Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-02-12
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 12 février 1896 12 février 1896
Description : 1896/02/12 (N9469). 1896/02/12 (N9469).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
~C INQ CE NT! MEIS le Numéro.
PA RIS ET DÊPÀRTtftof^è
"Le 'Ktuméro; CINQ CENTIMES
■ , AIVIVO^CES ,
AUX BJJREAb. DU JOURNAL
131, rue Montmartre, 131
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Wo 9469. — Mercredi 12 Février 1896
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NOS LEADERS
L'ÉRYTHRÉE
Voilà les Italiens enfoncés jusqu'au
sou dans les affaires d'Abyssinie. Gom-
ment s'en tireront-ils? C'est ce que
personne ne pourrait dire. Toujours
est-il que le général Baratieri, qui
commande en Erythréé, paraît extrê-
mement ennuyé. Il demande de l'ar-
gent et 12,000 hommes de renfort. Or,
notez-le bien, il a déjà 42,000 soldats
groupés autour de lui. Pour qu'il en
exige 12,000 de plus avec huit batte-
ries et quelques milliers de mulets, il
faut qu'il soit dans une situation im-
possible. Oui, il le faut, car c'est un
officier plein d'énergie.
De fait, toutes les dépêches donnent
les mêmes renseignements. Toutes les
dépêches ! Sans doute, mais encore —
ce qui est plus grave — les correspon-
dants des journaux italiens. Ménélik
occupe, à cette heure, une position des
plus fortes. C'est un vaste amphithéâ-
tre sur les gradins duquel ses forces
sont étagées, et cet amphithéâtre do-
mine le camp du général Baratieri. Il
le domine même si bien que ce dernier
ne peut faire un pas en avant. Il ne
peut pas davantage appeler ses réser-
ves à son secours, car il risquerait de
voir couper ses relations avec Mas-
souah. Vous reconnaîtrez que, pour
des sauvages, Ménélik et ses officiers
comprennent pas mal la guerre à l'eu-
ropéenne.
.-.
Et, à Rome, on discute ferme sur les
affaires d'Afrique. La péninsule, d'ail-
leurs, est sous le coup d'une émotion
intense. Chaque jour, de fausses nou-
velles se répandent dans le public.
C'est aujourd'hui une défaite sanglante
que Baratieri a éprouvée; c'est le len-
demain, au contraire, une bataille de
deux jours au cours de laquelle les
Choans ont été écrasés et Ménélik a
été tué. Péripéties cruelles! Alterna-
tives de joie et de crainte! Les peuples
affolés passent toujours par là.
Le ministère ne sait plus où aller.
De profondes divisions ont amené des
discussions irritées. Les sages décla-
rent que l'Italie est engagée dans une
impasse où elle peut laisser l'honneur.
Les audacieux, les fous dont M. Crispi
est le chef continuent leurs rêves
mégalomanes. Il faut une réparation
éclatante à l'Italie : on enverra 100,000
hommes à Massouah, on dépensera
des centaines de millions pour vaincre
Ménélik.
Soit. Le sentiment est des plus res-
pectables. Les hommes, on les trou-
vera, puisqu'il s'agit de cicatriser une
blessure faite à l'amour-propre natio-
nal. Mais les millions? Où sont-ils?
L'Italie est épuisée ; elle s'est saignée
aux quatre veines pour faire plaisir
à M. Crispi, elle n'a plus un sou vail-
Irnt. Et l'on parle de millions, tandis
que le crédit public est atteini. Que
voulez-vous qu'elle fasse cette pauvre
Italie aux trois quarts ruinée? La plus
belle fille du monde, hélas ! ne peut
peut donner que ce qu'elle a.
#*#
C'est pourquoi, il y avait avant-hier
une crise ministérielle à Rome. L'au-
dace de M. Crispi l'a momentanément
ajournée. Il faut bien le reconnaître:
Crispi est un beau lutteur. Il ne renon-
cera à jouer la partie que lorsque tout le
monde la considérera comme perdue.
Mais il ne retarde que d'une semaine
son départ du ministère. Fatalement,
l'Italie, faute d'argent, ne viendra pas
à bout de la résistance de Ménélik.
Au surplus, le langage et l'attitude
de Baratieri le prouvent. Il menace le
ministère, il l'accuse de tout ce qui est
arrivé; il lui reproche de ne pas lui
envoyer les renforts suffisants. Puis,
il s'en prend aux journalistes indé-
dants qui disent la vérité sur les af-
faires d'Abyssinie ; il les expulse ; il ne
veut pas en avoir à ses côtés pour le
surveiller. Ainsi faisait à Madagascar
le général Duchesne pour nous empê-
cher de savoir exactement ce qui se
passait.
..-.
Faut-il quela situation soit effroyable
pour que Baratieri agisse ainsi? Et
voici la saison des pluies qui s'avance.
Dans trois semaines, les troupes ita-
liennes ne pourront plus rien faire ;
elles seront condamnées à 1 inaction,
immobilisées par le climat, alors que
les Choans qui n'ont rien à redouter,
eux qui sont du pays, habitués à ce
soleil dévorant, accoutumés aussi à
toutes les intempéries des contrées
tropicales, manœuvrerontà l'aise, plus
à l'aise peut-être qu'en ce moment.
Pourtant, ce Ménélik, ce roi des rois
dont on connaît la générosité par les
conditions qu'il a accordées à la garni-
son de Makallé, n'en veut point tant
que cela aux Italiens. Il leur offre la
paix et une paix acceptable. Il ne cher-
ehe pas à les déloger de Massouah. Il
leur propose seulement d'évacuer le
Choa et de renoncer à toute expédition
i dans le Harrar. * or, .,. ,., ..-,
Le malheur est que M. Crispi se bou-
che les oreilles. Il n'entend rien et son
orgueil l'aveugle. Il persiste à récla-
mer toute l'Abyssinie comme s'il avait
déjà vaincu Ménélik, comme si l'a
triple alliance était solide, — et elle
est à peu près désorganisée — comme
s'il pouvait v compter sur le concours
des Anglais — et ceux-ci ont des diffi-
cultés pareilles sur tous les points du
globe.
A ce jeu, je le lui prédis, l'Italie per-
dra ce qui lui reste d'influence euro-
péenne et de ressources pécuniaires.
Elle n'est pas assez riche pour se payer
la fantaisie si ruineuse des conquêtes
coloniales et pas assez puissante pour
faire croire à l'Europe qu'elle peut
avoir raison. Comme elle ferait mieux
de se débarrasser de M. Crispi et de
confier à son successeur le soin de
liquider ses affaires dans la mer
Rouge !
CHARLES BOS.
Nous publierons demain un article
de M. Camille Pelletan.
LES ON-DIT
CHEZ NOUS
Le président de la République a
reçu hier matin une délégation de l'Asso-
ciation fraternelle des employés et ou-
vriers des chemins de fer français, associa-
tion qui a pour objet d'accorder des re-
traites et des secours à ses membres, qui
lui a demandé de se faire représenter au
banquet annuel. M. Félix Faure a promis
d'y envoyer un officier de sa maison mili-
taire.
Le président a reçu encore le bureau de
la Ligue de l'enseignement, dont il est le
président d'honneur, et qui lui a été pré-
senté par son président M. Léon Bour-
geois. Le bureau a demandé à M. Félix
Faure d'assister à la fête du trentenaire de
la fondation de la ligue, qui aura lieu au
mois de juin prochain. Le président de
la République a promis de s'y rendre.
- Hier soir a eu lieu au siège social
de l'Association des journalistes républi-
cains, sous la présidence de M. Isambert,
député, le dépouillement du scrutin pour
l'élection de quinze syndics. Ont été
élus :
MM. Théodore Henry, Ranc, Hector
Dépasse, Paul Ginisty, Pierre Baragnon,
Edmond Lepelletier, Edgard Hément, Ber-
nard-Derosne, Victor Souchon, Léon Kerst,
Robert Kemp, Mario Sermet, Obermayer,
J. Derriaz, Gustave Rivet.
L'élection du bureau aura lieu mer-
credi à quatre heures et demie.
- Nous apprenons la mort du marquis
de Dampierre, décédé hier, à Paris à l'âge
de j quatrevingt-deux ans.
Il avait été en 1848 représentant à la
Constituante et à la Législative; en 1871, il
fut réélu. Dans toutes ces assemblées, il
siégeait à droite. Il renonça à la politique
en 1876.
Il est l'auteur d'ouvrages nombreux sur
l'agriculture et sur l'élevage.
Sarah-Brown qui a figuré dans la
célèbre affaire du bal des Quat'z'Arts, dont
M. Béranger s'était si fort choqué vient de
mourir à Montmartre, où elle vivait de-
puis quelque temps.
- Hier, à une conférence de M. Ber-
nard Lazare, à l'hôtel des Sociétés savan-
tes, rue Serpente, une bagarre a éclaté.
Les coups de canne et les coups de.
gueule, si j'ose m'exprimer ainsi, ont fait
merveille. M. Bernard Lazare devait, pa-
raît-il, parler de fédéralisme, mais, hélas !
on n'a pu entendre que les : « Conspuez
les calotins 1 » les : « A bas les juifs 1 », la
Carmagnole, la Ravachole et autres gen-
tillesses de même farine. Et les « Vive
l'anarchie 1) et les « Vive la Révolution
sociale ! »
—— Relevé aux publications de ma-
riage :
M. Frédéric Régamey, artiste peintre, et
Mlle Heilmann, de Colmar.
M. Frédéric-Charles Cunnington, entraî-
neur à la Morlaye (Oise) et Mlle Marie
Mont jarret, fille du piqueur des écuries du
président de la République.
- L'exécution du monument qui doit
être élevé à Nantes à la mémoire du géné-
ral M ellinet est confiée au sculpteur Mar-
queste.
- Ce n'est pas seulement en Alsace
que les corneilles ont fait leur réappari-
tion. Depuis hier elles mènent une vie du
diable dans les arbres du quai Voltaire et
du jardin de l'Elysée, voletant, jasant, se
trémoussant au bout des branches, s'é-
brouant brusquement dans le ciel.
Ce sont les colombes de la nef pari-
sienne, ayant au bec le rameau vert du
printemps.
A L'ETRANGER
Le gouvernement portugais vient
de désigner M. de Souza-Roza, ministre du
Portugal, pour le représenter à la confé-
rence littéraire internationale qui doit se
réunir à Paris le 15 avril prochain.
- On regardait galoper les phtisies
Et miroiter sous bois les calvities.
Par 61 voix contre 45, le conseil de comté
de Londres vient de décider que, contrai-
rement à l'usage établi dans la Chambre
des communes, ses membres ne seraient
plus admis que tête nue dans la salle des
séances.
La plupart des quarante-cinq opposants
refaisaient remarquer, dit-on, par une
calvitie qui ajoutait à la gravité de leur
physionomie; un de leurs orateurs a parlé
de courants d'air, de rhumes de cerveau,
de fumigations et s'est plaint d'être menacé
d'un catarrhe par une majorité sans ver-
gogne.
Sur quoi un orateur du centre, qui n'est
pas encore chauve mais qui « ramène »
un peu déjà, a formulé une proposition
conciliatrice tendant à rendre obligatoire
pour tous les membres de l'assemblée le
port d'une perruque, comme pour les
juges, les avocats, le lord-chancelier et les
cochers du lord-maire. Cette proposition
a été renvoyée à l'examen des bureaux.
Le Passant.
LïNTERPELLArrIO LÉON SAY
LA POLITIQUE FINANCIÈRE
Nous avons annoncé que M. Léon Say de-
vait interpeller le gouvernement sur sa poli-
tique financière, aussitôt après le dépôt de
son projet de budget.
Ce projet sera distribué jeudi aux mem-
bres du Parlement.
M. Léon Say va donc pouvoir user de son
droit dès la semaine prochaine.
A propos de cette interpellation dont on
veut faire une arme de guerre contre le mi-
nistère, uniquement parce qu'il propose l'im-
pôt sur le revenu, on nous rapporte que les
amis de M. Léon Say ont fait des démarches
auprès de lui pour l'amener à renoncer à son
interpellation.
Jusqu'à présent M. Léon Say est resté iné-
branlable. Cependant les objections qu'on
lui a représentées ne sont pas sans valeur.
Los modérés qui depuis de longues semaines
attendent le cabinet au coin d'un bois pour
lui faire ce que les escarpes, dans leur
langue pittoresque, appellent « le coup du
père François j,, estiment en effet que l'in-
tervention du chef du centre gauche n'aura
pour résultat que de lui donner une majorité
considérable et conséquemment le consoli-
der, si toutefois, ce que nous ne pensons pas,
il a besoin de l'être.
Cet argument n'est pas sans valeur, mais
M. Léon Say tient à son idée et aussi à exé-
cuter le mandat que lui a confié la Ligue que
représente M. Barboux.
Dans ces conditions, l'issue de la bataille
que le centre gauche appuyé par les réac-
tionnaires et autres ralliés, ne saurait être
douteuse, et elle donnera l'occasion à M.Dou-
mer de se tailler un succès, d'autant plus
considérable, qu'il sera étayé sur une ré-
forme longtemps promise à la démocratie.
Ajoutons que tout le monde est d'accord
— le gouvernement compris — pour faire ce
débat sur la politique financière avant la no-
mination de la commission du budget, pour
laquelle on fixe la date du 20 ou celle du 22
du mois courant.
-_ ————————————
LE DEBAT SUR LES CONVENTIONS
Le débat sur les conventions qui a déjà
occupé cinq séances, sera probablement clos
aujourd'hui après le discours de M. Camille
Pelletan, une réplique de M. Gustave Roua-
net et une déclaration du ministre des tra-
vaux publics.
Voici le texte de la proposition de résolu-
tion qui sera soumise au vote de la Chambre
par les groupes radicaux :
« La Chambre, réservant à nouveau tous
les droits de l'Etat vis-à-vis des grandes
compagnies de chemin de fer, regrette que
le ministre des travaux publics ait gardé en
1883 le silence sur les prétentions des com-
pagnies d'Orléans et du Midi qui aggrave-
raient, par la prolongation de la garantie,
les conséquences financières des conven-
tions. »
Cette proposition de résolution est signée
de MM. de la Porte, Berteaux, Loup et Mau-
rice Faure.
—————————— ———————
LES INCOIVIPATlBiLlTéS
Le rapport de M. Maurice Faure sur le
projet de loi relatif aux incompatibilités, a
été distribué hier.
Ce rapport enregistre l'accord intervenu
entre la commission et le gouvernement sur
le texte à soumettre aux Chambres. Ce
texte, ainsi que nous l'avons dit plusieurs
fois, déclare incompatibles les fonctions de
sénateur ou de député avec celles d'admi-
nistrateur de sociétés financières ou de com-
pagnies recevant une garantie d'intérêt de
l'Etat.
— ; -cQ»
F1 âcheuse nomination
Amicus Plato, sed magis arnica veritas.
Par cela même que nous soutenons le gou-
vernement nous lui devons la vérité, et nous
recevons de nos amis de Corse de nombreux
télégrammes qui nous font connaître l'im-
pression déplorable produite par la nomina-
tion de M. de Casablanca, comme receveur
des finances à Bastia.
On sait les divisions profondes qui agitent
ce pays ; on a vu, dans une interpellation
récente, tous les républicains de la Chambre
s'élever dans ce département contre la poli-
tique des ralliés. Nommer, après cela, comme
chef d'un service, un homme politique, frère
d'hommes politiques, intimement mêlés aux
luttes locales, ce n'est pas faire de bonne
administration et nous regrettons que la
religion de M. Doumer ait été, à ce point,
surprise.
LES RÉFORMES DANS LES POSTES
On songe, paraît-il, à relier plus étroite-
ment la direction générale des postes au
ministère du commerce.
On dit même qu'il ne serait pas impossible
que M. de Selves, le directeur général actuel,
fût appelé prochainement à une autre si-
tuation administrative.
Ce changement rendrait plus aisé l'accom-
plissement des réformes projetées par M.
Mesureur, notamment la réorganisation du
service de l'inspection générale des postes
et télégraphes, qui coûte fort cher (140,000
francs par an) et qui fait souvent double
emploi avec l'inspection des finances.
Les économies qui pourraient être réali-
sées de ce chef seraient consacrées d'une
part au dégrèvement du budget, et de l'autre
à l'amélioration du traitement de début des
expéditionnaires que le ministre voudrait
pouvoir porter de 1,200 à 1,500 fr.
M. Mesureur étudie en outre une réorga-
nisation de l'Ecole professionnelle supé-
rieure des postes et télégraphes et une ré-
partition plus équitable des remises accor-
dées aux receveur? dés postes.
— —. — -r ———
Les Contrats du Tonkin
La commission d'enquête présidée par M.
Peytral au sujet des contrats du Tonkin et
des ressources affectées à l'emprunt colo-
nial, après avoir fourni les premières indi-
cations relatives aux garanties qui nous sont
fournies par le budget du Tonkin, porte ses
investigations sur les rentrées qui pour-
raient être effectuées en vertu des anciennes
concessions à cause même des conditions
dans lesquelles elles ont été consenties.
Elle a autorisé le mandatement de 22 mil-
lions de dépenses, résultant de contrats
d'un caractère absolument obligatoire, en
réservant sa décision pour toutes celles qui
ne peuvent être reçues « qu'à correction ».
La commission a entendu hier matin M.
Rousseau et M. de Lanessan. Elle recueillera
les déclarations des personnes qui voudront
déposer auprès d'elle et convoquera ensuite
celles dont les explications lui paraîtront
nécessaires.
LE CRIME DU PRË SflINT GERVAIS
Un crime commis dans des circonstances
particulièrement dramatiques vient de cau-
ser au Pré-Saint-Gervais une très grande
émotion.
Les époux Anselme demeurent dans cette
localité, rue Charles-Nodier, n° 16, depuis
quelques mois.
Ils ne vivaient pas en parfaite intelligence
et le mari était, dit-on, particulièrement ja-
loux.
Hier matin, un locataire de leur maison
fut frappé, en passant devant le logement
des époux Anselme, de voir un écriteau ac-
croché au bouton de la porte et sur lequel
étaient écrites quelques lignes ainsi conçues:
« Ma femme est morte, je m'en vais dans
le canal. » Signé : Anselme. »
On envoya prévenir le commissaire de
police de Pantin, et on força tout de suite la
porte qui était fermée à double tour.
Dans la chambre à coucher où régnait le
plus grand désordre, on aperçut sur le lit
et ne donnant plus signe de vie le cadavre
de Mme Anselme. La malheureuse avait été
étranglée.
Anselme, qui est évidemment l'auteur du
crime, n'a pas encore été retrouvé.
A-t-il été au canal, comme il l'écrit, ou
bien est-il simplement en fuite? Telles sont
les questions que se pose en ce moment
le service de la sûreté, qui recherche le dis-
paru.
UN AUTOPSIÉ QUI PARLE
EMOTION A CLAMART
Auto-suggestion bizarre — Scène macabre
Les morts qui parlent sont rares. Mais on
n'avait encore jamais entendu un autopsié
appelant, de son cercueil déjà recouvert de
terre, les membres de sa famille.
C'est pourtant ce qui vient de se passer à
Clamart, si l'on en croit les fossoyeurs, vic-
times d'une auto-suggestion bizarre qu'ils
firent partager aux parents et amis du dé-
funt.
M. Mattet, âgé de soixante-six ans, était
mort à l'hôpital Necker, où il était en trai-
tement pour une affection de la vessie qui
avait nécessité une opération. Sa famille ré-
clama son corps et décida de le faire inhu-
mer à Clamart, où il habitait de son vivant.
Le transfert du corps de l'hôpital à l'é-
glise de Clamart, la cérémonie funèbre et le
commencement de l'inhumation se pas-
sèrent normalement.
La famille du défunt avait déjà quitté le
cimetière lorsque les deux fossoyeurs seuls,
travaillant à combler la fosse, crurent en-
tendre des coups frappés à l'in'érieur du
cercueil. Ils se déclarèrent mutuellement
que le mort était vivant et qu'il appelait à
l'aide.
En un instant, le conservateur du cime-
tière était prévenu et un trou était pratiqué
dans le cercueil pour donner de l'air au res-
suscité.
Le conservateur du cimetière douta pour-
tant des affirmations des fossoyeurs ; il y
avait trois jours que M. Mattet était décédé
à l'hôpital et, de ce fait, exposé depuis ce
temps dans la chambre des morts où il y a
des gardiens; il était bien invraisemblable
qu'on fût en présence d'un cas de léthargie.
Cependant les fossoyeurs renchérirent sur
leurs déclarations premières, faites de bonne
foi, il n'y a pas à en douter, mais sous l'em-
pire de fauto-suggestion produite par le mi-
lieu, — il était cinq heures et demie et la
nuit était venue déjà lors de la descente du
corps dans la fosse, puisque la cérémonie
avait commencé à quatre heures à l'église et
que celle-ci est très éloignée du cimetière. —
L'un des fossoyeurs arriva donc à déclarer
qu'il avait non seulement entendu le mort
frapper, mais qu'encore il l'avait entendu
distinctement appeler: « Clément! » qui est
le nom d'un de ses fils.
Se rendant aux explications des fossoyeurs,
le conservateur se rendit à la mairie et M.
Lorion, médecin de Clamart, fut requis pour
procéder à des constatations médico-légales.
Pendant toutes ces démarches, le bruit
s'était répandu dans Clamart que M. Mat-
tet n'était pas mort et qu'il avait été enterré
vivant, ce qui attira une foule nombreuse
au cimeiière.
Les parents dufdéfunt, et cela est bien
compréhensible, étant donnée la peine qu'ils
éprouvaient de la perte de leur parent, plus
que tout le monde, se rattachèrent à cette
espérance que M. Mattet n'était pas mort ;
aussi lorsque M. Lorion arriva au cimetière,
plusieurs centaines de personnes étaient-
elles groupées autour de la fosse.
Il était huit heures du soir, des lanternes,
des lampions, des torches, voire des bougies
tenues à la main, éclairaient cette scène lu-
gubre.
C'était un spectacle bien étrange et bien
troublant, nous a dit un des témoins de cette
scène. Dans la pénombre, au milieu des
croix et des tombes, des formes vagues se
dessinaient prenant parfois des proportions
très grandes, lorsque les gens, pour arriver
plus vite, montaient sur les pierres funé-
raires, puis, entassés, des gens criant et
gesticulant à la lueur falotte et tremblante
de lumières jaunes et peu éclairantes.
Enfin le docteur passa sa main par l'ou-
verture de la bière pour tâter le corps, il
était glacé et il déclara à haute voix que
l'enseveli était bien mort.
Ses paroles furent accueillies par une ru-
meur entrecoupée d'exclamations. On allait
jusqu'à prononcer les paroles les plus
graves.
Voyant alors qu'il lui serait impossible de
satisfaire la foule qui l'entourait et qui vou-
lait à tout prix que M. Mattet fût vivant, le
docteur Lorion eut recours au moyen su-
prême, il montra le cadavre à ceux qui l'en-
touraient. :
Il n'y avait pas de doute, non-seulement le
corps donnait bien tous les signes les plus
évidents de la mort, mais encore on pouvait
voir une ligne boursouflée et sanguinolente
s'étendant du cou au pubis et prouvant que
M. Mottet avait été autopsié.
Cette preuve irréfragable fut acceptée par
la plus grande partie des spectateurs, mais
un certain nombre de personnes nièrent en-
core l'évidence, et maintenant que la fosse
est fermée sur la bière contenant un corps
autopsié, elles vont partout disant que M.
Mattet a été enterré vivant. ,"
; E. W.
1
LE BOLIDE DE MADRID
Un aérolithe est tombé sur Madrid hier
matin, à neuf heures et demie. L'observa-
toire officiel d'astronomie dit que la masse
a éclaté à 32 kilomètres de hauteur.
Un météorologiste, consulté, n'est pas ab-
solument de l'avis de l'observatoire. Il croit
que le bolide éclata à une quarantaine de
kilomètres de hauteur.
Une lueur éclatante a paru, suivie d'une
violente détonation qui a amené une pani-
que générale.
Tous les édifices ont tremblé et de nom-
breuses vitres ont été brisées.
Au moment de l'explosion du bolide, il se
produisit une lueur éblouissante, suivie d'une
détonation semblable à un formidable coup
de tonnerre.
Lorsque. le phénomène eut lieu, le ciel
était splendide. On remarquait seulement
un nuage blanc, entouré de rouge, qui se
dirigea vers l'est, en laissant une sorte do
poussière blanche.
Dans la ville, et notamment aux halles,
la panique fut indescriptible. Quelques per-
sonnes s'évanouirent. D'autres, supersti-
tieuses, croyaient à un chàtiment du ciel.
L'observatoire astronomique est d'avis
que le bolide était composé de nickel et de
fer.
A l'Observatoire, on croit que les frag-
mants du bolide sont tombés aux environs
de Madrid.
Plusieurs personnes ont été envoyés pour
rechercher les morceaux de la partie solide
du bolide, qui serait insignifiante, si l'on
considère la grande quantité de gaz qu'elle
renfermait.
LES ACCIDENTS
Une panique se produisit à la manufacture
des tabacs au moment de l'explosion du bo-
lide. Les ouvrières, croyant qu'il s'agissait
d'un tremblement de terre, se précipitèrent
dans un escalier qui s'effondra.
Il y eut dix-sept blessées; l'une d'elles est
mourante.
D'autres accidents ont eu lieu. Un jeune
homme s'est jeté d'un entresol dans la rue
et s'est grièvement blessé.
Dans les écoles et dans les collèges, les
élèves ont pris la fuite précipitamment;
quelques-uns d'entre eux ont été contu-
sionnés.
De nombreuses boutiques sont fermées.
Au palais, on crut à l'explosion' d'une
machine. Mais le professeur du roi, appre-
nant qu'il s'agissait d'un bolide, rassura la
cour.
Aux environs de Madrid, une maison s'est
effondrée. Quelques petits morceaux d'une
pierre grisâtre encore chauds, ont été trou-
vés à terre.
L'émotion n'est pas calmée dans les fau-
bourgs.
A la légation des Etats-Unis, une cloison
s'est effondrée et de nombreuses vitres ont
été brisées.
Le reste de l'édifice est intact.
Dans de nombreuses -maisons, des cloisons
se sont effondrées au moment de l'explosion
du bolide.
L'EXPLOSION
On a remarqué qu'au moment de l'explo-
sion, la lumière électrique qui sert à l'éclai-
rage des caves des halles s'est subitement
éteinte et s'est rallumée ensuite.
Le phénomène a été constaté à Guadala-
jara avec la même intensité qu'à Madrid,
bien que cette localité soit à 57 kilomètres
de Madrid.
L'explosion a été ressentie jusqu'à Sara-
gosse, à 341 kilomètres de Madrid.
Une note officielle de l'observatoire de
Madrid dit qu'hier matin, à neuf heures
vingt-neuf, on remarqua une lueur vive
provenant d'un petit nuage dans la direction
du sud-ouest au nord-est. Une minute et
demie après, une détonation épouvantable
suivie de quelques autres de moindre inten-
sité se produisit, accompagnée de trépidation
du sol et des édifices.
Un nuage rougeâtre subsista longtemps
dans la direction de l'est. L'observatoiro sup-
pose qu'il s'agit d'un bolide et s'efïorcc de
tranquilliser le public on disant que le phé-
nomène est peu fréquent.
En raison du temps écoulé entre les dé-
charges, le bolide a dû éclater à une grande
distance de la terre. La note ajoute qu'on
n'a pas encore trouvé de vestige du phéno-
mène, Cependant, de nombreux fragments
du bolide ont été recueillis sur divers points
de Madrid et dans les environs.
LES AÉROLITHES CÉLÈBRES
Le bolide est un phénomène de toute anti-
quité : Pythagore, Pline et Plutarque l'ont
signalé, mais alors il était considéré comme
un messager surnaturel annonçant des pré-
sages divers.
Les causes des bolides sont aujourd'hui
connues, et disons tout de suite que cette
science des météorites au développement de
laquelle ont si puissamment aidé les remar-
quables travaux de M. Stanislas Meunier,
professeur de géologie au Muséum d'histoire
naturelle, l'éminent frère aîné Je notre col-
laborateur Lucien Victor-Mcunler, est une
des plus intéressantes.
Pour rappeler les plus importants il nous
faut citer celui qui tomba en Alsace, près
d'Ensisheim, le 7 novembre 1492, devant
l'empereur Maximilienqui marchait à la tète
de son armée. Ce bolide pesait 138 kilos, et
s'enfonça d'un mètre en terre en tombant.
Gassendi en vit tomber un en Provence,
à Bedone, en 1636. Il pesait une trentaine de
kilos.
En Australie, on a découvert en 1861 deux
fragments de météorite pesant ensemble
3,000 kilos ; à Bahia, au Brésil, on conserve
un bolide de 6,350 kilos, et en Chine il existe
une pierre météorique qui pèse plus dtf-10,000
kilos.
D'autres pierres, au nombre de 14, ont été
trouvées sur une montagne, en 1875; elles
pèseraient 25,000 kilos.
Mais ce qui rappelle le plus le bolide de
Madrid, c'est celui qui éclata le 26 avril 1803
au-dessus de Laiglc, dans l'Orne.
On aperçut ccsoir-ià de Caen, de Pont-
Audemer» d Alençon, de Verneuil, de Falaise,
un globe enflammé d'un éclat très brillant
qui traversait le ciel avec rapidité. il éclata
au-dessus de Laiglo.
On entendit alors, à trente lieues à la
ronde, le bruit de l'explosion formidable e<
sur une étendue de deux lieues et demie dt
long il tomba une pluie de pierres que raca.
démicien Biot, qui fit une enquête sur place,
estime à 3,000 environ.
LA SÊPiUma DE Bffi ROSENTHAl.
Ainsi qu'on le sait, Mme Rosenthal intentt
une demande en séparation de biens contrt
son mari.
L'affaire a été appelée, hier, à la 2e cham.
bre du tribunal, où Me Georges Bonnefoui
s'est présenté pour la demanderesse.
Le tribunal a renvoyé les débats de l'af-
faire à huitaine, par suite de l'intervention
au procès d'un créancier de M. Rosenthal.
Ce créancier, domicilié à Berlin, s'opposi
à la mesure sollicitée par Mme Rosenthal.
0-
CHRONIQUE
Par PAUL GINISTY
On ne peut pourtant pas, raisonnable-
ment, en vouloir à Mme Dorus-Gras
d'être morte, presque nonagénaire,
après avoir mené, depuis le jour extrê-
mement lointain où elle quitta la scène,
une existence bourgeoise et tranquille.
Il ne saurait être défendu à une canta-
trice qui fut illustre de vivre très vieille
et de dépasser la mesure des jours
communément accordés aux mortels.
Et cependant, quel singulier effet a
produit la nouvelle de la fin de cette
étoile d'autrefois, dont le nom, soudai-
nement évoqué, reportait à des temps
quasi fabuleux, comme celui de la pre-
mière ,représentation de Robert-le-
Diable.
Si on analyse le sentiment, ou sim-
plement l'impression venant de la lec-
ture d'une brève information, perdue
dans les courriers des théâtres (car ce
n'était plus, en fait, qu'un événement
assez indifférent), on constate que cette
impression est faite d'une sorte d'éton-
nement, en présence de cette longue
retraite. Il semble qu'il y ait un pacte,
sans doute cruel, entre le public et les
artistes qu'il aima. Il leur donne le suc-
cès, quelque chose -comme la gloire
même, mais il exige, en retour de ces
triomphes d'un moment, la rapide dé-
pense de leur vie. Et l'opinion, malgré
elle, parait voir quelque trahison à ce
pacte quand l'artiste, qu'il acclama na-
guère, poursuit sans fatigue son exis-
tence, traverse des années et des an-
nées, et, comme on dit, enterre ceux
qui la fêtaient jadis. La raison de vivre
de ces créatures d'élection, c'était leut
génie.
La Malibran, contemporaine de Mme
Dorus-Gras, succombant en pleine re-
nommée, demeure parée du prestige d.,
la poésie. Les vers de Musset 1 ont faite
immortelle.
Meurs donc, la mort est douce et ta tâche est remplie!
Il reste d'elle un grand souvenir,
Elle avait suivi son destin. Elle, elli
avait tenu loyalement le pacte. C'était,
en échange des applaudissements, un
peu de sa vie qu'elle donnait chaque
fois qu'elle paraissait sur la scène, avec
une sorte de fureur sacrée. Qui ne con-
nait l'histoire admirable et tragique de
sa dernière représentation où, après
avoir chanté merveilleusement, après
avoir trouvé, par un prodige d'énergie,
la force de se prêter aux prières des
auditeurs, qui étaient véritablement
une condamnation, et de recommencer
elle tomba inanimée, dans les coulisses.
sans pouvoir même regagner sa loge 7
L'écho des bravos enthousiastes ne
s'était pas éteint qu'elle agonisait déjà,
et vingt-quatre heures plus tard, en ef-
fet, elle n'était plus.
Ce sont de ces dénouements héroïques
d'incomparables et courtes carrières
qui paraissent avoir une implacable lo-
gique. Il y eut un redoutable marché :
les triomphes étaient au prix de ce con-
tinuel sacrifice, de cette mortelle vail-
lance.
Je ne dis point qu'il ne soit pas fort
inj uste d'admettre précisément, commo
presque nécessaire — au moins, esthé-
tiquement — ces fins « en beauté ». Et
pourtant, la placide retraite de ces êtres
d'exception a quelque chose, quoi que
nous en ayons, de choquant, d'anormal.
Le silence, après ces soirées d'ovations,
est-il possible ? Notre instinctive cruauté
exige le rachat de toutes les joies. La
cantatrice est morte, en réalité, le jour
où elle quitte le théâtre, ou, par une
autre ironie, le jour où elle lutte contre
elle-même. Elle est » condamnée » à la
jeunesse.
J'ai sous les yeux un portrait de
Mme Dorus-Gras, dans Alice, de Roberi
le Diable. Elle a les cheveux séparés ec
bandeaux, avec, sur les côtés, d'énor-
mes nattes, tressées de rubans qui
pendent sur les épaules. Les yeux. sont
singulièrement vifs ; le visage est char-
mant, bien que les joues soient un peu
pleines ; il a une fraîcheur séduisante,
il respire la force dans la délicatesse..
Telle la chanteuse reste dans l'histoire
de la musique. Et il faut songer que
cette figure aimable fut sillonnée de
rides, que cette voix, si souple et si
hardie, ne fut plus qu'une espèce de
crécelle, que l'interprète des grandes
œuvres lyriques ne fut plus qu'une pe-
tite vieille qu'il fallait traîner dans un
fauteuil. Est-ce que cela ne paraît pas pa-
radoxal, et sinon paradoxal, du moins:
lamentable ?
C'est la grandeur et le malheur de
celles qui ont superbement rayonné au
théâtre que toute leur existence doive
tenir en ouelaues juméa». a^ao.
PA RIS ET DÊPÀRTtftof^è
"Le 'Ktuméro; CINQ CENTIMES
■ , AIVIVO^CES ,
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131, rue Montmartre, 131
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NOS LEADERS
L'ÉRYTHRÉE
Voilà les Italiens enfoncés jusqu'au
sou dans les affaires d'Abyssinie. Gom-
ment s'en tireront-ils? C'est ce que
personne ne pourrait dire. Toujours
est-il que le général Baratieri, qui
commande en Erythréé, paraît extrê-
mement ennuyé. Il demande de l'ar-
gent et 12,000 hommes de renfort. Or,
notez-le bien, il a déjà 42,000 soldats
groupés autour de lui. Pour qu'il en
exige 12,000 de plus avec huit batte-
ries et quelques milliers de mulets, il
faut qu'il soit dans une situation im-
possible. Oui, il le faut, car c'est un
officier plein d'énergie.
De fait, toutes les dépêches donnent
les mêmes renseignements. Toutes les
dépêches ! Sans doute, mais encore —
ce qui est plus grave — les correspon-
dants des journaux italiens. Ménélik
occupe, à cette heure, une position des
plus fortes. C'est un vaste amphithéâ-
tre sur les gradins duquel ses forces
sont étagées, et cet amphithéâtre do-
mine le camp du général Baratieri. Il
le domine même si bien que ce dernier
ne peut faire un pas en avant. Il ne
peut pas davantage appeler ses réser-
ves à son secours, car il risquerait de
voir couper ses relations avec Mas-
souah. Vous reconnaîtrez que, pour
des sauvages, Ménélik et ses officiers
comprennent pas mal la guerre à l'eu-
ropéenne.
.-.
Et, à Rome, on discute ferme sur les
affaires d'Afrique. La péninsule, d'ail-
leurs, est sous le coup d'une émotion
intense. Chaque jour, de fausses nou-
velles se répandent dans le public.
C'est aujourd'hui une défaite sanglante
que Baratieri a éprouvée; c'est le len-
demain, au contraire, une bataille de
deux jours au cours de laquelle les
Choans ont été écrasés et Ménélik a
été tué. Péripéties cruelles! Alterna-
tives de joie et de crainte! Les peuples
affolés passent toujours par là.
Le ministère ne sait plus où aller.
De profondes divisions ont amené des
discussions irritées. Les sages décla-
rent que l'Italie est engagée dans une
impasse où elle peut laisser l'honneur.
Les audacieux, les fous dont M. Crispi
est le chef continuent leurs rêves
mégalomanes. Il faut une réparation
éclatante à l'Italie : on enverra 100,000
hommes à Massouah, on dépensera
des centaines de millions pour vaincre
Ménélik.
Soit. Le sentiment est des plus res-
pectables. Les hommes, on les trou-
vera, puisqu'il s'agit de cicatriser une
blessure faite à l'amour-propre natio-
nal. Mais les millions? Où sont-ils?
L'Italie est épuisée ; elle s'est saignée
aux quatre veines pour faire plaisir
à M. Crispi, elle n'a plus un sou vail-
Irnt. Et l'on parle de millions, tandis
que le crédit public est atteini. Que
voulez-vous qu'elle fasse cette pauvre
Italie aux trois quarts ruinée? La plus
belle fille du monde, hélas ! ne peut
peut donner que ce qu'elle a.
#*#
C'est pourquoi, il y avait avant-hier
une crise ministérielle à Rome. L'au-
dace de M. Crispi l'a momentanément
ajournée. Il faut bien le reconnaître:
Crispi est un beau lutteur. Il ne renon-
cera à jouer la partie que lorsque tout le
monde la considérera comme perdue.
Mais il ne retarde que d'une semaine
son départ du ministère. Fatalement,
l'Italie, faute d'argent, ne viendra pas
à bout de la résistance de Ménélik.
Au surplus, le langage et l'attitude
de Baratieri le prouvent. Il menace le
ministère, il l'accuse de tout ce qui est
arrivé; il lui reproche de ne pas lui
envoyer les renforts suffisants. Puis,
il s'en prend aux journalistes indé-
dants qui disent la vérité sur les af-
faires d'Abyssinie ; il les expulse ; il ne
veut pas en avoir à ses côtés pour le
surveiller. Ainsi faisait à Madagascar
le général Duchesne pour nous empê-
cher de savoir exactement ce qui se
passait.
..-.
Faut-il quela situation soit effroyable
pour que Baratieri agisse ainsi? Et
voici la saison des pluies qui s'avance.
Dans trois semaines, les troupes ita-
liennes ne pourront plus rien faire ;
elles seront condamnées à 1 inaction,
immobilisées par le climat, alors que
les Choans qui n'ont rien à redouter,
eux qui sont du pays, habitués à ce
soleil dévorant, accoutumés aussi à
toutes les intempéries des contrées
tropicales, manœuvrerontà l'aise, plus
à l'aise peut-être qu'en ce moment.
Pourtant, ce Ménélik, ce roi des rois
dont on connaît la générosité par les
conditions qu'il a accordées à la garni-
son de Makallé, n'en veut point tant
que cela aux Italiens. Il leur offre la
paix et une paix acceptable. Il ne cher-
ehe pas à les déloger de Massouah. Il
leur propose seulement d'évacuer le
Choa et de renoncer à toute expédition
i dans le Harrar. * or, .,. ,., ..-,
Le malheur est que M. Crispi se bou-
che les oreilles. Il n'entend rien et son
orgueil l'aveugle. Il persiste à récla-
mer toute l'Abyssinie comme s'il avait
déjà vaincu Ménélik, comme si l'a
triple alliance était solide, — et elle
est à peu près désorganisée — comme
s'il pouvait v compter sur le concours
des Anglais — et ceux-ci ont des diffi-
cultés pareilles sur tous les points du
globe.
A ce jeu, je le lui prédis, l'Italie per-
dra ce qui lui reste d'influence euro-
péenne et de ressources pécuniaires.
Elle n'est pas assez riche pour se payer
la fantaisie si ruineuse des conquêtes
coloniales et pas assez puissante pour
faire croire à l'Europe qu'elle peut
avoir raison. Comme elle ferait mieux
de se débarrasser de M. Crispi et de
confier à son successeur le soin de
liquider ses affaires dans la mer
Rouge !
CHARLES BOS.
Nous publierons demain un article
de M. Camille Pelletan.
LES ON-DIT
CHEZ NOUS
Le président de la République a
reçu hier matin une délégation de l'Asso-
ciation fraternelle des employés et ou-
vriers des chemins de fer français, associa-
tion qui a pour objet d'accorder des re-
traites et des secours à ses membres, qui
lui a demandé de se faire représenter au
banquet annuel. M. Félix Faure a promis
d'y envoyer un officier de sa maison mili-
taire.
Le président a reçu encore le bureau de
la Ligue de l'enseignement, dont il est le
président d'honneur, et qui lui a été pré-
senté par son président M. Léon Bour-
geois. Le bureau a demandé à M. Félix
Faure d'assister à la fête du trentenaire de
la fondation de la ligue, qui aura lieu au
mois de juin prochain. Le président de
la République a promis de s'y rendre.
- Hier soir a eu lieu au siège social
de l'Association des journalistes républi-
cains, sous la présidence de M. Isambert,
député, le dépouillement du scrutin pour
l'élection de quinze syndics. Ont été
élus :
MM. Théodore Henry, Ranc, Hector
Dépasse, Paul Ginisty, Pierre Baragnon,
Edmond Lepelletier, Edgard Hément, Ber-
nard-Derosne, Victor Souchon, Léon Kerst,
Robert Kemp, Mario Sermet, Obermayer,
J. Derriaz, Gustave Rivet.
L'élection du bureau aura lieu mer-
credi à quatre heures et demie.
- Nous apprenons la mort du marquis
de Dampierre, décédé hier, à Paris à l'âge
de j quatrevingt-deux ans.
Il avait été en 1848 représentant à la
Constituante et à la Législative; en 1871, il
fut réélu. Dans toutes ces assemblées, il
siégeait à droite. Il renonça à la politique
en 1876.
Il est l'auteur d'ouvrages nombreux sur
l'agriculture et sur l'élevage.
Sarah-Brown qui a figuré dans la
célèbre affaire du bal des Quat'z'Arts, dont
M. Béranger s'était si fort choqué vient de
mourir à Montmartre, où elle vivait de-
puis quelque temps.
- Hier, à une conférence de M. Ber-
nard Lazare, à l'hôtel des Sociétés savan-
tes, rue Serpente, une bagarre a éclaté.
Les coups de canne et les coups de.
gueule, si j'ose m'exprimer ainsi, ont fait
merveille. M. Bernard Lazare devait, pa-
raît-il, parler de fédéralisme, mais, hélas !
on n'a pu entendre que les : « Conspuez
les calotins 1 » les : « A bas les juifs 1 », la
Carmagnole, la Ravachole et autres gen-
tillesses de même farine. Et les « Vive
l'anarchie 1) et les « Vive la Révolution
sociale ! »
—— Relevé aux publications de ma-
riage :
M. Frédéric Régamey, artiste peintre, et
Mlle Heilmann, de Colmar.
M. Frédéric-Charles Cunnington, entraî-
neur à la Morlaye (Oise) et Mlle Marie
Mont jarret, fille du piqueur des écuries du
président de la République.
- L'exécution du monument qui doit
être élevé à Nantes à la mémoire du géné-
ral M ellinet est confiée au sculpteur Mar-
queste.
- Ce n'est pas seulement en Alsace
que les corneilles ont fait leur réappari-
tion. Depuis hier elles mènent une vie du
diable dans les arbres du quai Voltaire et
du jardin de l'Elysée, voletant, jasant, se
trémoussant au bout des branches, s'é-
brouant brusquement dans le ciel.
Ce sont les colombes de la nef pari-
sienne, ayant au bec le rameau vert du
printemps.
A L'ETRANGER
Le gouvernement portugais vient
de désigner M. de Souza-Roza, ministre du
Portugal, pour le représenter à la confé-
rence littéraire internationale qui doit se
réunir à Paris le 15 avril prochain.
- On regardait galoper les phtisies
Et miroiter sous bois les calvities.
Par 61 voix contre 45, le conseil de comté
de Londres vient de décider que, contrai-
rement à l'usage établi dans la Chambre
des communes, ses membres ne seraient
plus admis que tête nue dans la salle des
séances.
La plupart des quarante-cinq opposants
refaisaient remarquer, dit-on, par une
calvitie qui ajoutait à la gravité de leur
physionomie; un de leurs orateurs a parlé
de courants d'air, de rhumes de cerveau,
de fumigations et s'est plaint d'être menacé
d'un catarrhe par une majorité sans ver-
gogne.
Sur quoi un orateur du centre, qui n'est
pas encore chauve mais qui « ramène »
un peu déjà, a formulé une proposition
conciliatrice tendant à rendre obligatoire
pour tous les membres de l'assemblée le
port d'une perruque, comme pour les
juges, les avocats, le lord-chancelier et les
cochers du lord-maire. Cette proposition
a été renvoyée à l'examen des bureaux.
Le Passant.
LïNTERPELLArrIO LÉON SAY
LA POLITIQUE FINANCIÈRE
Nous avons annoncé que M. Léon Say de-
vait interpeller le gouvernement sur sa poli-
tique financière, aussitôt après le dépôt de
son projet de budget.
Ce projet sera distribué jeudi aux mem-
bres du Parlement.
M. Léon Say va donc pouvoir user de son
droit dès la semaine prochaine.
A propos de cette interpellation dont on
veut faire une arme de guerre contre le mi-
nistère, uniquement parce qu'il propose l'im-
pôt sur le revenu, on nous rapporte que les
amis de M. Léon Say ont fait des démarches
auprès de lui pour l'amener à renoncer à son
interpellation.
Jusqu'à présent M. Léon Say est resté iné-
branlable. Cependant les objections qu'on
lui a représentées ne sont pas sans valeur.
Los modérés qui depuis de longues semaines
attendent le cabinet au coin d'un bois pour
lui faire ce que les escarpes, dans leur
langue pittoresque, appellent « le coup du
père François j,, estiment en effet que l'in-
tervention du chef du centre gauche n'aura
pour résultat que de lui donner une majorité
considérable et conséquemment le consoli-
der, si toutefois, ce que nous ne pensons pas,
il a besoin de l'être.
Cet argument n'est pas sans valeur, mais
M. Léon Say tient à son idée et aussi à exé-
cuter le mandat que lui a confié la Ligue que
représente M. Barboux.
Dans ces conditions, l'issue de la bataille
que le centre gauche appuyé par les réac-
tionnaires et autres ralliés, ne saurait être
douteuse, et elle donnera l'occasion à M.Dou-
mer de se tailler un succès, d'autant plus
considérable, qu'il sera étayé sur une ré-
forme longtemps promise à la démocratie.
Ajoutons que tout le monde est d'accord
— le gouvernement compris — pour faire ce
débat sur la politique financière avant la no-
mination de la commission du budget, pour
laquelle on fixe la date du 20 ou celle du 22
du mois courant.
-_ ————————————
LE DEBAT SUR LES CONVENTIONS
Le débat sur les conventions qui a déjà
occupé cinq séances, sera probablement clos
aujourd'hui après le discours de M. Camille
Pelletan, une réplique de M. Gustave Roua-
net et une déclaration du ministre des tra-
vaux publics.
Voici le texte de la proposition de résolu-
tion qui sera soumise au vote de la Chambre
par les groupes radicaux :
« La Chambre, réservant à nouveau tous
les droits de l'Etat vis-à-vis des grandes
compagnies de chemin de fer, regrette que
le ministre des travaux publics ait gardé en
1883 le silence sur les prétentions des com-
pagnies d'Orléans et du Midi qui aggrave-
raient, par la prolongation de la garantie,
les conséquences financières des conven-
tions. »
Cette proposition de résolution est signée
de MM. de la Porte, Berteaux, Loup et Mau-
rice Faure.
—————————— ———————
LES INCOIVIPATlBiLlTéS
Le rapport de M. Maurice Faure sur le
projet de loi relatif aux incompatibilités, a
été distribué hier.
Ce rapport enregistre l'accord intervenu
entre la commission et le gouvernement sur
le texte à soumettre aux Chambres. Ce
texte, ainsi que nous l'avons dit plusieurs
fois, déclare incompatibles les fonctions de
sénateur ou de député avec celles d'admi-
nistrateur de sociétés financières ou de com-
pagnies recevant une garantie d'intérêt de
l'Etat.
— ; -cQ»
F1 âcheuse nomination
Amicus Plato, sed magis arnica veritas.
Par cela même que nous soutenons le gou-
vernement nous lui devons la vérité, et nous
recevons de nos amis de Corse de nombreux
télégrammes qui nous font connaître l'im-
pression déplorable produite par la nomina-
tion de M. de Casablanca, comme receveur
des finances à Bastia.
On sait les divisions profondes qui agitent
ce pays ; on a vu, dans une interpellation
récente, tous les républicains de la Chambre
s'élever dans ce département contre la poli-
tique des ralliés. Nommer, après cela, comme
chef d'un service, un homme politique, frère
d'hommes politiques, intimement mêlés aux
luttes locales, ce n'est pas faire de bonne
administration et nous regrettons que la
religion de M. Doumer ait été, à ce point,
surprise.
LES RÉFORMES DANS LES POSTES
On songe, paraît-il, à relier plus étroite-
ment la direction générale des postes au
ministère du commerce.
On dit même qu'il ne serait pas impossible
que M. de Selves, le directeur général actuel,
fût appelé prochainement à une autre si-
tuation administrative.
Ce changement rendrait plus aisé l'accom-
plissement des réformes projetées par M.
Mesureur, notamment la réorganisation du
service de l'inspection générale des postes
et télégraphes, qui coûte fort cher (140,000
francs par an) et qui fait souvent double
emploi avec l'inspection des finances.
Les économies qui pourraient être réali-
sées de ce chef seraient consacrées d'une
part au dégrèvement du budget, et de l'autre
à l'amélioration du traitement de début des
expéditionnaires que le ministre voudrait
pouvoir porter de 1,200 à 1,500 fr.
M. Mesureur étudie en outre une réorga-
nisation de l'Ecole professionnelle supé-
rieure des postes et télégraphes et une ré-
partition plus équitable des remises accor-
dées aux receveur? dés postes.
— —. — -r ———
Les Contrats du Tonkin
La commission d'enquête présidée par M.
Peytral au sujet des contrats du Tonkin et
des ressources affectées à l'emprunt colo-
nial, après avoir fourni les premières indi-
cations relatives aux garanties qui nous sont
fournies par le budget du Tonkin, porte ses
investigations sur les rentrées qui pour-
raient être effectuées en vertu des anciennes
concessions à cause même des conditions
dans lesquelles elles ont été consenties.
Elle a autorisé le mandatement de 22 mil-
lions de dépenses, résultant de contrats
d'un caractère absolument obligatoire, en
réservant sa décision pour toutes celles qui
ne peuvent être reçues « qu'à correction ».
La commission a entendu hier matin M.
Rousseau et M. de Lanessan. Elle recueillera
les déclarations des personnes qui voudront
déposer auprès d'elle et convoquera ensuite
celles dont les explications lui paraîtront
nécessaires.
LE CRIME DU PRË SflINT GERVAIS
Un crime commis dans des circonstances
particulièrement dramatiques vient de cau-
ser au Pré-Saint-Gervais une très grande
émotion.
Les époux Anselme demeurent dans cette
localité, rue Charles-Nodier, n° 16, depuis
quelques mois.
Ils ne vivaient pas en parfaite intelligence
et le mari était, dit-on, particulièrement ja-
loux.
Hier matin, un locataire de leur maison
fut frappé, en passant devant le logement
des époux Anselme, de voir un écriteau ac-
croché au bouton de la porte et sur lequel
étaient écrites quelques lignes ainsi conçues:
« Ma femme est morte, je m'en vais dans
le canal. » Signé : Anselme. »
On envoya prévenir le commissaire de
police de Pantin, et on força tout de suite la
porte qui était fermée à double tour.
Dans la chambre à coucher où régnait le
plus grand désordre, on aperçut sur le lit
et ne donnant plus signe de vie le cadavre
de Mme Anselme. La malheureuse avait été
étranglée.
Anselme, qui est évidemment l'auteur du
crime, n'a pas encore été retrouvé.
A-t-il été au canal, comme il l'écrit, ou
bien est-il simplement en fuite? Telles sont
les questions que se pose en ce moment
le service de la sûreté, qui recherche le dis-
paru.
UN AUTOPSIÉ QUI PARLE
EMOTION A CLAMART
Auto-suggestion bizarre — Scène macabre
Les morts qui parlent sont rares. Mais on
n'avait encore jamais entendu un autopsié
appelant, de son cercueil déjà recouvert de
terre, les membres de sa famille.
C'est pourtant ce qui vient de se passer à
Clamart, si l'on en croit les fossoyeurs, vic-
times d'une auto-suggestion bizarre qu'ils
firent partager aux parents et amis du dé-
funt.
M. Mattet, âgé de soixante-six ans, était
mort à l'hôpital Necker, où il était en trai-
tement pour une affection de la vessie qui
avait nécessité une opération. Sa famille ré-
clama son corps et décida de le faire inhu-
mer à Clamart, où il habitait de son vivant.
Le transfert du corps de l'hôpital à l'é-
glise de Clamart, la cérémonie funèbre et le
commencement de l'inhumation se pas-
sèrent normalement.
La famille du défunt avait déjà quitté le
cimetière lorsque les deux fossoyeurs seuls,
travaillant à combler la fosse, crurent en-
tendre des coups frappés à l'in'érieur du
cercueil. Ils se déclarèrent mutuellement
que le mort était vivant et qu'il appelait à
l'aide.
En un instant, le conservateur du cime-
tière était prévenu et un trou était pratiqué
dans le cercueil pour donner de l'air au res-
suscité.
Le conservateur du cimetière douta pour-
tant des affirmations des fossoyeurs ; il y
avait trois jours que M. Mattet était décédé
à l'hôpital et, de ce fait, exposé depuis ce
temps dans la chambre des morts où il y a
des gardiens; il était bien invraisemblable
qu'on fût en présence d'un cas de léthargie.
Cependant les fossoyeurs renchérirent sur
leurs déclarations premières, faites de bonne
foi, il n'y a pas à en douter, mais sous l'em-
pire de fauto-suggestion produite par le mi-
lieu, — il était cinq heures et demie et la
nuit était venue déjà lors de la descente du
corps dans la fosse, puisque la cérémonie
avait commencé à quatre heures à l'église et
que celle-ci est très éloignée du cimetière. —
L'un des fossoyeurs arriva donc à déclarer
qu'il avait non seulement entendu le mort
frapper, mais qu'encore il l'avait entendu
distinctement appeler: « Clément! » qui est
le nom d'un de ses fils.
Se rendant aux explications des fossoyeurs,
le conservateur se rendit à la mairie et M.
Lorion, médecin de Clamart, fut requis pour
procéder à des constatations médico-légales.
Pendant toutes ces démarches, le bruit
s'était répandu dans Clamart que M. Mat-
tet n'était pas mort et qu'il avait été enterré
vivant, ce qui attira une foule nombreuse
au cimeiière.
Les parents dufdéfunt, et cela est bien
compréhensible, étant donnée la peine qu'ils
éprouvaient de la perte de leur parent, plus
que tout le monde, se rattachèrent à cette
espérance que M. Mattet n'était pas mort ;
aussi lorsque M. Lorion arriva au cimetière,
plusieurs centaines de personnes étaient-
elles groupées autour de la fosse.
Il était huit heures du soir, des lanternes,
des lampions, des torches, voire des bougies
tenues à la main, éclairaient cette scène lu-
gubre.
C'était un spectacle bien étrange et bien
troublant, nous a dit un des témoins de cette
scène. Dans la pénombre, au milieu des
croix et des tombes, des formes vagues se
dessinaient prenant parfois des proportions
très grandes, lorsque les gens, pour arriver
plus vite, montaient sur les pierres funé-
raires, puis, entassés, des gens criant et
gesticulant à la lueur falotte et tremblante
de lumières jaunes et peu éclairantes.
Enfin le docteur passa sa main par l'ou-
verture de la bière pour tâter le corps, il
était glacé et il déclara à haute voix que
l'enseveli était bien mort.
Ses paroles furent accueillies par une ru-
meur entrecoupée d'exclamations. On allait
jusqu'à prononcer les paroles les plus
graves.
Voyant alors qu'il lui serait impossible de
satisfaire la foule qui l'entourait et qui vou-
lait à tout prix que M. Mattet fût vivant, le
docteur Lorion eut recours au moyen su-
prême, il montra le cadavre à ceux qui l'en-
touraient. :
Il n'y avait pas de doute, non-seulement le
corps donnait bien tous les signes les plus
évidents de la mort, mais encore on pouvait
voir une ligne boursouflée et sanguinolente
s'étendant du cou au pubis et prouvant que
M. Mottet avait été autopsié.
Cette preuve irréfragable fut acceptée par
la plus grande partie des spectateurs, mais
un certain nombre de personnes nièrent en-
core l'évidence, et maintenant que la fosse
est fermée sur la bière contenant un corps
autopsié, elles vont partout disant que M.
Mattet a été enterré vivant. ,"
; E. W.
1
LE BOLIDE DE MADRID
Un aérolithe est tombé sur Madrid hier
matin, à neuf heures et demie. L'observa-
toire officiel d'astronomie dit que la masse
a éclaté à 32 kilomètres de hauteur.
Un météorologiste, consulté, n'est pas ab-
solument de l'avis de l'observatoire. Il croit
que le bolide éclata à une quarantaine de
kilomètres de hauteur.
Une lueur éclatante a paru, suivie d'une
violente détonation qui a amené une pani-
que générale.
Tous les édifices ont tremblé et de nom-
breuses vitres ont été brisées.
Au moment de l'explosion du bolide, il se
produisit une lueur éblouissante, suivie d'une
détonation semblable à un formidable coup
de tonnerre.
Lorsque. le phénomène eut lieu, le ciel
était splendide. On remarquait seulement
un nuage blanc, entouré de rouge, qui se
dirigea vers l'est, en laissant une sorte do
poussière blanche.
Dans la ville, et notamment aux halles,
la panique fut indescriptible. Quelques per-
sonnes s'évanouirent. D'autres, supersti-
tieuses, croyaient à un chàtiment du ciel.
L'observatoire astronomique est d'avis
que le bolide était composé de nickel et de
fer.
A l'Observatoire, on croit que les frag-
mants du bolide sont tombés aux environs
de Madrid.
Plusieurs personnes ont été envoyés pour
rechercher les morceaux de la partie solide
du bolide, qui serait insignifiante, si l'on
considère la grande quantité de gaz qu'elle
renfermait.
LES ACCIDENTS
Une panique se produisit à la manufacture
des tabacs au moment de l'explosion du bo-
lide. Les ouvrières, croyant qu'il s'agissait
d'un tremblement de terre, se précipitèrent
dans un escalier qui s'effondra.
Il y eut dix-sept blessées; l'une d'elles est
mourante.
D'autres accidents ont eu lieu. Un jeune
homme s'est jeté d'un entresol dans la rue
et s'est grièvement blessé.
Dans les écoles et dans les collèges, les
élèves ont pris la fuite précipitamment;
quelques-uns d'entre eux ont été contu-
sionnés.
De nombreuses boutiques sont fermées.
Au palais, on crut à l'explosion' d'une
machine. Mais le professeur du roi, appre-
nant qu'il s'agissait d'un bolide, rassura la
cour.
Aux environs de Madrid, une maison s'est
effondrée. Quelques petits morceaux d'une
pierre grisâtre encore chauds, ont été trou-
vés à terre.
L'émotion n'est pas calmée dans les fau-
bourgs.
A la légation des Etats-Unis, une cloison
s'est effondrée et de nombreuses vitres ont
été brisées.
Le reste de l'édifice est intact.
Dans de nombreuses -maisons, des cloisons
se sont effondrées au moment de l'explosion
du bolide.
L'EXPLOSION
On a remarqué qu'au moment de l'explo-
sion, la lumière électrique qui sert à l'éclai-
rage des caves des halles s'est subitement
éteinte et s'est rallumée ensuite.
Le phénomène a été constaté à Guadala-
jara avec la même intensité qu'à Madrid,
bien que cette localité soit à 57 kilomètres
de Madrid.
L'explosion a été ressentie jusqu'à Sara-
gosse, à 341 kilomètres de Madrid.
Une note officielle de l'observatoire de
Madrid dit qu'hier matin, à neuf heures
vingt-neuf, on remarqua une lueur vive
provenant d'un petit nuage dans la direction
du sud-ouest au nord-est. Une minute et
demie après, une détonation épouvantable
suivie de quelques autres de moindre inten-
sité se produisit, accompagnée de trépidation
du sol et des édifices.
Un nuage rougeâtre subsista longtemps
dans la direction de l'est. L'observatoiro sup-
pose qu'il s'agit d'un bolide et s'efïorcc de
tranquilliser le public on disant que le phé-
nomène est peu fréquent.
En raison du temps écoulé entre les dé-
charges, le bolide a dû éclater à une grande
distance de la terre. La note ajoute qu'on
n'a pas encore trouvé de vestige du phéno-
mène, Cependant, de nombreux fragments
du bolide ont été recueillis sur divers points
de Madrid et dans les environs.
LES AÉROLITHES CÉLÈBRES
Le bolide est un phénomène de toute anti-
quité : Pythagore, Pline et Plutarque l'ont
signalé, mais alors il était considéré comme
un messager surnaturel annonçant des pré-
sages divers.
Les causes des bolides sont aujourd'hui
connues, et disons tout de suite que cette
science des météorites au développement de
laquelle ont si puissamment aidé les remar-
quables travaux de M. Stanislas Meunier,
professeur de géologie au Muséum d'histoire
naturelle, l'éminent frère aîné Je notre col-
laborateur Lucien Victor-Mcunler, est une
des plus intéressantes.
Pour rappeler les plus importants il nous
faut citer celui qui tomba en Alsace, près
d'Ensisheim, le 7 novembre 1492, devant
l'empereur Maximilienqui marchait à la tète
de son armée. Ce bolide pesait 138 kilos, et
s'enfonça d'un mètre en terre en tombant.
Gassendi en vit tomber un en Provence,
à Bedone, en 1636. Il pesait une trentaine de
kilos.
En Australie, on a découvert en 1861 deux
fragments de météorite pesant ensemble
3,000 kilos ; à Bahia, au Brésil, on conserve
un bolide de 6,350 kilos, et en Chine il existe
une pierre météorique qui pèse plus dtf-10,000
kilos.
D'autres pierres, au nombre de 14, ont été
trouvées sur une montagne, en 1875; elles
pèseraient 25,000 kilos.
Mais ce qui rappelle le plus le bolide de
Madrid, c'est celui qui éclata le 26 avril 1803
au-dessus de Laiglc, dans l'Orne.
On aperçut ccsoir-ià de Caen, de Pont-
Audemer» d Alençon, de Verneuil, de Falaise,
un globe enflammé d'un éclat très brillant
qui traversait le ciel avec rapidité. il éclata
au-dessus de Laiglo.
On entendit alors, à trente lieues à la
ronde, le bruit de l'explosion formidable e<
sur une étendue de deux lieues et demie dt
long il tomba une pluie de pierres que raca.
démicien Biot, qui fit une enquête sur place,
estime à 3,000 environ.
LA SÊPiUma DE Bffi ROSENTHAl.
Ainsi qu'on le sait, Mme Rosenthal intentt
une demande en séparation de biens contrt
son mari.
L'affaire a été appelée, hier, à la 2e cham.
bre du tribunal, où Me Georges Bonnefoui
s'est présenté pour la demanderesse.
Le tribunal a renvoyé les débats de l'af-
faire à huitaine, par suite de l'intervention
au procès d'un créancier de M. Rosenthal.
Ce créancier, domicilié à Berlin, s'opposi
à la mesure sollicitée par Mme Rosenthal.
0-
CHRONIQUE
Par PAUL GINISTY
On ne peut pourtant pas, raisonnable-
ment, en vouloir à Mme Dorus-Gras
d'être morte, presque nonagénaire,
après avoir mené, depuis le jour extrê-
mement lointain où elle quitta la scène,
une existence bourgeoise et tranquille.
Il ne saurait être défendu à une canta-
trice qui fut illustre de vivre très vieille
et de dépasser la mesure des jours
communément accordés aux mortels.
Et cependant, quel singulier effet a
produit la nouvelle de la fin de cette
étoile d'autrefois, dont le nom, soudai-
nement évoqué, reportait à des temps
quasi fabuleux, comme celui de la pre-
mière ,représentation de Robert-le-
Diable.
Si on analyse le sentiment, ou sim-
plement l'impression venant de la lec-
ture d'une brève information, perdue
dans les courriers des théâtres (car ce
n'était plus, en fait, qu'un événement
assez indifférent), on constate que cette
impression est faite d'une sorte d'éton-
nement, en présence de cette longue
retraite. Il semble qu'il y ait un pacte,
sans doute cruel, entre le public et les
artistes qu'il aima. Il leur donne le suc-
cès, quelque chose -comme la gloire
même, mais il exige, en retour de ces
triomphes d'un moment, la rapide dé-
pense de leur vie. Et l'opinion, malgré
elle, parait voir quelque trahison à ce
pacte quand l'artiste, qu'il acclama na-
guère, poursuit sans fatigue son exis-
tence, traverse des années et des an-
nées, et, comme on dit, enterre ceux
qui la fêtaient jadis. La raison de vivre
de ces créatures d'élection, c'était leut
génie.
La Malibran, contemporaine de Mme
Dorus-Gras, succombant en pleine re-
nommée, demeure parée du prestige d.,
la poésie. Les vers de Musset 1 ont faite
immortelle.
Meurs donc, la mort est douce et ta tâche est remplie!
Il reste d'elle un grand souvenir,
Elle avait suivi son destin. Elle, elli
avait tenu loyalement le pacte. C'était,
en échange des applaudissements, un
peu de sa vie qu'elle donnait chaque
fois qu'elle paraissait sur la scène, avec
une sorte de fureur sacrée. Qui ne con-
nait l'histoire admirable et tragique de
sa dernière représentation où, après
avoir chanté merveilleusement, après
avoir trouvé, par un prodige d'énergie,
la force de se prêter aux prières des
auditeurs, qui étaient véritablement
une condamnation, et de recommencer
elle tomba inanimée, dans les coulisses.
sans pouvoir même regagner sa loge 7
L'écho des bravos enthousiastes ne
s'était pas éteint qu'elle agonisait déjà,
et vingt-quatre heures plus tard, en ef-
fet, elle n'était plus.
Ce sont de ces dénouements héroïques
d'incomparables et courtes carrières
qui paraissent avoir une implacable lo-
gique. Il y eut un redoutable marché :
les triomphes étaient au prix de ce con-
tinuel sacrifice, de cette mortelle vail-
lance.
Je ne dis point qu'il ne soit pas fort
inj uste d'admettre précisément, commo
presque nécessaire — au moins, esthé-
tiquement — ces fins « en beauté ». Et
pourtant, la placide retraite de ces êtres
d'exception a quelque chose, quoi que
nous en ayons, de choquant, d'anormal.
Le silence, après ces soirées d'ovations,
est-il possible ? Notre instinctive cruauté
exige le rachat de toutes les joies. La
cantatrice est morte, en réalité, le jour
où elle quitte le théâtre, ou, par une
autre ironie, le jour où elle lutte contre
elle-même. Elle est » condamnée » à la
jeunesse.
J'ai sous les yeux un portrait de
Mme Dorus-Gras, dans Alice, de Roberi
le Diable. Elle a les cheveux séparés ec
bandeaux, avec, sur les côtés, d'énor-
mes nattes, tressées de rubans qui
pendent sur les épaules. Les yeux. sont
singulièrement vifs ; le visage est char-
mant, bien que les joues soient un peu
pleines ; il a une fraîcheur séduisante,
il respire la force dans la délicatesse..
Telle la chanteuse reste dans l'histoire
de la musique. Et il faut songer que
cette figure aimable fut sillonnée de
rides, que cette voix, si souple et si
hardie, ne fut plus qu'une espèce de
crécelle, que l'interprète des grandes
œuvres lyriques ne fut plus qu'une pe-
tite vieille qu'il fallait traîner dans un
fauteuil. Est-ce que cela ne paraît pas pa-
radoxal, et sinon paradoxal, du moins:
lamentable ?
C'est la grandeur et le malheur de
celles qui ont superbement rayonné au
théâtre que toute leur existence doive
tenir en ouelaues juméa». a^ao.
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