Titre : Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire / directeur-rédacteur en chef : Gustave Chadeuil
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-05-19
Contributeur : Chadeuil, Gustave (1821-1896). Directeur de publication
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Type : texte texte
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Description : 19 mai 1894 19 mai 1894
Description : 1894/05/19 (A24,N8160). 1894/05/19 (A24,N8160).
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-199
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2013
VINGT-QUATRIÈME ANNÉE. — Ne 8,160
LB NUMÉRO CINQ CENTIMES
SAMEDI 19 MAI -t894
REOACTIOlt ET ADHINISTRATIOR
Rue MontÉnart9
- PAIUII ;
l
IOIECTEUR POLITIQUE ;'
A."EDOUARD PORTALISj
Adresse télégraphique : SIX* SdKM-PAKD v
Téléphone : 20.289 ftfe.
Chas m. LAORARGB, CBRF et O*
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IDU les Bureaux de Poste.
(( LE ROI ))
Houbaix est une ville heureuse entre
toutes. Elle a une municipalité qui met
en pratique les doctrines socialistes les
plus pures, elle a pour député M. Jules
Guesde et les monarchistes l'ont choi-
sie entre toutes les cités pour y faire
une propagande active. On y distribue
en ce moment une petite brochure ano-
nyme qui porte ce titre suggestif : Le
Roi 1
On n'a pu savoir encore quelle part.
revenait dans cette propagande à M.
d'Haussonville, qui reste, après la liqui-
dation générale de l'organisation roya-
liste, seul chargé officiellement d'entre-
tenir des relations avec les monarchis-
tes. Il est vraiment regrettable que l'on
ne soit pas plus complètement rensei-
gné, car la brochure est édifiante. Mais
contient-elle l'expression d'une pensée
politique ou bien est-elle l'œuvre d'un
mystificateur
On serait disposé à accepter cette der-
nière opinion quand on voit l'auteur de
la brochure affirmer avec une gravité
imperturbable que Louis-Philippe « a
essayé de réagir contre l'accaparement
politique et social de l'oligarchie bour-
geoise » et que la révolution du 24 Fé-
vrier a eu pour cause « l'impossibilité
où il s'est trouvé d'asseoir son gouver-
nement sur une base populaire ». Les
contemporains, comme l'histoire, nous
avaient touj ours affirmé que les causes
du 24 Février étaient très différentes et
que le mouvement réformiste de 1847
était né précisément de la résistance du
gouvernement à toute modification de
la loi électorale d'alors, qui avait le cens
pour base. On nous avait assuré que le
gouvernement de Louis-Philippe s'était
même refusé à cette modeste extension
du droit du suffrage qui s'appelle
« l'adjonction des capacités », et l'on ne
manquait pas de faire remarquer que le
suffrage universel avait été la première
conquête de la République de 1848. On
en concluait que la monarchie avait dé-
fendu la cause de « l'oligarchie bour-
geoise » et que la République avait
inauguré un régime plus démocrati-
que. Si l'on se trompait, n'en parlons
plus.
Aussi bien n'est- ce pas ce débat ré-
trospectif qui fait l'attrait de la bro-
chure. On nous y apprend que le comte
de Paris est « bien en avant de son
parti » : Depuis longtemps déjà rien de
commun n'existe plus entre le roi et
ceux qui se parent du titre de royalis-
tes. Entre eux et lui, il y a un abîme.
TI ¿,!'? >"' franchement du clan à ten -
<' •. :■ ?::';:'r\:"lv!;ques et réactionnaires
ijui prétend être le véritable défenseur
des idées royalistes. » On nous affirme
qu'entre le comte de Paris et le peuple
français il n'y a qu'un simple malen-
tendu et que « le premier des républi-
cains », le démocrate le plus sincère est
le comte de Paris. Les douairières et les
Châtelains qui soupirent après le réta-
blissement de la monarchie, pour qu'en-
fin cesse le scandale de voir dans les
plus hautes fonctions et dans les salons
officiels des gens qui « ne sont pas nés »,
seront assurément fort désappointées
d'apprendre que le « roi » est si fortement
démocratisé et qu'il n'y a plus rien de
commun entre lui et eux.
Mais cet ardent amour pour la démo,
cratie ne nous surprend ni ne nous sé-
duit. Tous les prétendants ont été, de
tout temps, les serviteurs les plus dé-
voués de la démocratie. Ce n'est pas
hier que Tacite les a cloués au pilori en
flétrissant leurs réclames démagogiques.
Nous en avons vu nous-mêmes des
exemples. Est ce que le prince Louis-
Napoléon ne se vantait pas de ses senti-
ments démocratiques ? Il brandissait sa
brochure sur l'extinction du paupé-
risme, comme le comte de Paris bran-
dit son livre sur les associations en An-
gleterre, comme on nous apprend qu'il
« incline vers la participation des ou-
vriers aux bénéfices ».
Doute-t-on encore, après cela, de ses
sentiments démocratiques? Voilà qui
va lever les derniers scrupules : il ne
veut tenir sa couronne que du suffrage
universel. Il souhaite de posséder un
pouvoir « moins effacé que celui actuel-
lement imparti au président de la Ré
publique ». Il nous offre un Sénat « en
majeure partie électif) et complété par
« les illustrations du pays ». Il nous
offre — et ceci n'est pas une nouveauté,
mais la répétition d'un de ses mani-
festes — que le budget ne soit plus voté
annuellement et ne « puisse être amendé
que par un accord des trois pouvoirs ».
Tout cela est évidemment fort sédui-
sant. Ce qui en ressort de plus clair,
c'est que le « premier des républicains »
veut ressaisir la couronne et qu'il esti-
il'
me qu'aujourd'hui, comme son grand
/-'"
père en 1830, il est « la meilleure des
républiques ». Il a frappé à toutes les
portes. En 1871 il nous a proposé la
monarchie constitutionnelle ; en 1873 il
est allé à Frohsdorff faire amende au
comte de Chambord, comptant que la
réconciliation des légitimistes, « le
clan aristocratique et réactionnaire >,et
des orléanistes lui aplanirait la route ;
en 1883 il nous a offert la monarchie
« traditionnelle par ses origines, mo-
derne par ses institutions » ; puis il s'est
mis à la remorque du général Boulan-
ger, il s'est réclamé du plébiscite, et
aujourd'hui il se révèle le démocrate
par excellence. Il « incline » vers la par-
ticipation des ouvriers aux bénéfices.
Il y a dans cette attitude penchée un
beansujet de tableau pour le prochain
Salon ou un motif pour l'imagerie d'E-
pinal. Ce n'est peut-être pas suffisant
pour attirer à la monarchie d'irrésisti-
bles sympathies.
LE PROCÈS DE LA BAHGUE ROMAINE
Rome, 17 mai.
Les débats du procès de la Banque romaine
se sont poursuivis ces jours derniers sans
grand intérêt, mais on s'attend d'un moment
à l'autre à voir surgir des incidents.
On a interrogé, hier les principaux mem-
bres de l'administration de la Banque : tous
ont parlé en faveur de M. Talango et ont af-
firmé l'avoir entendu déclarer à plusieurs re-
prises qu'il était obligé par le gouvernement
à faire des sacrifices énormes pour coopérer à
la hausse de la rente à l'époque de l'aboli-
tion dû-cours forcé. On voulait que la rente
atteignît le pair.
M. Mazzino, qui faisait patie du conôeil
d'administration, a déclaré que M. Giolitti lui
a rendu les 60,000 francs qu'il avait fait reti-
rer de la Banque pour servir au gouverne-
ment. On se souvient qu'au moment de l'ar-
restation de M. Tanlango, les journaux offi-
cieux démentirent formellement que M. Gio-
litti eût jamais recouru aux fonds de la Ban-
que.
—■—aw—■
CORRUPTION POLITIQUE AUX ÉTATS-UNIS
Washington, 17 mai.
M. Lodge, sénateur, propose au Sénat la nomi-
nation d'une commission d'enquête au sujet de
tentatives de corruption qui auraient été faites au-
près de certains sénateurs que l'on voulait faire
voter contre la réforme douanière, et au sujet de
bruits d'après lesquels un syndicat de raffineurs
de sucre serait intervenu dans la rédaction des
articles du tarif relatifs aux sucres.
LES ANARCHISTES EN SUISSE
Bâle, 17 mai.
La police vient de faire enlever des placards
anarchistes collée en plusieurs endroits de la
ville.
Ces placards avaient été apposés au sortir d'une
réunion du parti socialiste au cours de laquelle
les jurés de Berne et de Saint-Imier avaient été
flétris comme ayant obéi à leur haine pour le
classes pauvres.
Mort d'un petit-neven ie Napoléon Ier
Il uient de mourir à Londres un petit-neveu
— de la main gauche — de Napoléon 1er.
Ce petit-neveu de l'empereur était un fils
naturel du prince Louis Lucien Bonaparte qui
fut un philologue et un ornithologue de quel-
que mérite et qui mourut il n'y à guère plus
de trois ou quatre ans. Il s'appelait de son
vrai nom M. Louis Clovis. Mais légitimé,
dit-on, — car la chose ne fut jamais bien éta-
blie, — par le mariage de son père qui était
devenu en même temps que sujet de la reine
Victoria pensionnaire de sa liste civile, il
avait pris le nom de Bonaparte et s'était oc-
troyé le titre de prince.
C'était un jeune homme de trente-cinq ans,
ingénieur civil de son état, et dont la noto-
riété tenait tout entière à un procès.
M. juouis Clovis ou le prince Clovis-Lucien
Bonaparte, comme on voudra, s'était folle-
ment épris d'une certaine miss Rosalie Mar-
low, épouse d'un M. Mégone qui ne parais-
sait se soucier des frasques de sa femme que
pour en tirer profit.
Ayant une première fois réclamé le divorce,
il avait été, en effet, rebouté de sa plainte
parce qu'on avait établi que l'amant de sa
douce moitié, qui était alors un M. O. Hagan,
lui avait remis un certain nombre de bank-
notes pour qu'il l'autorisat à le suppléer dans
l'accomplissement de ses devoirs conjugaux.
Malgré ce précédent, le prince, qui avait
succédé à M. O. Hagan dans les faveurs de
Mme Mégone et qui en perdait littéralement
la tête, résolut de rendre son mari à la li-
berté pour l'avoir toute à lui. Une nouvelle
instance en divorce fut donc introduite ; elle
échoua encore et le prince en acquitta les
frais.
Sur ses conseils, M. Mégone porta l'affaire
devant la cour d'Edimbourg qui plus com-
plaisante que la cour du banc de la reine rom-
pit l'union des deux époux à la satisfaction
des trois membres du ménage.
M. Mégone en profita pour se remarier et le
prince pour convoler avec son ex-femme.
Ceci se passait à la fin de mai 1888. Mal-
heureusement, autant Mme Mégone avait été
une maltresse délicieuse, autant la princesse
Bonaparte fut une épouse déplorable. Le
prince en arriva à regretter à tel point de l'a-
vo:r enlevée à son mari qu'il prit, sans plus
se gêner, une nouvelle compagne et que, pour
éviter d'être considéré comme bigame, il in-
tenta une action en nullité de son premier
mariage.
Son avocat soutint que M. et Mme Mégone
étant Anglais ne pouvaient être jugés par une
cour écossaise et qu'en outre la loi écossaise
interdisant le mariage entre la femme divor-
cée et son amant, il y avait de ce fait cas
de cassation.
L'avocat de Mme Mégone se contenta d'objec-
ter que le prince ayant été l'instigateur de son
divorce et l'ayant épousé dans des conditions
qu'il savait si bien être irrégulières qu'il s'en
réclamait pour solliciter l'invalidation de son
mariage, ne devait pas être favorisé Oans
ces projets par les juges.
Ceux-ci, cependant, se prononcèrent en
sa faveur. Ils annulèrent à la fois le se-
cond mariage de Mme Mégone et son di-
vorce, de telle sorte que si le prince ne fut
pas bigame, ce fut M. Mégone qui le devint et
légitimement qui plus est.
L'anecdote nous a semblé assez curieuse
pour mériter d'être signalée, d'autant qu'elle
constitue à elle seule toute l'histoire du petit-
neveu de Napoléon qui vient de disëami-
tre. ",
LA POLITIQUE RELimSE
DU GOUVERNEMENT
UN GRAND DÉBAT A LA CHAMBRE
La circulaire du nonce aux évêques.
Triple interpellation. — Autres agis-
sements cléricaux. — Les explica-
tions de M. Casimir-Perier.
L'ordre du jour de
confiance
Il est venu hier, et il à pris des développe-
ments considérables, ce débat sur la question
religieuse dont le XIXe Siècle, dans son
précédent numéro, indiquait par avance
toutes les péripéties.
M. Wilson, le réélu de Loches, qui est re-
venu hier - il a paru assez amaigri et défait,
au banc supérieur de l'extrême droite où il
siège présentement - a eu, pour sa rentrée,
le spectacle d'une séance à grand orchestre.
Il y avait, nos lecteurs le savent, trois de-
mandes d'interpallation, émanant de M. Rai-
berti, de M. Pourquery de Boisserin et de M.
Goujat, sur les mesures que le gouvernement
compte prendre à la suite de la circulaire
adressée aux évêques par le nonce apostoli-
que. Peut-être n'est-il pas mauvais de don-
ner avant tout, en son texte exact, la partie
essentielle de cettefameusecirculairetiu nonce,
celle qui a motivé cette triple interpellation.
La voici :
Le gouvernement français a fait déclarer au
saint-siège qu'il est disposé à tenir compte des ob-
servations de l'épiscepat pour les modifications à
apporter aux règlements dont il s'agit (les règle-
ments sur les fabriques) ; le saint-siège aura soin
d'insister pour que ces promesses soient mises à
exécution.
Le saint-père désire que lesr évêques, dans leurs
réponses au gouvernement, tout en évitant de se
mettre en opposition directe avec la loi, formulent
les réserves nécessaires ét opportunes et fassent
tous leurs efforts en vue d'obtenir la modification
des règlements et la réforma de la loi sur la comp-
tabilité des fabriques, s'appuyant, à cet effet, sur
les difficultés générales et locales que rencontre
l'application de cette loi.
M. Raiberti, qui a pris le premier la pa-
role, n'a pas eu de peine à montrer tout ce
qu'un pareil document a d'inadmissible, tout
ce qu'une semblable initiative a d'incorrect,
venant d'un ambassadeur étranger accrédité
près du gouvernement français — car le
nonce n'est pas autre chose, en somme, — et
s'adressant à. une catégorie de citoyens fran-
çais qui sont des fonctionnaires par sur-
croît :
M. Raiberti. — La première obligation d'un
ambassadeur est de ne pas s'immiscer dans les
affaires du pays auprès duquel il est accrédité. En
envoyant sa circulaire, il a commis une usurpation,
et chaque fois que les nonces en ont commis de
semblables, les gouvernements le3 ont réprimées.
On m'objectera que le nonce est bien un ambas-
sadeur, mais que ce n'est pas l'ambassadeur d'un
souverain ordinaire ; c'est celui d'un souverain
qui règne sur des millions de consciences et qui est
investi de pouvoirs spéciaux dans l'ordre spiri-
tuel.
C'est la thèse de là cour de Rome.
On n'ose pas la proclamer encore en France, en
attendant on l'insinue.
Notre droit public s'élève contre cette thèse. Il
ne reconnaît que deux autorités spirituelles : le
pape et les évêques. Il ne reconnaît paj3 d'intermé-
diaire entre le pape et les évêques. Autrement le
nonce serait auprès des fidèles le représentant spi-
rituel du pontife romain.
D y aurait alors en France deux gouvernements :
celui qui est constitué par le Sénat, la Chambre
des députés et le ministère, et fe nonce siégeant à
la nonciature.
Ce n'est pas en France, dans le pays de Voltaire,
qu'on acceptera cette thèse.
Il y a donc eu usurpation, a ajouté le dé-
puté de Nice, et cette usurpation ne se saurait
tolérer, même sous prétexte de pacification
religieuse. Car qui pourrait vouloir d'une pa-
cification qui serait une véritable abdication ?
Le gouvernement est-il bien décidé à défendre
les droits de l'Etat laïque contre les empiéte-
ments de l'Eglise ?
Ainsi, a dit M. Raiberti et après avoir ré-
sumé son discours nous nous trouvons dis-
pensé d'insister sur les propos des deux au-
tres interpellateurs qui n'ont fait que rééditer,
et de façon beaucoup moins heureuse, la
thèse que le jeune député des Alpes-Mariti-
mes avait excellemment exposée.
M. Pourquery de Boisserin a ajooté que la
question est une question de dignité natio-
nale et établi que le nonce ne pourrait même
pas se prévaloir, pour excuser l'intempérance
de son zèle, du Concordat ou des articles orga-
niques. Et quant à M. Goujat, député socia-
liste, il a surtout insisté sur ce point que la
loi, — dont on vient de faire une application
si rigoureuse à M. Toussaint — doit être
égale pour tous et que le parti clérical, s'in-
carnât-il en la personne du nonce, ne saurait
être seul à pouvoir l'éluder.
Les fonctionnaires et l'armée accaparés
par le cléricalisme
On était resté jusqu'alors sur le vrai ter-
rain de l'interpellation. Mais à partir de ce
moment on a parlé de Bien d'autres choses.
Nous ne saurions trop nous en plaindre en la
circonstance, car les faits dont il a été ques-
tion sont de ceux qu'il importait de produire
à la tribune. Mais ce nous est tout de même
une occasion nouvelle de constater l'étrange
façon dont préside M. Dupuy qui, sans une
observation, sans la plus petite réserve de
principe au nom d'un réglement dont il a la
garde, — qui s'en douterait, en vérité ? —
laisse tous les débats dévier et s'écarter de
leur objet primitif, même quand cet objet
était pourtant bien déterminé.
Venons-en à ce qu'a dit à ce moment M.
Lhopiteau, député d'Eure-et-Loir, racontant
les instructives histoires qui se sont passées
dans son département, comme dans tant d'au-
tres du reste :
M. Lhopiteau. — J'avais l'intention d'adresser
une question à M. le ministre de la guerre (Inter-
ruptions sur divers bancs.) sur la participation de
l'armée aux fêtes cléricales qui sont organisées en
ce moment en l'honneur de Jeanne d'Arc.
Puisque le débat actuel s'est généralisé et em-
brasse toute la politique religieuse du gouverne-
ment, je crois que ma question trouve ici sa
place.
Vous savez que l'Eglise, à la recherche de son
ancienne influence, veut en ce moment exploiter à
son profit la popularité de Jeanne d'Arc (Applau-
dissements à gauche. — Bruit et interruptions à
droite.)
M. de Baudry d'Asson. — L'Eglise n'a pas
perdu sa popularité.
M. Lhopiteau. qui représente pour nous
laïques la plus haute incarnation du patriotisme
français. (Nouveaux applaudissements à gauche.)
Or l'Eglise a-t-elle le droit d'associer à son usur-
pation l'armée et toutes les administrations dépen-
dant du gouvernement ? (Très bien 1 très bien ! à
gauche. — Bruit à droite.)
- Au moment même où je parle, il se célèbre une
cérémonie religieuse à laquelle ont été conviés l'ar-
mée, la préfecture, les tribunaux, les percepteurs,
toutes les autorités de la ville. Une invitation offi-
cielle émanant de l'évêché a été adressée à chaque
chef de l'administration.
Chacun de ces chefs a réuni autour de lui ses
subordonnés. Il leur a communiqué l'invitation de
l'évêque et leur a dit que des places spéciales
leur seraient réservées. Enfin, ils ont ajouté que
les services publics seraient suspendus peu-
dant la durée du semee religieux.
> MAis il y a jia&ut - grave : c'est que
l'invitation a été adressée aussi aux officiers de l'ar-
mée.
Des invitations ont été adressées aux chefs de
corps. Ceux-ci ont réuni leurs officiers, et je ne
peux pas dire qu'ils leur ont donné l'ordre for-
mel d'assister à la cérémonie. (Interruptions à
droite.)
Les chefs de corps ont réuni leurs officiers ; ils
leur ont annoncé que les exercices seraient suspen-
dus pendant la cérémonie et ils leur ont même in-
diqué quelle tenue ils devaient revêtir. (Bruit à
gauche.) C'est donc, en somme, un ordre véri-
table.
Est-ce là ce que la Chambre a voulu en éloignant
l'armée des cérémonies officielles du culte ?
Je pose donc aujourd'hui cette question au mi-
nistre de la guerre ou plutôt au gouvernement tout
entier : Le gouvernement a-t-il donné l'ordre aux
chefs de corps de faire assister leurs officiers a nx
manifestations cléricales ?
Si le gouvernement ne l'a pas donné, cet ordre,
a-t-il du moins autorisé ces manifestations dans
lesquelles, à mon avis, on compromet l'armée?
(Applaudissements à gauche. — Bruit à droite).
Après ce petit discours fort intéressant et
dont l'effet a été grand, M. de Douville-Maille-
feu est venu, avec son habituelle fantaisie de
langage, signaler, en la déplorant, l'ingérence
du nonce dans la nomination des évêques,
nomination qui devrait pourtant être, aux
termes du Concordat, l'exclusif apanage du
gouvernement.
L' « esprit nouveau »
Puis c'a été le tour d'un rallié, M. Denys
Cochin, dont l'intervention mérite d'être si-
gnalée, le député de Paris étant venu sommer
le gouvernement — avec des circonlocutions,
il est vrai, — de reconnaître la correction de
la circulaire du nonce et surtout de s'interdire
toute action contre le représentant du pape,
cela au nom de la politique dite « d'esprit
nouveau » et du pacte plus ou moins tacite
qui existe de fait entre ledit gouvernement et
les conservateurs r
M. Denys Cochin. — Si l'on voulait, s'en réfé-
rant aux pratiques d'un autre âge, recourir à je ne
sais quelles mesures.je demanderais au gouverne-
ment ce que signifient les paroles de paix qu'il a
apportées à cette tribune. (Applaudissements à
droite.)
Je suis tout prêt à déclarer que je crois ferme-
ment à ce que M. le ministre des cultes a caracté-
risé par ces mots : « l'esprit nouveau ».
M. de Baudry d'AssOD.- C'était un mot pour
accrocher des niais ! Vous avez eu confiance ? Moi
pas 1 (Rumeurs à droite).
M. Denys Cochin. — Je déclare humblement
à M. Baudry d'Asson que je suis un de ces niais.
Je crois qu'il y a un esprit nouveau, mais je
n'en fais aucun éloge au ministre et au gouverne-
ment, car ce que je rois. c'est que cet esprit nou-
veau règne dans le pays et qu'il ne règne pas en-
core dans l'administration. (Très bien! très bien !
à droite.)
Hein ! le voilà bien, le bout de l'oreille, et
M. Perier n'a pas paru savoir très bon gré à
M. Cochin qui, si ingénument - ou si habi-
lement — le laissait passer. Le député de Pa-
ris a d'ailleurs terminé par de nouvelles avan-
ces au gouvernement, ne lui cachant pas que
son concours et celui de ses amis lui demeu-
rent acquis à condition qu'il continue d'être
raisonnable. Vous Qomprenez-",n'est.ce pas, ce
que parler veut dire ?
Notons encore l'intervention de M. Rabier
signalant, ou rappelant encore un fait à ajou-
ter à ceux qui déjà avaient été cités :
M. Rabier. - Je demande au président du con-
seil quelles mesures il compte prendre contre le
cardinal archevêque de Bordeaux, M. Lecot, à l'oc-
casion des paroles que celui-ci a prononcées, il y
a quelqnes jours, dans la cathédrale d'Orléans.
(Mouvements divers.)
Le 8 mai dernier, 'faisant le panégyrique de
Jeanne d'Arc devant vingt-trois ou vingt-quatre
évêques ou archevêques, des généraux, des fonc-
tionnaires de tout ordre, des préfets, des magis-
trats en robe rouge ou noire, M. Lecot, s'adres-
sant à M. Coullie, archevêque de Lyon, qui vient
d'être frappé par le gouvernement, lui décerna les
palmes du martyre et dit que le gouvernement
avait pris contre lui une mesure qu'il ne voulait
pas qualifier.
Je me permets de trouver ce langage scandaleux.
(Mouvements divers.)
M. Millerand. — Le gouvernement le trouve
très bon t (Rires à l'extrême gauche.)
-Le président du conseil
Le moment était venu de répondre. M. Ca-
simir-Perier s'est tout d'abord arrêté aux faits
dont les derniers orateurs avaient entretenu
la Chambre.
A M. Lhopiteau, il a répondu que les offi-
ciers et les fonctionnaires n'avaient pas reçu
l'ordre d'assister aux fêtes organisées par le
clergé en l'honneur de Jeanne d'Arc, fêtes
dépourvues de tout caractère officiel. On leur
a dit seulement qu'ils pourraient s'y rendre
individuellement et à titre privé. De nom-
breuses exclamations ont accueilli cette ex
plication, montrant bien que ce n'est guère
ainsi que les choses se sont passées dans la
pratique.
A M. de Douville, M. Perier a répliqué que
le gouvernement nomme en effet seul les évê-
ques, s'assurant seulement que l'autorité reli-
gieuse donnera ensuite l'investiture canoni-
que.
Enfin, pour ce qui est du cardinal Lecot, le
président du conseil a déclaré que le prélat
s'est mis à l'abri de toute répression en effa-
çant dans son discours imprimé le propos
incriminé, à supposer même que ce propos
ait été tenu. « Mais j'étais là et je l'ai en-
tendu I» s'est alors écrié M. Rabier.
Et arrivant alors à la circulaire du nonce,
M. Perier n'a pu, tout en louant bien haut
l'intention bienveillante qui avait inspiré ce
document, méconnaître l'imprudence dudit
« Et la sanction ? » a alors demandé M. Pel-
letan.
M. le président du conseil. — Nous avons
estimé que nous devions demander des explica-
tions et en obtenir,
Depuis deux jours, j'ai envoyé à notre ambaèsa-
deur à Rome des télégrammes rappelant tous les
précédents et réclamant une sanction.
Après en avoir conféré avec le nonce, Je suis
autorisé à déclarer que le document en question a
été conçu dans une pensée d'apaisement et de con-
ciliation et que s'il a été publié, c'est contre le
gré du nonce. (Exclamations a l'extrême gauche et
sur divers bancs à gauche.)
Lorsqu'on nous demande quelle est la sanction,
je vous prie d'écouter celle que nous avons obtenue
et qui nous paraît satisfaisante.
Voici la déclaration que je suis autorisé à faire :
« Le nonce a déclaré que le document avait été
conçu dans une pensée d'apaisement et de concilia-
tion, qu'il avait été publié contre son gré, qu'il re-
grettait cette publication et qu'il aura soin qne pa-
reil incident ne se reproduise pas. » (Interruptions
sur divers bancs à gauche.)
La Chambre appréciera. Quant à moi, je déclare,
comme chef du gouvernement, que j'estime l'in-
cident clos par cette déclaration. (Applaudisse-
ments. )
M. Alphonse Humbert. — Vous avez vous.
même condamné le document; vous avez obtenu
satisfaction sur sa publication, mais non sur le do-
cument lui-même. (Très bien 1 très bien ! à l'ex-
trême-gauche.
M. le président du conseil. — Vous remar-
querez que, dans la déclaration que je vous ai lue,
on dit qu'on veillera à ce qu'un pareil incident ne
se reproduise pas. (Interruptions sur divers bancs
à gauche.)
J'ai dit que je considérais l'incident comme
clos ; il me paraît imposssible d'engager un dé-
bat pour savoir quelle rédaction aurait dû être
exigée.
M. Perier s'est ensuite défendu d'être entré
en négociations avec la cour pontificale sur
la question de 4a législation des fabriques.
« Mais la circulaire du nonce affirme poqp*
tant le contraire ! » s'est alors écrié M. Pelle-
tant.
— J'ai pu faire dire à Rome, a riposté M.
Perier, que je ne me refuserai pas à exami-
ner certaines observations qui me seraient
faites sur cette législation des fabriques, mais
cela seulement après que la soumission de
l'épiscopat à la loi serait complète et abso-
lue.
— Mais c'est une négociation, cela ! a fait
observer M. Goblet.
Et c'est alors que le président du conseil a
donné lecture des instructions par lui adres-
sées il y a deux mois à notre ambassadeur
au Vatican à propos de cette affaire des fa-
briques. Voici la fin de ce document :
M le président dn conseil. — « Les démons-
trations peu convenables de certains prélats et l'a-
gitation qu'un parti politique veut entretenir sur
cette question, nous mettent dans l'obligation.
(Très bien 1 très bien f) d'exiger le silence et la sou-
mission. (Très bien 1 très bien !) avant de décider
s'il est nécessaire ou légitime de retoucher des
points de détails. »
M. Georges Leygues. Nous n'avons jamais
entendu un langage plus honnête et plus fier.
M. Hémon. — Vous n'avez jamais parlé comme
cela, monsieur Goblet.
M. René Goblet. — Lisez ma lettre à l'arche..
vêque de Paris.
M. Deschanel. — Nous n'avons pas oublié les
amertumes du pape. (On rit.)
M. le président du conseil. - Je continue.
« Nous promettons notre respect et notre protec-
tion à l'Eglise respectueuse des prérogatives du
pouvoir laïque ; nous la convions à une œuvre de
tolérance et de pacification. Si le clergé catholique
rend cet apaisement possible, la France y puisera
des forces nouvelles.
» S'il croyait ou affectait de croire nos déclara-
tions inspirées par d'autres sentiments que le res-
pect de la pensée et l'amour de la liberté, il ne tar-
derait pas à être détrompé, et il aurait à se con-
vaincre que le premier devoir d'un gouvernement
soucieux de maintenir et de fortifier l'autorité,
c'est d'exiger des serviteurs de l'Eglise, comme de
tous les autres citoyens, l'observation des lois. »
(Applaudissements).
Et maintenant, messieurs, si ces explications
ne sont pas claires, si elles paraissent insuffisan-
tes, qu'on en réclame d'autres, je le demande àu
nom du pays. (Très bien! très bien !)
Mais si elles établissent que nous sommes les
gardiens vigilants des droits de la société, je vous
en prie, qu'on en finisse avec des accusations aux-
quelles ne croient pas beaucoup de ceux qui les for-
mulent au dehors. (Très bien ! très bien !)
Certes, ces instructions adressées par le
gouvernement à son représentant auprès du
pape sont louables, mais de bonnes paroles
ne suffisent pas, c'est leur mise en pratique
qu'il faudrait. Et, à cet égard, il est permis de
conserver jusqu'à nouvel ordre une forte dose
de scepticisme.
La fin du débat
lelle est la réflexion que chacun se faisait.
On comprenait qu'il n'y a qu'à attendre des
preuves de cette fermeté gouvernementale qui
serait absolument dérisoire si elle demeurait
à l'état de simple clause de style. Et ce sen-
timent était si général qu'à partir de ce mo-
ment le débat a été comme épuisé. A quoi
bon de nouveaux discours quand c'est les
actes qu'il faudra juger ?
M. Pourquery de Boisserin, à qui toute oc-
casion est bonne de paraître à la tribune, a
pourtant esquissé une vague réplique. M. Jul-
lien, que M. Perier avait pris à partie à pro-
pos de son discours d'installation à la prési-
dence de la gauche radicale, a brièvement
usé de son droit de réponse, demandant pré-
cisément au gouvernement de mettre désor-
mais les faits d'accord avec ses paroles. Mon-
signor d'Hulst a aussi essayé de parler dans
le bruit.
La discussion a alors été close, malgré M.
Pelletan qui voulait encore « élargir le dé-
bat » et consacrer une seconde journée à in-
terpeller sur la politique religieuse du gou-
vernement. -
Cette motion n'a réuni que 197 voix contre
307 et le défilé des ordres du jour a com-
mencé.
Il y en avait une bonne demi-douzaine, de
ces ordres du jour. Mais deux seulement sont
à retenir, ceux sur lequel la bataille allait
s'engager : d'abord celui des radicaux pré-
senté par M. Alphonse Humbert et accepté
par M. Goujat, qui réclamait la séparation des
iglises et de l'Etat comme seul moyen d'en
finir avec de perpétuels conflits, et, en second
lieu, celui des modérés, rédigé par M. Georges
Leygues et exprimant tout simplement l'ap-
probation de la Chambre aux déclarations du
gouvernement.
M. René Goblet a présenté quelques obser-
vations très topiques en faveur de la dénon-
ciation du Concordat, c'est-à-dire en faveur
de l'ordre du jour Humbert.
Mais 816 voix contl'em ont refusé la prio-
rité à cet ordre du jour et c'est la rédaction
de M. Leygues, naturellement acceptée par le
gouvernement, qui a été votée par 334 voix
contre 142.
Ainsi a fini cette interpellation. Et dire que
nous aurons une autre grande interpellation
jeudi prochain, celle de M. Thierry Gazes, sur
les atteintes portées à l'indépendance des
membres du corps enseignant ! Le centre en
avait demandé le renvoi à un mois, mais
vingt voix de majorité, obtenues après poin-
tage, ont repoussé cet ajournement à longue
échéance.
TRANSPORTS MARITIMES POSTAUX
Dans la séance qu'elle a tenue hier matin,
la commission parlementaire des transports
maritimes postaux a pris les résolutions de
principe suivantes :
1° Maintien des lignes existant actuelle-
ment de fait, soit résultant du cahier des
charges, soit desservies volontairement par
les compagnies concessionnaires.
20 Possibilité de porter à sept départs par
semaine le service entre Marseille et Alger.
M. Saint-Germain, député de l'Algérie, a
été nommé rapporteur provisoire. Il a reçu
mission d'examiner le dossier et d'en faire un
exposé à la commission, qui entendra ensuite
le gouvernement. M. Saint-Germain a fait,
sous la précédente législature, un rapport sur
le même projet qui n'a pas pu venir en dis-
cussion ; son travail n'indique pas, tant s'en
faut, qu'il ait une compétence Dien étendue
des questions se rattachant aux transports
maritimes postaux.
L'AMBASSADE AU VATICAN
Les députés socialistes ont déposé un amende-
ment au budget du ministère des affaires étrangè-
res tendant a une réduction de 110.000 fr. corres-
pondant à la suppression de l'ambassade auprès
du Vatican.
M. Doumer, rapporteur du budget des affaires
étrangères, se propose de soulever la question dans
une des prochaines séances de la commission.
L'ASSAINISSEMENT DE LA SEINE
Le Sénat, réuni dans ses bureaux hier, a nommé
la commission relative au projet de loi sur l'as..
sainissement de la Seine.
Sont élus : MM. Labbé, Tézenas, Cornil, de
Freycinet, Dethou, Scheurer-Kestaor, Combes, de
Vermue, Pradal. ,
La plupart des commisaires élus sont Amiables
M projet te loi T»té par - dea àigutf*.
LAVIEDEPARIS
Deux événements littéraires d'ordre
très divers ont marqué la journée d'hier :
la mort de la nièce de Lamartine et la
candidature de M. Paul Bourget à l'Aca-
démie française. La nièce de Lamartine,
qui meurt mariée et veuve, fort âgée, était
cette Valentine qui fut la compagne dé-
vouée de la triste vieillesse du grand
poète et en connut toutes les misères et
en adoucit les aagoisses.
Je ne sais rien de plus navrant que ces
dernières années de Lamartine, non par
les embarras, par les souffrances réelles
que le poète supporta, que par la fausse
appréciation que l'opinion fit des causes
de ces embarras. Tout d'abord, littéraire-
ment, Lamartine était presque oublié. Ce
n'est qu'après sa mort qu'a commencé une
réaction qui, sans toucher à la gloire de
Hugo met Lamartine à sa vraie place,
c'est-à-dire à côté de lui au premier rang.
Car si Hugo fut un plus grand artiste en
langage, Lamartine fut un poète peut-
être plus ému, à coup sûr plus spontané.
Puis (et ce fut là ce qui dut être le plus
sensible à Lamartine),la politique se met-
tant de la partie, on jugea mal son carac-
tère. Les éternels pharisiens qui sont les
maîtres de la morale et les dispensateurs
des renommées allaient disant qu'un
homme n'était pas à plaindre quand il
avait eu plusieurs millions, que Lamar-
tine s'était ruiné par vanité et par l'entê-
tement qu'il mettait à garder ses terres et
ses châteaux.
On alla jusqu'à l'accuser de manquer
de dignité parce qu'il avait accepté un lo-
gement assez modeste de cette ville dû
Paris dont il avait été la gloire et qu'il
avait peut-être sauvée de quelque désas-
tre en 1848. Tout ceci était injuste et
cruel. La vérité est que Lamartine avait-
été de ces élus, victimes de l'imprudente'
grandeur de leur esprit, qui ont le mé-
pris de l'argent, de la sagesse égoïste et
bourgeoise, et qui affirment ce méprisr
autrement que par des déclamations et le
montrent dans leurs actes. J'aime, de la
sorte, les grands prodigues, les ruinés et
jusqu'aux décavés du boulevard.
Je les aime pour leur indifférence dé-
vant le maître et le tyran du monde con-
temporain. Leur désordre est une révolte.
A plus forte raison la ruine de Lamartine
était-elle excusable.Il avait vraiment vécu
en poète, dédaigneux des affaires d'argent,
généreux, insouciant.Ses embarras étaient
nés de sentiments très respectables, qui
lui firent avoir pour la terre natale un-
culte pieux, comme celui d'un prêtre pour
son temple.
Dans sa guerre contre les gens d'argent
et les gens de loi qui le dépouillèrent, ir
me faisait l'effet d'un vieux lion dévoré
par une insaisissable vermine. Dans cette
lutte il fut relevé, réconforté par l'atta-
chement de sa nièce. Par là, cette femme
mérite de voir son nom associé à la gloire
du poète et respecté par ceux qui aiment
les lettres et qui se plaisent à ne pas sépa-
rer l'admiration qu'on peut avoir pour
l'oeuvre de la sympathie qu'il est doux de
pouvoir garder à l'homme qui l'a accom-
plie.
L'autre événement littéraire de la jour-
née est la candidature académique de M.
Paul Bourget. On parlait depuis long-
temps de cette candidature; mais M. Bour-
get était absent. On lui prêtait un désinté-
ressement philosophique, dédaigneux des
gloires officielles, qui n'était peut-être
qu'une coquetterie habile et bien permise
à coup sûr. On disait encore que M. Bour-,
get, romancier, ne voulait entrer à l'Ins-
titut que lorsque M. Zola en aurait enfin
forcé les portes..
Mais ainsi que je l'ai dit il y a assez
longtemps déjà ici même, M. Zola, pour
des raisons diverses, n'a pas chance d'être
élu avant trois ou quatre vacances : lui-
même, s'il persiste à se présenter par,
principe, n'a pas d'illusions, et ses amisJ
ont également compris qu'en votant pour
lui ils empêcheraient d'entrer à l'Institut
les cinq ou six lettrés, parmi lesquels Ml5
Paul Bourget est des premiers, que le pu-
blic s'étonne de ne .pas y voir. C'est ainsi
que le promoteur le plus ardent de la can-
didature de M. Paul Bourget est tout jus-
tement M. Coppée, connu pour avoir été.
jusqu'ici le plus ferme des partisans de
M. E. Zola. Le succès de M. Bourget ne
paraît pas d'ailleurs pouvoir faire de
doute.
C'est une course courue, comme on dit
à Longchamps, et je ne vois même pas
d'accident possible qui ferait arriver un
outsider. Le fauteuil de M. Taine, par.
exemple, pourra être disputé. Il y a M.
Sorel, M. Montégut en présence et l'ac-
cord qu'on dit être fait entre les partisans
de M. Sorel et les amis de M. Bourget'
pourrait n'être pas ratifié par certains ad-
versaires que compte le premier.
M. Henri Houssaye s'était également
présenté au fauteuil de Taine. Il n'a pas
eu de chance. Sur l'annonce que M. Bour-
get s'abstenait , M. Houssaye a transporté
sa candidature du fauteuil de Taine au
fauteuil de du Camp. Mais voilà que M.
Bourget revient d'Amérique, non comme
un oncle à héritage, mais comme un se-
cond héritier, et que M. Houssaye qui
avait des chances les a vues diminuer au
point qu'il a retiré sa candidature, Il se
trouve en l'air entre deux fauteuil. Maia
son désistement est une manœuvre habile,
qui lui vaudra des voix nouvelles à la
prochaine élection. Les désistements sont
parfois des titres qui valent des victoires.
Pour moi qui juge les choses académi-
ques surtout du côté du public, je ne puis
m'empêcher de trouver avec celui-ci que
les élections sont trop choses arrangées à
l'avance. On aimerait pouvoir garder au
moins l'illusion que les candidats se pré-
sentent simplement avec leurs œuvres.
avec leur situation littéraire acquise, et
qu'il y a dans l'élection plus de spon-
tanéité et moins de diplomatie préalable?
Les candidats eux-mêmes y gagneraient?
- Il sertit plus agréable pour eux d'être
élltGQ œÇrdes aa'à la suiU
-". - ," u., .c..
LB NUMÉRO CINQ CENTIMES
SAMEDI 19 MAI -t894
REOACTIOlt ET ADHINISTRATIOR
Rue MontÉnart9
- PAIUII ;
l
IOIECTEUR POLITIQUE ;'
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Adresse télégraphique : SIX* SdKM-PAKD v
Téléphone : 20.289 ftfe.
Chas m. LAORARGB, CBRF et O*
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fw. MM, eu fcH; fU; ft U 30t
Départements — 7U — 12L. — M Iii
Union Postale — 9L; — tlL: - 32 fr
lM Abonnements sont reçus sans frais dffl
IDU les Bureaux de Poste.
(( LE ROI ))
Houbaix est une ville heureuse entre
toutes. Elle a une municipalité qui met
en pratique les doctrines socialistes les
plus pures, elle a pour député M. Jules
Guesde et les monarchistes l'ont choi-
sie entre toutes les cités pour y faire
une propagande active. On y distribue
en ce moment une petite brochure ano-
nyme qui porte ce titre suggestif : Le
Roi 1
On n'a pu savoir encore quelle part.
revenait dans cette propagande à M.
d'Haussonville, qui reste, après la liqui-
dation générale de l'organisation roya-
liste, seul chargé officiellement d'entre-
tenir des relations avec les monarchis-
tes. Il est vraiment regrettable que l'on
ne soit pas plus complètement rensei-
gné, car la brochure est édifiante. Mais
contient-elle l'expression d'une pensée
politique ou bien est-elle l'œuvre d'un
mystificateur
On serait disposé à accepter cette der-
nière opinion quand on voit l'auteur de
la brochure affirmer avec une gravité
imperturbable que Louis-Philippe « a
essayé de réagir contre l'accaparement
politique et social de l'oligarchie bour-
geoise » et que la révolution du 24 Fé-
vrier a eu pour cause « l'impossibilité
où il s'est trouvé d'asseoir son gouver-
nement sur une base populaire ». Les
contemporains, comme l'histoire, nous
avaient touj ours affirmé que les causes
du 24 Février étaient très différentes et
que le mouvement réformiste de 1847
était né précisément de la résistance du
gouvernement à toute modification de
la loi électorale d'alors, qui avait le cens
pour base. On nous avait assuré que le
gouvernement de Louis-Philippe s'était
même refusé à cette modeste extension
du droit du suffrage qui s'appelle
« l'adjonction des capacités », et l'on ne
manquait pas de faire remarquer que le
suffrage universel avait été la première
conquête de la République de 1848. On
en concluait que la monarchie avait dé-
fendu la cause de « l'oligarchie bour-
geoise » et que la République avait
inauguré un régime plus démocrati-
que. Si l'on se trompait, n'en parlons
plus.
Aussi bien n'est- ce pas ce débat ré-
trospectif qui fait l'attrait de la bro-
chure. On nous y apprend que le comte
de Paris est « bien en avant de son
parti » : Depuis longtemps déjà rien de
commun n'existe plus entre le roi et
ceux qui se parent du titre de royalis-
tes. Entre eux et lui, il y a un abîme.
TI ¿,!'? >"' franchement du clan à ten -
<' •. :■ ?::';:'r\:"lv!;ques et réactionnaires
ijui prétend être le véritable défenseur
des idées royalistes. » On nous affirme
qu'entre le comte de Paris et le peuple
français il n'y a qu'un simple malen-
tendu et que « le premier des républi-
cains », le démocrate le plus sincère est
le comte de Paris. Les douairières et les
Châtelains qui soupirent après le réta-
blissement de la monarchie, pour qu'en-
fin cesse le scandale de voir dans les
plus hautes fonctions et dans les salons
officiels des gens qui « ne sont pas nés »,
seront assurément fort désappointées
d'apprendre que le « roi » est si fortement
démocratisé et qu'il n'y a plus rien de
commun entre lui et eux.
Mais cet ardent amour pour la démo,
cratie ne nous surprend ni ne nous sé-
duit. Tous les prétendants ont été, de
tout temps, les serviteurs les plus dé-
voués de la démocratie. Ce n'est pas
hier que Tacite les a cloués au pilori en
flétrissant leurs réclames démagogiques.
Nous en avons vu nous-mêmes des
exemples. Est ce que le prince Louis-
Napoléon ne se vantait pas de ses senti-
ments démocratiques ? Il brandissait sa
brochure sur l'extinction du paupé-
risme, comme le comte de Paris bran-
dit son livre sur les associations en An-
gleterre, comme on nous apprend qu'il
« incline vers la participation des ou-
vriers aux bénéfices ».
Doute-t-on encore, après cela, de ses
sentiments démocratiques? Voilà qui
va lever les derniers scrupules : il ne
veut tenir sa couronne que du suffrage
universel. Il souhaite de posséder un
pouvoir « moins effacé que celui actuel-
lement imparti au président de la Ré
publique ». Il nous offre un Sénat « en
majeure partie électif) et complété par
« les illustrations du pays ». Il nous
offre — et ceci n'est pas une nouveauté,
mais la répétition d'un de ses mani-
festes — que le budget ne soit plus voté
annuellement et ne « puisse être amendé
que par un accord des trois pouvoirs ».
Tout cela est évidemment fort sédui-
sant. Ce qui en ressort de plus clair,
c'est que le « premier des républicains »
veut ressaisir la couronne et qu'il esti-
il'
me qu'aujourd'hui, comme son grand
/-'"
père en 1830, il est « la meilleure des
républiques ». Il a frappé à toutes les
portes. En 1871 il nous a proposé la
monarchie constitutionnelle ; en 1873 il
est allé à Frohsdorff faire amende au
comte de Chambord, comptant que la
réconciliation des légitimistes, « le
clan aristocratique et réactionnaire >,et
des orléanistes lui aplanirait la route ;
en 1883 il nous a offert la monarchie
« traditionnelle par ses origines, mo-
derne par ses institutions » ; puis il s'est
mis à la remorque du général Boulan-
ger, il s'est réclamé du plébiscite, et
aujourd'hui il se révèle le démocrate
par excellence. Il « incline » vers la par-
ticipation des ouvriers aux bénéfices.
Il y a dans cette attitude penchée un
beansujet de tableau pour le prochain
Salon ou un motif pour l'imagerie d'E-
pinal. Ce n'est peut-être pas suffisant
pour attirer à la monarchie d'irrésisti-
bles sympathies.
LE PROCÈS DE LA BAHGUE ROMAINE
Rome, 17 mai.
Les débats du procès de la Banque romaine
se sont poursuivis ces jours derniers sans
grand intérêt, mais on s'attend d'un moment
à l'autre à voir surgir des incidents.
On a interrogé, hier les principaux mem-
bres de l'administration de la Banque : tous
ont parlé en faveur de M. Talango et ont af-
firmé l'avoir entendu déclarer à plusieurs re-
prises qu'il était obligé par le gouvernement
à faire des sacrifices énormes pour coopérer à
la hausse de la rente à l'époque de l'aboli-
tion dû-cours forcé. On voulait que la rente
atteignît le pair.
M. Mazzino, qui faisait patie du conôeil
d'administration, a déclaré que M. Giolitti lui
a rendu les 60,000 francs qu'il avait fait reti-
rer de la Banque pour servir au gouverne-
ment. On se souvient qu'au moment de l'ar-
restation de M. Tanlango, les journaux offi-
cieux démentirent formellement que M. Gio-
litti eût jamais recouru aux fonds de la Ban-
que.
—■—aw—■
CORRUPTION POLITIQUE AUX ÉTATS-UNIS
Washington, 17 mai.
M. Lodge, sénateur, propose au Sénat la nomi-
nation d'une commission d'enquête au sujet de
tentatives de corruption qui auraient été faites au-
près de certains sénateurs que l'on voulait faire
voter contre la réforme douanière, et au sujet de
bruits d'après lesquels un syndicat de raffineurs
de sucre serait intervenu dans la rédaction des
articles du tarif relatifs aux sucres.
LES ANARCHISTES EN SUISSE
Bâle, 17 mai.
La police vient de faire enlever des placards
anarchistes collée en plusieurs endroits de la
ville.
Ces placards avaient été apposés au sortir d'une
réunion du parti socialiste au cours de laquelle
les jurés de Berne et de Saint-Imier avaient été
flétris comme ayant obéi à leur haine pour le
classes pauvres.
Mort d'un petit-neven ie Napoléon Ier
Il uient de mourir à Londres un petit-neveu
— de la main gauche — de Napoléon 1er.
Ce petit-neveu de l'empereur était un fils
naturel du prince Louis Lucien Bonaparte qui
fut un philologue et un ornithologue de quel-
que mérite et qui mourut il n'y à guère plus
de trois ou quatre ans. Il s'appelait de son
vrai nom M. Louis Clovis. Mais légitimé,
dit-on, — car la chose ne fut jamais bien éta-
blie, — par le mariage de son père qui était
devenu en même temps que sujet de la reine
Victoria pensionnaire de sa liste civile, il
avait pris le nom de Bonaparte et s'était oc-
troyé le titre de prince.
C'était un jeune homme de trente-cinq ans,
ingénieur civil de son état, et dont la noto-
riété tenait tout entière à un procès.
M. juouis Clovis ou le prince Clovis-Lucien
Bonaparte, comme on voudra, s'était folle-
ment épris d'une certaine miss Rosalie Mar-
low, épouse d'un M. Mégone qui ne parais-
sait se soucier des frasques de sa femme que
pour en tirer profit.
Ayant une première fois réclamé le divorce,
il avait été, en effet, rebouté de sa plainte
parce qu'on avait établi que l'amant de sa
douce moitié, qui était alors un M. O. Hagan,
lui avait remis un certain nombre de bank-
notes pour qu'il l'autorisat à le suppléer dans
l'accomplissement de ses devoirs conjugaux.
Malgré ce précédent, le prince, qui avait
succédé à M. O. Hagan dans les faveurs de
Mme Mégone et qui en perdait littéralement
la tête, résolut de rendre son mari à la li-
berté pour l'avoir toute à lui. Une nouvelle
instance en divorce fut donc introduite ; elle
échoua encore et le prince en acquitta les
frais.
Sur ses conseils, M. Mégone porta l'affaire
devant la cour d'Edimbourg qui plus com-
plaisante que la cour du banc de la reine rom-
pit l'union des deux époux à la satisfaction
des trois membres du ménage.
M. Mégone en profita pour se remarier et le
prince pour convoler avec son ex-femme.
Ceci se passait à la fin de mai 1888. Mal-
heureusement, autant Mme Mégone avait été
une maltresse délicieuse, autant la princesse
Bonaparte fut une épouse déplorable. Le
prince en arriva à regretter à tel point de l'a-
vo:r enlevée à son mari qu'il prit, sans plus
se gêner, une nouvelle compagne et que, pour
éviter d'être considéré comme bigame, il in-
tenta une action en nullité de son premier
mariage.
Son avocat soutint que M. et Mme Mégone
étant Anglais ne pouvaient être jugés par une
cour écossaise et qu'en outre la loi écossaise
interdisant le mariage entre la femme divor-
cée et son amant, il y avait de ce fait cas
de cassation.
L'avocat de Mme Mégone se contenta d'objec-
ter que le prince ayant été l'instigateur de son
divorce et l'ayant épousé dans des conditions
qu'il savait si bien être irrégulières qu'il s'en
réclamait pour solliciter l'invalidation de son
mariage, ne devait pas être favorisé Oans
ces projets par les juges.
Ceux-ci, cependant, se prononcèrent en
sa faveur. Ils annulèrent à la fois le se-
cond mariage de Mme Mégone et son di-
vorce, de telle sorte que si le prince ne fut
pas bigame, ce fut M. Mégone qui le devint et
légitimement qui plus est.
L'anecdote nous a semblé assez curieuse
pour mériter d'être signalée, d'autant qu'elle
constitue à elle seule toute l'histoire du petit-
neveu de Napoléon qui vient de disëami-
tre. ",
LA POLITIQUE RELimSE
DU GOUVERNEMENT
UN GRAND DÉBAT A LA CHAMBRE
La circulaire du nonce aux évêques.
Triple interpellation. — Autres agis-
sements cléricaux. — Les explica-
tions de M. Casimir-Perier.
L'ordre du jour de
confiance
Il est venu hier, et il à pris des développe-
ments considérables, ce débat sur la question
religieuse dont le XIXe Siècle, dans son
précédent numéro, indiquait par avance
toutes les péripéties.
M. Wilson, le réélu de Loches, qui est re-
venu hier - il a paru assez amaigri et défait,
au banc supérieur de l'extrême droite où il
siège présentement - a eu, pour sa rentrée,
le spectacle d'une séance à grand orchestre.
Il y avait, nos lecteurs le savent, trois de-
mandes d'interpallation, émanant de M. Rai-
berti, de M. Pourquery de Boisserin et de M.
Goujat, sur les mesures que le gouvernement
compte prendre à la suite de la circulaire
adressée aux évêques par le nonce apostoli-
que. Peut-être n'est-il pas mauvais de don-
ner avant tout, en son texte exact, la partie
essentielle de cettefameusecirculairetiu nonce,
celle qui a motivé cette triple interpellation.
La voici :
Le gouvernement français a fait déclarer au
saint-siège qu'il est disposé à tenir compte des ob-
servations de l'épiscepat pour les modifications à
apporter aux règlements dont il s'agit (les règle-
ments sur les fabriques) ; le saint-siège aura soin
d'insister pour que ces promesses soient mises à
exécution.
Le saint-père désire que lesr évêques, dans leurs
réponses au gouvernement, tout en évitant de se
mettre en opposition directe avec la loi, formulent
les réserves nécessaires ét opportunes et fassent
tous leurs efforts en vue d'obtenir la modification
des règlements et la réforma de la loi sur la comp-
tabilité des fabriques, s'appuyant, à cet effet, sur
les difficultés générales et locales que rencontre
l'application de cette loi.
M. Raiberti, qui a pris le premier la pa-
role, n'a pas eu de peine à montrer tout ce
qu'un pareil document a d'inadmissible, tout
ce qu'une semblable initiative a d'incorrect,
venant d'un ambassadeur étranger accrédité
près du gouvernement français — car le
nonce n'est pas autre chose, en somme, — et
s'adressant à. une catégorie de citoyens fran-
çais qui sont des fonctionnaires par sur-
croît :
M. Raiberti. — La première obligation d'un
ambassadeur est de ne pas s'immiscer dans les
affaires du pays auprès duquel il est accrédité. En
envoyant sa circulaire, il a commis une usurpation,
et chaque fois que les nonces en ont commis de
semblables, les gouvernements le3 ont réprimées.
On m'objectera que le nonce est bien un ambas-
sadeur, mais que ce n'est pas l'ambassadeur d'un
souverain ordinaire ; c'est celui d'un souverain
qui règne sur des millions de consciences et qui est
investi de pouvoirs spéciaux dans l'ordre spiri-
tuel.
C'est la thèse de là cour de Rome.
On n'ose pas la proclamer encore en France, en
attendant on l'insinue.
Notre droit public s'élève contre cette thèse. Il
ne reconnaît que deux autorités spirituelles : le
pape et les évêques. Il ne reconnaît paj3 d'intermé-
diaire entre le pape et les évêques. Autrement le
nonce serait auprès des fidèles le représentant spi-
rituel du pontife romain.
D y aurait alors en France deux gouvernements :
celui qui est constitué par le Sénat, la Chambre
des députés et le ministère, et fe nonce siégeant à
la nonciature.
Ce n'est pas en France, dans le pays de Voltaire,
qu'on acceptera cette thèse.
Il y a donc eu usurpation, a ajouté le dé-
puté de Nice, et cette usurpation ne se saurait
tolérer, même sous prétexte de pacification
religieuse. Car qui pourrait vouloir d'une pa-
cification qui serait une véritable abdication ?
Le gouvernement est-il bien décidé à défendre
les droits de l'Etat laïque contre les empiéte-
ments de l'Eglise ?
Ainsi, a dit M. Raiberti et après avoir ré-
sumé son discours nous nous trouvons dis-
pensé d'insister sur les propos des deux au-
tres interpellateurs qui n'ont fait que rééditer,
et de façon beaucoup moins heureuse, la
thèse que le jeune député des Alpes-Mariti-
mes avait excellemment exposée.
M. Pourquery de Boisserin a ajooté que la
question est une question de dignité natio-
nale et établi que le nonce ne pourrait même
pas se prévaloir, pour excuser l'intempérance
de son zèle, du Concordat ou des articles orga-
niques. Et quant à M. Goujat, député socia-
liste, il a surtout insisté sur ce point que la
loi, — dont on vient de faire une application
si rigoureuse à M. Toussaint — doit être
égale pour tous et que le parti clérical, s'in-
carnât-il en la personne du nonce, ne saurait
être seul à pouvoir l'éluder.
Les fonctionnaires et l'armée accaparés
par le cléricalisme
On était resté jusqu'alors sur le vrai ter-
rain de l'interpellation. Mais à partir de ce
moment on a parlé de Bien d'autres choses.
Nous ne saurions trop nous en plaindre en la
circonstance, car les faits dont il a été ques-
tion sont de ceux qu'il importait de produire
à la tribune. Mais ce nous est tout de même
une occasion nouvelle de constater l'étrange
façon dont préside M. Dupuy qui, sans une
observation, sans la plus petite réserve de
principe au nom d'un réglement dont il a la
garde, — qui s'en douterait, en vérité ? —
laisse tous les débats dévier et s'écarter de
leur objet primitif, même quand cet objet
était pourtant bien déterminé.
Venons-en à ce qu'a dit à ce moment M.
Lhopiteau, député d'Eure-et-Loir, racontant
les instructives histoires qui se sont passées
dans son département, comme dans tant d'au-
tres du reste :
M. Lhopiteau. — J'avais l'intention d'adresser
une question à M. le ministre de la guerre (Inter-
ruptions sur divers bancs.) sur la participation de
l'armée aux fêtes cléricales qui sont organisées en
ce moment en l'honneur de Jeanne d'Arc.
Puisque le débat actuel s'est généralisé et em-
brasse toute la politique religieuse du gouverne-
ment, je crois que ma question trouve ici sa
place.
Vous savez que l'Eglise, à la recherche de son
ancienne influence, veut en ce moment exploiter à
son profit la popularité de Jeanne d'Arc (Applau-
dissements à gauche. — Bruit et interruptions à
droite.)
M. de Baudry d'Asson. — L'Eglise n'a pas
perdu sa popularité.
M. Lhopiteau. qui représente pour nous
laïques la plus haute incarnation du patriotisme
français. (Nouveaux applaudissements à gauche.)
Or l'Eglise a-t-elle le droit d'associer à son usur-
pation l'armée et toutes les administrations dépen-
dant du gouvernement ? (Très bien 1 très bien ! à
gauche. — Bruit à droite.)
- Au moment même où je parle, il se célèbre une
cérémonie religieuse à laquelle ont été conviés l'ar-
mée, la préfecture, les tribunaux, les percepteurs,
toutes les autorités de la ville. Une invitation offi-
cielle émanant de l'évêché a été adressée à chaque
chef de l'administration.
Chacun de ces chefs a réuni autour de lui ses
subordonnés. Il leur a communiqué l'invitation de
l'évêque et leur a dit que des places spéciales
leur seraient réservées. Enfin, ils ont ajouté que
les services publics seraient suspendus peu-
dant la durée du semee religieux.
> MAis il y a jia&ut - grave : c'est que
l'invitation a été adressée aussi aux officiers de l'ar-
mée.
Des invitations ont été adressées aux chefs de
corps. Ceux-ci ont réuni leurs officiers, et je ne
peux pas dire qu'ils leur ont donné l'ordre for-
mel d'assister à la cérémonie. (Interruptions à
droite.)
Les chefs de corps ont réuni leurs officiers ; ils
leur ont annoncé que les exercices seraient suspen-
dus pendant la cérémonie et ils leur ont même in-
diqué quelle tenue ils devaient revêtir. (Bruit à
gauche.) C'est donc, en somme, un ordre véri-
table.
Est-ce là ce que la Chambre a voulu en éloignant
l'armée des cérémonies officielles du culte ?
Je pose donc aujourd'hui cette question au mi-
nistre de la guerre ou plutôt au gouvernement tout
entier : Le gouvernement a-t-il donné l'ordre aux
chefs de corps de faire assister leurs officiers a nx
manifestations cléricales ?
Si le gouvernement ne l'a pas donné, cet ordre,
a-t-il du moins autorisé ces manifestations dans
lesquelles, à mon avis, on compromet l'armée?
(Applaudissements à gauche. — Bruit à droite).
Après ce petit discours fort intéressant et
dont l'effet a été grand, M. de Douville-Maille-
feu est venu, avec son habituelle fantaisie de
langage, signaler, en la déplorant, l'ingérence
du nonce dans la nomination des évêques,
nomination qui devrait pourtant être, aux
termes du Concordat, l'exclusif apanage du
gouvernement.
L' « esprit nouveau »
Puis c'a été le tour d'un rallié, M. Denys
Cochin, dont l'intervention mérite d'être si-
gnalée, le député de Paris étant venu sommer
le gouvernement — avec des circonlocutions,
il est vrai, — de reconnaître la correction de
la circulaire du nonce et surtout de s'interdire
toute action contre le représentant du pape,
cela au nom de la politique dite « d'esprit
nouveau » et du pacte plus ou moins tacite
qui existe de fait entre ledit gouvernement et
les conservateurs r
M. Denys Cochin. — Si l'on voulait, s'en réfé-
rant aux pratiques d'un autre âge, recourir à je ne
sais quelles mesures.je demanderais au gouverne-
ment ce que signifient les paroles de paix qu'il a
apportées à cette tribune. (Applaudissements à
droite.)
Je suis tout prêt à déclarer que je crois ferme-
ment à ce que M. le ministre des cultes a caracté-
risé par ces mots : « l'esprit nouveau ».
M. de Baudry d'AssOD.- C'était un mot pour
accrocher des niais ! Vous avez eu confiance ? Moi
pas 1 (Rumeurs à droite).
M. Denys Cochin. — Je déclare humblement
à M. Baudry d'Asson que je suis un de ces niais.
Je crois qu'il y a un esprit nouveau, mais je
n'en fais aucun éloge au ministre et au gouverne-
ment, car ce que je rois. c'est que cet esprit nou-
veau règne dans le pays et qu'il ne règne pas en-
core dans l'administration. (Très bien! très bien !
à droite.)
Hein ! le voilà bien, le bout de l'oreille, et
M. Perier n'a pas paru savoir très bon gré à
M. Cochin qui, si ingénument - ou si habi-
lement — le laissait passer. Le député de Pa-
ris a d'ailleurs terminé par de nouvelles avan-
ces au gouvernement, ne lui cachant pas que
son concours et celui de ses amis lui demeu-
rent acquis à condition qu'il continue d'être
raisonnable. Vous Qomprenez-",n'est.ce pas, ce
que parler veut dire ?
Notons encore l'intervention de M. Rabier
signalant, ou rappelant encore un fait à ajou-
ter à ceux qui déjà avaient été cités :
M. Rabier. - Je demande au président du con-
seil quelles mesures il compte prendre contre le
cardinal archevêque de Bordeaux, M. Lecot, à l'oc-
casion des paroles que celui-ci a prononcées, il y
a quelqnes jours, dans la cathédrale d'Orléans.
(Mouvements divers.)
Le 8 mai dernier, 'faisant le panégyrique de
Jeanne d'Arc devant vingt-trois ou vingt-quatre
évêques ou archevêques, des généraux, des fonc-
tionnaires de tout ordre, des préfets, des magis-
trats en robe rouge ou noire, M. Lecot, s'adres-
sant à M. Coullie, archevêque de Lyon, qui vient
d'être frappé par le gouvernement, lui décerna les
palmes du martyre et dit que le gouvernement
avait pris contre lui une mesure qu'il ne voulait
pas qualifier.
Je me permets de trouver ce langage scandaleux.
(Mouvements divers.)
M. Millerand. — Le gouvernement le trouve
très bon t (Rires à l'extrême gauche.)
-Le président du conseil
Le moment était venu de répondre. M. Ca-
simir-Perier s'est tout d'abord arrêté aux faits
dont les derniers orateurs avaient entretenu
la Chambre.
A M. Lhopiteau, il a répondu que les offi-
ciers et les fonctionnaires n'avaient pas reçu
l'ordre d'assister aux fêtes organisées par le
clergé en l'honneur de Jeanne d'Arc, fêtes
dépourvues de tout caractère officiel. On leur
a dit seulement qu'ils pourraient s'y rendre
individuellement et à titre privé. De nom-
breuses exclamations ont accueilli cette ex
plication, montrant bien que ce n'est guère
ainsi que les choses se sont passées dans la
pratique.
A M. de Douville, M. Perier a répliqué que
le gouvernement nomme en effet seul les évê-
ques, s'assurant seulement que l'autorité reli-
gieuse donnera ensuite l'investiture canoni-
que.
Enfin, pour ce qui est du cardinal Lecot, le
président du conseil a déclaré que le prélat
s'est mis à l'abri de toute répression en effa-
çant dans son discours imprimé le propos
incriminé, à supposer même que ce propos
ait été tenu. « Mais j'étais là et je l'ai en-
tendu I» s'est alors écrié M. Rabier.
Et arrivant alors à la circulaire du nonce,
M. Perier n'a pu, tout en louant bien haut
l'intention bienveillante qui avait inspiré ce
document, méconnaître l'imprudence dudit
« Et la sanction ? » a alors demandé M. Pel-
letan.
M. le président du conseil. — Nous avons
estimé que nous devions demander des explica-
tions et en obtenir,
Depuis deux jours, j'ai envoyé à notre ambaèsa-
deur à Rome des télégrammes rappelant tous les
précédents et réclamant une sanction.
Après en avoir conféré avec le nonce, Je suis
autorisé à déclarer que le document en question a
été conçu dans une pensée d'apaisement et de con-
ciliation et que s'il a été publié, c'est contre le
gré du nonce. (Exclamations a l'extrême gauche et
sur divers bancs à gauche.)
Lorsqu'on nous demande quelle est la sanction,
je vous prie d'écouter celle que nous avons obtenue
et qui nous paraît satisfaisante.
Voici la déclaration que je suis autorisé à faire :
« Le nonce a déclaré que le document avait été
conçu dans une pensée d'apaisement et de concilia-
tion, qu'il avait été publié contre son gré, qu'il re-
grettait cette publication et qu'il aura soin qne pa-
reil incident ne se reproduise pas. » (Interruptions
sur divers bancs à gauche.)
La Chambre appréciera. Quant à moi, je déclare,
comme chef du gouvernement, que j'estime l'in-
cident clos par cette déclaration. (Applaudisse-
ments. )
M. Alphonse Humbert. — Vous avez vous.
même condamné le document; vous avez obtenu
satisfaction sur sa publication, mais non sur le do-
cument lui-même. (Très bien 1 très bien ! à l'ex-
trême-gauche.
M. le président du conseil. — Vous remar-
querez que, dans la déclaration que je vous ai lue,
on dit qu'on veillera à ce qu'un pareil incident ne
se reproduise pas. (Interruptions sur divers bancs
à gauche.)
J'ai dit que je considérais l'incident comme
clos ; il me paraît imposssible d'engager un dé-
bat pour savoir quelle rédaction aurait dû être
exigée.
M. Perier s'est ensuite défendu d'être entré
en négociations avec la cour pontificale sur
la question de 4a législation des fabriques.
« Mais la circulaire du nonce affirme poqp*
tant le contraire ! » s'est alors écrié M. Pelle-
tant.
— J'ai pu faire dire à Rome, a riposté M.
Perier, que je ne me refuserai pas à exami-
ner certaines observations qui me seraient
faites sur cette législation des fabriques, mais
cela seulement après que la soumission de
l'épiscopat à la loi serait complète et abso-
lue.
— Mais c'est une négociation, cela ! a fait
observer M. Goblet.
Et c'est alors que le président du conseil a
donné lecture des instructions par lui adres-
sées il y a deux mois à notre ambassadeur
au Vatican à propos de cette affaire des fa-
briques. Voici la fin de ce document :
M le président dn conseil. — « Les démons-
trations peu convenables de certains prélats et l'a-
gitation qu'un parti politique veut entretenir sur
cette question, nous mettent dans l'obligation.
(Très bien 1 très bien f) d'exiger le silence et la sou-
mission. (Très bien 1 très bien !) avant de décider
s'il est nécessaire ou légitime de retoucher des
points de détails. »
M. Georges Leygues. Nous n'avons jamais
entendu un langage plus honnête et plus fier.
M. Hémon. — Vous n'avez jamais parlé comme
cela, monsieur Goblet.
M. René Goblet. — Lisez ma lettre à l'arche..
vêque de Paris.
M. Deschanel. — Nous n'avons pas oublié les
amertumes du pape. (On rit.)
M. le président du conseil. - Je continue.
« Nous promettons notre respect et notre protec-
tion à l'Eglise respectueuse des prérogatives du
pouvoir laïque ; nous la convions à une œuvre de
tolérance et de pacification. Si le clergé catholique
rend cet apaisement possible, la France y puisera
des forces nouvelles.
» S'il croyait ou affectait de croire nos déclara-
tions inspirées par d'autres sentiments que le res-
pect de la pensée et l'amour de la liberté, il ne tar-
derait pas à être détrompé, et il aurait à se con-
vaincre que le premier devoir d'un gouvernement
soucieux de maintenir et de fortifier l'autorité,
c'est d'exiger des serviteurs de l'Eglise, comme de
tous les autres citoyens, l'observation des lois. »
(Applaudissements).
Et maintenant, messieurs, si ces explications
ne sont pas claires, si elles paraissent insuffisan-
tes, qu'on en réclame d'autres, je le demande àu
nom du pays. (Très bien! très bien !)
Mais si elles établissent que nous sommes les
gardiens vigilants des droits de la société, je vous
en prie, qu'on en finisse avec des accusations aux-
quelles ne croient pas beaucoup de ceux qui les for-
mulent au dehors. (Très bien ! très bien !)
Certes, ces instructions adressées par le
gouvernement à son représentant auprès du
pape sont louables, mais de bonnes paroles
ne suffisent pas, c'est leur mise en pratique
qu'il faudrait. Et, à cet égard, il est permis de
conserver jusqu'à nouvel ordre une forte dose
de scepticisme.
La fin du débat
lelle est la réflexion que chacun se faisait.
On comprenait qu'il n'y a qu'à attendre des
preuves de cette fermeté gouvernementale qui
serait absolument dérisoire si elle demeurait
à l'état de simple clause de style. Et ce sen-
timent était si général qu'à partir de ce mo-
ment le débat a été comme épuisé. A quoi
bon de nouveaux discours quand c'est les
actes qu'il faudra juger ?
M. Pourquery de Boisserin, à qui toute oc-
casion est bonne de paraître à la tribune, a
pourtant esquissé une vague réplique. M. Jul-
lien, que M. Perier avait pris à partie à pro-
pos de son discours d'installation à la prési-
dence de la gauche radicale, a brièvement
usé de son droit de réponse, demandant pré-
cisément au gouvernement de mettre désor-
mais les faits d'accord avec ses paroles. Mon-
signor d'Hulst a aussi essayé de parler dans
le bruit.
La discussion a alors été close, malgré M.
Pelletan qui voulait encore « élargir le dé-
bat » et consacrer une seconde journée à in-
terpeller sur la politique religieuse du gou-
vernement. -
Cette motion n'a réuni que 197 voix contre
307 et le défilé des ordres du jour a com-
mencé.
Il y en avait une bonne demi-douzaine, de
ces ordres du jour. Mais deux seulement sont
à retenir, ceux sur lequel la bataille allait
s'engager : d'abord celui des radicaux pré-
senté par M. Alphonse Humbert et accepté
par M. Goujat, qui réclamait la séparation des
iglises et de l'Etat comme seul moyen d'en
finir avec de perpétuels conflits, et, en second
lieu, celui des modérés, rédigé par M. Georges
Leygues et exprimant tout simplement l'ap-
probation de la Chambre aux déclarations du
gouvernement.
M. René Goblet a présenté quelques obser-
vations très topiques en faveur de la dénon-
ciation du Concordat, c'est-à-dire en faveur
de l'ordre du jour Humbert.
Mais 816 voix contl'em ont refusé la prio-
rité à cet ordre du jour et c'est la rédaction
de M. Leygues, naturellement acceptée par le
gouvernement, qui a été votée par 334 voix
contre 142.
Ainsi a fini cette interpellation. Et dire que
nous aurons une autre grande interpellation
jeudi prochain, celle de M. Thierry Gazes, sur
les atteintes portées à l'indépendance des
membres du corps enseignant ! Le centre en
avait demandé le renvoi à un mois, mais
vingt voix de majorité, obtenues après poin-
tage, ont repoussé cet ajournement à longue
échéance.
TRANSPORTS MARITIMES POSTAUX
Dans la séance qu'elle a tenue hier matin,
la commission parlementaire des transports
maritimes postaux a pris les résolutions de
principe suivantes :
1° Maintien des lignes existant actuelle-
ment de fait, soit résultant du cahier des
charges, soit desservies volontairement par
les compagnies concessionnaires.
20 Possibilité de porter à sept départs par
semaine le service entre Marseille et Alger.
M. Saint-Germain, député de l'Algérie, a
été nommé rapporteur provisoire. Il a reçu
mission d'examiner le dossier et d'en faire un
exposé à la commission, qui entendra ensuite
le gouvernement. M. Saint-Germain a fait,
sous la précédente législature, un rapport sur
le même projet qui n'a pas pu venir en dis-
cussion ; son travail n'indique pas, tant s'en
faut, qu'il ait une compétence Dien étendue
des questions se rattachant aux transports
maritimes postaux.
L'AMBASSADE AU VATICAN
Les députés socialistes ont déposé un amende-
ment au budget du ministère des affaires étrangè-
res tendant a une réduction de 110.000 fr. corres-
pondant à la suppression de l'ambassade auprès
du Vatican.
M. Doumer, rapporteur du budget des affaires
étrangères, se propose de soulever la question dans
une des prochaines séances de la commission.
L'ASSAINISSEMENT DE LA SEINE
Le Sénat, réuni dans ses bureaux hier, a nommé
la commission relative au projet de loi sur l'as..
sainissement de la Seine.
Sont élus : MM. Labbé, Tézenas, Cornil, de
Freycinet, Dethou, Scheurer-Kestaor, Combes, de
Vermue, Pradal. ,
La plupart des commisaires élus sont Amiables
M projet te loi T»té par - dea àigutf*.
LAVIEDEPARIS
Deux événements littéraires d'ordre
très divers ont marqué la journée d'hier :
la mort de la nièce de Lamartine et la
candidature de M. Paul Bourget à l'Aca-
démie française. La nièce de Lamartine,
qui meurt mariée et veuve, fort âgée, était
cette Valentine qui fut la compagne dé-
vouée de la triste vieillesse du grand
poète et en connut toutes les misères et
en adoucit les aagoisses.
Je ne sais rien de plus navrant que ces
dernières années de Lamartine, non par
les embarras, par les souffrances réelles
que le poète supporta, que par la fausse
appréciation que l'opinion fit des causes
de ces embarras. Tout d'abord, littéraire-
ment, Lamartine était presque oublié. Ce
n'est qu'après sa mort qu'a commencé une
réaction qui, sans toucher à la gloire de
Hugo met Lamartine à sa vraie place,
c'est-à-dire à côté de lui au premier rang.
Car si Hugo fut un plus grand artiste en
langage, Lamartine fut un poète peut-
être plus ému, à coup sûr plus spontané.
Puis (et ce fut là ce qui dut être le plus
sensible à Lamartine),la politique se met-
tant de la partie, on jugea mal son carac-
tère. Les éternels pharisiens qui sont les
maîtres de la morale et les dispensateurs
des renommées allaient disant qu'un
homme n'était pas à plaindre quand il
avait eu plusieurs millions, que Lamar-
tine s'était ruiné par vanité et par l'entê-
tement qu'il mettait à garder ses terres et
ses châteaux.
On alla jusqu'à l'accuser de manquer
de dignité parce qu'il avait accepté un lo-
gement assez modeste de cette ville dû
Paris dont il avait été la gloire et qu'il
avait peut-être sauvée de quelque désas-
tre en 1848. Tout ceci était injuste et
cruel. La vérité est que Lamartine avait-
été de ces élus, victimes de l'imprudente'
grandeur de leur esprit, qui ont le mé-
pris de l'argent, de la sagesse égoïste et
bourgeoise, et qui affirment ce méprisr
autrement que par des déclamations et le
montrent dans leurs actes. J'aime, de la
sorte, les grands prodigues, les ruinés et
jusqu'aux décavés du boulevard.
Je les aime pour leur indifférence dé-
vant le maître et le tyran du monde con-
temporain. Leur désordre est une révolte.
A plus forte raison la ruine de Lamartine
était-elle excusable.Il avait vraiment vécu
en poète, dédaigneux des affaires d'argent,
généreux, insouciant.Ses embarras étaient
nés de sentiments très respectables, qui
lui firent avoir pour la terre natale un-
culte pieux, comme celui d'un prêtre pour
son temple.
Dans sa guerre contre les gens d'argent
et les gens de loi qui le dépouillèrent, ir
me faisait l'effet d'un vieux lion dévoré
par une insaisissable vermine. Dans cette
lutte il fut relevé, réconforté par l'atta-
chement de sa nièce. Par là, cette femme
mérite de voir son nom associé à la gloire
du poète et respecté par ceux qui aiment
les lettres et qui se plaisent à ne pas sépa-
rer l'admiration qu'on peut avoir pour
l'oeuvre de la sympathie qu'il est doux de
pouvoir garder à l'homme qui l'a accom-
plie.
L'autre événement littéraire de la jour-
née est la candidature académique de M.
Paul Bourget. On parlait depuis long-
temps de cette candidature; mais M. Bour-
get était absent. On lui prêtait un désinté-
ressement philosophique, dédaigneux des
gloires officielles, qui n'était peut-être
qu'une coquetterie habile et bien permise
à coup sûr. On disait encore que M. Bour-,
get, romancier, ne voulait entrer à l'Ins-
titut que lorsque M. Zola en aurait enfin
forcé les portes..
Mais ainsi que je l'ai dit il y a assez
longtemps déjà ici même, M. Zola, pour
des raisons diverses, n'a pas chance d'être
élu avant trois ou quatre vacances : lui-
même, s'il persiste à se présenter par,
principe, n'a pas d'illusions, et ses amisJ
ont également compris qu'en votant pour
lui ils empêcheraient d'entrer à l'Institut
les cinq ou six lettrés, parmi lesquels Ml5
Paul Bourget est des premiers, que le pu-
blic s'étonne de ne .pas y voir. C'est ainsi
que le promoteur le plus ardent de la can-
didature de M. Paul Bourget est tout jus-
tement M. Coppée, connu pour avoir été.
jusqu'ici le plus ferme des partisans de
M. E. Zola. Le succès de M. Bourget ne
paraît pas d'ailleurs pouvoir faire de
doute.
C'est une course courue, comme on dit
à Longchamps, et je ne vois même pas
d'accident possible qui ferait arriver un
outsider. Le fauteuil de M. Taine, par.
exemple, pourra être disputé. Il y a M.
Sorel, M. Montégut en présence et l'ac-
cord qu'on dit être fait entre les partisans
de M. Sorel et les amis de M. Bourget'
pourrait n'être pas ratifié par certains ad-
versaires que compte le premier.
M. Henri Houssaye s'était également
présenté au fauteuil de Taine. Il n'a pas
eu de chance. Sur l'annonce que M. Bour-
get s'abstenait , M. Houssaye a transporté
sa candidature du fauteuil de Taine au
fauteuil de du Camp. Mais voilà que M.
Bourget revient d'Amérique, non comme
un oncle à héritage, mais comme un se-
cond héritier, et que M. Houssaye qui
avait des chances les a vues diminuer au
point qu'il a retiré sa candidature, Il se
trouve en l'air entre deux fauteuil. Maia
son désistement est une manœuvre habile,
qui lui vaudra des voix nouvelles à la
prochaine élection. Les désistements sont
parfois des titres qui valent des victoires.
Pour moi qui juge les choses académi-
ques surtout du côté du public, je ne puis
m'empêcher de trouver avec celui-ci que
les élections sont trop choses arrangées à
l'avance. On aimerait pouvoir garder au
moins l'illusion que les candidats se pré-
sentent simplement avec leurs œuvres.
avec leur situation littéraire acquise, et
qu'il y a dans l'élection plus de spon-
tanéité et moins de diplomatie préalable?
Les candidats eux-mêmes y gagneraient?
- Il sertit plus agréable pour eux d'être
élltGQ œÇrdes aa'à la suiU
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