
nitive du bureau de la Ligue. Les
membres désignés à la réunion du
21 juin ont été maintenus à l'unani-
mité. Le bureau est donc composé
comme suit : Président : M. Alexandre
Lefèvre, sénateur de la Seine; vice-
présidents : MM. Charles Bos, conseil-
ler municipal de Paris, et Pic, conseiller
d'arrondissement ; secrétaire : notre
ami et collaborateur Bentin.
M. Alexandre Lefèvre prononce quel-
ques paroles pour remercier les délé-
gués d'être venus en aussi grand nom-
bre. Il se félicite de voir les efforts du
Rappel et du XIXa Siècle couronnés de
succès. C'est grâce à ces deux jour-
naux, dit-il, qu'aujourd'hui la banlieue
est organisée et groupée ; que les com-
munes sont enfin réunies pour la dé-
fense de leurs intérêts. Il souhaite
qu'une union solide et durable soit éta-
blie pour toujours* entre les communes
de la Seine et de Seine-et-Oise.
Notre collaborateur Bentin est invité
à lire l'exposé des revendications rela-
tives aux trains de nuit et aux trains
ouvriers. Cet exposé est destiné à être
remis au ministre des travaux publics,
mais avant le bureau de la Ligue a
tenu à le soumettre aux délégués des
communes. Nous en reproduisons les
passages suivants :
Les habitants des communes suburbaines
ne peuvent rester tard le soir à Paris pour
leurs affaires ou pour leur plaisir.
Pour les Parisiens, pour ceux dont le tra-
vail dure jusqu'à une heure ou deux du
matin il leur est interdit d'aller en banlieue.
Les premiers, s'ils vont au théâtre, sont
tenus de rentrer précipitamment, les se-
cond. n'ont jamais les agréments do la
compagnie.
Paris proteste ; la banlieue proteste.
Voici le passage relatif aux ouvriers
abonnés à la semaine :
Les ouvriers sollicitent, en premier lieu,
la liberté de monter dans le train qui leur
convient ; actuellement ils ne sont admis
que le matin et le soir.
Il en résulte que l'intention de l'Etat et des
compagnie d'être bienveillants à l'égard dos
travailleurs se trouve souvent annulée par
cette condition. L'ouvrier, en effet, qui
quitte l'atelier dans le courant de la journée
ne peut rentrer chez lui qu'en payant place
entière. Sa carte d'abonné à la semaine
n'est pas valable par ce fait qu'il n'emprunte
pas pour revenir le train du soir indiqué par
a compagnie.
Les réclamations qui seront présen-
tées au ministre des travaux publics
comprennent également celles présen-
tées par les petits employés et la limite
de parcours. Le bureau de la Ligue
Paris-Banlieue a reçu mandat de de-
mander l'assimilation des petits em-
ployés aux ouvriers et l'élévation de la
limite de parcours pour les abonnés
ouvriers. Actuellement cette limite est
fixée à quinze kilomètres ; le bureau de
la ligue demandera qu'il soit porté à
25 kilomètres; au moins jusqu'à l'extré-
mité des réseaux de banlieue.
Après discussion, cet exposé est
adopté à l'unanimité.
Il est donné ensuite connaissance de
l'adhésion à la Ligue Paris-Banlieue de
la commune de Chatou.
Avant de se retirer, les délégués ac-
ceptent d'acclamation la proposition
suivante relative à l'empoisonnement
de la Seine : « Le bureau est autorisé à
réunir les délégués des communes qui
ont à se plaindre de l'empoisonnement
de la Seine et à étudier avec eux les
moyens d'empêcher cet empoisonne-
ment. »
Le bureau invitera les délégués à se
joindre à lui le jour où il portera au
ministère des travaux publics les récla-
mations des communes suburbaine.
au sujet des trains de nuit et des trains.
ouvriers.
ARTON
Arton ne comparaîtra devant la cour d'as,
sises de Seine-et-Oise où, comme on le sait
son affaire vient d'être renvoyée, qu'à la
session d'octobre.
Au parquet de M. le procureur générât
on discute actuellement sur le choix à faire
du conseiller qui dirigera les débats dU
procès.
Jusqu'à nouvel ordre, Arton continuera &
rester à la prison de la Conciergerie.
CHRONIQUE
Par PAUL GINISTY
« Tu dis toujours la même chose ! —
Parce que c'est toujours la même
chose ! » Est-ce ma faute, en effet, s'il'
m'arrive de revenir souvent sur cer-
taines condamnations, prononcées ab
irato, par nos magistrats, dansdes con-
ditions où les principes mêmes de la
justice me paraissent atteints ?
N'est-ee pas un des articles fonda-,
mentaux de notre Code que nul ne doit;
se faire justice lui-même? Comment sei
peut-il, alors, que des juges, s'esti-
mant insultés par un prévenu compa-'
raissant devant eux, aient la faculté de
venger personnellement aussitôt cette
injure?
C'est ce qui vient de se passer encore
ces jours-ci, à la onzième chambre dW
tribunal, correctionnel de la Seine. Ua;
individu, infiniment peu recommanda-,
ble, j'en conviens, nomipé Omin, s'en-
tend condamner à un a4 de prison. Il
n'attend pas vingt-quatre heures pour
maudire ses juges: il prend son soulier
et le jette à ia tête des juges.
Sur quoi, le substitut requiert aussitôt
contre lui, et, en deux minutes, tout
juste, l'homme se voit adjuger une
peine des plus sérieuses : cinq ans de
prison et cinq ans d'interdiction de sé-
jour. « Délit d'audience. » Les juges,
bien qu'ils aient eu la main lourde, ont
usé de leur droit. C'est contre ce droit
qu'il est permis de protester.
On entend bien, j'imagine, que je ne
vais pas excuser l'acte imbécile de cet
accusé insuffisamment résigné, et on
suppose que je le tiens pour coupable.
Il y a, au moins théoriquement, d'autres
moyens d'en appeler d'une sentence
qui parait d'une sévérité excessive. La
colère, qui est, la plupart du temps,
mauvaise conseillère, inspire particu-
lièrement mal ceux qui, ayant le mal-
heur de se trouver « sur le banc », s'a.
visent de répondre par des propos grog.
siers à la lecture d'un jugement contre
lequel ils ne peuvent naturellement
rien, immédiatement, du moins.
Mais ceci dit, est-il admissible que ce
soient ceux-là même qui ont reçu roC.
fense qui la fassent expier? La condam-
nation, en ces circonstances n'a plus le
haut caractère d'impartialité qui la doit
faire respecter. Les juges ont l'air da
tirer vengeance du fait qu'ils punissent,
et cela ne s'accommode guère avec leur
dignité.
On dira que, tandis qu'ils sont dans
l'exercice de leurs fonctions graves, ce
n'est pas à eux qu'ils pensent, mais à
l'outrage qui a atteint le corps qu'ils?
représentent. Il est indifférent à tel ou
tel magistrat d'être, en tant qu'homme.
incivilement traité par un chenapan,
mais il ne peut supporter, siégeant au
tribunal, l'outrage fait à sa togo. OuÏt
sans doute. Cependant, sous le coup de
l'affront reçu, l'homme et le magistrat
se confondent fatalement. Et c'est pré-
cisément ceci qui est choquant. Il se-
rait d'une attitude plus fière d'avoir un
peu moins de promptitude, convenons-
en. L'opinion, qui est simpliste, arrive
malaisément à séparer, dans la même
personne, celle qui frappe au nom de la
loi, et celle qui châtie l'outrage qu'elle
vient d'essuyer. Malgré l'impartialité
que nous nous voulons plaire à recon-
naître auxjuges, il est difficile d'oublier
qu'ils sont, par le fait, partie en cause.
La justice est coutumière de telles
lenteurs qu'on s'étonne qu'elle n ait
pas, en ce cas là, un peu plus de pa-
tience. L'insolence est patente, soit!
mais on ne prend pas le temps d'en
apprécier et les motifs et la portée. La
condamnation est prononcée sans qu'on
se soit donné le loisir de la rétlexioo.
Elle ressemble, quoi qu'on dise, à une
riposte, et il ne paraît pas, alors même
qu'elle est équitable, qu'elle soit dd*,
cernée avec le sang-froid nécessaire.
Ne serait-il pas plus convenable de
déférer, sur le champ, si l'on veut,
l'auteur de cette folie stupide à une
chambre qui statuerait sur le cas, avec
une complète possession d'esprit? Est-
ce que cette façon d'agir ne satisferait
pas mieux la conscience publique?
N'est-il pas indispensable que tout ju*
gement ne puisse être suspect de la
moindre passion, du moindre intérêt
personnel? Comment 1 on récuse an
juré qui peut passer pour avoir quel-
que motif de ressentiment contre un
accusé, et l'on souffre qu'un magistrat,
qui, après tout, selon toute vraisem-
blance, n'a pas supporté sans ennui, ne
fut-ce que pour la « galerie », un mot
ou un geste inconvenants, règle lui-,
même son compte avec son adversaire!
L'acte redoutable de juger n limplique4
il pas, cependant, une sérénité qui-
on peut du moins en faire la supposi-
tion — risque de ne pas se rencontrer
là? Et, en fait, la plupart des condam-
nations distribuées dans ces conditions
paraissent un peu disproportionnées,
et, tant qu'il soit entendu que c'est l'in-
sulte à la fonction qui est punie, il est
difficile de ne pas trouver que les Juges
ont l'épiderme sensiDle, La somme, il
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