Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-01-12
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
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Description : 12 janvier 1896 12 janvier 1896
Description : 1896/01/12 (N9438). 1896/01/12 (N9438).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7564078g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
i - J~
CINO CENTIMES le , ie.e
PARIS ET DÉPARTEMENTS'
Le Numéro, CINQ CENTIMES
ANNONCES -
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N° 9438. — Diznanche 12 Janvier 1896
23 NIVOSE AN 104
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NOS LEADERS
LE CONSORTIUM
Nous ne sommes plus, heureuse-
ment, au temps où les journaux
avaient leur point de foi établi sur tou-
tes les questions; où l'on tenait à don-
ner à chacun d'eux une figure dogma-
tique; où l'on établissait, jusque dans
les moindres détails, une unité factice
entre les opinions, forcément diver-
ses, des écrivains réunis pour une
œuvre commune. Le journal, aujour-
d'hui (en dehors des idées essentielles
sur lesquelles une divergence exclut
toute collaboration politique), devient
de plus en plus une tribune où les
considérations les plus contraires peu-
vent avoir la parole à leur tour. Il
n'est, à mon sens, ni sans intérêt ni
sans profit de causer entre soi, devant
le public, de choses sur lesquelles on
diffère d'avis, quand, de part et d'au-
tre, on cherche la vérité avec une sin-
cérité égale.
#*#
Eh bien ! J'avoue qu'il m'est impos-
sible d'admettre le point de vue au-
quel se place Lanessan, en ce qui con-
cerne les nombreuses questions sou-
levées à l'heure actuelle sur le globe.
Si je le comprends bien, nous allons
dresser, d'une façon permanente, en
face de la politique anglaise, une poli-
tique dite « continentale ». Il va y
avoir un consortium de la Russie, de
l'Allemagne et de la France. Il ne
s'agit plus seulement, notez-le bien,
d'une action passagère, organisée pour
une circonstance donnée, mais bien
d'un groupement durable, destiné à
résoudre, l'une après l'autre, les diffi-
cultés qui peuvent surgir successive-
ment de tous les côtés. Pourquoi recu-
ler devant le mot propre ? Pourquoi le
traduire en latin diplomatique? Pour-
quoi ne pas l'écrire en bon français,
bien intelligible pour tout le monde?
C'est d'une véritable alliance qu'il
s'agit, et d'une alliance où la Répu-
blique française mettra, laissera sa
main dans la main de l'empereur ber-
linois.
Cette politique-là a une conséquence,
qu'il serait puéril de se dissimuler :
c'est l'acceptation définitive de l'œuvre
accomplie par le sabre allemand
en 1871. Au moment où l'on nous
parle d'une politique « continentale »,
il y a au cœur du continent qu'on soli-
darise de la sorte, entre le Rhin et les
Vosges, une large tache noire sur la
carte de ce qui fut autrefois la France.
Assurément, la Chine m'intéresse vi-
vement ; le Tonkin encore plus (il nous
coûte assez cher pour cela) ; je me pré-
occupe fort de l'Egypte ; je consenti-
rai, s'il le faut, à me passionner pour
l'Arménie, le Transvaal et le Vene-
zuela. Mais la frontière française mé-
rite peut-être une parcelle de notre
attention. Je ne puis me déshabituer
de penser à l'Alsace-Lorraine ; et de
plus, je tiens essentiellement à ce qui
nous reste de la Lorraine, à la Cham-
pagne et à la Franche-Comté. Un con-
sortium de l'Allemagne et de la
France ! Est-ce que cet assemblage de
mots ne nous déchire pas la bouche et
les oreilles? '--' -", -
**
Laissons de côté les raisons de sen-
timent (bien que les sentiments, ici,
soient de ceux qui font partie de l'hon-
neur, de l'existence d'un pays).Voyons
les faits. Si l'on n'abandonne pas l'idée
de reconstituer la frontière de l'Est,
comment peut-on songer à un pareil
assemblage? Se flattera-t-on de l'illu-
sion trop commode qu'on se servira
de l'alliance allemande tant qu'on en
en aura besoin, pour des intérêts exo-
tiques, sauf à reprendre la vraie poli-
tique française le jour où l'on croira le
moment opportun? Est-ce qu'en ces
matières on change de politique
comme on change de costume, pre-
nant un paletot épais l'hiver, et un
vêtement léger dans la canicule? Non,
ces redoutables questions exigent plus
de suite dans les idées. C'est avec une
action continue et fidèle à sa concep-
tion première qu'on fait à une nation
une politique extérieure. Surtout quand
il s'agit de la reconstitution de la patrie
contre une puissance militaire redouta-
ble, c'est au prix d'une lente élabora-
tion qu'on réussit. Voyez l'Italie avant
Solférino ; voyez l'Allemagne avant
Sadowa. On avait nourri une longue
suite de générations avec l'idée natio-
nale avant d'obtenir les résultats qui
ont fait retentir les noms de Bismarck
et de Cavour. On avait travaillé obsti-
nément les esprits, en même temps
qu'on amassait des forces militaires.
On avait alimenté des haines vivaces
contre ceux qu'on voulait écraser. On
avait en même temps entretenu, sur-
excité, dans les provinces séparées du
reste de la nation, les sentiments de
fidélité et d'espérance. Ne venez pas
nous dire que quand on aura vu cette
énormité : la France pratiquant
alliance allemande; quand des gé-
nérations nouvelles seront venues
qui, n'ayant connu ni nos douleurs,
ni nos colères, ayant appris de nous
à oublier (ce pays ne l'apprend que
trop aisément), se seront habituées
à l'idée de voir leur pays allié à son
ancien vainqueur; quand les généra-
tions si durement courbées sous le
joug allemand se seront senties aban-
données, alors qu'elles ont besoin de
toutes leurs espérances pour continuer
leur héroïque fidélité, ne venez pas
me dire qu'un beau matin vous pour-
rez vous retourner soudainement, et
vous trouver prêt pour l'effort terrible
nécessaire à la réparation de nos mal-
heurs passés; ne venez pas même
me dire que vous pourrez continuer à
demander à ce pays les sacrifices
d'argent et d'hommes nécessaires à
l'entretien de l'armée continentale
qu'exige la préoccupation de l'Alle-
magne. Votre « consortium », c'est un
désarmement.
.*.
Et nous voilà lancés dans une belle
politique ! Désormais, notre objectif,
ce ne sera plus l'Allemagne, ce sera
l'Angleterre. Rassurés (peut-être à tort)
sur notre frontière de l'Est, nous nous
préoccuperons d'agir au fond de la
Méditerranée, dans les mers de Chine,
dans l'Atlantique. C'est en effet à cela
qu'on nous conduisait depuis long-
temps, avec les aventures coloniales.
Et l'état de nos forces s'est modifié en
conformité de la politique nouvelle.
On ne rêvait jadis que régiments et for-
teresses ; on s'est mis à ne rêver que
croiseurs et cuirassés. Ainsi a com-
mencé chez nous ce que je pourrais
appeler la « marinomanie ». En quel-
ques années, alors que nos dépenses de
guerre restaient à peu près station-
naires, les dépenses de notre flotte
s'élevaient de 40 0/0. C'est encore beau-
coup trop peu, si l'on veut suivre lapoli-
tique qui n'a de regards que pour le
fond des océans lointains. Si un conflit
éclate (et il peut éclater) il nous faut
au bas mot une flotte de 400 millions.
Des trois « alliés », nous seuls sommes
une puissance maritime approchant
un peu de l'Angleterre. Nous seuls
sommes une puissance coloniale ayant
des possessions séparées de la métro-
pole par de vastes étendues de mer.
C'est sur nous que retomberont, à la
fois, le poids et les risques de l'action
commune. Pour quel profit, et que
voulez-vous en tirer? Je sais bien en
quoi nous servirons nos collaborateurs.
Si l'Allemagne veut se constituer à son
tour en empire colonial, elle pourra se le
constituerdelasorteà nos frais. D'autre
part, vous prétendez empêcher le dé-
membrement de la Chine.En êtes-vous
bien sûr? S'agit-il d'empêcher le vieil
empire croulant de l'Extrême-Orient
de s'effondrer ou simplement de per-
mettre à un ami d'en recueillir les
débris? Oui, je vois quel profit on ti-
rera ailleurs du consortium. Mais
nous?..-Est-ce que nos domaines colo-
niaux ne nous suffisent pas? Et est-ce
qu'on rêve encore de nouvelles con-
quêtes au loin?
;.:* *
Et puis, une question plus grave,
menaçante, obsède mon esprit. Je
suppose que nous ayons appris à la
jeunesse, qui sera le pays dans quelque
temps, à laisser de côté, avec nos
deuils, nos constantes préoccupations ;
je suppose que nous ayons effacé dans
l'esprit de la nation le péril allemand,
et, par une conséquence forcée, amené
la diminution des sacrifices qu'il faut
consentir pour l'en préserver; je sup-
pose que, par une conséquence non
moins forcée, nous ayons été entrainés
à développer nos forces maritimes au
détriment de nos forces terrestres,
nous aurons oublié, nous ; êtes-vous
sûr qu'on aura oublié de l'autre côté
du Rhin ? Ne vous souvenez-vous plus
de la recrudescence des manifestations
chauvines en Allemagne, du langage
même du jeune César germanique au
lendemain de ces mortelles et cri-
minelles défaillances de Kiel ? Tandis
que nous cesserons d'apprendre aux
enfants nos douleurs passées et nos
espérances d'avenir, est-ce qu'on ces-
sera d'apprendre aux marmots alle-
mands les glorieuses victoires de l'An-
née terrible ? Est-ce que nous allons
recommencer l'histoire de 1870, alors
qu'en face d'une France qui ne savait
plus rien ni d'Iéna, ni de Waterloo,
grandissait une Allemagne nourrie
dans ces souvenirs et en portant en-
core les haines toutes vives dans le
cœur ? Ah ! vous verrez ce que devien-
dra votre « consortium » le jour où on
croira encore pouvoir nous écraser !
Une alliance de la France et de
l'Allemagne, c'est la fin de la France.
CAMILLE PELLETAN.
Nous publierons demain un article
de M. Charles Bos.
UN ASSASSINAT ROMANESQUE
Une affaire « passionnelle », aux détails
aussi dramatiques que romanesques, se dé-
nouera le 21 janvier courant, devant la cour
d'assises de la Seine, présidée par M. Tardif.
Il s'agit de l'affaire Hézard.
Henri Hezard est ce ieune homme de dix-
huit ans qui, dans un hôtel de la rue Mon-
sieur-le-Prince, tua d'un coup de revolver
sa maîtresse, également âgée de dix-huit
ans.
Les deux amants avaient résolu de mou-
rir ensemble. Après avoir tenté infructueu-
sement de s'empoisonner, ils recoururent au
revolver pour se procurer le dénouement
qu'ils cherchaient.
Hezard déchargea à bout portant un coup
de revolver sur sa maîtresse, qui fut atteinte
au cœur. La malheureuse jeune fille mourut
presque immédiatement, n'ayant pu pro-
noncer que ce seul mot :
— Merci!
Henri Hezard tourna alors son arme con-
tre lui-même. Mais il ne parvenait qu'à se
blesser peu grièvement.
M. l'avocat général Cadot de Villemomble
soutiendra, devant les jurés de la Seine,
l'accusation d'assassinat dirigée contre He-
zard.
M0 Henri Robert assistera l'accusé.
VERS LA GLOIRE
Un enterrement comme celui de Verlaine
purifie l'homme qui en est l'objet, le relève,
le grandit, le met à sa place. Il y a une
logique, une justice — même ici-bas. Vient
le moment, tôt oit tard, où les choses s'ar-
rangent d'elles-mêmes pour la rendre tan-
gible, pour qu'elle soit visible aux yeux de
tous.
De ce pauvre logis où le poète est mort
torturé et misérable, où devait socialement
le conduire le décousu de sa vie désordonnée
- mais libre, en somme, acceptée et voulue
- son cercueil est descendu dans la rue
brumeuse, éblouissant de fleurs — rien que
des fleurs — et de cette sombre rue Des-
cartes aux maisons loqueteuses, vite traver-
sée, tout de suite il est remonté vers l'art,
vers la gloire, vers Saint-Etienne-du-Mont,
oÙ il a fait halte aux chants de l'oruue, dans
la lumière fleurie des vitraux, vers le Pan-
théon devant lequel il a longtemps stationne
et dont la haute coupole planait étincelante
dans l'azur et le soleil.
C'est une ascension sublime que la tombe :
On y monte étonné d'avoir cm qu'on y tombe!
Et autour du cercueil du poète chargé de
roses, rien que des poètes, tous ceux qui ont
un nom, les vieux et les jeunes, les roman-
tiques et les romanistes, les réalistes et les
symbolistes, François Coppée et Jean Mo-
réas, Armand Silvestne et Maurice Duples-
sis, tous groupés, tous fraternisant dans
leur , commune admiration pour le poite
sincère que fut Verlaine, et donnant ainsi
la preuve qu'en poésie comme en art il y a
place pour toutes les écoles.
Verlaine a vécu en marge de la société.
Il a suivi ses instincts, sa nature. Pour qui
l'a connu, il avait une âme d'enfant. Nous
n'avons pas à juger sa vie. Il l'a jugée lui-
lui-même et s'en est confessé - publique-
ment. Pas un de ceux qui sont venus lui
rendre hommage, qui l'ont accompagné jus-
qu'au cimetière, qui l'ait ignorée. Ce qu'on
en peut dire, c'est qu'avec ses fautes et ses
repentirs, ses débauches et ses remords,
c'est elle qui l'a fait poète. Autrement,
dans un milieu tranquille, il eût fait des
vers comme tout le monde. Sans les fautes
de Jean-Jacques, nous n'aurions pas les
Confessions ; sans les péchés de Verlaine,
nous n'aurions pas Sagesse. Et c'est pour
ce livre, qui monte comme une fleur ardente
et pure, mouillée de larmes, très haut au-
dessus de son œuvre, qu'il s'en va pardonné
et glorieux.
CHARLES FRÉMINE.
*0
LES ON-DIT
CARNET QUOTIDIEN :
Jugement définitif, à Londres, sur la demande
d'xtradition d'Arton.
- Premier bal masqué à l'Opéra.
- Durée du jour : 9 h. 46 m.
AU JOUR LE JOUR
Mon Dieu, j'aurais mauvaise grâce,
je le sens, à chicaner Mme Patti le jour
précisément où elle se présente devant
le public parisien, gratuitement et au
bénéfice d'une œuvre artistique. Elle ne
chantera pas ; mais elle mimera. Je sais
que son succès sera très grand ; car
chacun est avide de contempler la cé-
lèbre cantatrice en train de ne pas chan-
ter. On parle de 30,000 francs de loca-
tion, Je voudrais pouvoir dire qu'en
cette affaire je trouve tout parfait ; mais
je ne puis retenir une objection qui me
vient :
On m'annonce que le commissaire de
police de la Chapelle a, dans les seules
journées du 8 et du 9 janvier, procédé
à 128 — cent vingt-huit — expulsions
de ménages qui n'ont pu acquitter leurs
pauvres loyers. Cent vingt-huit familles
dans la rue, par ce froid, et ce n'est là
que le chiffre d'un quartier, et il y a
quatrevingts quartiers dans Paris. Mul-
tipliez.
Mme Patti est assurément libre de
donner son concours aux œuvres qui
lui plaisent et, d'ailleurs, elle ignore
probablement le fait douloureux dont
je viens de parler, mais il est difficile
de ne pas remarquer qu'avec les 30,000
francs de recette de la représentation
de ce soir, on pourrait donner 235 francs
à chacun des cent vingt-huit ménages
expulsés de la Chapelle, c'est-à-dire
plus que la somme, sans doute, pour le
non-paiement de laquelle ces pauvres
gens sont mis à la porte de chez eux.
Ne trouvez-vous pas — ce n'est pas,
je le répète, un reproche que j'adresse
à Mme Patti, c'est une remarque géné-
rale-que je fais — ne trouvez-vous pas
qu'il est dur de voir consacrer à l'édifi-
cation d'un monument à l'auteur d'Es-
telle et Némorin — qui est déjà pourvu
de bustes par ci par là sur notre terri-
toire — un argent qui sauverait 128 fa-
milles?
CHEZ NOUS
, Mme Bjrisgon^ mère du président
de la Chambre, vient de mourir à Bourges,
à l'âge de quatrevingts ans.
M. Henri Brissson était allé passer au-
près de sa mère les premiers jours de jan-
vier et était rentré de Bourges mardi. Il a
été subitement rappelé jeudi dans la
journée.
Les obsèques de Mme Brisson mère au-
ront lieu à Bourges aujourd'hui, à dix heu-
res et demie du matin.
- Les obsèques de Paul Verlaine :
Le « pauvre Lelian », comme il s'ana-
grammait lui-même, a été conduit hier à
son tombeau par une foule d'admirateurs,
qui presque tous brillent ou marquent
dans l'art et la littérature de ce temps.
La cérémonie a été célébrée à dix heures,
en l'église Saint-Etienne-du-Mont. Lescor-
dons du poêle étaient tenus par MM. Fran-
çois Coppée, Catulle Mendès, Edmond
Lepelletier et Maurice Barrés.
Le deuil était conduit par le compositeur
Charles de Sivry, beau-frère de Verlaine,
et par l'éditeur du poète, M. Vanier.
Reconnus : MM. Henry Roujon, Sully-
Prudhomme, Jules Lemaître, de Hérédia,
Richepin, H. de Regnier, Maurice du
Plessys, Edmond Char, etc., etc..
Après l'office des morts, pendant lequel
l'orgue a été tenu par M. Gabriel Fauré, le
convoi s'est rendu au cimetière des Bati-
gnolles, où la famille Verlaine possède un
caveau.
Sur la tombe, MM. François Coppée, Le-
pelletier, Mallarmé, Moréas, Kohn et plu-
sieurs autres poètes ont successivement
pris la parole.
-, Nous apprenons avec un vif regret
la mort de M. Prosper-Louis Docteur, pu-
bliciste.
M. Docteur avait épousé la sœur de
notre ami, le poète Adolphe Pelleport,
l'ancien gérant du Rappel.
- Concours d'internat, à la préfecture
de police :
Un concours pour l'admission à six em-
plois d'internes et six emplois d'internes
provisoires, collaborant au service médical
de la maison d'arrêt et de correction de
Saint-Lazare, aura lieu le jeudi 20 février.
Les candidats qui désireraient prendre
part au concours, devront se faire inscrire
à la préfecture de police (service du per-
sonnel, caserne de la Cité). Les registres
d'inscription seront ouverts le 20 janvier,
à dix heures du matin et clos définitive-
ment à quatre heures du soir.
Tous les renseignements sur le concours
et la situation faite aux internes, seront
fournis au bureau du personnel de la pré-
fecture de police.
v-v-v M. Mesureur a reçu hier matin une
délégation de la Ligue syndicale pour la
défense du travail, de l'industrie et du
commerce et des délégués de l'école d'hor-
logerie.
- Voyages ministériels :
M. Bourgeois part aujourd'hui pour
Lyon, accompagné de M. Génie, son chef
de cabinet.
A Lyon, également, se rend M. Doumer,
ministre des finances.
- A l'occasion du centenaire de l'Ins-
titut, le président de la République a signé
sur la proposition de M. Berthelot, minis-
tre des affaires étrangères, un décret nom-*
man't au grade de commandeur de la Légion
d'honneur M. Virchow, le savant allemand
bien connu.
- Mouvement des voyageurs entre la
France et l'Angleterre.
Ont traversé la Manche en décembre
1895 :
De Calais à Douvres, 15,350; augmen-
tation de 1,921 sur le mois de décembre
1894.
De Boulogne à Folkestone, 3,457 ; dimi-
nution de 26.
De Dieppe à Newhaven, 6,379 ; diminu-
tion de 206.
- Statistique criminelle empruntée à
la science française et dédiée aux ivrognes
impénitents :
Sur 100 détenus pour assassinat, com-
bien compte-t-on d'alcooliques ? Ré-
ponse : 53.
Sur 100 condamnés pour viol, outrage
public à la pudeur, combien compte-t-on
d'alcooliques? 53.
Sur 100 détenus pour incendie volon-
taire , combien compte-t-on d'alcooli-
ques ? 57.
Sur 100 condamnés pour mendicité, va-
gabondage, combien compte-t-on d'alcoo-
liques? 70.
Sur 100 condamnés pour coups et bles-
sures, violences, brutalités ? 90.
A L'ETRANGER
Il y a, parmi les juges de Berlin, un
président nommé Brausewetter, lequel est
sujet à des dérangements cérébraux qui
présentent tous les symptômes de la
rage.
Quand la crise le prend, ce dangereux
magistrat, bave, mord et cogne, les yeux
hors de l'orbite et la tète hors de la toque.
M. Brausewetter qui est fort conscient
de son état, — ce qui ne l'empêche pas,
du reste, de garder son siège et de se cram-
ponner à ses fonctions - disait l'autre jour
à quelqu'un qui l'interrogeait :
« C'est plus fort que moi. Quand je vois
un de ces prévenus, un socialiste ou un
vagabond quelconque, et au banc de la
la défense un de ces misérables petits avo-
cats démocrates, je vois rouge et j'applique
le maximum ! »
Charmante nature ! Décidément les ma-
gistrats sont partout les mêmes.
- La planète Mars :
Le célèbre astronome américain Lowell,
qui assistait jeudi à la séance de la Société
astronomique de France, a rendu compte
de ses études sur la planète Mars, faites à
son observatoire du mont Aréquipa, dans
tl'OrizonaA à 2,800 mètres d'altitude.
A l'aide d'une trentaine de projections,
il a montré les neiges polaires de la pla-
nète, avec leurs gigantesques crevasses, les
grandes taches glauques considérées géné-
ralement comme des mers et dont il at-
tribue une partie à de la végétation.
Enfin un réseau de mystérieux canaux,
dont la régularité implique, d'après le sa-
vant, l'intervention nécessaire d'une direc-
tion intelligente, a été mis sous les yeux
de la docte assistance.
M. Lowell conclut hardiment à l'exis-
tence, sur la planète Mars, d'être sem-
blables aux hommes par leurs connais-
sances, leurs besoins et leurs tràvauJ.
Il nous est certes plus facile d'y croire
que d'y aller voir.
Le Passant.
L'AFFAIRE LEBAUDY
ARRESTATION DE M, SAINT-CÈRE
M. Clément intervient — Rue Auber, 10
Quelques mots sur M. Rosenthal
dit « Jacques Saint-Cère »
Les motifs de l'arrestation -Interro atoire
prolongé de M. Cesti-Monsieur X.
A qui le tour ?
L'affaira Max Lebaudy semble décidément
devoir dépasser en incidents imprévus la fa-
meuse affaire des cercles.
Depuis lundi il ne s'est pas écoulé de jour
sans que le juge d'instruction ait eu à décer-
ner un mandat d'amener contre quelque per-
sonnalité parisienne, et successivement,
nous avons vu M. de Cesti, M. Balcnsi et
M. Ulrich de Civry prendre le chemin de
Mazas ou celui de. Bruxelles.
Ces « événements » qui pouvaient à juste
titre passer pour sensationnels, n'étaient
pourtant que d'une importance assez mince
à côté de celui qui devait marquer la jour-
née d'hier.
Contre toute attente, en effet, un des ré-
dacteurs les plus considérables du Figaro,
M. Jacques Saint-Cère, a été à son tour ar-
rêté sur l'ordre du juge.
Comment et dans quelles conditions s'est
produite cette arrestation autrement impres-
sionnante que celle de M. de Cesti ou de M.
de Civry ? C'est ce que nous allons raconter
plus loin.
L'ARRESTATION
Nous publions plus loin sous le titre :
Monsieur X. une histoire qui est racontée
dans le Figaro, et dans laquelle il est ques-
tion d'un maitre-chanteur qui servit d'inter-
médiaire entre M. de Cesti et le rédacteur
d'un journal. Il y a eu évidemment, là, et la
justice sera bientôt tenue de s'en rendre
compte, une tentative de chantage bien dé-
terminée. Car il s'agissait toujours de souti-
rer de l'argent à M. Max Lebaudy.
C'est sous la même inculpation que M.
Saint-Cère, rédacteur au Figaro, vient d'être
arrôté dans les circonstances suivantes.
C'est M. Clément, commissaire aux délé-
gations judiciaires, qui a été chargé de cette
opération.
Le magistrat s'est rendu, à dix heures du
matin, rue Auber, n" 10. Il était muni de
deux mandats, un mandat d'arrêt et un
mandat de comparution; il pouvait faire
usage de celui qui lui conviendrait.
Depuis la veille deux agents de la sûreté
avaient été placés à l'entrée de la maison,
de sorte que si M. Rosenthal, dit Saint-Cère,
avait voulu prendre la fuite, il n'aurait
pas pu.
M. Clément a été reçu par M. Saint-Cère
lui-même.
— Je viens vous demander quelques ren-
seignements de la part de M. Meyer, juge
d'instruction, au sujet de l'affaire Lebaudy.
— Je suis à votre disposition, répondit
M. Saint-Cère.
M. Clément se rendit dans le cabinet de
travail et, après examen, s'empara d'une
correspondance qui, paraît-il, est des plus
édifiantes.
M. Saint-Cère, qui ne s'attendait pas du
tout à cette visite, se troublait de plus en
plus; mais, comme il paraissait docile, M.
Clémont, au lieu d'exhiber son mandat d'ar-
rêt, se contenta de montrer son mandat de
comparution. Puis il déclara au personnage
visé par ledit mandat qu'il fallait qu'il se
rendit avec lui quai des Orfèvres, pour le
classement des divers papiers saisis.
M. Saint-Cère devint suppliant :
— Alors vous m'arrêtez"!
— Non pas, répondit M. Clément. D'ail-
leurs, personne ne saura que vous êtes allé
là-bas avec moi, je vous en donne ma pa-
role d'honneur.
Le commissaire parlait du cas où M. Saint-
Cère eut été relaxé, après l'interrogatoire du
Juge.
A onze heures, M. Meyer, juge d instruc-
tion, recevait son nouvel hôte.
Après un interrogatoire de deux heures,
M. Meyer alla trouver le procureur.
M. Atthalin hésita longtemps et dut sans
doute consulter en plus haut lieu, car M.
Saint-Cère n'est pas un mince personnage.
Sa situation dans la presse est très impor-
tante et ie parquet n'a pas été aussi rapide
pour cette opération qu'il l'avait été pour
MM. Cesti et de Civry.
A quatre heures de l'après-midi, M. Meyer
était de retour dans son cabinet. Une demi-
heurij après, M. Atthalin était décidé. Car il
a dans la circonstance examiné lui-même le
dossier. C'est alors qu'un mandat d'arrêt fut
signé contre M. Hosenihal; il était attéré. A
cinq heures on le conduisit au Dépôt entre
deux inspecteurs de la sûreté.
M. Clément, que nous avons vu dans
l'après-midi, nous assure qu'il a été pour cet
inculpé de premier choix d'une urbanité
toile qu'il en a reçu des compliments. Mais
si nous en croyons la mine réjouie du doyen
des commissaires aux délégations judiciaires,
il se pourrait que demain on l'employât à
une opération aussi importante. M. Bernard,
un peu las, se repose pour le moment.
M. Saint-Cère a été gardé au Dépôt, car il
sera interrogé aujourd hui et confronté avec
M. de Civry.
NOUVEAUX DÉTAILS
Une personne bien informée nous com-
munique d'autre part, sur l'arrestation de
M. Saint-Cère, ces renseignements curieux.
M. Saint-Cère espérait toujours que le
juge allait le laisser partir libre. Lorsque M.
Meyer lui a dit :
— Etant données vos déclarations, je vous
maintiens en état d'arrestation.
M. Saint-Cère s'est écrié :
— Comment, avec aussi peu de preuves
que vous en avez, vous m'arrêtez? Mais
c'est impossible!
Le juge aurait répondu :
— J'ai plus de ormes que vous ne C»-
sez, et je vous en demanderai compte quand
le moment sera venu. J'ajoute même qlbe. lè
m'attendais si bien à la mesure que je prends
en ce moment qu'il y a depuis ce matin pour
vous un mandat d'écrou qui vous attend.
Nous ajouterons, sous toutes roserveàj
que M. Saint-Cère serait mêlé à une affairé
de fausses traites dont M. Meyer s'occuyna
en ce moment.
LES MOTIFS DE L'ARRESTATION
Pourquoi a-t-on arrêté M. Saint-Cère 1
Pour plusieurs raisons. Toutes ne sont pas
encore connues, mais nous sommes en me-
sure de donner quelques renseignements qui
feront comprendre Ta participation de Ml
Saint-Cère à la curée de ces millions que la'
famille Lebaudy tente de retrouver dans les
nombreux tiroirs des exploiteurs de 1 'inf or
tuné tringlot.
Le mandat qui vise M. Saint-Cère porte :
Tentative de chantage et tentative d'extor-
sion de fonds. -
M. Clément a trouvé chez l'inculpé un
lettre qui établit qu'il a demandé de l'argent
à M. Max Lebaudy, par l'intermédiaire dé
M. de Cesti.
M. Saint-Cère, en présence du manque dé
souplesse du jeune millionnaire, se serait
vengé de ce refus avec sa plume.
C'est ainsi que les échos et les articles qui
ont paru dans certains journaux, très mé-
chants envers M. Lebaudy, sont considérés
par le parquet comme du pur chantage.
SAINT-CÈRE ET DE CIVRY
Nous avons vu hier M. Maréchal, gérant
de l'Echo de l'armée, et nous lui avons pos4
cette question :
— M. de Civry était-il en relations avec
M. Saint-Cère?
— Oui, nous a-t-il répondu.
— Se sont-ils rencontrés dans les bureaux
du journal ?
- Jamais.
- Pensez-vous qu'ils aient eu des J'ap
ports ensemble au sujet de l'affaire Le-
baudy ?
M. Maréchal nous demande de ne pas
insister.
Il nous quitte en nous disant qu'il est
possesseur d'un permis de visite pour M. de
Civry. -
On prétend d'autre part que M. Saint-Cère,
non-seulement a été le complice de M. de
Civry, directeur de l'Echo de l'armée, malS
qu'il a écrit des articles tendancieux dans le
Figaro et la Vie parisienne.
On ajoute même que, moyennant finance, ,
il a promis 4 M. Max Lebaudy l'appui de
l'ambassade de Russie pour obtenir un congé
de réforme. Par sa situation de journaliste
chargé de la politique étrangère, M. Saint-
Cère avait de iiautes relations dans le monde
diplomatique.
CHEZ Mee SAINT-CÊRE
Nous nous sommes rendu rue Auber, 10.
— Mme Saint-Cère, demandons-nous à un
portier assis devant un bureau sur lequel se
trouvent boutons électriques, poires pneu-
matiques, etc.
— Quatrième au-dessus de l'entresol, porte
à gauche.
La maison est superbe et fort luxueuse :
ascenseur, tapis superposés, etc. C'est dù
dernier mieux.
Au quatrième, on ne répond pas à nos son-
neries. Nous sommes trois confrères atten-
dant l'ouverture de l'huis, lorsque d'en bas
une voix crie :
— il y a du mondo au quatrième, des-
cendez.
En bas, nous trouvons le valet de chambre
de M. Saint-Cère.
— Monsieur sera là ce soir sans doute.
nous dit-il ; quant à madame, elle est sortie
vers cinq heures et je ne sais pas si elle
rentrera.
— Vous croyez que M. Saint-Cère sera lè
ce soir ?
— Oui, je vais le chercher au cercle.
- Il vous a télégraphié qu'il était libre ï
- Comment ça ?
- Mais il est arrêté 1
- Vous plaisantez.
Nous montrons un journal du soir men-
tionnant le fait.
— Oh ! c'est histoire de journaux.
L'un de nous affirme alors qu'il a vu M.
Saint-Cère entre deux gardes au Palais dt
Justice.
— Ah ! fait le valet de chambre.
— Mais vous saviez bien qu'on avait per-
quisitionné ici ce matin.
— On n'a pas nerquisitionné ici, mes.
sieurs, vous plaisantez.
Ce parti-pris est trop drôle et nous nous
retirons. Alors, très dig-ne, le valet de
chambre de M. de Saint-Cère nous dit :
— Si vous voulez me donner vos cartes.
messieurs, je les ferai parvenir à monsieur:
C'est vraiment trop drôle pour que nous
puissions refuser et neus nous exécutons.
M. JACQUES SAINT-C£RE
M. Jacques Saint-Cère, nous l'avons ditj
s'appelle de son vrai nom Armand Rosen-
thal.
C'est un homme de quarante-deux ans,
grand, fort, presque obèse et pourtant vif et
alerte dans ses mouvements.
Connu de tout Paris, on le voyait aux
courses, aux premières, aux réunions mon-
daines, toujours pressé, toujours courant à
quelque rendez-vous, mais aussi toujours
froid, calme, d'allure posée et tranquille. Avec
son binocle, sa barbe noire et frisée, sa
chaude pelisse de fourrure et ses buttines
vernies, il avait tout l'air d'un riche finan-
cier et peut-être n'était-ce pas effectivement
sans quelque regret qu'il était entré dans le
journalisme au lieu d'entrer dans les affai-
res. Mais que n'avait-il pas fait pour allier
ces professions si disparates, pour mener do
front la bourse et la politique, les spécula-
tions et les «tartines «quotidiennes?
Jeune, au sortir du service militaire, Ar-
mand Rosenthal avait fait un assez long sé-
jour en Allemagne. Il s'y était créé quelques
relations et il en avait profité pour envoyer
aux journaux de Paris quelques lettres assez
curieuses, où il racontait certains dessous du
monde berlinois.
Il n'en fallut pas davantage pour lui per-
mettre de postuler avec succès le titre de
correspondant du Figaro à Berlin et pour
obtenir plus tard la direction de la rubrique
de « l'étranger » à Paris même.
A partir de ce moment, Armand Rosen-
thal disparut pour faire place à Jacques
Saint-Cère qui devint en même temps qu'une
personnalité parisienne, une persoTIllaliM
politique discutée dans les journaux de tous
les pays.
Grâce à son mariage avec une Allemande
fort jolie et fort intelligente — Mlle Lindau
-- il avait pu avoir certains renseignements
sur l'entourage de l'empereur et s'en était
servi pour publier des articles remarqués. De
làt une sorte de notoriété internationale quJ
jui avait yalu de passer, en dépit de SCIHOQt.
CINO CENTIMES le , ie.e
PARIS ET DÉPARTEMENTS'
Le Numéro, CINQ CENTIMES
ANNONCES -
AUX BUREAUX DU JOURNAL
131, rue Montmartre, 131
Et chez MM. LAGRANGE, CERF Il C
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De 4 à 8 heures du soir et de 10 heures du soir à 1 heure du matin
N° 9438. — Diznanche 12 Janvier 1896
23 NIVOSE AN 104
ADMINISTRATION s 131, rue Montmartre, 131
Adresser lettres et mandats h ldministTateur
NOS LEADERS
LE CONSORTIUM
Nous ne sommes plus, heureuse-
ment, au temps où les journaux
avaient leur point de foi établi sur tou-
tes les questions; où l'on tenait à don-
ner à chacun d'eux une figure dogma-
tique; où l'on établissait, jusque dans
les moindres détails, une unité factice
entre les opinions, forcément diver-
ses, des écrivains réunis pour une
œuvre commune. Le journal, aujour-
d'hui (en dehors des idées essentielles
sur lesquelles une divergence exclut
toute collaboration politique), devient
de plus en plus une tribune où les
considérations les plus contraires peu-
vent avoir la parole à leur tour. Il
n'est, à mon sens, ni sans intérêt ni
sans profit de causer entre soi, devant
le public, de choses sur lesquelles on
diffère d'avis, quand, de part et d'au-
tre, on cherche la vérité avec une sin-
cérité égale.
#*#
Eh bien ! J'avoue qu'il m'est impos-
sible d'admettre le point de vue au-
quel se place Lanessan, en ce qui con-
cerne les nombreuses questions sou-
levées à l'heure actuelle sur le globe.
Si je le comprends bien, nous allons
dresser, d'une façon permanente, en
face de la politique anglaise, une poli-
tique dite « continentale ». Il va y
avoir un consortium de la Russie, de
l'Allemagne et de la France. Il ne
s'agit plus seulement, notez-le bien,
d'une action passagère, organisée pour
une circonstance donnée, mais bien
d'un groupement durable, destiné à
résoudre, l'une après l'autre, les diffi-
cultés qui peuvent surgir successive-
ment de tous les côtés. Pourquoi recu-
ler devant le mot propre ? Pourquoi le
traduire en latin diplomatique? Pour-
quoi ne pas l'écrire en bon français,
bien intelligible pour tout le monde?
C'est d'une véritable alliance qu'il
s'agit, et d'une alliance où la Répu-
blique française mettra, laissera sa
main dans la main de l'empereur ber-
linois.
Cette politique-là a une conséquence,
qu'il serait puéril de se dissimuler :
c'est l'acceptation définitive de l'œuvre
accomplie par le sabre allemand
en 1871. Au moment où l'on nous
parle d'une politique « continentale »,
il y a au cœur du continent qu'on soli-
darise de la sorte, entre le Rhin et les
Vosges, une large tache noire sur la
carte de ce qui fut autrefois la France.
Assurément, la Chine m'intéresse vi-
vement ; le Tonkin encore plus (il nous
coûte assez cher pour cela) ; je me pré-
occupe fort de l'Egypte ; je consenti-
rai, s'il le faut, à me passionner pour
l'Arménie, le Transvaal et le Vene-
zuela. Mais la frontière française mé-
rite peut-être une parcelle de notre
attention. Je ne puis me déshabituer
de penser à l'Alsace-Lorraine ; et de
plus, je tiens essentiellement à ce qui
nous reste de la Lorraine, à la Cham-
pagne et à la Franche-Comté. Un con-
sortium de l'Allemagne et de la
France ! Est-ce que cet assemblage de
mots ne nous déchire pas la bouche et
les oreilles? '--' -", -
**
Laissons de côté les raisons de sen-
timent (bien que les sentiments, ici,
soient de ceux qui font partie de l'hon-
neur, de l'existence d'un pays).Voyons
les faits. Si l'on n'abandonne pas l'idée
de reconstituer la frontière de l'Est,
comment peut-on songer à un pareil
assemblage? Se flattera-t-on de l'illu-
sion trop commode qu'on se servira
de l'alliance allemande tant qu'on en
en aura besoin, pour des intérêts exo-
tiques, sauf à reprendre la vraie poli-
tique française le jour où l'on croira le
moment opportun? Est-ce qu'en ces
matières on change de politique
comme on change de costume, pre-
nant un paletot épais l'hiver, et un
vêtement léger dans la canicule? Non,
ces redoutables questions exigent plus
de suite dans les idées. C'est avec une
action continue et fidèle à sa concep-
tion première qu'on fait à une nation
une politique extérieure. Surtout quand
il s'agit de la reconstitution de la patrie
contre une puissance militaire redouta-
ble, c'est au prix d'une lente élabora-
tion qu'on réussit. Voyez l'Italie avant
Solférino ; voyez l'Allemagne avant
Sadowa. On avait nourri une longue
suite de générations avec l'idée natio-
nale avant d'obtenir les résultats qui
ont fait retentir les noms de Bismarck
et de Cavour. On avait travaillé obsti-
nément les esprits, en même temps
qu'on amassait des forces militaires.
On avait alimenté des haines vivaces
contre ceux qu'on voulait écraser. On
avait en même temps entretenu, sur-
excité, dans les provinces séparées du
reste de la nation, les sentiments de
fidélité et d'espérance. Ne venez pas
nous dire que quand on aura vu cette
énormité : la France pratiquant
alliance allemande; quand des gé-
nérations nouvelles seront venues
qui, n'ayant connu ni nos douleurs,
ni nos colères, ayant appris de nous
à oublier (ce pays ne l'apprend que
trop aisément), se seront habituées
à l'idée de voir leur pays allié à son
ancien vainqueur; quand les généra-
tions si durement courbées sous le
joug allemand se seront senties aban-
données, alors qu'elles ont besoin de
toutes leurs espérances pour continuer
leur héroïque fidélité, ne venez pas
me dire qu'un beau matin vous pour-
rez vous retourner soudainement, et
vous trouver prêt pour l'effort terrible
nécessaire à la réparation de nos mal-
heurs passés; ne venez pas même
me dire que vous pourrez continuer à
demander à ce pays les sacrifices
d'argent et d'hommes nécessaires à
l'entretien de l'armée continentale
qu'exige la préoccupation de l'Alle-
magne. Votre « consortium », c'est un
désarmement.
.*.
Et nous voilà lancés dans une belle
politique ! Désormais, notre objectif,
ce ne sera plus l'Allemagne, ce sera
l'Angleterre. Rassurés (peut-être à tort)
sur notre frontière de l'Est, nous nous
préoccuperons d'agir au fond de la
Méditerranée, dans les mers de Chine,
dans l'Atlantique. C'est en effet à cela
qu'on nous conduisait depuis long-
temps, avec les aventures coloniales.
Et l'état de nos forces s'est modifié en
conformité de la politique nouvelle.
On ne rêvait jadis que régiments et for-
teresses ; on s'est mis à ne rêver que
croiseurs et cuirassés. Ainsi a com-
mencé chez nous ce que je pourrais
appeler la « marinomanie ». En quel-
ques années, alors que nos dépenses de
guerre restaient à peu près station-
naires, les dépenses de notre flotte
s'élevaient de 40 0/0. C'est encore beau-
coup trop peu, si l'on veut suivre lapoli-
tique qui n'a de regards que pour le
fond des océans lointains. Si un conflit
éclate (et il peut éclater) il nous faut
au bas mot une flotte de 400 millions.
Des trois « alliés », nous seuls sommes
une puissance maritime approchant
un peu de l'Angleterre. Nous seuls
sommes une puissance coloniale ayant
des possessions séparées de la métro-
pole par de vastes étendues de mer.
C'est sur nous que retomberont, à la
fois, le poids et les risques de l'action
commune. Pour quel profit, et que
voulez-vous en tirer? Je sais bien en
quoi nous servirons nos collaborateurs.
Si l'Allemagne veut se constituer à son
tour en empire colonial, elle pourra se le
constituerdelasorteà nos frais. D'autre
part, vous prétendez empêcher le dé-
membrement de la Chine.En êtes-vous
bien sûr? S'agit-il d'empêcher le vieil
empire croulant de l'Extrême-Orient
de s'effondrer ou simplement de per-
mettre à un ami d'en recueillir les
débris? Oui, je vois quel profit on ti-
rera ailleurs du consortium. Mais
nous?..-Est-ce que nos domaines colo-
niaux ne nous suffisent pas? Et est-ce
qu'on rêve encore de nouvelles con-
quêtes au loin?
;.:* *
Et puis, une question plus grave,
menaçante, obsède mon esprit. Je
suppose que nous ayons appris à la
jeunesse, qui sera le pays dans quelque
temps, à laisser de côté, avec nos
deuils, nos constantes préoccupations ;
je suppose que nous ayons effacé dans
l'esprit de la nation le péril allemand,
et, par une conséquence forcée, amené
la diminution des sacrifices qu'il faut
consentir pour l'en préserver; je sup-
pose que, par une conséquence non
moins forcée, nous ayons été entrainés
à développer nos forces maritimes au
détriment de nos forces terrestres,
nous aurons oublié, nous ; êtes-vous
sûr qu'on aura oublié de l'autre côté
du Rhin ? Ne vous souvenez-vous plus
de la recrudescence des manifestations
chauvines en Allemagne, du langage
même du jeune César germanique au
lendemain de ces mortelles et cri-
minelles défaillances de Kiel ? Tandis
que nous cesserons d'apprendre aux
enfants nos douleurs passées et nos
espérances d'avenir, est-ce qu'on ces-
sera d'apprendre aux marmots alle-
mands les glorieuses victoires de l'An-
née terrible ? Est-ce que nous allons
recommencer l'histoire de 1870, alors
qu'en face d'une France qui ne savait
plus rien ni d'Iéna, ni de Waterloo,
grandissait une Allemagne nourrie
dans ces souvenirs et en portant en-
core les haines toutes vives dans le
cœur ? Ah ! vous verrez ce que devien-
dra votre « consortium » le jour où on
croira encore pouvoir nous écraser !
Une alliance de la France et de
l'Allemagne, c'est la fin de la France.
CAMILLE PELLETAN.
Nous publierons demain un article
de M. Charles Bos.
UN ASSASSINAT ROMANESQUE
Une affaire « passionnelle », aux détails
aussi dramatiques que romanesques, se dé-
nouera le 21 janvier courant, devant la cour
d'assises de la Seine, présidée par M. Tardif.
Il s'agit de l'affaire Hézard.
Henri Hezard est ce ieune homme de dix-
huit ans qui, dans un hôtel de la rue Mon-
sieur-le-Prince, tua d'un coup de revolver
sa maîtresse, également âgée de dix-huit
ans.
Les deux amants avaient résolu de mou-
rir ensemble. Après avoir tenté infructueu-
sement de s'empoisonner, ils recoururent au
revolver pour se procurer le dénouement
qu'ils cherchaient.
Hezard déchargea à bout portant un coup
de revolver sur sa maîtresse, qui fut atteinte
au cœur. La malheureuse jeune fille mourut
presque immédiatement, n'ayant pu pro-
noncer que ce seul mot :
— Merci!
Henri Hezard tourna alors son arme con-
tre lui-même. Mais il ne parvenait qu'à se
blesser peu grièvement.
M. l'avocat général Cadot de Villemomble
soutiendra, devant les jurés de la Seine,
l'accusation d'assassinat dirigée contre He-
zard.
M0 Henri Robert assistera l'accusé.
VERS LA GLOIRE
Un enterrement comme celui de Verlaine
purifie l'homme qui en est l'objet, le relève,
le grandit, le met à sa place. Il y a une
logique, une justice — même ici-bas. Vient
le moment, tôt oit tard, où les choses s'ar-
rangent d'elles-mêmes pour la rendre tan-
gible, pour qu'elle soit visible aux yeux de
tous.
De ce pauvre logis où le poète est mort
torturé et misérable, où devait socialement
le conduire le décousu de sa vie désordonnée
- mais libre, en somme, acceptée et voulue
- son cercueil est descendu dans la rue
brumeuse, éblouissant de fleurs — rien que
des fleurs — et de cette sombre rue Des-
cartes aux maisons loqueteuses, vite traver-
sée, tout de suite il est remonté vers l'art,
vers la gloire, vers Saint-Etienne-du-Mont,
oÙ il a fait halte aux chants de l'oruue, dans
la lumière fleurie des vitraux, vers le Pan-
théon devant lequel il a longtemps stationne
et dont la haute coupole planait étincelante
dans l'azur et le soleil.
C'est une ascension sublime que la tombe :
On y monte étonné d'avoir cm qu'on y tombe!
Et autour du cercueil du poète chargé de
roses, rien que des poètes, tous ceux qui ont
un nom, les vieux et les jeunes, les roman-
tiques et les romanistes, les réalistes et les
symbolistes, François Coppée et Jean Mo-
réas, Armand Silvestne et Maurice Duples-
sis, tous groupés, tous fraternisant dans
leur , commune admiration pour le poite
sincère que fut Verlaine, et donnant ainsi
la preuve qu'en poésie comme en art il y a
place pour toutes les écoles.
Verlaine a vécu en marge de la société.
Il a suivi ses instincts, sa nature. Pour qui
l'a connu, il avait une âme d'enfant. Nous
n'avons pas à juger sa vie. Il l'a jugée lui-
lui-même et s'en est confessé - publique-
ment. Pas un de ceux qui sont venus lui
rendre hommage, qui l'ont accompagné jus-
qu'au cimetière, qui l'ait ignorée. Ce qu'on
en peut dire, c'est qu'avec ses fautes et ses
repentirs, ses débauches et ses remords,
c'est elle qui l'a fait poète. Autrement,
dans un milieu tranquille, il eût fait des
vers comme tout le monde. Sans les fautes
de Jean-Jacques, nous n'aurions pas les
Confessions ; sans les péchés de Verlaine,
nous n'aurions pas Sagesse. Et c'est pour
ce livre, qui monte comme une fleur ardente
et pure, mouillée de larmes, très haut au-
dessus de son œuvre, qu'il s'en va pardonné
et glorieux.
CHARLES FRÉMINE.
*0
LES ON-DIT
CARNET QUOTIDIEN :
Jugement définitif, à Londres, sur la demande
d'xtradition d'Arton.
- Premier bal masqué à l'Opéra.
- Durée du jour : 9 h. 46 m.
AU JOUR LE JOUR
Mon Dieu, j'aurais mauvaise grâce,
je le sens, à chicaner Mme Patti le jour
précisément où elle se présente devant
le public parisien, gratuitement et au
bénéfice d'une œuvre artistique. Elle ne
chantera pas ; mais elle mimera. Je sais
que son succès sera très grand ; car
chacun est avide de contempler la cé-
lèbre cantatrice en train de ne pas chan-
ter. On parle de 30,000 francs de loca-
tion, Je voudrais pouvoir dire qu'en
cette affaire je trouve tout parfait ; mais
je ne puis retenir une objection qui me
vient :
On m'annonce que le commissaire de
police de la Chapelle a, dans les seules
journées du 8 et du 9 janvier, procédé
à 128 — cent vingt-huit — expulsions
de ménages qui n'ont pu acquitter leurs
pauvres loyers. Cent vingt-huit familles
dans la rue, par ce froid, et ce n'est là
que le chiffre d'un quartier, et il y a
quatrevingts quartiers dans Paris. Mul-
tipliez.
Mme Patti est assurément libre de
donner son concours aux œuvres qui
lui plaisent et, d'ailleurs, elle ignore
probablement le fait douloureux dont
je viens de parler, mais il est difficile
de ne pas remarquer qu'avec les 30,000
francs de recette de la représentation
de ce soir, on pourrait donner 235 francs
à chacun des cent vingt-huit ménages
expulsés de la Chapelle, c'est-à-dire
plus que la somme, sans doute, pour le
non-paiement de laquelle ces pauvres
gens sont mis à la porte de chez eux.
Ne trouvez-vous pas — ce n'est pas,
je le répète, un reproche que j'adresse
à Mme Patti, c'est une remarque géné-
rale-que je fais — ne trouvez-vous pas
qu'il est dur de voir consacrer à l'édifi-
cation d'un monument à l'auteur d'Es-
telle et Némorin — qui est déjà pourvu
de bustes par ci par là sur notre terri-
toire — un argent qui sauverait 128 fa-
milles?
CHEZ NOUS
, Mme Bjrisgon^ mère du président
de la Chambre, vient de mourir à Bourges,
à l'âge de quatrevingts ans.
M. Henri Brissson était allé passer au-
près de sa mère les premiers jours de jan-
vier et était rentré de Bourges mardi. Il a
été subitement rappelé jeudi dans la
journée.
Les obsèques de Mme Brisson mère au-
ront lieu à Bourges aujourd'hui, à dix heu-
res et demie du matin.
- Les obsèques de Paul Verlaine :
Le « pauvre Lelian », comme il s'ana-
grammait lui-même, a été conduit hier à
son tombeau par une foule d'admirateurs,
qui presque tous brillent ou marquent
dans l'art et la littérature de ce temps.
La cérémonie a été célébrée à dix heures,
en l'église Saint-Etienne-du-Mont. Lescor-
dons du poêle étaient tenus par MM. Fran-
çois Coppée, Catulle Mendès, Edmond
Lepelletier et Maurice Barrés.
Le deuil était conduit par le compositeur
Charles de Sivry, beau-frère de Verlaine,
et par l'éditeur du poète, M. Vanier.
Reconnus : MM. Henry Roujon, Sully-
Prudhomme, Jules Lemaître, de Hérédia,
Richepin, H. de Regnier, Maurice du
Plessys, Edmond Char, etc., etc..
Après l'office des morts, pendant lequel
l'orgue a été tenu par M. Gabriel Fauré, le
convoi s'est rendu au cimetière des Bati-
gnolles, où la famille Verlaine possède un
caveau.
Sur la tombe, MM. François Coppée, Le-
pelletier, Mallarmé, Moréas, Kohn et plu-
sieurs autres poètes ont successivement
pris la parole.
-, Nous apprenons avec un vif regret
la mort de M. Prosper-Louis Docteur, pu-
bliciste.
M. Docteur avait épousé la sœur de
notre ami, le poète Adolphe Pelleport,
l'ancien gérant du Rappel.
- Concours d'internat, à la préfecture
de police :
Un concours pour l'admission à six em-
plois d'internes et six emplois d'internes
provisoires, collaborant au service médical
de la maison d'arrêt et de correction de
Saint-Lazare, aura lieu le jeudi 20 février.
Les candidats qui désireraient prendre
part au concours, devront se faire inscrire
à la préfecture de police (service du per-
sonnel, caserne de la Cité). Les registres
d'inscription seront ouverts le 20 janvier,
à dix heures du matin et clos définitive-
ment à quatre heures du soir.
Tous les renseignements sur le concours
et la situation faite aux internes, seront
fournis au bureau du personnel de la pré-
fecture de police.
v-v-v M. Mesureur a reçu hier matin une
délégation de la Ligue syndicale pour la
défense du travail, de l'industrie et du
commerce et des délégués de l'école d'hor-
logerie.
- Voyages ministériels :
M. Bourgeois part aujourd'hui pour
Lyon, accompagné de M. Génie, son chef
de cabinet.
A Lyon, également, se rend M. Doumer,
ministre des finances.
- A l'occasion du centenaire de l'Ins-
titut, le président de la République a signé
sur la proposition de M. Berthelot, minis-
tre des affaires étrangères, un décret nom-*
man't au grade de commandeur de la Légion
d'honneur M. Virchow, le savant allemand
bien connu.
- Mouvement des voyageurs entre la
France et l'Angleterre.
Ont traversé la Manche en décembre
1895 :
De Calais à Douvres, 15,350; augmen-
tation de 1,921 sur le mois de décembre
1894.
De Boulogne à Folkestone, 3,457 ; dimi-
nution de 26.
De Dieppe à Newhaven, 6,379 ; diminu-
tion de 206.
- Statistique criminelle empruntée à
la science française et dédiée aux ivrognes
impénitents :
Sur 100 détenus pour assassinat, com-
bien compte-t-on d'alcooliques ? Ré-
ponse : 53.
Sur 100 condamnés pour viol, outrage
public à la pudeur, combien compte-t-on
d'alcooliques? 53.
Sur 100 détenus pour incendie volon-
taire , combien compte-t-on d'alcooli-
ques ? 57.
Sur 100 condamnés pour mendicité, va-
gabondage, combien compte-t-on d'alcoo-
liques? 70.
Sur 100 condamnés pour coups et bles-
sures, violences, brutalités ? 90.
A L'ETRANGER
Il y a, parmi les juges de Berlin, un
président nommé Brausewetter, lequel est
sujet à des dérangements cérébraux qui
présentent tous les symptômes de la
rage.
Quand la crise le prend, ce dangereux
magistrat, bave, mord et cogne, les yeux
hors de l'orbite et la tète hors de la toque.
M. Brausewetter qui est fort conscient
de son état, — ce qui ne l'empêche pas,
du reste, de garder son siège et de se cram-
ponner à ses fonctions - disait l'autre jour
à quelqu'un qui l'interrogeait :
« C'est plus fort que moi. Quand je vois
un de ces prévenus, un socialiste ou un
vagabond quelconque, et au banc de la
la défense un de ces misérables petits avo-
cats démocrates, je vois rouge et j'applique
le maximum ! »
Charmante nature ! Décidément les ma-
gistrats sont partout les mêmes.
- La planète Mars :
Le célèbre astronome américain Lowell,
qui assistait jeudi à la séance de la Société
astronomique de France, a rendu compte
de ses études sur la planète Mars, faites à
son observatoire du mont Aréquipa, dans
tl'OrizonaA à 2,800 mètres d'altitude.
A l'aide d'une trentaine de projections,
il a montré les neiges polaires de la pla-
nète, avec leurs gigantesques crevasses, les
grandes taches glauques considérées géné-
ralement comme des mers et dont il at-
tribue une partie à de la végétation.
Enfin un réseau de mystérieux canaux,
dont la régularité implique, d'après le sa-
vant, l'intervention nécessaire d'une direc-
tion intelligente, a été mis sous les yeux
de la docte assistance.
M. Lowell conclut hardiment à l'exis-
tence, sur la planète Mars, d'être sem-
blables aux hommes par leurs connais-
sances, leurs besoins et leurs tràvauJ.
Il nous est certes plus facile d'y croire
que d'y aller voir.
Le Passant.
L'AFFAIRE LEBAUDY
ARRESTATION DE M, SAINT-CÈRE
M. Clément intervient — Rue Auber, 10
Quelques mots sur M. Rosenthal
dit « Jacques Saint-Cère »
Les motifs de l'arrestation -Interro atoire
prolongé de M. Cesti-Monsieur X.
A qui le tour ?
L'affaira Max Lebaudy semble décidément
devoir dépasser en incidents imprévus la fa-
meuse affaire des cercles.
Depuis lundi il ne s'est pas écoulé de jour
sans que le juge d'instruction ait eu à décer-
ner un mandat d'amener contre quelque per-
sonnalité parisienne, et successivement,
nous avons vu M. de Cesti, M. Balcnsi et
M. Ulrich de Civry prendre le chemin de
Mazas ou celui de. Bruxelles.
Ces « événements » qui pouvaient à juste
titre passer pour sensationnels, n'étaient
pourtant que d'une importance assez mince
à côté de celui qui devait marquer la jour-
née d'hier.
Contre toute attente, en effet, un des ré-
dacteurs les plus considérables du Figaro,
M. Jacques Saint-Cère, a été à son tour ar-
rêté sur l'ordre du juge.
Comment et dans quelles conditions s'est
produite cette arrestation autrement impres-
sionnante que celle de M. de Cesti ou de M.
de Civry ? C'est ce que nous allons raconter
plus loin.
L'ARRESTATION
Nous publions plus loin sous le titre :
Monsieur X. une histoire qui est racontée
dans le Figaro, et dans laquelle il est ques-
tion d'un maitre-chanteur qui servit d'inter-
médiaire entre M. de Cesti et le rédacteur
d'un journal. Il y a eu évidemment, là, et la
justice sera bientôt tenue de s'en rendre
compte, une tentative de chantage bien dé-
terminée. Car il s'agissait toujours de souti-
rer de l'argent à M. Max Lebaudy.
C'est sous la même inculpation que M.
Saint-Cère, rédacteur au Figaro, vient d'être
arrôté dans les circonstances suivantes.
C'est M. Clément, commissaire aux délé-
gations judiciaires, qui a été chargé de cette
opération.
Le magistrat s'est rendu, à dix heures du
matin, rue Auber, n" 10. Il était muni de
deux mandats, un mandat d'arrêt et un
mandat de comparution; il pouvait faire
usage de celui qui lui conviendrait.
Depuis la veille deux agents de la sûreté
avaient été placés à l'entrée de la maison,
de sorte que si M. Rosenthal, dit Saint-Cère,
avait voulu prendre la fuite, il n'aurait
pas pu.
M. Clément a été reçu par M. Saint-Cère
lui-même.
— Je viens vous demander quelques ren-
seignements de la part de M. Meyer, juge
d'instruction, au sujet de l'affaire Lebaudy.
— Je suis à votre disposition, répondit
M. Saint-Cère.
M. Clément se rendit dans le cabinet de
travail et, après examen, s'empara d'une
correspondance qui, paraît-il, est des plus
édifiantes.
M. Saint-Cère, qui ne s'attendait pas du
tout à cette visite, se troublait de plus en
plus; mais, comme il paraissait docile, M.
Clémont, au lieu d'exhiber son mandat d'ar-
rêt, se contenta de montrer son mandat de
comparution. Puis il déclara au personnage
visé par ledit mandat qu'il fallait qu'il se
rendit avec lui quai des Orfèvres, pour le
classement des divers papiers saisis.
M. Saint-Cère devint suppliant :
— Alors vous m'arrêtez"!
— Non pas, répondit M. Clément. D'ail-
leurs, personne ne saura que vous êtes allé
là-bas avec moi, je vous en donne ma pa-
role d'honneur.
Le commissaire parlait du cas où M. Saint-
Cère eut été relaxé, après l'interrogatoire du
Juge.
A onze heures, M. Meyer, juge d instruc-
tion, recevait son nouvel hôte.
Après un interrogatoire de deux heures,
M. Meyer alla trouver le procureur.
M. Atthalin hésita longtemps et dut sans
doute consulter en plus haut lieu, car M.
Saint-Cère n'est pas un mince personnage.
Sa situation dans la presse est très impor-
tante et ie parquet n'a pas été aussi rapide
pour cette opération qu'il l'avait été pour
MM. Cesti et de Civry.
A quatre heures de l'après-midi, M. Meyer
était de retour dans son cabinet. Une demi-
heurij après, M. Atthalin était décidé. Car il
a dans la circonstance examiné lui-même le
dossier. C'est alors qu'un mandat d'arrêt fut
signé contre M. Hosenihal; il était attéré. A
cinq heures on le conduisit au Dépôt entre
deux inspecteurs de la sûreté.
M. Clément, que nous avons vu dans
l'après-midi, nous assure qu'il a été pour cet
inculpé de premier choix d'une urbanité
toile qu'il en a reçu des compliments. Mais
si nous en croyons la mine réjouie du doyen
des commissaires aux délégations judiciaires,
il se pourrait que demain on l'employât à
une opération aussi importante. M. Bernard,
un peu las, se repose pour le moment.
M. Saint-Cère a été gardé au Dépôt, car il
sera interrogé aujourd hui et confronté avec
M. de Civry.
NOUVEAUX DÉTAILS
Une personne bien informée nous com-
munique d'autre part, sur l'arrestation de
M. Saint-Cère, ces renseignements curieux.
M. Saint-Cère espérait toujours que le
juge allait le laisser partir libre. Lorsque M.
Meyer lui a dit :
— Etant données vos déclarations, je vous
maintiens en état d'arrestation.
M. Saint-Cère s'est écrié :
— Comment, avec aussi peu de preuves
que vous en avez, vous m'arrêtez? Mais
c'est impossible!
Le juge aurait répondu :
— J'ai plus de ormes que vous ne C»-
sez, et je vous en demanderai compte quand
le moment sera venu. J'ajoute même qlbe. lè
m'attendais si bien à la mesure que je prends
en ce moment qu'il y a depuis ce matin pour
vous un mandat d'écrou qui vous attend.
Nous ajouterons, sous toutes roserveàj
que M. Saint-Cère serait mêlé à une affairé
de fausses traites dont M. Meyer s'occuyna
en ce moment.
LES MOTIFS DE L'ARRESTATION
Pourquoi a-t-on arrêté M. Saint-Cère 1
Pour plusieurs raisons. Toutes ne sont pas
encore connues, mais nous sommes en me-
sure de donner quelques renseignements qui
feront comprendre Ta participation de Ml
Saint-Cère à la curée de ces millions que la'
famille Lebaudy tente de retrouver dans les
nombreux tiroirs des exploiteurs de 1 'inf or
tuné tringlot.
Le mandat qui vise M. Saint-Cère porte :
Tentative de chantage et tentative d'extor-
sion de fonds. -
M. Clément a trouvé chez l'inculpé un
lettre qui établit qu'il a demandé de l'argent
à M. Max Lebaudy, par l'intermédiaire dé
M. de Cesti.
M. Saint-Cère, en présence du manque dé
souplesse du jeune millionnaire, se serait
vengé de ce refus avec sa plume.
C'est ainsi que les échos et les articles qui
ont paru dans certains journaux, très mé-
chants envers M. Lebaudy, sont considérés
par le parquet comme du pur chantage.
SAINT-CÈRE ET DE CIVRY
Nous avons vu hier M. Maréchal, gérant
de l'Echo de l'armée, et nous lui avons pos4
cette question :
— M. de Civry était-il en relations avec
M. Saint-Cère?
— Oui, nous a-t-il répondu.
— Se sont-ils rencontrés dans les bureaux
du journal ?
- Jamais.
- Pensez-vous qu'ils aient eu des J'ap
ports ensemble au sujet de l'affaire Le-
baudy ?
M. Maréchal nous demande de ne pas
insister.
Il nous quitte en nous disant qu'il est
possesseur d'un permis de visite pour M. de
Civry. -
On prétend d'autre part que M. Saint-Cère,
non-seulement a été le complice de M. de
Civry, directeur de l'Echo de l'armée, malS
qu'il a écrit des articles tendancieux dans le
Figaro et la Vie parisienne.
On ajoute même que, moyennant finance, ,
il a promis 4 M. Max Lebaudy l'appui de
l'ambassade de Russie pour obtenir un congé
de réforme. Par sa situation de journaliste
chargé de la politique étrangère, M. Saint-
Cère avait de iiautes relations dans le monde
diplomatique.
CHEZ Mee SAINT-CÊRE
Nous nous sommes rendu rue Auber, 10.
— Mme Saint-Cère, demandons-nous à un
portier assis devant un bureau sur lequel se
trouvent boutons électriques, poires pneu-
matiques, etc.
— Quatrième au-dessus de l'entresol, porte
à gauche.
La maison est superbe et fort luxueuse :
ascenseur, tapis superposés, etc. C'est dù
dernier mieux.
Au quatrième, on ne répond pas à nos son-
neries. Nous sommes trois confrères atten-
dant l'ouverture de l'huis, lorsque d'en bas
une voix crie :
— il y a du mondo au quatrième, des-
cendez.
En bas, nous trouvons le valet de chambre
de M. Saint-Cère.
— Monsieur sera là ce soir sans doute.
nous dit-il ; quant à madame, elle est sortie
vers cinq heures et je ne sais pas si elle
rentrera.
— Vous croyez que M. Saint-Cère sera lè
ce soir ?
— Oui, je vais le chercher au cercle.
- Il vous a télégraphié qu'il était libre ï
- Comment ça ?
- Mais il est arrêté 1
- Vous plaisantez.
Nous montrons un journal du soir men-
tionnant le fait.
— Oh ! c'est histoire de journaux.
L'un de nous affirme alors qu'il a vu M.
Saint-Cère entre deux gardes au Palais dt
Justice.
— Ah ! fait le valet de chambre.
— Mais vous saviez bien qu'on avait per-
quisitionné ici ce matin.
— On n'a pas nerquisitionné ici, mes.
sieurs, vous plaisantez.
Ce parti-pris est trop drôle et nous nous
retirons. Alors, très dig-ne, le valet de
chambre de M. de Saint-Cère nous dit :
— Si vous voulez me donner vos cartes.
messieurs, je les ferai parvenir à monsieur:
C'est vraiment trop drôle pour que nous
puissions refuser et neus nous exécutons.
M. JACQUES SAINT-C£RE
M. Jacques Saint-Cère, nous l'avons ditj
s'appelle de son vrai nom Armand Rosen-
thal.
C'est un homme de quarante-deux ans,
grand, fort, presque obèse et pourtant vif et
alerte dans ses mouvements.
Connu de tout Paris, on le voyait aux
courses, aux premières, aux réunions mon-
daines, toujours pressé, toujours courant à
quelque rendez-vous, mais aussi toujours
froid, calme, d'allure posée et tranquille. Avec
son binocle, sa barbe noire et frisée, sa
chaude pelisse de fourrure et ses buttines
vernies, il avait tout l'air d'un riche finan-
cier et peut-être n'était-ce pas effectivement
sans quelque regret qu'il était entré dans le
journalisme au lieu d'entrer dans les affai-
res. Mais que n'avait-il pas fait pour allier
ces professions si disparates, pour mener do
front la bourse et la politique, les spécula-
tions et les «tartines «quotidiennes?
Jeune, au sortir du service militaire, Ar-
mand Rosenthal avait fait un assez long sé-
jour en Allemagne. Il s'y était créé quelques
relations et il en avait profité pour envoyer
aux journaux de Paris quelques lettres assez
curieuses, où il racontait certains dessous du
monde berlinois.
Il n'en fallut pas davantage pour lui per-
mettre de postuler avec succès le titre de
correspondant du Figaro à Berlin et pour
obtenir plus tard la direction de la rubrique
de « l'étranger » à Paris même.
A partir de ce moment, Armand Rosen-
thal disparut pour faire place à Jacques
Saint-Cère qui devint en même temps qu'une
personnalité parisienne, une persoTIllaliM
politique discutée dans les journaux de tous
les pays.
Grâce à son mariage avec une Allemande
fort jolie et fort intelligente — Mlle Lindau
-- il avait pu avoir certains renseignements
sur l'entourage de l'empereur et s'en était
servi pour publier des articles remarqués. De
làt une sorte de notoriété internationale quJ
jui avait yalu de passer, en dépit de SCIHOQt.
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